[Société] Japon : n’oublions pas les femmes guerrières !
Nombreuses sont les fictions où les samouraï et les ninja sont présentés comme des héros, mythifiés, presque divinisés. Bien que presque entièrement disparus suite aux réformes de l’ère Meiji, les guerriers japonais restent en effet une source inépuisable d’imagination et d’admiration pour les rêveurs du monde entier. Du Clan des Otori à Kill Bill, en passant par Le Dernier Samouraï, le mythe est redessiné, réinterprété, occidentalisé, sans que l’on puisse apercevoir la moindre trace d’épuisement.
Mais qu’en est-il des femmes samouraï ? Des femmes ninja ? Des femmes chefs de guerre ? Comme dans beaucoup de domaines, les femmes ont été effacées des grands livres et des récits historiques. Et pourtant, elles ont bien existé. Or, l’Histoire aujourd’hui tend à être réécrite pour y inclure des destins de femmes, héroïnes du quotidien et de l’extraordinaire.
Dans le cadre de notre dossier Femmes & Japon, nous vous proposons aujourd’hui de suivre ce courant et de vous présenter le destin de trois Japonaises, connues au Japon mais bien souvent ignorées par les Occidentaux, qui se sont démarquées par leurs prouesses guerrières…
Tomoe Gozen, Onna Bugeisha
Tomoe Gozen, une Onna-bugeisha (femme samouraï).
Ce qu’on nous raconte…
Les exploits de Tomoe Gozen, (1161-1184 ou 1247) sont racontés dans le Heike monogatari, prose narrant les guerres de Gempei, c’est à dire la lutte entre le clan Taira et le clan Minamoto pour le contrôle du Japon au XIIe siècle. Tomoe, qu’on décrit comme « très belle, avec la peau très blanche et de longs cheveux », était mariée au général Kiso no Yoshinaka, qui luttait contre le clan Taira. Combattant auprès de son mari sur les champs de bataille, elle imposa le respect des samouraï de son clan comme du clan adverse grâce à son courage et sa force physique. Décrite comme une cavalière hors du commun, « prête à affronter un démon ou un dieu », elle fut nommée capitaine pour de nombreux combats. Cependant, elle dû fuir après la défaite de son mari, dont les forces étaient en sous-nombre: on raconte qu’elle devint religieuse, ou qu’elle a fui le champs de bataille en emportant la tête d’un ennemi sous sons bras; d’autres récits racontent qu’elle se serait jetée dans l’océan.
Ce que l’on sait
La vie de Tomoe Gozen sort à tel point du commun que l’on ne sait plus différencier le mythe de l’histoire. Réécrite et réadaptée de nombreuses fois, sa vie tient plus du conte que de la réalité. Toutefois, les femmes samouraï n’étaient pas si rares à l’époque médiévale: on parle d’Onna Bugeisha, des femmes ayant répondu à l’appelle du Bushi, la voie du Samouraï. Outre Tomoe Gozen, quelques Onna-Bugeisha se sont distinguées: Hōjō Masako et Nakano Takeko en sont des exemples. Cette dernière, appartenant au clan Aizu, devint même en 1868 la capitaine d’une unité de femmes combattantes.
Les Onna-Bugeisha n’utilisaient pas les mêmes armes que les hommes: elles possédaient un naginata, une lance qui se distinguait par sa longueur et sa courbure. Cette arme fut employée par les femmes d’abord pour son aspect pratique, puis par convenance; il est toutefois très intéressant de constater que durant l’époque d’Edo (1600-1868), de nombreuses écoles de maniement du naginata furent créées pour les femmes.
Mochiyuki Chiyome, Kunoichi
Mochiyuki Chiyome, une kunoichi (femme ninja)
Ce que l’on nous raconte
Mochiyuki Chiyome aurait vécu au XVIe siècle. Elle serait la femme d’un puissant Samouraï, Mochizuki Moritoki, seigneur de Saku. Quand son mari meurt tragiquement à la bataille de Kawanakajima, qui opposait deux clans pour des problèmes de territoire, le destin de la jeune Chiyome est confié à un seigneur puissant, le daimyo Takeda Shingen. Celui-ci n’est pas en reste et lui demande de former un groupe de femmes ninja, des kunoichi, afin d’avoir une équipe d’espionnage à disposition. Issue d’une lignée de ninja, sans doute le clan Koga, la jeune Chiyome a le métier dans les veines.
