De Odd Taxi à Housenka : Rencontre avec Baku Kinoshita et Michinoku Tôge

Cette année en compétition long-métrages du festival international du film d’animation d’Annecy, Housenka, nouveau projet des créateurs de la série Odd Taxi, mélange animation et monde du crime dans un cocktail qui s’annonce des plus surprenant. L’année dernière, alors que le projet était présenté en Work in Progress au même festival d’Annecy, Journal du Japon a eu la chance de s’entretenir en longueur avec ses créateurs : rencontre avec son réalisateur Baku Kinoshita et son concept artsit Michinoku Tôge.

Housenka
©Kazuya Konomoto /The Last Blossom Production Committee

Si la mafia et les sociétés du crime sont un motif récurrent du cinéma, et ce peu importe le pays, ce thème est souvent absent des films d’animation, traditionnellement adressés à un jeune public. Pourtant, et nous ne vous apprenons rien en l’écrivant, l’animation ne se limite pas aux séries et films pour enfants : plus particulièrement, l’animation japonaise a prouvé depuis plusieurs décennies maintenant que les dessins animés peuvent toucher n’importe quel public.

Avec Odd Taxi diffusé en 2021, Baku Kinoshita a marqué son temps en employant d’une manière terre à terre le monde japonais du crime et de la nuit, tout en mélangeant cet univers sordide à des personnages anthropomorphes à l’apparence charmante. Avec son scénario rondement mené, Odd Taxi a convaincu un large public, pari risqué pour un projet original, et a su montré une nouvelle possibilité dans le flux toujours abondant de productions d’animation japonaise.

Son nouveau projet Housenka, qu’il mène avec son compère scénariste Kazuya Konomoto (déjà au commande sur Odd Taxi), est sous les feux des projecteurs du cinéma d’animation international : présenté en Work In Progress en 2024 au Festival d’Animation Internationale d’Annecy, il entre dans la compétition officielle des longs-métrages pour l’édition 2025. Le film s’annonce dans la droite lignée de son prédécesseur comme le montre le synopsis donné par le festival :

Housenka
©Kazuya Konomoto /The Last Blossom Production Committee

Automne 2023. Akutsu, un détenu âgé condamné à perpétuité, est sur le point de mourir seul dans sa cellule individuelle. Une fleur d’housenka lui dit : « Quelle vie pourrie tu as eue ». Akutsu commence alors à repenser à son passé. Été 1986. Akutsu vit avec Nana et son fils Kensuke dans un appartement miteux, dont le jardin est rempli d’housenka. C’est l’histoire du retour triomphal d’un yakuza mourant, le temps d’une nuit, et celle de sa famille, racontée par une fleur qui pousse en prison. (synopsis officiel du festival international du film d’animation d’Annecy)

Sans plus attendre, voici notre discussion avec le réalisateur Baku Kinoshita et le concept artist Michinoku Tôge menée lors de l’édition 2024 du festival d’Annecy !

Journal du Japon : Tout d’abord, nous vous remercions chaudement de nous accorder cette interview aujourd’hui. Est-ce votre première venue au festival d’Annecy ? Que pensez-vous de l’ambiance du festival ?

Baku Kinoshita : Oui c’est la première fois que je viens. Ma première impression a été de me dire que c’était vraiment un très bel endroit. La ville est jolie, la nourriture y est bonne, c’est vraiment super. Honnêtement, je n’ai pas envie de rentrer au Japon.

Michinoku Tôge : C’est ma première fois en tant qu’invité. Je suis venu il y a à peu près treize ans en tant que visiteur. J’ai trouvé que c’était un festival très ouvert. A propos des festivals, au Japon, ils sont avant tout fait pour un public d’initiés, mais ici j’ai l’impression que même les gens en dehors du festival se baladent en ville et se mélangent avec les festivaliers. Il y a vraiment toutes sortes de gens, et je n’ai pas envie de rentrer au Japon non plus.

De gauche à droite : Elliot (journaliste JDJ), Baku Kinoshita, Michinoku Tôge © Quentin Dumas pour Journal du Japon

Commençons par les questions pour vous, Monsieur Kinoshita. Aviez-vous d’autres projets avant de commencer Housenka ?

Kinoshita : Oui, quelques-uns. Mais ils ne convenaient pas à la direction que je souhaitais prendre donc j’ai plutôt choisi de travailler sur Housenka.

