Hiromi, la rencontre de deux solitudes
Le journaliste français Florent Dabadie raconte dans ce roman en partie autobiographique son mariage avec une japonaise en proie à des troubles psychologiques très graves. Il décrit avec beaucoup de pudeur le sentiment amoureux pris dans la tourmente de la maladie.

Hiromi, l’héroïne du roman de Florent Dabadie, naît en 1967 à Obama, petit village de pêcheurs sur la côte de la mer du Japon, face à la Corée du Nord. Elle grandit dans cet environnement peu stimulant, au sein d’une famille dysfonctionnelle, composée d’un père violent mais cultivé qui lui fait découvrir la musique classique et la littérature occidentale, d’une mère soumise et d’une sœur fragile.
Heureusement, la famille déménage à Tokyo et Hiromi se rapproche du milieu artistique, le seul domaine qui l’ait jamais intéressée (à l’école elle n’aimait que le dessin).
Le journaliste Florent Dabadie, fils du célèbre scénariste Jean-Loup Dabadie, est peu connu en France mais au Japon il a animé pendant dix ans une émission hebdomadaire sur le sport, regardée par des millions de téléspectateurs. Il nous avait déjà enthousiasmé avec le récit de son intégration et de sa carrière dans l’Archipel dans Comment je suis devenu japonais (Komon/Les Arènes, 2023).
Avec ce roman, il continue à relater son expérience personnelle dans l’Archipel, mais cette fois dans la sphère de l’intime. Il a choisi pour cela de recourir en partie à la fiction, qui lui a permis d’« aller dans des lieux où je ne pouvais pas aller, c’est-à-dire le passé de l’héroïne, de ma femme dans le roman, qui ne m’en a jamais parlé », confiait-il sur Cnews dans l’émission L’heure des livres du 10 avril 2025.
Une histoire d’émancipation
Le roman conte une histoire d’amour, mais aussi l’émancipation d’une femme dans un pays encore très patriarcal (en 2025, le Japon occupait la 118e place sur 146 pays au classement du forum économique mondial pour l’égalité hommes-femmes).
Pour Hiromi, l’héroïne du roman, l’émancipation passe par l’art.

« Pour vivre sa liberté en tant que japonaise, elle est obligée de vivre parmi les marginaux et en effet les artistes, même si c’est un stéréotype, sont au Japon des classes marginales qui sont peu comprises et où les femmes peuvent avoir le pouvoir grâce a leur talent, grâce a leur intelligence », expliquait aussi Florent Dabadie sur CNews. « Elle le comprend tout de suite. Je ne sais pas si elle avait vraiment envie d’aller vers le monde de l’art, mais elle sait que c’est là qu’elle va s’épanouir. Encore aujourd’hui au Japon, on voit que c’est dans ces domaines-là que les femmes ont le pouvoir », analysait-il également.
L’auteur quant à lui est en pleine crise existentielle quand il rencontre Hiromi le 13 mars 2007.
« Au plus profond de mon cœur, je rêvais d’une femme qui me sortirait de mon enfance : d’une sœur, d’une mère, d’une amante, tous les personnages réunis en une seule. Malgré la frivolité de mes mœurs, j’avais un infime espoir d’être sauvé. J’avais honte de ce que j’étais devenu, les photos ne mentaient pas : ce côté diabolique au fond de mon regard, l’autodérision dans mes paroles qui menaçait de virer au cynisme », écrit-il dans la deuxième partie du roman.
Malgré sa notoriété et ses succès professionnels, il dresse un constat amer de son intégration au Japon.
« J’étais un perroquet que l’on exhibe dans les émissions de grande audience. Pourtant, il y a toujours des limites à l’exotisme et les Japonais utilisaient les commentateurs étrangers avec parcimonie ; il ne fallait jamais qu’ils dérangent trop, nous étions juste des épouvantails (…). C’est plus tard que je compris que je ne deviendrais jamais japonais : ici, toutes les minorités étaient des travailleurs en sursis. Les seuls qui m’acceptaient comme partie intégrante de la société japonaise étaient les vieilles personnes », constate-t-il un peu plus loin.
Hypersensibilité et vulnérabilité
À ce moment-là de sa vie, il manque à l’auteur l’amour et une cause pour laquelle se mobiliser. Sa rencontre avec Hiromi lui apportera l’un comme l’autre. Mais ce sont en fait deux solitudes qui se rencontrent : la notoriété et le succès de l’un comme de l’autre cachent en réalité beaucoup de désespoir et de tristesse.
L’auteur décrit également avec beaucoup de justesse l’hypersensibilité et la vulnérabilité que peut susciter un sentiment amoureux très fort.
« J’avais peur de ne pas être assez fort en pénétrant dans cette forêt noire. Je ressentais néanmoins, pour la première fois de ma vie, un sentiment de très forte responsabilité alors que notre histoire ne faisait que commencer. Comme si le véritable amour n’était pas un coup de foudre, mais la sensation qu’il ne faut absolument pas perdre la flamme fragile que l’on protège entre les paumes de ses mains. »
Il se jette à corps perdu dans cette relation et va vivre des situations très dures. Son expérience sert de mise en garde. Dans son précédent livre, Comment je suis devenu japonais, son expérience professionnelle incitait déjà à la prudence. Il y racontait notamment son licenciement du jour au lendemain, sans indemnité ni même un pot de départ, après onze années de bons et loyaux services.
Loin des mirages que suscitent parfois les rêves d’expatriation, Florent Dabadie relate ses expériences japonaises avec honnêteté et nous fait découvrir de l’intérieur les bonheurs et les difficultés d’un Français dans l’Archipel.
