Quand les comics deviennent des mangas… ou l’inverse ?

À l’heure où les industries culturelles du monde entier tentent de tirer leur épingle du jeu, les grandes œuvres et les grands auteurs ne cessent de s’influencer réciproquement. À ce jeu, la bande dessinée n’est pas en reste. Si on a bien vu que les mangas ont largement influencé les dernières générations d’auteurs de BD, en France et à travers le monde, qu’en est-il de l’influence hégémonique des États-Unis sur son voisin japonais ? Et comment les mangakas jouent avec ces codes américains pour, peut-être, se les réapproprier ?

C’est ce à quoi Journal du Japon a voulu s’intéresser, à travers 3 titres : My Hero Academia, Octo-girl et enfin X-Men : le manga.

Éléments d’analyse…

My Hero Academia : quelle culture absorbe l’autre ?

My Hero Academia

Résumé de l’éditeur : « Dans un monde où 80 % de la population possède un super-pouvoir appelé alter, les héros font partie de la vie quotidienne. Parmi eux brille All Might, légende vivante de la justice. Izuku Midoriya, un adolescent dépourvu d’alter, rêve pourtant d’intégrer la prestigieuse académie de héros U.A. et de marcher sur les traces d’All Might. Son destin bascule quand il croise la route de son idole, qui lui offre une chance inespérée de voir son rêve se réaliser. Dès lors, Izuku entame un parcours semé d’épreuves pour prouver qu’un véritable héros ne se mesure pas à sa puissance, mais à sa détermination et à son courage. »

My Hero Academia (ou MHA pour les intimes) s’est achevé l’an dernier au Japon avec son 42e tome et cet été en France aux éditions Ki-oon mais demeurera un cas particulièrement intéressant d’hybridation culturelle : il intègre des influences très visibles des comics et de la culture super-héroïque américaine tout en restant profondément ancré dans les codes du manga et de la narration japonaise.

Les influences américaines visibles dans le manga de Kohei Horikoshi sont légion. Sur le plan visuel pour commencer, on retrouve une esthétique et un symbolisme qui vont de pair et qui sonnent particulièrement US : costumes flashy, capes, identités héroïques publiques, logos personnels – tout cela rappelle les figures classiques comme Superman, Spider-Man ou Captain America. Moins spécifiques mais tout de même, on peut aussi ajouter les combats : dynamiques, ponctués de poses héroïques, avec des destructions urbaines typiques des blockbusters américains.

Et puisque l’on parle des combats, il y a évidemment la présence des pouvoirs, les fameux alters qui sont extrêmement variés, comme les super-pouvoirs des héros de comics. Ces alters construisent à eux seuls une bonne partie de l’univers de la série en ouvrant un large panel de possibilités, de héros et donc de problématiques : mutation, énergie, gadgets, etc. Le tout a donc un petit air de Marvel.

All might, héros iconique de MHA
All Might, héros iconique de MHA, inspiré de Superman.

Scénaristiquement on retrouve aussi des héros devenus des professionnels, avec une organisation hiérarchisée, des agences, une influence des médias sur l’opinion publique. Les super-héros opèrent au sein d’institutions que l’on peut rattacher aux Avengers, la Justice League ou le SHIELD. La médiatisation du héros, les dérives de la célébrité et du marketing plus globalement Hollywood et la pop culture US, même, en tout cas au début de l’histoire, devenir un héros professionnel rappelle l’idéal américain du rêve accessible via l’effort individuel. Izuku Midoriya enfile d’ailleurs au départ le costume du self-made hero, proche de Spider-Man : un adolescent ordinaire qui devient extraordinaire par courage et détermination. À l’autre bout du spectre All Might, lui, est un hommage direct à Superman : symbole de paix, silhouette musclée, sourire ultra-bright, moralité inébranlable. Quand la cavalerie est là, tout va !

Tomura Shigaraki, l'un des "méchants" de la série, à l'histoire marquante
Tomura Shigaraki, l’un des « méchants » de la série, à l’histoire marquante.