On raconte que Chiyome regroupa plus de 200 femmes d’une grande beauté. Elle choisi essentiellement des jeunes filles en difficulté, ayant perdu leurs familles à la guerre. Elle embaucha également des prostituées, ou des femmes très pauvres; leur donnant ainsi une seconde chance. Cette troupe de femmes devint une unité d’espionnes très efficaces, déguisées en geisha et en courtisanes, capables de séduire tout aussi bien que d’assassiner.
Ce que l’on sait
Comme pour Tomoe Gozen, la vie de Mochiyuki Chiyome porte à débat. Certains se demandent si sa vie ne tiendrait pas plus du conte que de l’Histoire. Toutefois, les femmes ninja ont apparemment vraiment existé, et leur histoire est partiellement racontée dans le Bansenshukai, un livre qui raconte l’histoire des clans Iga et Koga — donc l’histoire de la famille de notre héroïne. Comme dans le cas de Chiyome, les kunoichi semblent être essentiellement destinées à l’espionnage, étant donné qu’elles inspirent moins de méfiance, en tant que femmes.
Cependant, après la période d’Edo (1603-1868), les ninja tombèrent dans l’oubli. On raconte que de nombreuses kunoichi devinrent des geisha et des prostituées. Quoi qu’il en soit, la fiction a aujourd’hui accepté leur existence et de nombreuses femmes ninja sont présentes dans toutes sortes de romans, manga et jeux vidéo, comme par exemple Assassin’s Creed: Memories.
Jingu, josei-tenno ou kogo (impératrice consort)
Ce qu’on nous raconte
Appelée princesse Okinagatarashi avant son règne, Jingu vécu de 169 à 269 et devint régente à la mort de son mari, l’empereur Chuai, en 209. Il est dit qu’elle mena une vie de guerrière, envoyant ses troupes à la conquête des Trois Royaumes de Corée. On va jusqu’à raconter qu’elle avait en sa possession les joyaux magiques de Ryujin, une divinité païenne. D’autres racontent qu’en traversant la mer intérieure, l’impératrice rencontra un buffle géant. C’est Sumiyoshi lui-même, un autre dieu, qui serait apparu pour protéger l’impératrice. La vie de Jingu est donc forgée par les mythes, et son incroyable tombe, à Nara, illustre la grandeur de cette dame.
Ce que l’on sait
Tout comme nos deux autres guerrières, l’impératrice Jingu a une histoire controversée. Beaucoup de théories existent, niant très souvent l’existence de cette grande femme. Encore présente sur les billets de banque au XIXe siècle, on considère officiellement que Jingu n’a pas été 15e impératrice depuis la fin de l’ère Meiji (1868-1912). Néanmoins, de nombreuses impératrices ont régné sur le Japon: on en compte huit au total, dont six entre 593 et 770. Cependant, leurs successeurs étaient presque toujours des hommes, ce qui montre que le patriarcat dominait toujours, dès que leur règne se terminait. De nombreuses impératrices-consorts (kogo) eurent également les commandes du gouvernement. Récemment, deux impératrices vécurent durant la période d’Edo: Meisho (1624-1696) et Go-Sakuramachi (1740-1813). Cependant, depuis la Constitution de Meiji en 1889, et la Loi de la Maison Impériale de 1947, les femmes ne peuvent plus régner au Japon. L’égalité des sexes a bel et bien fait un pas en arrière.
Bien que sans doute fictives, ces histoires font partie de l’imaginaire japonais et nous rappellent que les femmes, autant que les hommes, ont leur place dans l’Histoire. Guerrières, espionnes, dirigeantes, ces grandes femmes ont pris leur destin en main et choisi leur propre voie.
Ces histoires apparaissent comme une bouffée d’air pur dans la société japonaise actuelle, très machiste. Si les femmes japonaises ont besoin d’une inspiration, elles peuvent toujours se souvenir que des femmes comme elles ont façonné le Japon actuel. Bien que les plus conservateurs aient tendance à dénigrer ces figures féminines, il serait bon que le Japon se rappelle d’où il vient, et de quoi les femmes sont capables quand on leur en donne les moyens…