L’ambassade en Europe de Hasekura Tsunenaga, 200 ans avant la mission Iwakura
Septembre est la période que les lecteurs attendent avec impatience pour découvrir de nombreuses nouveautés pour la rentrée littéraire. Dans cet article, nous vous présentons Hasekura – Journal d’un samouraï au Vatican (1611-1620) de Lionel Crooson, aux éditions Synchronique, qui mêle histoire et voyage diplomatique. Après notre chronique du livre, ne ratez pas notre entretien avec l’auteur pour en savoir plus sur l’écriture. L’ambassade d’un samouraï du Japon féodal en Amérique et en Europe est à découvrir en librairie dès le 25 septembre 2025.

Hasekura – Journal d’un samouraï au Vatican (1611-1620)
Journal intime d’un samouraï bien singulier
Rien ne prédestinait Hasekura Tsunenaga (1571-1622), ex-capitaine de la garde des arquebusiers du fief d’Ôshû au service du seigneur Date Masamune (1567-1636), à représenter son daimyô pour une ambassade à l’autre bout du monde. Durant les 7 années de son périple d’Asie en Europe, en passant par l’Amérique, ce samouraï de rang moyen a compilé ses observations et échanges dans 19 livres remis à son maître lors de son retour à Sendai. A travers Hasekura – Journal d’un samouraï au Vatican (1611-1620), son auteur, Lionel Crooson a voulu écrire un vingtième volume fictif sous la forme d’un journal intime en faisant parler l’ambassadeur à la première personne.

Sa rencontre avec Murasaki, la courtisane de haut-rang (tayû), dans la maison de thé Ôgura, plonge directement le lecteur dans la vie de ce samouraï bien singulier. Le dialogue constant de Hasekura avec sa bien-aimée disparue dans le tsunami qui a ravagé la région de Sendai le 2 décembre 1611, donne une âme à ce roman historique où l’auteur alterne habilement entre vérité historique et lyrisme. Murasaki en « princesse des temps anciens » permet ainsi d’invoquer des grands noms de la littérature japonaise comme Sei Shônagon connue pour ses Notes de chevet ou encore Murasaki Shikibu et son Dit de Genji ainsi que des poétesses comme Izumi Shikibu et Ono-no-Komachi.
La lecture pourra être difficile pour certains : avec par exemple, des scènes de guerre mais aussi de viol avec les deux chapitres du vil marchand et de l’épingle à chignon. La pauvre Murasaki explique ainsi, à celui qu’elle aime et qui lui a redonné goût aux arts et à la poésie, combien elle regrette l’époque de Heian, temps ancien où les courtisanes étaient respectées de tous. En colère contre ces « porcs », elle lâche : « les samouraïs ne se nourrissent que de haine et de violence et font culte de la force virile et du mépris des femmes ». Si les femmes sont les grandes absentes de l’histoire en général, ici, l’auteur a décidé de ne pas les oublier en donnant une belle place à cette réincarnation d’une princesse de l’ancienne cour de Heian qui ne cesse d’occuper les pensées et les souvenirs de Hasekura.
En eaux troubles japonaises…
Au 16e siècle, via les Philippines, les Espagnols font des traversées du Pacifique, de la Nouvelle-Espagne à la Chine. A cause de tempêtes et du mauvais temps, le naufrage de navires n’est pas rare le long des côtes japonaises. En 1609, l’équipage du San Francisco, navire espagnol parti de Manille pour rejoindre Acapulco, est ainsi secouru dans la baie d’Edo où demeure le Shôgun retiré Tokugawa Ieyasu (1543-1616). Une ambassade japonaise est prévue pour rencontrer le roi d’Espagne afin de renforcer les relations commerciales entre le Japon et l’empire espagnol.

Le moine Luis Sotelo qui prêchait dans la région de la capitale réussit à convaincre Tokugawa Ieyasu et son fils, Tokugawa Hidetada, Shôgun depuis 1605, d’en être. Le navire San Buena Ventura construit pour le shogunat par le navigateur anglais William Adams, connu au Japon sous le nom de Anjin-sama (« Monsieur Pilote »), prend la mer avec à son bord les naufragés du San Francisco ainsi que Tanaka Shôsuke, premier Japonais à poser le pied en Amérique en 1610. Au Mexique, la rencontre de Luis Sotelo avec le vice-roi Luis de Velasco débouche sur l’envoi d’un ambassadeur au Japon, Sebastián Vizcaíno, avec la mission d’explorer aussi « les îles d’or et d’argent », la mythique Cipango de Marco Polo. Arrivé au Japon en 1611, cet explorateur se fera remarquer pour son manque de respect pour les coutumes japonaises. L’année suivante, le San Sebastian prend la mer pour la Nouvelle-Espagne avec à son bord Luis Sotelo et des représentants du daimyô Date Masamune. A peine débutée, cette expédition est abandonnée à la suite du naufrage du navire construit par le bakufu près d’Uraga.
La première ambassade officielle du Japon en Europe
Face à cet échec, le Shôgun décide la construction d’un galion de 500 tonneaux, le Date Maru (San Juan Bautista pour les Espagnols) en l’honneur du seigneur de Sendai qui a la charge du grand projet naval mobilisant 800 constructeurs, 700 forgerons et 3 000 charpentiers. La nef de haute mer permettra ainsi de ramener Sebastián Vizcaíno en Nouvelle-Espagne. Cette mission d’ambassade japonaise au Mexique puis en Europe vise à négocier des traités commerciaux avec la couronne espagnole à Madrid et à obtenir du pape à Rome l’envoi de missionnaires catholiques au Japon.