Mais, là où MHA devient encore plus intéressant, c’est dans sa capacité à absorber ces influences tout en les transformant profondément grâce aux spécificités narratives et culturelles japonaises. Contrairement au modèle américain centré sur l’individu exceptionnel, MHA valorise le groupe-classe (la fameuse seconde A) comme une communauté soudée, dont la protection est un devoir, le héros devant trouver l’équilibre entre liberté personnelle et harmonie sociale (wa). Les personnages progressent ensemble, partagent épreuves et entraînements et la fameuse Academia du titre fonctionne selon un modèle quasi familial. On est beaucoup plus dans le shônen d’équipe (Naruto, Haikyû!!, Fairy Tail) que dans les comics américains.

De plus, si Izuku suit un destin qui peut évoquer une aventure américanisée, sa progression repose sur le concept japonais du nekketsu : persévérer, s’améliorer, souffrir pour progresser. Le héros japonais n’est pas « choisi » par le destin mais construit par l’effort et la discipline, même si One For All est transmis. Les antagonistes, par exemple Shigaraki, Stain, Crematorium ou Tomura sont traités avec une profondeur psychologique et une empathie très japonaise : leur traumatisme n’est pas un prétexte, mais un axe narratif majeur. Et en parlant de structure narrative, on retrouve également des éléments shônen incontournables : les arcs d’entraînement, de tournois et d’examens, les rivalités amicales, un mentorat omniprésent et une montée en puissance progressive.

Pour résumer, My Hero Academia emprunte à la culture américaine ses super-héros, son esthétique et certains mythes fondateurs, mais les reformule dans la grammaire narrative japonaise. Le résultat est un manga hybride, où les symboles US sont réinterprétés à travers les valeurs shônen : camaraderie, persévérance, devoir envers la communauté et progression personnelle par l’effort. L’œuvre devient ainsi un pont entre deux traditions super-héroïques, sans perdre son identité japonaise : elle la renforce même en montrant comment une culture peut absorber l’autre… et la remodeler. (Paul)

Octo-girl, un spin-off du Spider-Verse inattendu ! (Panini Manga)

Octo-girl
©2023 Furuhashi Hideyuki / Betten Court, Shueisha

Résumé de l’éditeur : « Le Docteur Octopus se retrouve confronté à son plus grand défi : mener la vie d’une collégienne au Japon ! Après une bataille acharnée contre Spider-Man, le génie du mal sombre dans le coma. Lorsqu’il se réveille, il est choqué de découvrir que sa conscience a été transférée dans le corps d’une jeune Japonaise ! »

Des super-méchants de My Hero Academia à Spider-Man : Dans ce shônen manga de 3 tomes signé du duo à qui l’on doit Vigilante – My Hero Academia Illegals, le postulat de base est bien trouvé : et si un super-vilain se réveillait un jour dans le corps d’une lycéenne japonaise ? Le thème du changement de corps dans le manga n’est pas inédit mais le shônen, avec Hideyuki Furuhashi au scénario, va vite et alterne efficacement les scènes d’action et d’humour. L’objectif du scénariste, de proposer une nouvelle vision du Docteur Octopus, est réussi sans dénaturer le personnage. À la fin du premier tome sur les 3 que compte la série, Hideyuki Furuhashi confie aux lecteurs avoir apprécié les comics de la période 2009-2019 pour leurs nombreux retournements de situation.

©2023 Furuhashi Hideyuki / Betten Court, Shueisha

Un manga qui rend hommage aux comics : Ce super-méchant dans le corps d’une adolescente amène à coup sûr son lot de situations cocasses, surtout quand Otoha Okutamiya est l’exact opposé du Dr Octopus. Si tous les fans de l’homme-araignée connaissent cette réplique culte « un grand pouvoir implique de grandes responsabilités », Octo-Girl enseigne au savant fou qu’ « un peu de pouvoir peut engendrer une petite gentillesse ».  Parfaitement intégrée à l’univers de Spider-Man, cette aventure en terre nippone permet d’incorporer au récit un autre personnage en plus de Spider-Man qui apparaît au début : Sakura Spider, ersatz féminin du Tisseur, introduite pour la première fois en 2020 dans le manga Deadpool Samurai de Kasama Sanshiro (scénario) et Hikaru Uesugi (dessin), d’ailleurs réédité cette année par Panini.

