[Archive] Interview avec Junko Kawakami : une Japonaise à Paris

En 2008, Junko Kawakami était l’une des invitées de la 36e édition du Festival International de la BD d’Angoulême. Elle était venue présenter son manga It’s Your World édité en France à travers une exposition de ses planches originales et a participé à une performance graphique publique. Nous avions eu l’occasion de la rencontrer. Compte rendu de cette interview.

Article publié à l’origine en février 2008 (ça ne nous rajeunit pas !)

Junko Kawakami, une mangaka japonaise installée à Paris. Photo Julien Tartarin

C’est au calme, dans les rayons de la librairie Chapitre, que nous retrouvons Junko Kawakami, cette auteure et dessinatrice d’origine japonaise qui s’est installée à Paris tout comme les héros de son manga It’s Your World. Dans ce josei-tranche de vie, elle raconte la vie d’une famille japonaise qui découvre la vie parisienne mettant en évidence la différence culturelle entre les deux pays avec humour et nostalgie.

Biographie : Junko Kawakami a su très vite qu’elle voulait devenir mangaka. Alors qu’elle prend l’habitude de dessiner en cachette durant sa scolarité, elle décide finalement d’intégrer une école de graphisme après le lycée et de faire des dôjinshi (manga amateur) avec ses amis pour le Comicket. Elle fait sa première rencontre avec un éditeur (Kadokawa) en devenant l’assistante de Satosumi Takagushi. Elle a depuis écrit et dessiné un certain nombre de petites histoires sentimentales pour des magazines de prépublication comme Young Rosé en présentant Paripari densetsu – La légende de Paris-Paris, un récit autobiographique. Elle s’est installée en France à 30 ans et publie le premier volume de It’s Your World aux éditions Kana. Le 2e tome est en cours de réalisation.

Journal du Japon : Bonjour Junko Kawakami, et merci pour votre temps. Vous êtes Japonaise mais c’est en France que vous publiez votre manga It’s Your World. Un parcours atypique… Comment êtes-vous devenue mangaka ?
Junko Kawakami : J’ai fait mes débuts au collège en participant à des compétitions que je n’ai jamais gagnées. (Rires)

Quand j’étais petite, j’adorais dessiner, lire des mangas, notamment les œuvres de Tetsuya Chiba et Osamu Tezuka, et regarder des dessins animés comme Candy Candy. Au lycée, j’ai un peu laissé tomber le manga à cause de son aspect otaku qui ne faisait pas cool auprès de mes amis et parce que je me suis intéressée à la musique. En réalité, j’ai continué à dessiner discrètement et à participer à des groupes de fanzines pour le Comicket.

Je suis finalement entrée dans une école de graphisme et j’ai commencé à travailler en studio sur les maquettes pour la publicité. J’ai vite réalisé que je préférais faire du manga et c’est en devenant l’assistante de Satosumi Takagushi, une grande dessinatrice, que j’ai pu rencontrer Kadokawa, une maison d’édition japonaise.

À quel moment avez-vous su que vous vouliez devenir mangaka et pourquoi ?
Au collège, un professeur nous a demandé d’écrire une rédaction sur la façon dont on voyait notre avenir. J’ai dit que je serais mangaka d’ici une dizaine d’années. J’ai eu un petit peu honte quand il l’a lu devant tout le monde. (Rires)

Qu’est-ce qui vous a poussé à venir vous installer en France ?

J’ai toujours eu envie d’habiter ailleurs qu’au Japon. La première fois que je suis venue en France, j’ai eu un pressentiment, j’ai senti que je pourrais venir vivre ici mais rien n’était encore sûr. Au cours d’un de mes voyages en France, j’ai rencontré mon mari et ça s’est fait naturellement.

Après avoir fait vos débuts dans le monde professionnel au Japon, vous avez emménagé en France et lancé le manga : It’s Your World, dont l’action se déroule à Paris. Comment est né ce projet ?
Le site Mang’Arte (du groupe ARTE, ndlr) m’a demandé de créer des petites histoires qui mettent en évidence les différences culturelles entre la France et le Japon. J’ai eu l’idée de raconter les aventures d’une famille japonaise qui déménage en France à la suite de la mutation du père. Tous les membres de la famille sont représentés, ce qui me permet de raconter la même histoire sous différents aspects. Le petit frère, que j’ai choisi comme héros, ne vit pas ce déménagement de la même façon que sa grande sœur Lumi par exemple.

Hiroya, le héros de votre ouvrage, est un jeune adolescent qui découvre les sentiments amoureux et la vie. Quel souvenir gardez-vous de votre adolescence au Japon ?
Mon adolescence était vraiment nulle  ! (Rires)

À 14 ans, j’étais encore très timide, je ne savais pas me coiffer. Quand j’ai eu 17 ans, j’ai appris à me faire jolie, j’ai commencé à sortir avec mes amis mais je n’avais toujours pas de copain ! Il n’y a pas grand-chose à raconter sur mon adolescence, elle était normale et je l’ai plutôt bien vécue.

Parmi les personnages de votre manga, lequel se rapproche le plus de votre expérience en tant que Japonaise découvrant Paris ?
Tous les personnages me ressemblent un peu, principalement Fatima pour son côté maladroit.

