Dragon & Caméléon par Ryo Ishiyama : la passion du mangaka !
Les mangas sur les mangas et leurs auteurs, les mangakas, sont devenus au fil des années une thématique récurrente de ce média, sans non plus inonder le calendrier des sorties françaises et en restant assez bien réalisées, la plupart du temps. Aussi étions-nous curieux de voir ce que Dragon & Caméléon, de Ryo Ishiyama, pouvait proposer aux éditions Mana Books.
Avec un premier tome plutôt enthousiasmant, où brûle la passion du shônen, nous avons eu la chance de pouvoir échanger avec son auteur, grand amateur de manga et passionné par son métier.
Laissez-nous donc vous faire découvrir Dragon & Caméléon et Ryo Ishiyama !

Dragon & Caméléon : le début du duel
Dragon & Caméléon narre l’aventure d’un duo d’antagonistes, composé d’un mangaka à succès et de son assistant. Ils vont échanger leur corps (et leur destin ?), comme l’explique le résumé des éditions Mana Books : Garyo Hanagami, surnommé le « Dragon », est un mangaka de génie, maître incontesté de la série à succès Dragon Land. Avec des années d’expérience et une imagination débordante, il règne en maître sur le monde impitoyable du manga. À ses côtés, Shinobu, un assistant ambitieux mais à l’air arrogant, est connu sous le surnom de « Caméléon » pour son incroyable talent à imiter les styles de ses collègues. Obsédé par la gloire, il n’aspire qu’à la célébrité !
Mais lorsqu’un étrange accident les fait échanger leurs corps, leurs destins prennent un tournant spectaculaire ! Garyo devient soudainement l’étoile montante que tout le monde s’arrache, tandis que Shinobu goûte enfin à la célébrité tant convoitée dans la peau du maître…
Commence alors un duel sans merci, où les plumes s’entrechoquent et où chaque coup de crayon pourrait sceller leur avenir !
Comme nous le disions dans nos attentes manga de juillet, le titre combine deux ingrédients classiques : la vie de mangaka et le shift de corps. Il se démarque néanmoins, dans ce premier volume, par une belle maîtrise des ombres, des lumières et des volumes, combiné à un découpage et une mise en scène ambitieuse et surtout 100 % shônen : les regards expriment avec force les émotions et la détermination des protagonistes, avec une mise en scène pleine de l’exaltation propre à ce genre. Les personnages, passionnés et charismatiques, ne sont pas non plus en reste.
De son nom japonais Ryû to Cameleon, le titre a débuté au Japon en 2022 chez Square Enix, dans le mensuel Gangan Joker (Les mémoires de Vanités, Secret Service, Gambling School,…) et compte pour le moment 7 tomes au Japon. Il est signée par Ryô Ishiyama, un quasi-débutant pour la France, même s’il en est un peu différemment au Japon : il a été temporairement assistant d’Eiichirô Oda et s’est occupé de la composition des storyboards de One Piece – Épisode A (cf couverture ci-dessous), le spin-off dessiné par Boichi, paru en 2020 au Japon. Il a aussi été assistant de Kôhei Horikoshi sur My Hero Academia.
Boichi, Oda, Horikoshi… voilà déjà un très beau palmarès. À l’occasion de la sortie du tome 2 de Dragon & Caméléon ce 4 septembre 2025, nous avons donc voulu en savoir plus sur cet auteur encore largement méconnu chez nous, et sur sa vie sans doute aussi trépidante qu’épuisante de mangaka shônen dans un magazine hebdomadaire !
Le parcours jusqu’à Dragon & Caméléon
Journal du Japon : Bonjour et enchanté Monsieur Ishiyama. Bravo pour ce premier tome, assez prenant à lire, et merci pour votre temps. Commençons par vous : à quand remonte votre histoire avec les mangas, quelles ont été vos premières lectures et celles qui vous ont le plus marqué ?