Il me semble que vous faites de l’animation depuis l’université : quand vous est venue cette envie exactement ?

Je dessine depuis que je suis enfant, et une fois entrée à l’université (NDR : l’Université d’arts de Tama) il y avait un cours où l’on devait faire de l’animation. C’était la première fois que j’en faisais, et mon projet a été très bien reçu par les étudiants et les professeurs. J’ai ensuite réalisé un deuxième court-métrage comique, et toute la classe a éclaté de rire en le regardant. C’était une vraie réussite !

Ensuite, j’ai pris véritablement conscience de la manière dont on voyait un film changeait selon le montage, les angles de caméra ou l’éclairage. Après, il y a aussi la musique qui entre en jeu. J’ai pensé que le cinéma était quelque chose de très profond et j’ai remarqué pour la première fois le charme des images en mouvement. Je me suis donc mis à regarder beaucoup de films, et à vouloir faire de l’animation mon travail. Ce cours à l’université à été un véritable déclencheur.

Pouvez-vous nous parler du court-métrage d’animation que vous avez réalisé à l’université ?

Ce n’est pas grand chose : un couple de chauves-souris regardent un match de foot, et alors que l’équipe qu’ils supportent marque un but, ils s’exclament de joie, sautent sur le canapé, mettent la maison sens dessus dessous et l’un deux finit par être envoyé en l’air par un canon. Je pense qu’il est disponible sur internet. Le voici (NDR : il s’agit du second court-métrage réalisé par Kinoshita, le premier est également disponible sur sa chaîne YouTube).

Les voix sont celles de mes amis. Je devais être en seconde année d’université, vers 2010, j’avais dans les 20 ans.

On dirait un passage du cartoon The Regular Show, le regardiez-vous à l’époque ?

Oui c’est vrai que ça ressemble. Mais je pense que j’ai fait mon court-métrage avant que ce passage ne soit fait.

Michinoku : A l’inverse, c’est peut-être eux qui ont été inspirés par votre court-métrage…

Avez-vous commencé à vous intéresser aux films de gang et de Yakuza durant cette époque de l’université ?

Kinoshita : Tout à fait, oui. Mais en réalité, j’ai regardé tous types de films. Des plus connus comme Le Parrain évidemment, les films de Martin Scorsese, Quentin Tarantino, Christopher Nolan, ou les frères Coen, mais aussi du cinéma plus classique comme celui de Akira Kurosawa. Je me suis dit qu’il y avait vraiment plein de manières de mise en scène différentes. J’ai aussi regardé beaucoup d’animations. Quand un film Disney passait au cinéma, j’allais à coup sûr le regarder.

Kinoshita Baku
Baku Kinoshita, réalisateur de Housenka. ©Quentin Dumas pour Journal du Japon

Durant cette période, j’ai regardé toutes sortes de choses sans distinction : de la comédie ou des films de divertissements. Mais à force d’en voir, mon intérêt s’est progressivement porté vers les films de crimes, de la mafia, de gangs, en passant par les yakuzas.

En lisant le synopsis de Housenka, on a l’impression de voir là un film de Takeshi Kitano : êtes-vous familier avec son cinéma ?

Bien sûr : je suis un grand fan de Takeshi Kitano, et j’ai vu beaucoup de ses films maintes et maintes fois. J’ai été profondément influencé par la manière particulière dont il a de capturer l’instant, mais aussi par son montage ou la manière dont il traite ses personnages. Au Japon, j’ai l’impression que Takeshi Kitano n’est pas réellement reconnu en tant que réalisateur. A l’inverse, il a un public plus présent à l’étranger. C’est un réalisateur très important pour moi et je respecte beaucoup son travail.

Odd Taxi a été votre premier travail en tant que réalisateur de série. Quels genres de difficultés avez-vous rencontrées ?

Comme c’est une oeuvre originale, le monde de la série n’existe que dans la tête du réalisateur, et j’ai eu beaucoup de mal au départ à déterminer les tenants et aboutissants de ce monde, et ensuite à choisir les bons mots et le nombre d’explications pour le transmettre aux équipes de productions. Housenka est aussi un projet original, et comme on crée tout depuis zéro, il y a également une grande difficulté pour transmettre l’image du projet, contrairement aux anime adaptés de mangas par exemple.