It’s Your World raconte les aventures d’une famille japonaise qui s’installe à Paris, avez-vous déjà pensé à raconter les aventures d’une famille française qui s’installerait au Japon ?
Ça serait un exercice plutôt difficile car je ne suis pas Française. Il faudrait demander à mon mari. (Rires)

Compte tenu du décalage important entre ces deux cultures, pensez-vous qu’il est plus facile pour un Français de s’adapter à la culture japonaise ou l’inverse, qu’il est plus facile pour un Japonais de s’adapter à la culture française ?
Ça dépend du tempérament des personnes je crois. Il y a des Japonais qui s’adaptent très bien à la culture française et vice-versa.

Votre style graphique s’inspire du manga traditionnel contrairement à la narration qui se rapproche plus du format européen. Pourquoi avoir fait ce choix ?
Les pages que j’ai réalisées pour le site Mang’Arte étaient nécessairement courtes et ça a plu aux lecteurs, j’ai donc conservé ce format. Au Japon aussi on fait des petites histoires, puisqu’avant de paraître, un manga est d’abord publié en seize pages ou en quatre cases dans un magazine.

Croquis de Lumi, la sœur du héros de It’s Your World. Photo Julien Tartarin

Votre manga est presque autobiographique, quelles sont vos sources d’inspiration ?
Je me repose beaucoup sur mon histoire et mes expériences. J’observe aussi beaucoup le comportement des gens. Pour les personnages adolescents, je m’inspire des collégiens que je croise dans la rue par exemple. Je trouve aussi mon inspiration dans la musique, les différents arts,…

Vous partagez un certain nombre d’anecdotes dans It’s Your World comme la boulangère qui s’impatiente, les Français qui se font la bise pour se dire « bonjour »… Comment avez-vous vécu votre arrivée à Paris ?
C’était très difficile au début, je pleurais souvent. J’ai trouvé que les gens étaient durs et agressifs mais je me suis rendue compte que ce n’était pas méchant et pas contre moi.
Dans les magasins, les vendeuses n’étaient pas accueillantes par exemple. J’ai souvent eu l’impression que j’avais fait quelque chose de mal, je suis même devenue un peu parano alors qu’ici, c’est quelque chose de naturel et que ça peut s’expliquer quand les gens ne sont pas en forme.
J’ai aussi marché sur une crotte de chien, ce qui m’a choquée. C’était une sensation toute nouvelle pour moi, mais je me suis habituée maintenant. (Rires)

its-your-world-2-kanaPourtant, vous donnez une image positive et chaleureuse de la vie parisienne à travers It’s Your World. Quel est votre ressentiment maintenant que vous êtes installée ?
J’ai l’habitude maintenant, je suis plus solide, plus forte. Si les vendeuses ne sont pas sympas, j’ai le réflexe de ne pas le prendre pour moi et j’arrive à leur répondre.

« Les Japonais ont une image de la femme française très libre, comme un chat. »

Quel regard portez-vous sur la culture et les valeurs françaises ?
Les Japonais ont une image de la femme française très libre, comme un chat. Cette image vient des films français des années 60-80 avec des actrices comme Brigitte Bardot et Jeanne Moreau. Je me disais souvent que la France n’était pas un pays pour moi à cause de son côté inaccessible, chic et mignon. Finalement ça va… ! (Rires)

Que gardez-vous comme souvenirs de vos précédents ouvrages ? Qu’avez-vous retenu de vos précédentes expériences professionnelles ?
Au début, j’ai tout accepté et j’ai eu beaucoup de chance en général. Il est arrivé que mon éditeur me demande de réaliser cinquante pages en deux semaines. Je n’ai pas dormi pendant trois jours, j’ai fermé les volets et je me suis isolée dans le noir. Quand j’ai fini cette histoire et que je suis sortie, j’étais un peu speed mais grâce à cette expérience, j’ai appris à dessiner plus vite et reconnaître le sens des priorités. Une fois imprimées, certaines choses n’ont plus tellement d’importance et ça m’a permis de le reconnaître.

Quel est votre rapport avec le public français ?
C’est un public de passionnés, ils aiment le dessin. Ils sont tous très gentils avec moi.

Comment arrivez-vous à entretenir vos rapports avec le public japonais ?
J’ai très peu de rapport avec le public japonais. Il y a bien des séances de dédicaces mais pas de salons avec des professionnels comme en France. Je reçois tout de même quelques lettres de fans qui me disent aimer mon manga.

Si vous deviez retourner vivre au Japon, qu’est-ce qui vous manquerait le plus ici ?
Je pense que ce qui me manquerait le plus serait la méchanceté des vendeuses ! (Rires)

Quels sont vos projets d’avenir ?
Je veux bien habiter au Japon avec ma petite famille, je veux continuer à raconter de belles histoires et dessiner.

Quels conseils donneriez-vous aux adolescents ?
Si vous avez des envies, un rêve, gardez tout ça discrètement pour vous afin que ça se réalise.

Retrouvez les informations sur It’s Your World de Junko Kawakami sur le site web des éditions Kana.

Remerciements à Junko Kawakami et aux éditions Kana pour cette interview.

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