Ryo Ishiyama : Le tout premier manga que j’ai lu étant enfant c’était Aventures de Kirby dans les étoiles J’ai ensuite commencé à lire le Shônen Jump. Jigoku Sensei Nube ou Yu-Gi-Oh! restent des séries que j’aime toujours relire aujourd’hui. Je continue aussi à suivre ONE PIECE. Si je devais citer une œuvre qui m’a vraiment marqué plus tard lorsque je voulais devenir mangaka, ce serait Ping Pong !



Quel a été le déclic pour devenir mangaka ? Est-ce que c’était un rêve dès l’enfance ?
J’ai commencé à dessiner très jeune, surtout grâce à l’influence de ma grande sœur.
Il y avait aussi beaucoup de mangas à la maison, et dès l’entrée en primaire, je voulais devenir mangaka plus tard.
En interview vous expliquez que le cinéma vous a beaucoup influencé, que certaines scènes de film vous inspirent directement pour la composition de vos mangas. Avez-vous des exemples particuliers à nous donner justement, de films et/ou de scènes ?
Je suis désolé, l’exemple que je vais donner est tiré du tome 7, pas encore sorti en France. Dans le chapitre 44, intitulé Jingai Makyo, il y a une double page montrant l’ombre inquiétante d’une immense créature.
Cette scène a été dessinée avec en tête une séquence du film The Mist, celle où on entrevoit un monstre dans la brume.
Dans votre parcours de mangaka, j’ai lu que vous aviez eu une mention honorable au Jump Treasure en 2011, puis que vous avez eu une série en 3 volumes dans le Shônen Jump, Ibitsu no amalgam en 2016-2017. En France nous ne vous avons connu qu’en 2020 avec One Piece – Episode A, donc parlez-nous d’abord de cette première période de votre carrière dans les années 2010 : comment se sont déroulés vos débuts ?
Après avoir reçu ce prix en 2011, j’ai publié trois one-shots, puis j’ai eu ma première série, Mitsukubi Condor, dans le Shônen Jump en 2014. Juste avant ma première sérialisation, j’ai eu la chance d’apprendre en tant qu’assistant auprès d’Eiichiro Oda, l’auteur de ONE PIECE, pour une courte période.


Ok, la chronologie est plus claire ainsi. Mais pour parler du métier lui-même : quelles sont les différences entre la façon dont vous imaginez le métier avant de commencer et la réalité, et le quotidien du métier de mangaka ?
Je ne pensais pas que c’était aussi physique ! C’est particulièrement vrai en rythme hebdomadaire. Et je me suis aussi rendu compte à quel point la communication avec son éditeur est essentielle : exprimer ses idées avec des mots, confronter les points de vue… C’est ce genre d’échanges qui fait progresser un jeune auteur. Je pensais qu’un manga se faisait seul, mais ce n’est pas vraiment le cas.
Parlez-nous aussi de votre rôle d’assistant avec Oda-sensei puis Horikoshi-sensei : quel était votre rôle à chaque fois et que retenez-vous de ces deux mentors, si je peux les appeler ainsi ?
Chez Oda-sensei, c’était juste avant ma première série. J’étais encore très inexpérimenté, donc je faisais surtout les aplats noirs ou le gommage. Mais ce qui m’a marqué, c’est l’ambiance : le sérieux absolu pendant le travail, puis la détente après. Oda-sensei venait même me parler, alors que j’étais un total débutant.
Ce que j’ai surtout retenu, c’est sa manière d’être en tant qu’auteur et son côté humain.
Chez Horikoshi-sensei, j’ai travaillé pendant un an avant le début de Dragon & Caméléon.
Je m’occupais des personnages secondaires, des décors, des trames… J’ai appris beaucoup sur les effets, la mise en scène et la puissance visuelle. Je pense que c’est l’année où j’ai le plus progressé en dessin.
Dragon & Caméléon : la genèse et les personnages
Passons maintenant à Dragon & Caméléon : au départ c’est un petit récit de 16 pages, sur un fantôme et un mangaka. Vous expliquez que vous avez aimé écrire une histoire sur les mangas, que vous avez eu envie de faire un manga sur les mangas et les mangakas. Qu’est-ce qui vous a plus justement, et qu’est-ce qui vous intéresse tant dans ce sujet ?