Entre 1582 et 1590, sous l’impulsion du prêtre jésuite Alessandro Valignano, quatre jeunes fils de samouraïs convertis au christianisme (Itô Mancio, Miguel Chijiwa, Juliao Nakaura et Martinho Hara) sont envoyés en Europe par 3 daimyô chrétiens du Kyûshû : Ômura Sumitada, Ôtomo Sôrin et Arima Harunobu. Bien que plus tardif que cette ambassade de Tenshô, le voyage de Hasekura (1613-1620) est considéré comme la première ambassade officielle du Japon en Europe car cette fois-ci le shôgun retiré Tokugawa Ieyasu, autorité nationale et non plus seulement régionale, a apporté son soutien.
Date Masamune est plein d’enthousiasme et d’optimisme quant au succès de l’ambassade de Hasekura :
« Assez de frilosité ! […] Il est temps que notre pays découvre le grand monde ! Qu’avons-nous à redouter ? Nos glorieux ancêtres ne sont-ils pas parvenus à repousser les hordes mongoles beaucoup plus nombreuses et puissantes que tous les Nanban réunis ? » (Livre II – Chapitre X – page 116)

Cette fois-ci, c’est la bonne pour l’ambassade japonaise et le Dragon borgne était loin de penser que la mission diplomatique rencontrerait autant de péripéties…. Le Date Maru part le 28 octobre 1613 du petit port de Tsuki-no-ura (aujourd’hui Ishinomaki, à 50 km de Sendai) avec à son bord : 10 samouraïs du Shôgun ; 12 samouraïs de Sendai, 120 marchands, marins et serviteurs japonais pour une quarantaine d’Espagnols et de Portugais. Poussé par les vents, le galion glisse sur les flots. La rencontre avec un gigantesque serpent marin de plus de 30 mètres de longueur, messager du dieu-dragon Ryûjin, ajoute une touche de fantastique.
Cette traversé de l’océan Pacifique est aussi révélatrice des différences culturelles entre les Japonais et les Nanban (« Barbares du Sud ») pour désigner les Espagnols et Portugais. Dans le chapitre sur le pecado nefando (péché néfaste), l’auteur bien renseigné sur la culture japonaise revient sur le wakashudô que l’on peut traduire par « la voie des éphèbes ». A leur arrivée à Acapulco, en janvier 1614, les Japonais découvrent les pires visages de l’Occident avec l’esclavagisme et l’Inquisition. La Trésorerie royale leur vole la moitié de leur or : cet affront aurait pu signer la fin de l’ambassade sans les talents en diplomatie du père Luis Sotelo. Rien ne sera épargné à l’ambassade de Hasekura : le samouraï navigue en eau trouble où tous les coups bas sont permis. Le début des persécutions contre les chrétiens au Japon s’ajoute à la longue liste d’obstacles pour le succès de l’ambassade japonaise.
Interview de l’auteur, Lionel Crooson
Bonjour et merci d’avoir accepté de répondre à nos questions. Sans originalité, pour commencer, pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?
Lionel Crooson : Il est bien difficile de se définir en quelques lignes. Disons que je suis journaliste, écrivain féru d’histoire et que je partage ma vie entre Paris, la Grèce, l’île de Bornéo et surtout l’archipel nippon. La plupart de mes écrits portent sur le Japon.
Quel est votre lien avec le Japon ? Et qu’est-ce qui vous a donné envie d’écrire sur le samouraï Hasekura et son ambassade en Nouvelle-Espagne, en Espagne et au Vatican ?
Mes premiers voyages au Japon remontent aux années 1980. Depuis, je n’ai cessé de m’y rendre et d’y vivre par intermittence. Un an avant sa disparition en 2005, l’historien Jacques Proust m’avait fait découvrir l’épopée de Hasekura et prodigué pistes et conseils pour faire connaître cette page de l’histoire mystérieusement tombée dans l’oubli. Je me suis presque aussitôt rendu à Sendai, point de départ de cet ambassadeur, et, depuis, n’ai cessé de me documenter.
D’où vous est venue l’idée du livre ? A qui pensez-vous qu’il se destine : des passionnés du Japon et/ou d’histoire ?
Shûsaku Endô (1923-1996) avait écrit un magnifique roman sur cette histoire [NDLR : L’extraordinaire voyage du samouraï Hasekura aux éditions Buchet-Chastel] mais mes propres recherches ne m’ont pas mené aux mêmes conclusions que ce grand écrivain chrétien. D’où l’idée de ce roman qui se destine aux passionnés du Japon et de l’histoire, mais aussi à tous les amateurs de romans d’aventure.

