Syntaxe et phonologie japonaise : les difficultés des apprenants français
Quelconque locuteur du français standard ayant déjà passé du temps à étudier la langue et la culture japonaise a éprouvé de la difficulté à prononcer le « r » battu « japonais ». Ou encore, à devoir réfléchir un instant avant de former ses phrases étant donné que l’ordre des mots diffère. Ainsi, cet article se propose de revenir sur ces quelques difficultés récurrentes des francophones apprenants la langue et la culture japonaise.
En route donc pour le monde de la syntaxe et de la phonologie japonaise !
Syntaxe et phonologie : préambules

Afin de définir ce qu’est la syntaxe, appuyons-nous sur la définition suivante fourni par le site CNRTL : « Partie de la grammaire traditionnelle qui étudie les relations entre les mots constituant une proposition ou une phrase, leurs combinaisons, et les règles qui président à ces relations, à ces combinaisons. ».
Ainsi, la syntaxe de chaque langue encadre les mots et leurs fonctions. Chaque mot doit être placé dans un certain ordre afin que la phrase puisse transmettre tout son sens. Le français est une langue SVO : Sujet – Verbe – Objet. Ainsi, on utilisera cet ordre canonique et standard pour former des phrases en français. Le japonais, quant à lui, est une langue SOV : Sujet – Objet – Verbe. Ainsi, on peut déjà notifier que l’ordre des mots dans une phrase diffère du français au japonais.
Bien évidemment, les langues sont vivantes et sont donc soumises à une flexibilité. Les mots (ou constituants) peuvent être placé plus librement que l’ordre canonique établi.

Pour la phonologie, là encore, le CNRTL la définit ainsi : « Science qui étudie les sons du langage du point de vue de leur fonction dans le système de communication linguistique (Lang. 1973) ».
Nous pouvons ajouter que la phonologie est la branche de la linguistique qui s’attache à savoir si telle combinaison sonore est possible ou non. Pour illustrer la chose en français, nous savons implicitement qu’aucun mot ne peut commencer par les deux consonnes « mb ». C’est pourquoi les locuteurs du français standard rajoute une voyelle prononcée « é » au début de ces mots. On observe ce phénomène d’adaptation phonologie dans le célèbre nom du joueur de football Mbappe. Cette autorisation ou interdiction des combinaisons sonores est régit par la phonotactique. Chaque langue possède ses propres sons et ses propres combinaisons sonores. Et donc, sa propre phonotactique (règles autorisant ou interdisant les combinaisons sonores).
Syntaxe : les difficultés des apprenants français
L’ordre syntaxique SOV du japonais
La structuration des phrases dans une langue détient une importance majeure dans la difficulté pour un locuteur quelconque de l’apprendre. S’il est vrai que les emprunts de vocabulaire sont courants et que les mots étrangers s’adaptent dans notre langue première, ceci n’est pas aussi vrai concernant la grammaire qui est l’élément le plus structurant d’une langue. Ainsi, si un locuteur doit faire un effort pour s’adapter à la grammaire d’une langue étrangère qu’il tente d’apprendre, cela lui demandera beaucoup plus d’effort que d’apprendre du vocabulaire. Ce qui est le plus complexe c’est d’utiliser les mots dans le bon ordre et non pas de les apprendre. À l’aide de ce constat, on observera que l’apprentissage du japonais pour des francophones est complexifié par le fait que l’ordre diffère : il s’agit de Sujet-Verbe-Objet pour le français et de Sujet-Objet-Verbe concernant le japonais. Considérerons la phrase ci-dessous en exemple.

Je mange des dangos.
watashi wa dango o taberu.
私は団子を食べる。
Sujet : j’ (je) – watashi wa 私は
Objet : des dangos – dango o 団子を
Verbe: mange – taberu 食べる
Cette phrase d’exemple a une structure canonique, c’est-à-dire qu’elle représente l’ordre des mots tels qu’ils sont attendus de manière standard en langue japonaise. De cette structure, on peut également noter que le prédicat verbal se trouve à la fin. Ceci est systématiquement le cas en japonais. Tandis que pour le reste des constituants (objet et sujet) l’ordre est plus libre (même si l’ordre le plus naturel sera toujours de placer le sujet avant l’objet).