Quand on s’inspire de sa propre expérience, ça donne un réalisme plus fort à l’histoire.
J’ai longtemps dessiné de la fantasy, mais j’avais du mal à m’identifier à l’histoire et mes personnages. C’est ce qui m’a amené à choisir un sujet plus proche de moi comme les mangas et mangakas.
Comment sont nés vos deux personnages principaux, Garyo Hanagami et son antagoniste Shinobu Miyama ? D’ailleurs je dis antagoniste mais, justement, ont-ils été construits ainsi, par antagonisme ?
Oui, j’ai tout de suite voulu les construire comme des opposés.
Garyo représente l’admiration, l’idéal. Shinobu, lui, incarne plutôt une ancienne version de moi-même, plus sombre, pleine de frustrations.

Justement, entre ce mangaka idéalisé, Garyo, et ce celui qui sombre du côté obscur, Shinobu, où vous situez-vous, vous ?
Ce n’était pas à ce point-là, mais j’étais plutôt proche de Shinobu. Aujourd’hui, avec Dragon & Caméléon qui continue, j’ai trouvé ma propre manière de m’exprimer, et j’ai l’impression de m’en être un peu éloigné. J’aimerais devenir un auteur comme Garyo.
Pourquoi avoir choisi le Dragon et le Caméléon comme animaux et comme métaphore des deux hommes et de leur destin ?
Le dragon, c’est une créature de fantasy parfaite et puissante.
Le caméléon, c’est un petit être fragile, qui fait de son mieux pour survivre dans le monde réel. J’aimais ce contraste. Chacun de ces animaux reflète le personnage auquel il est associé.

La série comprend 7 tomes pour le moment : bravo d’avoir passé ce cap des 3-4 tomes déjà, et savez-vous déjà jusqu’où vous comptez l’emmener : comme Monsieur Oda, à 130 tomes peut-être ?
Merci beaucoup !
Mais 130 tomes… non, impossible (rires).
Je n’envisage pas une série aussi longue, ce serait trop ambitieux pour mes capacités.
Là, avec 7 tomes, j’ai l’impression d’être à peu près à mi-chemin.
Même si l’histoire s’étoffe un peu, je pense que ça se terminera avant le tome 20.
Vous expliquez que vous faites particulièrement attention, visuellement, à deux points : les double-pages et la façon de surprendre un lecteur quand il tourne la page. Je suppose que ça vient, au moins un peu, de votre expérience de lecteur. J’avoue que moi aussi j’adore les mangakas qui font de superbes doubles pages, comme Yusuke Murata par exemple. Est-ce que vous auriez un exemple ou deux de planches qui vous ont particulièrement marqué, en tant que lecteur ou mangaka, en nous disant pourquoi ?
Oui, les mangas que j’ai lus enfant m’ont beaucoup influencé.
Par exemple, dans l’arc Alabasta de ONE PIECE, la double page du combat où Zoro bat Mr.1 avec l’attaque Danse du lion m’a marqué. Les répliques, la mise en scène, la part de noir dans le dessin, tout était frappant.
Ou encore dans le tome 20 de Yu-Gi-Oh! : la double page où Yugi bat Osiris et proclame sa victoire. J’adore cette scène, et le dessin permet vraiment de ressentir la taille de la créature.
Et si je peux en citer un dernier : dans Jigoku Sensei Nube, l’épisode du Kainan-Hoshi, un yokai de la mer, la chute finale sur une double page est géniale. Toute la construction mène à cette double page fouillée et marquante.
Finalement, je crois que j’aime davantage les scènes de doubles pages « calmes » , plutôt que les scènes d’action avec du « mouvement ».
Et du coup, pouvez-vous nous expliquer comment vous vous y prenez pour réussir ces doubles pages ou des planches surprenantes ?