Les éditions Synchronique se lancent avec vous dans les romans. Comment s’est déroulé la soumission du manuscrit ? Les connaissiez-vous avant ?
La richesse et l’originalité des collections des éditions Synchronique sont bien connues de tous ceux qui s’intéressent au Japon. Pour moi il était évident d’aller leur soumettre mon manuscrit. Comme ils ont ouvert une librairie près du Panthéon, je n’ai eu aucun mal à les rencontrer. Certes ils n’avaient jusque-là pas publié de romans, mais je dois dire que l’histoire fascinante de Hasekura a immédiatement passionné l’équipe comme elle m’avait passionné moi-même. La suite vous la connaissez…
Vous êtes journaliste et grand voyageur : deux atouts pour rédiger le journal de bord, je présume, non ? A quelles difficultés vous êtes-vous heurté lors de l’écriture ou pendant vos recherches ?
Je me suis tout de suite senti dans mon élément mais me suis heurté aux difficultés d’un roman rédigé à la première personne. Regardez-moi ! Je ne suis pas Japonais et je n’ai, bien sûr, rien d’un samouraï de la période d’Edo. Mais au fil du temps, mes voyages, mes lectures et mes recherches m’ont permis, si je puis dire, de me mettre dans la peau du personnage comme aiment à le faire certains acteurs.
Sur quelles sources vous êtes-vous basé pour raconter cette histoire sur presque une décennie (1611-1620) ? Avez-vous eu besoin de consulter les archives de la maison Date ?
Je me suis d’abord heurté à la faiblesse des sources françaises, anglaises et même japonaises jusqu’à se que je découvre la richesse et l’abondance de la documentation espagnole. Pour ce faire, il a fallu que je me familiarise avec cette belle langue que j’ignorais jusqu’alors. Je me suis aussi rendu à Sendai à plusieurs reprises où Monsieur Date Yasumune, le descendant direct du seigneur Date Masamune (1567-1636), m’a permis d’accéder aux archives du musée de la Ville de Sendai.
Y avait-il assez de matières pour cette aventure se déroulant à l’époque des grandes découvertes ? Quelle partie de ce long voyage préférez-vous ou avez-vous préféré écrire ? Et pour quelles raisons ?
Il y a tant de matière qu’il y aurait là de quoi constituer un formidable sujet de thèse universitaire. Mais pour moi ce n’est plus le moment. Et puis je suis avant tout romancier… J’ai pris plaisir à décrire la période de clandestinité de Hasekura dans le village andalou d’Espartinas, page très peu connue de son histoire, ainsi que son escale dans le port de Saint-Tropez.
Qu’est-ce qui vous a le plus amusé ou surpris lors de vos recherches ?
J’ai été surpris par la lecture du compte rendu très détaillé de violents affrontements qui ont opposé samouraïs et hidalgos lors de leur première escale à Acapulco en 1614. Par la suite, Espagnols, Portugais, Kastila des Philippines, et même certains missionnaires, se sont livrés à une véritable foire d’empoigne. Désinformation, calomnies, kidnappings, détournements de documents confidentiels : tous les coups étaient permis à ces protagonistes pour faire échouer la mission de l’ambassadeur Hasekura… On était en plein roman d’espionnage !
Êtes-vous allé à Cuba pour observer la statue de bronze représentant Hasekura érigée en 2001 à La Havane, qui a d’ailleurs servi à la conception de la couverture du livre ?
À Sendai, j’ai pu admirer la statue de Hasekura se dressant à proximité du site de l’ancien château. Plus tard, j’ai vu son autre statue sur la rive du fleuve Guadalquivir à Coria del Rio, à l’endroit même où il y a quatre siècles, ce samouraï avait débarqué en Andalousie. Séville, Espartinas, Cività Vecchia, Rome, Saint-Tropez pour l’Europe… Nagasaki, Murotsu, Tanegashima, Hirado pour le Japon… Intramuros, l’ancien quartier castillan de Manille, pour les Philippines… Voici mes principales escales sur les traces de Hasekura. J’ai aussi navigué en mer de Chine entre Manille et Nagasaki, mais par manque de temps la Havane ne figure pas encore sur ma liste.

Avez-vous d’autres projets d’écriture autour du Japon ?
Oui bien sûr ! Et j’espère bien avoir l’occasion de vous en entretenir le moment venu.
Un dernier mot pour nos lecteurs ?
En tant qu’historien et romancier, exhumer des oubliettes de l’histoire l’épopée de Hasekura a été pour moi une aventure plus que passionnante. Puisse ce livre vous la faire partager.
Avis aux fans de romans historiques, cette rentrée littéraire s’avère très bonne avec Hasekura – Journal d’un samouraï au Vatican (1611-1620) de Lionel Crooson. A travers ce journal de bord, plongez dans l’époque des grandes découvertes pour revivre l’histoire d’un samouraï bien singulier en Nouvelle-Espagne et en Europe. Rendez-vous dans votre librairie dès le 25 septembre pour embarquer sur le Date Maru avec Hasekura !