Nous retrouvons dans toutes les langues à travers le monde des stratégies de minimisation des efforts à fournir afin de transmettre un message. Les stratégies les plus communes sont : l’ellipse, la contraction, l’abréviation et l’utilisation de pronoms. Or en japonais, l’ellipse (l’omission de mots) est un processus si présent qu’on qualifie souvent cette langue de contextuelle. Il est nécessaire de posséder des connaissances situationnelles afin de comprendre le message du locuteur. Ces omissions sont produites aussi bien à l’oral qu’à l’écrit. Voici quelques règles régissant le processus d’ellipse en langue japonaise. Les parties omises dans les exemples sont placées entre parenthèses.
Ellipse de mots de contenus (noms et verbes)
Si un élément (chose ou personne) est proche (physiquement ou mentalement) aussi bien du locuteur que de l’interlocuteur et que son omission n’impacte pas la compréhension alors cet élément peut être omit. Par exemple, dans les phrases suivantes les mots entre parenthèses peuvent être omis. Typiquement, on omettra les pronoms personnels sujets ou les noms de famille lorsque, dans le contexte, il est évident que l’on parle d’une ou plusieurs personnes précisément.
| Transcription Hepburn | Japonais | Français |
| (Anata wa) ikimasu ka. | (あなたは) 行きますか。 | Est-ce que (tu) pars ? |
| Hai, (watashi wa) ikimasu. | はい、(私は) 行きます。 | Oui, (je) pars. |
| (Kore wa) nan desu ka. | (これは) 何ですか。 | Qu’est-ce que c’est (que ça) ? |
Ellipse de particules grammaticales
Si le mot précédent wa は est psychologiquement proche du locuteur et de l’interlocuteur, alors la particule wa は peut être omise.
| Transcription Hepburn | Japonais | Français |
| Watakushi (wa) yamada to moushimasu. | わたくし(は)山田ともうします。 | Je me nomme Yamada. |
| Kono hon (wa) omoshiroi yo. | この本(は)おもしろいよ。 | Ce livre est intéressant. |
| Ano hito (wa) dare desu ka. | あの人(は)誰ですか。 | Qui est cette personne ? |
Ellipse de propositions entières
Si l’information transmise par la proposition principale est évidente et peut être compris dans le contexte, alors la proposition principale est supprimable.
Suzuki : Kinô pâtî ni konakatta ne.
昨日パーティーに来なかったね。
Tu n’es pas venu à la soirée hier.
Yamada : Un, chotto isogashikatta kara (ikenakatta).
うん、ちょっと忙しかったから(行けなかった)。
Ouais, parce j’étais un peu occupé (je n’ai pas pu venir).
Phonologie : les difficultés des apprenants français
Statut phonologie du “R” français et japonais
Ensuite, une des grandes difficultés des apprenants francophones avec la langue japonaise gravite autour de la prononciation du [ɾ] battu présent en japonais. Le [ɾ] battu est une consonne réalisée en plaçant la pointe de la langue sur la zone alvéolaire puis en l’abaissant rapidement. En effet, ce [ɾ] battu n’est pas une consonne présente dans l’inventaire phonétique du français standard.
Mais avant d’aller plus loin, il semble nécessaire de définir les termes suivants afin une meilleure compréhension de la phonologie du japonais : alvéolaire, battu, fricative, latéral, uvulaire ou voisé. Pour commencer voici un schéma des différents lieux articulatoires

- alvéolaire : est un endroit où la pointe de la langue peut se placer (sur les gencives) pour produire certains sons (lieu d’articulation) . Par exemple, le son « n » dans le mot « navire ».