Je soigne beaucoup ce qui précède la double page.
Je veux que l’émotion monte naturellement, pour que la scène paraisse inévitable, nécessaire.
Je cherche à détailler le dessin aussi. Et comme c’est un moment clé, je réduis au maximum le texte pour qu’on prenne le temps de regarder le dessin.

La vie de mangaka…
Vous expliquez que vous avez travaillé sur deux séries hebdomadaires, et que les deux ont connu une fin prématurée… Comment un mangaka vit ces instants, que l’on imagine douloureux, et comment il s’en relève ?
Je me sentais désolé pour la rédaction qui m’avait fait confiance, et pour les lecteurs qui m’avaient soutenu. Mais honnêtement, je me suis beaucoup amusé pendant la publication. Et comme j’ai pu conclure mes histoires de façon satisfaisante, je n’ai pas ressenti cela comme une épreuve douloureuse. J’en garde même un bon souvenir.
Ma prochaine question est un peu longue, mes excuses. Elle porte sur le rythme de travail qui va de pair avec les séries hebdomadaires, qui fait de plus en plus débat, en tout cas en France, chez les amateurs de manga et de BD en général. Ce rythme de travail semble particulièrement difficile à suivre, difficile à vivre même, et on ne compte plus les mangakas qui sont en burnout, voire pire. Quand on voit un planning d’Eiichiro Oda, on se demande comment il est encore en vie… Comment le vivez-vous déjà, vous ? Comment vous vous y adaptez ?
Oui, c’est un rythme éprouvant. Il faut faire très attention à sa santé.
Dans mon cas, j’ai eu la chance d’être entouré d’assistants formidables. L’ambiance était tellement bonne que j’avançais la série avec enthousiasme !
Mais sur une très longue durée, je ne suis pas sûr de pouvoir tenir.
Dans Dragon & Caméléon, en tout cas dans le premier tome, il n’y a pas vraiment d’indignation ou de rébellion contre ce système. Vous dites même en interview que les soirées de bouclage, qui sont des moments tendus, sont comme des épreuves qui vous rapprochent et consolident les liens… Pensez-vous que le métier de mangaka est finalement à l’image d’un shônen manga ? Ou alors est-ce juste l’angle que vous avez choisi pour en faire Dragon & Caméléon ?
Personnellement, je ne ressens pas vraiment de colère ou de frustration.
Si on ne prend pas de plaisir à dessiner ou à créer une œuvre, on ne peut pas tenir sur une série hebdomadaire. On n’a pas le temps d’être en colère (rires).
Pour moi, le métier de mangaka est vraiment proche de ce qu’on voit dans un shônen !
Mais bien sûr, chaque auteur est différent, et c’est aussi un point de vue intéressant !
Pour finir une question double : en quoi la vie de mangaka vous rend heureux, et qu’aimeriez-vous-dire à ceux qui auraient envie de faire ce métier ?
Quand j’imagine une bonne réplique ou dessine une belle planche, j’ai hâte que les lecteurs les découvrent ! C’est un moment de pur bonheur.
Recevoir les exemplaires imprimés, lire les réactions des lecteurs… Ce sont aussi des moments très heureux ! C’est un métier qui procure beaucoup de bonheur.
Même si créer une œuvre est difficile, j’encourage chacun à tout faire pour publier au moins une histoire ! Une fois publiée, elle existe à jamais, quelque part dans le monde ! C’est incroyable !
Une belle façon de conclure cet entretien, à l’image de l’enthousiasme qui caractérise ce premier volume de Dragon & Caméléon. Retrouvez le second tome dès à présent en librairie aux éditions Mana Books et dites-nous en commentaire ce que vous avez pensé de cette nouvelle série !
Un grand merci en tout cas à Ryo Ishiyama, à l’équipe de Mana Books et à Camille Para, la traductrice, pour la mise en place de l’interview. On en profite pour vous partager la vidéo qui nous a permis de préparer cet entretien et qui dévoile Ryo Ishiyama à l’oeuvre :