De quelles manières vous êtes-vous renseignés pour ensuite représenter le crime organisé dans Odd Taxi et bientôt Housenka ? Auriez-vous vous-même une expérience dans le milieu ?

L’envie de dépeindre des yakuzas, et c’était la même chose pour Odokawa (NDR : Hiroshi Odokawa, chauffeur de taxi et personnage principal de Odd Taxi), vient d’un désir de montrer les personnes cachées dans l’ombre de la société. J’ai toujours été attiré par ce genre de personnages, et je souhaitais donc intégrer ces thèmes dans mes créations. A propos des yakuzas, je regarde beaucoup de films mais je n’en ai moi-même pas rencontré réellement. Je me base donc sur les films que j’ai vu.

Toutes vos connaissances sur les yakuzas et le crime viennent-elles donc uniquement des films ?

Tout à fait. C’est vraiment les yakuzas des films de Kitano, les personnages pris entre leurs devoirs et leurs sentiments comme on le voit systématiquement dans les films de yakuzas au Japon. J’ai tout appris avec le cinéma.

Beaucoup de phénomènes sociaux sont également dépeints dans Odd Taxi, comme l’addiction aux jeux mobiles par exemple. De la même manière, comment vous-êtes vous renseigné sur ces sujets ?

Je ne me suis pas particulièrement renseigné. A propos des jeux mobiles, je crois que le choix du sujet vient du scénariste, Kazuya Konomoto. Il s’est peut-être renseigné de son côté sur le sujet, mais je pense qu’il affectionne particulièrement ajouter dans ses œuvres un côté satirique en incluant des tendances ou des dysfonctionnements de la société. Il se trouve que j’ai moi aussi joué à des jeux sur mon portable donc je n’ai pas trop eu de difficultés lors de la mise en scène de l’épisode en question.

La fin de Odd Taxi nous a marqué par son retournement de situation, était-elle prévue ainsi dès le début du projet ?

Oui c’était décidé dès le début. J’ai également utilisé un gimmick du genre pour Housenka.

Housenka
©Kazuya Konomoto /The Last Blossom Production Committee

Passons maintenant à vous, Monsieur Michinoku. Depuis combien de temps dessinez-vous ?

Michinoku : Depuis l’université. Au départ j’étais intéressé par l’animation 3D, mais il m’est apparu que connaître les rudiments de la 2D me servirait de socle pour augmenter la qualité de mes productions. C’est à partir de ce moment-là que j’ai commencé à étudier l’animation en 2D. Je me suis ensuite rendu compte peu à peu que je pouvais créer des choses satisfaisantes seulement avec de la 2D. Je voyais de moins en moins l’animation 3D comme ma priorité alors que mon intérêt pour l’animation 2D ne faisait que s’amplifier et que je devenais capable d’en faire par moi-même. Donc plus qu’un désir de créer des œuvres, c’est pour approfondir un intérêt plutôt technique, et parce que l’animation 2D me permet de combler ce désir, que j’ai commencé l’animation.

J’ai fait de l’animation durant l’université et j’ai ensuite voulu travailler dans quelque chose au plus proche du dessin en lui-même, comme le design des personnages, alors je me suis dit qu’il serait bien que j’intègre une entreprise de jeux vidéo. J’ai donc commencé à travailler en tant que concept artist dans une boîte de production de jeux vidéo. J’y ai travaillé durant environ cinq ans puis je suis devenu free-lance : je voulais absolument refaire de l’animation comme lors de mes années étudiantes. Je me suis replongé dans cet univers, en exploitant mon savoir-faire acquis dans le monde du jeu vidéo, et en laissant une part de créativité personnelle également.

Vous avez donc appris les techniques d’animation en autodidacte ?

Michinoku Tôge, concept artist pour Housenka ©Michinoku Tôge

A l’université, j’étais dans une filière spécialisée en animation. J’y ai beaucoup appris, mais après être entré dans le monde du travail puis m’être remis à l’animation en tant que free-lance, quelques années avaient passé et j’ai dû apprendre seul pour compenser. Je dirais que c’est moitié-moitié.

Est-ce qu’il y a eu un événement particulier qui vous a fait passer votre intérêt de l’animation 3D à l’animation 2D ? Un film qui vous aurait marqué par exemple ?