- battu : est un type de son produit en faisant un mouvement de la langue de haut en bas (mode d’articulation). Par exemple, le son « r » dans le mot « sakura ».
- fricatif : est un type de son produit en ajoutant des bruits de frictions (mode d’articulation). Par exemple, le son « f » dans « feu » ou encore le son « ch » dans « chat ».
- latéral : est un type de son produit en faisant passer l’air sur les côtés gauche et droit de la langue (mode d’articulation). Par exemple, le [l] latéral de « livre ».
- uvulaire : est un endroit où le dos de la langue peut se placer pour produire certains sons (lieu d’articulation) . Par exemple, le [ʁ] fricative voisé d' »arbre » et le [χ] fricative non voisé de « prendre ».
- voisé : est un son qui produit des vibrations des cordes vocales. Par exemple le son « s » du mot « sceau » est non voisé mais le son « z » de « zoo » est voisé. Vous pouvez faire le test en prononçant ces deux mots tout en plaçant vos doigts sur votre trachée.
Pour en revenir à notre linguistique franco-japonaise : en français, il existe deux types de « r » : la consonne fricative uvulaire voisée [ʁ] ainsi que la consonne fricative uvulaire non voisée est [χ].
Il faut également ajouter dans notre analyse le son [l] latéral présent en français. En effet, nombre de professeurs, pédagogues ou de ressources internet affirment aux débutants que le [ɾ] battu japonais est comme un [l] français. Nous en reparlerons plus loin.
Pour essayer de clarifier le tout, voici un tableau inventoriant l’ensemble des sons évoqués au-dessus : [ɾ] battu (japonais) ; [ʁ] fricatif voisé (français) ; [χ] fricatif non voisé (français) et le [l] latéral (français).
| API (Alphabet Phonétique International) | [ʁ] fricative voisé – « français » | [χ] fricative non voisé– « français » | [ɾ] battu – « japonais » | [l] latéral – « français » |
| Mode d’articulation | Fricatif | Fricatif | Battu | Latéral |
| Lieu d’articulation | Uvulaire | Uvulaire | Alvéolaire | Alvéolaire |
| Voisement | Voisé | Non voisé | Voisé | Voisé |
Débutons maintenant notre analyse par les deux types de « r » français : [ʁ] fricatif voisé et le [χ] fricatif non voisé.
La seule distinction phonétique entre ces deux sons est leur voisement. Comme nous le disions, un son voisé fait vibrer les cordes vocales tandis qu’un son non voisé ne le fait pas. Dans le cas de ces deux sons, le son [ʁ] fricatif voisé est présent dans l’intégralité des contextes excepté après les consonnes non voisées (là où est présent le son [χ] non voisé). Ce principe de distribution fait également appel au principe d’alternance. L’alternance étant le processus phonologique selon lequel un son va se changer en un autre son dans un contexte phonétique bien particulier afin de simplifier la prononciation du mot ou de l’expression. Ainsi, dans un contexte où la consonne qui précède est non voisée, le son [ʁ] va adopter le trait « non voisé » de la consonne qui précède et va donner la réalisation phonétique [χ] afin de simplifier la prononciation.
Suite à ces constats, nous pouvons observer que le [ɾ] battu est bien différent des deux « r » présents en français standard. Cela explique que l’on évoque souvent le fait qu’il n’existe pas de son « r » en japonais. En revanche, le [ɾ] battu partage le même lieu d’articulation et le même voisement que le [l] latéral. Ce qui explique également que de nombreux apprenants s’entendent dire que le [ɾ] battu japonais est un [l] latéral français. Or, si l’amalgame est compréhensible, il est important de saisir que ce sont bien deux sons distincts. De plus, le son [l] n’existe pas dans l’inventaire phonétique du japonais standard.
Gémination, allongement vocalique et nasalisation : les sons spécifiques
Par ailleurs, les phénomènes phonologiques de gémination, d’allongement vocalique et de nasalisation peuvent être source de confusion pour un francophone.
