[Interview] MELT-BANANA : le melting-pot du rock !

MELT-BANANA. Ce nom ne vous dira peut-être rien. Pourtant, ce duo est une pointure dans le monde très fermé de la noise music. Ce genre, que certains qualifieront de sans queue ni tête, est pourtant à la pointe de l’avant-garde dans la musique expérimentale. Et sans que personne ne se doute de rien, cela fait maintenant plus de vingt ans que Yako (parole et chant) et Agata (musique) contribue à faire évoluer le genre.


Tout d’abord repéré par Kazuyuki K. Null, leader de Zeni Geva (groupe réputé pour être le précurseur de la scène noise japonaise), ils travailleront par la suite avec Steve Albini, leader de Shellac et producteur émérite qui s’est occupé des plus grands : Nirvana, PJ Harvey, les Pixies, Mogwai ou Fugazi. Ils collaboreront également avec Mike Patton, membre du célébrissime groupe Faith no More, et tourneront avec Tool, ce mythique groupe de métal progressif. Autant de grands noms de l’histoire de la musique alternative qui croiseront le chemin de cet insaisissable couple, toujours en quête ce qui repoussera au mieux les limites de la musique.


Lors de leur passage à Pantin (près de Paris) en mai dernier dans le cadre du festival des Banlieues Bleues, Journal du Japon a eu le privilège de rencontrer ces pointures. Une entrevue en toute humilité et pleine d’humour, preuve s’il en est de la grandeur d’âme de ces puristes !

 

Melt-bananaPhoto Lōlu

 

Le dilemme de la composition

Journal du Japon : Tout d’abord, merci de revenir nous voir en France ! Cela fait maintenant plus de vingt ans que vous faites de la musique ensemble, comment avez-vous fait pour rester en harmonie aussi longtemps ?
Yako : En fait, on n’a pas vraiment l’impression que ça fait vingt ans ! (Rires) Le temps passe à la vitesse de l’éclair, et c’est un peu comme si on venait tout juste de commencer le groupe.

Votre musique est tellement particulière que je me sens obligée de vous poser cette question : comment écrivez-vous vos chansons ?
Yako : En gros, Agata s’occupe de tous les instruments : la batterie, la basse, la guitare, des samples … Ensuite il me fait écouter les démos, et je gère la partie chant.

Est-ce difficile de s’occuper de tous les instruments ?
Agata : Mmm … je n’utilise que de la batterie, de la guitare et de la basse, donc c’est plutôt facile.
Yako : Ah bon ? (Rires)
Agata : Ben ouais, c’est tout le temps la même chose, tu sais la batterie ça fait plutôt ça [imite un rythme de batterie], etc., c’est facile. Par contre si on veut utiliser d’autres sons comme du synthétiseur, ou des instruments en acoustique, ça devient un peu plus difficile.

Et quant est-il de la musique électronique ? Était-ce difficile de combiner ces sons au vôtre ?
Agata : aaaahhh [réfléchit] la façon dont on se sert la musique électronique s’apparente plus à l’utilisation de bruitages, pas vraiment de la musique à proprement parler. Ça ressemble beaucoup à ce que je fais avec la guitare, et du coup ce n’est pas très difficile.

Votre son a énormément évolué au fil des années ; comment le décririez-vous aujourd’hui ?
Yako : oohhhh …
Agata : C’est difficile ça comme question !
Désolée ! [Rires généraux]
Agata Je ne sais vraiment pas ! (Rires) En fait, nous écrivons de la musique quand nous nous sentons bien, donc on ne sait pas vraiment comment décrire notre son. En ce qui me concerne, je joue beaucoup mieux de la guitare qu’à nos débuts. A cette époque, j’essayais de faire de mon mieux en exploitant toutes mes capacités, et je le fais toujours, mais depuis nous avons fait beaucoup de concerts, donc je peux maintenant faire beaucoup plus de choses !
Yako : Je pense comme lui ! (Rires) Quand nous avons formé le groupe, je voulais chanter … comment dire … si les gens écoutaient notre musique, je voulais qu’ils pensent « Oh, ça c’est MELT-BANANA ! », donc qu’il voit notre groupe comme quelque chose d’original et d’unique. Je voulais que mon chant définisse le groupe. Comme Agata, j’ai évolué au cours des années, je peux faire plus de choses à présent. [Agata intervient en japonais, et Yako traduit ce qu’il vient de dire]. Maintenant, nous voulons montrer aux gens le cœur de notre musique.

Melt-banana Photo LōluEst-ce que le tsunami de 2011 a eu un impact sur votre manière de composer ? 

Yako : Après le tremblement de terre, je n’ai plus réussi à écrire, et ce pendant un long moment. Nous étions entrain de travailler sur notre nouvel album, et j’avais encore pas mal de paroles à écrire pour le terminer, mais je n’y arrivais plus. Quand j’essayais, c’était vraiment fade et dénué de sens. Du coup, nous avons arrêté le processus de création du nouvel album.
Après cela, nous sommes partis en tournée aux États-Unis, et cela nous a vraiment apaisé. Nous avons commencé à nous dire « Okay, ne cherchons pas plus loin, faisons ce que nous savons faire ! ». Ainsi j’ai pu recommencer à écrire.
Agata : C’était la même chose pour moi. Je n’étais pas vraiment sûr que tout cela vaille la peine. En voyant tous ces gens en baver, j’ai eu l’impression que ma musique n’avait aucune valeur. Quand je jouais, je ne ressentais plus d’excitation, je n’arrivais plus à me concentrer. Donc nous avons eu besoin d’un certain temps pour retrouver notre état normal.