En ce qui concerne l’animation, je préfère ce qui se fait à l’étranger plutôt qu’au Japon. J’ai débuté par Disney et, avant que je rentre à l’université, mes œuvres préférées étaient celles des années où Disney tâtonnait un peu et a fini par abandonner l’animation 2D. Comme Lilo & Stich ou Frère des Ours par exemple. Ce sont des films d’animation qui répondent assez fidèlement au désir du réalisateur. J’ai l’impression d’y voir l’autosatisfaction du réalisateur et qu’au contraire ils n’étaient pas très orientés business. C’est justement cela qui m’attire dans ces films, et cela a sûrement été un des déclencheurs les plus importants pour moi.

Dans les vidéos disponibles sur votre chaîne YouTube, on peut voir beaucoup de personnages anthropomorphes. Vous semblez apprécier particulièrement ce type de personnage, d’où vient cet intérêt ?

Je pense que c’est à cause de Disney. J’ai toujours pensé que l’apparence des animaux était plus amusante que celle des humains. Un personnage humain dans un anime sera généralement très plat, alors que dans le cas des personnages anthropomorphes il y a quelque chose d’amusant à les dessiner tout en volume. Je pense que c’est une des raisons de mon intérêt.

Au-delà de cela, j’aime bien les animaux et par prolongement c’est une des raisons qui font que je dessine beaucoup de personnages anthropomorphes. C’est une satisfaction personnelle, qui n’a pas grand chose à voir avec comment je visualise ma création en elle-même.

Vous utilisez également des personnages du genre dans Odd Taxi, Monsieur Kinoshita. Quel est votre avis à ce sujet ?

Kinoshita : J’y ai pensé en entendant la réponse de Michinoku, mais c’est vrai que l’apparence des animaux est amusante. Ils ont déjà un design qui leur est propre donc c’est assez simple : si c’est une girafe elle aura un long cou, si c’est un rhinocéros une corne fait l’affaire. Comme ils ont des designs uniques et une silhouette reconnaissable, ils sont parfaits pour en faire des personnages. Les animaux, c’est une ressource qui est à la fois simple et amusante à utiliser, et qui fonctionne à merveille avec l’animation.

Michinoku : Pourtant, en ce qui me concerne, j’ai dit que j’avais commencé à dessiner les personnages anthropomorphes parce que je les aimais bien, mais je trouve qu’ils occupent une trop grande place dans les productions d’aujourd’hui. Récemment, je me mets à penser que ce n’est pas forcément une bonne chose de trop les utiliser.

Pouvez-vous nous parler de l’origine de votre série Michinoku Tôge ? Êtes-vous seul à travailler dessus ?

Je voulais avant tout créer quelque chose par moi-même, mais une autre raison qui m’a fait débuter c’est pour pouvoir inclure du folklore de ma région natale du nord du Japon. Je suis originaire du département de Yamagata dans le Tôhoku. Dans l’animation japonaise et d’autres médias mainstream, on se base la plupart du temps sur le sud du Japon, et plus particulièrement une culture avec pour centre Kyôto. Ce n’est pas très amusant pour quelqu’un du nord comme moi. Donc, j’ai commencé la série en partie parce que je souhaitais montrer la culture du nord du Japon.

Vous avez ensuite participé à l’opening de Odd Taxi : est-ce votre premier travail avec Monsieur Kinoshita ?

Au départ nous ne nous connaissions pas : j’ai reçu une commande du réalisateur de l’opening (NDR : Ryôji Yamada, animateur et artiste issu de la même université que Baku Kinoshita). J’étais un indépendant peu connu et j’étais donc très content de pouvoir travailler sur une production officielle. Donc, quand la série a été diffusée, j’ai écrit un tweet dans lequel j’annonçais mon travail sur l’opening (NDR : il s’agit du début du générique, jusqu’à l’apparition du titre de la série) et Kinoshita m’a répondu : il s’est avéré qu’il connaissait mon travail depuis longtemps bien qu’il n’était pas au courant de ma participation au générique de Odd Taxi. C’est comme cela que nous nous sommes connus.

Kinoshita : Je suis un fan du travail de Michinoku depuis bien avant Odd Taxi, donc je le suivais sur Twitter, et notre échange a été l’occasion de discuter et de réfléchir à travailler ensemble pour la suite. Cela s’est réalisé sur Housenka.