La gémination consiste à insérer un temps de pause à l’intérieur d’un mot est une particularité que l’on trouve en japonais mais qu’on ne retrouve pas en français. Par exemple le mot japonais kitte 切手 (timbre) est à prononcer en insérant un temps de pause après le « ki ». Ce temps spécifique est transcrit en doublant la consonne qui suit la pause. Or, comme ce processus linguistique est absent en français cela demandera plus de temps à une personne francophone afin d’intégrer cette pause en plein mot dans un discours japonais courant.
L’allongement vocalique en français est utilisé dans des situations de communications où le locuteur veut exagérer un propos. Ainsi, il rallongera un ou plusieurs sons d’un mot. On constate que ce processus n’a qu’un emploi particulier en français. Tandis qu’en japonais c’est un phénomène linguistique structurant étant donné qu’il permet de distinguer les mots entre eux. Il sert par exemple à distinguer kuki 茎 (tige) et kuuki 空気 (atmosphère).
La nasalisation est présente dans chacune des deux langues mais est exprimée d’une manière différente. En français, la nasalisation est exprimée avec : « trois consonnes nasales [m] (moi), [n] (nid) et [ɲ] (agneau) et les quatre voyelles nasales [ã] (piment), [ẽ] (pain), [œ̃] (brun) et [ɔ̃] (pont) ». En japonais, la nasalisation est exprimée avec deux consonnes syllabiques : le son [m] qu’on retrouve dans les syllabes de la colonne ma ま (par exemple mikan みかん) et le son [n] qu’on retrouve dans les syllabes de la colonne na な et dans le syllabaire unique n ん (par exemple mikan みかん).
| Nasalité | Consonnes nasales | Voyelles nasales |
| Français | [m] ; [n] ; [ɲ] | [ã] ; [ẽ] ; [œ̃] ; [ɔ̃] |
| Japonais | [m] ; [n] |
Nous constatons que tous les sons nasalisés japonais existent en français. Les apprenants francophones n’auront donc aucune difficulté à prononcer les consonnes nasales japonaises. Cependant, la difficulté se trouve être dans la compréhension du fonctionnement du [n] qui se prononce comme étant une syllabe unique. En effet, en français, il n’existe aucune syllabe qui ne serait composé que d’une seule consonne. C’est donc dans cette particularité du système phonologique japonais que réside la complexité pour les apprenants francophones.
Conclusion
Dans cet article, nous nous sommes attachés à détailler de manière succincte certaines difficultés majeures et fréquentes des apprenants français du japonais standard en langue étrangère comme l’ordre syntaxique SOV du japonais, l’ellipse de constituants, le statut phonologie du “R” français et japonais, la gémination, l’allongement vocalique et la nasalisation.
Cependant, de nombreux champs vierges restent à explorer. Il reste encore à évoquer les facilités du d’apprentissage du japonais par les francophones, ou encore nous orienter sur la didactique du japonais en langue étrangère, en exploitant les conclusions obtenues dans cet article afin d’améliorer la transmission des connaissances linguistiques japonaises pour les francophones… De quoi vous retrouver prochainement pour d’autres épisodes !
Bibliographie
- Labrune Laurence. La phonologie du japonais. Peeters.2006
- Seiichi Makino and Michio Tsutsui. A dictionary of basic Japanese grammar. The Japan times. Mai 2018
- Labrune Laurence and al. Précis de linguistique japonaise. Orphys.2019.
- https://vitrinelinguistique.oqlf.gouv.qc.ca/24521/la-prononciation/prononciation-de-certaines-lettres/prononciation-de-la-lettre-r#:~:text=Le%20r%20fricatif%20%5B%CA%81%5D,d%C3%A9crit%20comme%20une%20consonne%20fricative
- https://www.nihongo-appliedlinguistics.net/wp/archives/7171
- LESCONet Berlin; Les consonnes ; lescotnet.fr ; https://www.lesconet.fr/lesco_pres.php?numtexte=PHOG06