Octo-girl
©2023 Furuhashi Hideyuki / Betten Court, Shueisha

Une maîtrise graphique des phases d’action : Les dessins de Betten Court, dont le pseudo est un hommage au guitariste américain Nuno Bettencourt (parce qu’il le vaut bien), qui alternent entre détails et traits super déformés caractéristiques des mangas, sont une démonstration des talents du mangaka dans les phases d’action et de combat avec une grande maîtrise de la gestion des cases et des lignes de vitesse. C’est fluide grâce à un positionnement équilibré des bulles dans les planches. (David)

©2023 Furuhashi Hideyuki / Betten Court, Shueisha

X-Men : le manga, plus que des super-pouvoirs ! (Panini Manga)

Couverture de X-Men : le manga
©2025 Marvel

Résumé de l’éditeur : « Jubilé est une adolescente qui cache un lourd secret : c’est une mutante ! Possédant des pouvoirs fantastiques, elle aspire pourtant à vivre une existence normale où elle pourrait sortir et échapper au regard de ses parents. Mais son rêve va voler en éclats quand les Sentinelles débarquent pour s’emparer d’elle… Cet incident va être son premier pas sur la voie des X-Men. »

L’animé de son enfance (1992-1997) adapté en manga : Cette Perfect Édition de Panini Manga, en 2 tomes de plus de 500 pages chacun, regroupe les 13 volumes de l’édition japonaise publiée par Takeshobo en 1994 qui adaptaient chacun 2 épisodes de la série animée des années 90 de 5 saisons pour un total de 76 épisodes d’une vingtaine de minutes. Il s’agit de l’adaptation en manga des 2 premières saisons. La particularité de X-Men : le manga est d’avoir été confié à divers artistes : Hiroshi Higuchi, Koji Yasue, Miyako Kojima, Reiji Hagiwara, Rei Nakahara et Hirofumi Ichikawa.

Les X-Men de notre enfance
©2025 Marvel

La lutte pour la liberté et les droits (mutants) : Les X-Men, créés par Stan Lee et Jack Kirby, apparaissent pour la première fois en septembre 1963 aux États-Unis en plein mouvement américain des droits civiques. Les chapitres 3 et 4 sont des passages clés qui illustrent bien les thèmes assez matures développés du dessin animé destiné avant tout à la jeunesse. Emprisonné en attendant son procès, le Fauve lit La Ferme des animaux (1945), le classique de George Orwell qui utilise l’allégorie animalière pour critiquer les régimes autoritaires et totalitaires. Le combat des animaux de la ferme pour retrouver leur liberté fait écho à la lutte des mutants pour vivre libres et égaux avec les humains non-mutants.

Le Fauve lisant Les Animaux de la ferme
©2025 Marvel

Si leur objectif est le même, les mutants apparaissent divisés en deux camps aux méthodes radicalement opposées : celui du Professeur X et les X-Men prônant le dialogue et la coexistence pacifique entre humains et mutants et Magnéto et sa Confrérie de mutants qui n’hésitent pas à utiliser leurs capacités mutantes pour faire la guerre à l’humanité sur fond de suprémacisme mutant. En somme, Martin Luther King et Malcolm X sont des sources d’inspiration manifestes. Le militantisme et l’activisme sont toujours d’actualité et c’est pour cela que les X-Men sont immortels et traversent les décennies sans prendre une ride !

©2025 Marvel

Un dossier exclusif sur les secrets des X-Men : En fin de tome, des « dossiers mutants » de 15 pages communiquent des informations non révélées dans le manga ou le dessin animé. D’ailleurs, à l’époque de sa diffusion dans les années 90, ces dernières pouvaient manquer au public français qui n’avait pas forcément lu les comics. Ce contenu supplémentaire, avec au début du tome la présentation des personnages principaux, vise une meilleure compréhension des mutants et de l’univers de X-Men. On adore aussi la jaquette avec le X iconique des X-Men en rouge qui se marie bien avec le jaune de leurs costumes ! (David)

Dossier exclusif sur les secrets des X-Men
©2025 Marvel

En somme, malgré des cultures parfois très différentes, où l’individu américain s’oppose au groupe japonais, la bande dessinée japonaise n’a pas vraiment de difficulté à adapter le comics américain ou, du moins, à se l’approprier. Du simple copier-coller au vrai hybride il y a évidemment tout un panel de possibilités, d’échecs et de réussites mais, à l’image des auteurs français qui ont mis quelques décennies à digérer le manga, les auteurs japonais l’ont fait depuis bien longtemps avec la culture américaine, pour en faire quelque chose de nouveau. Le reste n’est plus alors une question de nationalité, mais juste de travail… et de talent !

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