J’ai été touché par les répliques des personnages présentées dans le Work In Progress qui sont pleines de personnalités comme dans Odd Taxi. Est-ce que c’est Kazuya Konomoto, le scénariste, qui s’en charge entièrement ou bien participez-vous aussi à leur élaboration ?

Le scénario et les répliques sont entièrement l’œuvre de Kazuya Konomoto. Nous ne réfléchissons pas aux répliques ensemble. Je trouve que ce sont des dialogues sans superflue et porteurs de sens, méticuleusement réfléchis. Il arrive aussi bien à créer des scènes de tensions que des passages qui prêtent à rire : c’est remarquable.

A propos de Odd Taxi, les comédiens de doublage avaient une manière de jouer différente comparée aux anime habituels. Quel genre de consignes leur aviez-vous donné ?

Je leur ai demandé d’avoir une interprétation naturelle, spontanée, réelle, avec un ton similaire à celui qu’ils ont normalement quand ils parlent, sans trop d’exagération. Comme s’ils ne jouaient pas la comédie. Dans les anime pour enfant mainstream, on a tendance à hausser la voix pour que les dialogues soient facilement compréhensibles, ce qui donne un jeu explicatif. Pour que cela ne le devienne pas, j’ai demandé à ce que les comédiens jouent de manière spontanée et naturelle. Mon approche quant au jeu des comédiens de doublage est exactement la même pour Odd Taxi et Housenka.

C’est quelque chose de rare de voir des yakuzas comme personnages principaux de film d’animation : que pensez-vous que l’animation, en tant que forme d’expression, peut apporter au genre du film de yakuzas ?

Beaucoup de films d’animation parlent de crimes, mais peu dépeignent les yakuzas, ces personnes dans l’ombre de nos sociétés. Je pense que c’est vraiment quelque chose de rare. Je ne sais pas si cela va répondre à votre question, mais je voulais créer une œuvre qui n’avait pas encore vu le jour au Japon, et je souhaitais aussi me baser sur le personnage d’un vieux yakuza. C’est aussi dans l’objectif de créer quelque chose que le public n’a jamais vu que j’ai choisi le motif du yakuza. Je compte poursuivre dans les films de crimes à l’avenir.

Michinoku : A mon avis, l’animation est avant tout quelque chose destiné à un public d’initiés, qu’on appelle parfois otaku. Et les yakuzas sont à l’opposé des otaku. Donc je trouve qu’en faisant un anime avec des yakuzas, on fait passer leur existence d’un extrême vers un endroit plus ordinaire. Mais ce n’est que mon avis personnel.

Housenka
©Kazuya Konomoto /The Last Blossom Production Committee

A ce propos, savez-vous quel était le public pour Odd Taxi ?

Kinoshita : De la vingtaine en passant par la quarantaine jusqu’à la cinquantaine : pas mal de générations ont vu la série avec un esprit ouvert. Aussi bien des hommes que des femmes, et peu importe l’âge. J’ai même pas mal entendu de retours venant de personnes qui ne regardent habituellement pas d’anime disant qu’elles ont vu Odd Taxi.

Vous avez déclaré dans le Work In Progress que vous donnez une grande importance au tempo et au rythme de vos storyboard. Ou avez-vous appris à les dessiner ?

Au milieu de ma vingtaine, j’ai assisté un réalisateur, Hiroyuki Nakao, en dessinant les storyboard à sa place. Il fait aussi bien du film live que de l’animation, même s’il est plus tourné vers le cinéma live. J’ai été sous sa supervision pour sa seule série d’animation (NDR : de 2018 à 2019 sur la série d’animation 3D pour enfant Space Bug).

Sur Odd Taxi, je m’occupais de la mise en scène mais quelqu’un était présent pour me conseiller sur des éléments théoriques (NDR : probablement Norio Nitta, affilié au studio OLM et assistant réalisateur sur la série). C’est à ces moments que j’ai appris progressivement l’art du storyboard. J’ai surtout appris en regardant ce que dessinaient mes supérieurs : je n’ai pas lu de livres ou reçu de cours.

Ce que vous avez appris à ce moment-là se rapprochait donc plus de techniques de storyboard pour le film live que pour l’animation ?

Non je pense que c’était plutôt dans le style de l’animation. Mais j’y ai appris les théories fondamentales du cinéma, comme le fait de poser la caméra derrière l’épaule des personnages lors d’un dialogue, ou bien le concept de ligne imaginaire.