Pensez-vous donc qu’après cette épreuve, Fetch soit l’album de la maturité ?
Yako : hum, pour nous c’était plus comme si nous recommencions à zéro et que nous venions à peine de former le groupe. Je parlerais donc plus de renaissance. Comparé à nos albums précédents, Fetch est un peu différent, mais nous y avons mis tout notre cœur, alors j’espère que cela s’entend ! (Rires)

Ces rencontres qui ont tout changé

Vous avez rencontré beaucoup de personnages importants appartenant à la scène noise comme Zeni Geva, Mike Patton ou Steve Albini, mais quelle est celle qui vous a le plus marquée ?
Agata : Pour moi, il s’agit de John Peel de la BBC. Au Japon, quand un groupe passe à la radio, c’est qu’on a demandé à l’animateur de diffuser ce morceau : le label, ou quelqu’un proche du groupe. Mais avec lui c’était différent, on lui a jamais demandé de passer notre musique … c’était juste qu’il appréciait ce que l’on faisait ! Donc il a diffusé certaines de nos chansons, et par la suite, nous avons reçu beaucoup de lettres d’Angleterre, et même de Singapour, d’Australie … du monde entier ! Je n’arrivais pas à comprendre pourquoi nous recevions tout ce courrier, et nous avons découvert que la BBC était en fait diffusée partout dans le monde, ce qui veut dire que les gens nous avaient connus grâce à son émission. J’avais déjà entendu parlé de lui, mais quand nous l’avons rencontré, il a été très simple. Il n’a pas agi comme si nous lui devions tout, et ça m’a assez impressionné. Il était très sympa.

Yako : Alors là … je ne sais pas trop … ah si ! Quand nous avons commencé le groupe, j’avais fait des flyers pour promouvoir nos concerts, et je suis allée en distribuer devant un club. Il y avait un étranger dans la queue, mais je lui ai quand même donné le flyer. Il a commencé à me poser des questions sur le groupe, donc je lui ai donné une demo pour qu’il puisse avoir une idée de ce que l’on faisait. Il m’a alors dit qu’il était au Japon pour faire quelques concerts, et m’a invité à l’un d’eux. Et là je me suis rendue compte que c’était le bassiste de FUGAZI ! [groupe très influent de la scène punk/hardcore, considéré comme précurseur des mouvements emo et post-hardcore des années 90, ndlr]

J’ai été très surprise quand je suis arrivée sur les lieux, et le concert était tellement bien ! Je venais tout juste de débuter le groupe, et je ne pensais pas encore au fait de pouvoir vivre de ma musique, c’était quelque chose d’abstrait. Mais après avoir vu leur concert, j’ai commencé à me dire « j’aimerais bien vivre de la même façon ! »

Ouah, très impressionnant ! Justement, qu’avez-vous écouté dernièrement ?
Yako : Dernièrement, j’ai pas mal écouté de chansons d’anime et de vocaloid (Rires)
Agata : R.U.T.A., un groupe hollandais. J’aime beaucoup.

Pour finir, vu que vous tournez beaucoup autour du monde, avez-vous une anecdote particulière à nous raconter ?
Yako : Et bien le truc le plus énorme qui nous soit arrivé est évidemment notre collision avec le cerf, c’était vraiment un désastre ! Ça nous a tellement traumatisé qu’on a décidé d’appeler notre nouvel album de l’époque Bambi’s Dilemma.

Merci beaucoup !
Yako : mais de rien !

Et en live, ça donne quoi ?

Melt-banana Photo LōluLe moins que l’on puisse dire, c’est que la décharge MELT-BANANA a bien lieu. Troisième et dernier sur les listes de groupes présents ce soir-là, le duo s’est rapidement démarqué tant leur performance respirait l’expérience et la maîtrise. De la chanson de trois minutes à celle de cinq secondes (oui oui), le public n’a eu aucun temps mort, vibrant au rythme des déflagrations sonores qu’envoyaient la paire. De la stridence de la voix de Yako à celle de la guitare d’Agata, il n’y avait qu’un pas qui a été franchi maintes fois, et ce pour le plus grand plaisir d’un public visiblement conquis d’avance. Des pogos à tire-larigot, des jeunes filles à la tête ensanglanté, des punk dans l’âme à l’oreille collée aux baffles : une assemblée de joyeux drilles qui a donné plus que de raison !

En à peine une heure de temps, MELT-BANANA ont su retourner la Dynamo comme seul les grands groupes de punk savent le faire. Un live à 100 à l’heure qui marquera les esprits.
Retrouvez toutes les photos du concert dans notre galerie.
Remerciements à MELT-BANANA, à Vince de Kongfuzi booking et à JF des Instants Chavirés, organisateur de l’événement.

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