Contrairement à Odd Taxi, Housenka se concentre sur un seul personnage. Pourquoi avoir pris cette direction ?

Dans Odd Taxi, il y avait une vingtaine de personnages dans le casting principal. Je les ai dépeints de manière large sans trop de profondeur, mais cette fois-ci il n’y a qu’un personnage, voire deux ou trois avec son entourage : j’ai voulu les dépeindre d’une manière plus réaliste en creusant et me concentrant sur leur parcours de vie. Comme je voulais faire une œuvre approfondissant la psychologie des personnages, j’ai choisi de m’en tenir au minimum en terme de galerie de personnages et j’ai réduit le focus pour me concentrer sur un seul point.

Monsieur Michinoku, vous nous avez montré certains des imageboard que vous avez réalisées pour le film lors du Work In Progress. Êtes-vous aussi impliqué dans la création des décors ?

Michinoku : Actuellement je ne le suis pas, mais j’ai participé au choix des couleurs qui est la base de la création des décors. Cela dépend encore de la direction que prendra le projet, mais actuellement je ne sais pas comment je vais être impliqué dans la création des décors. Un directeur artistique vétéran du métier est présent sur le projet : il s’occupe de concrétiser les propositions que j’ai données. Ce n’est pas clair si je vais avoir quelque chose à faire après cette étape.

Sur quels aspects étiez-vous attentif lors de la création des imageboard ?

J’ai porté mon attention en priorité sur le ton des couleurs. Je travaille en numérique, mais je trouve que l’harmonie des couleurs entre les personnages et les décors quand on superpose un « celluloïde » sur un arrière-plan est quelque chose de très important. J’ai donc mis beaucoup d’efforts sur ce point pour que ce soit pris comme référence ensuite. Pour le projet, la fonction des imageboard était avant tout la couleur et le ton de l’ensemble, donc je me suis permis de faire ce qui me plaisait quant au dessin des personnages et le réalisateur m’a laissé totalement libre.

Que pensez-vous des character design de Monsieur Kinoshita ?

Ils sont très charmants. Ils sont à la fois simples et tendance. Personnellement je n’aime pas trop le réalisme caractéristique des anime japonais. Je trouve cela moins intéressant quand on s’efforce à faire des personnages trop “animesques”. Mais ce n’est pas pour autant une bonne chose de faire trop dans l’avant-garde. Les personnages de Kinoshita font quelque chose de rare en visant pile l’entre deux : j’aimerais bien en voir plus du même genre.

Baku Kinoshita et Michinoku Tôge ©Quentin Dumas pour Journal du Japon

Monsieur Kinoshita, vous avez une nouvelle fois créé les personnages pour Housenka. Est-ce un aspect de la création important pour vous ?

Kinoshita : Pour être totalement honnête, je n’ai pas demandé à m’occuper à tout prix du character design, mais le producteur m’a autorisé à le faire. S’occuper à la fois du character design et de la réalisation est l’objectif de beaucoup d’animateurs donc j’ai choisi de m’occuper des deux aspects. C’est évidemment très plaisant. C’est un luxe que de voir mes personnages évoluer dans une création originale, comme si je dessinais un manga qui s’animait. Comme je suis chanceux d’être dans une situation pareil, je m’occupe de ces deux aspects.

Pourriez-vous, un jour, réaliser un film dont vous n’auriez pas créé les personnages ?

Oui, cela ne me pose pas de problème si ce n’est pas moi au character design. Je m’exécuterais si on me demandait de le faire, peu importe le type de personnages. Ce n’est pas le plus important pour moi : j’aime avant tout la mise en scène. Avec la mise en scène, tout peut changer, comme la manière de percevoir les personnages. Donc en ce qui concerne le character design en particulier, cela ne me pose pas de problèmes si c’est moi ou quelqu’un d’autres qui s’en charge.

Housenka
©Kazuya Konomoto /The Last Blossom Production Committee

Un grand merci à Baku Kinoshita et Michinoku Tôge pour leur disponibilité ainsi qu’à Pony Canyon d’avoir permis cette rencontre. Nous espérons que Housenka rencontrera le public français et international cette année à Annecy !

Entretien préparé par Quentin Dumas et Elliot Têtedoie et mené en juin 2024.

Retranscription et traduction par Elliot Têtedoie avec l’aval de Pony Canyon.

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