Silent Hill 3 : déclin d’une série et coup d’éclat horrifique

Sorti en Europe le 23 mai 2003, Silent Hill 3 avait la lourde tâche de succéder à Silent Hill 2 (2001). Ce dernier bénéficie en effet d’un statut de titre référence dans l’univers vidéoludique. Raison pour laquelle KONAMI a choisi ce second épisode pour faire l’objet d’un remake qui devrait sortir fin 2023. Avec les autres titres annoncés, cette remise au goût du jour assurée par le studio Bloober Team aura pour mission de relancer (enfin !) avec succès la série Silent Hill.

Mais revenons-en à ce Silent Hill 3. Alors que son prédécesseur avait exploré une dimension profonde et psychologique, la Team Silent (surnom de l’équipe chargée de la réalisation des jeux de la saga) ambitionnait alors de proposer une horreur plus viscérale. 20 ans après, que reste t-il de ce troisième volet ?

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Illustration de la boîte du jeu sur PS2.

Heather, une protagoniste plus expressive

Silent Hill 3 est le premier jeu de la série à mettre en avant une protagoniste féminin. Il est d’ailleurs notable qu’aucun autre titre de la saga ne réitérera ce choix (pour le moment). Donner le contrôle d’une adolescente, Heather, permet à la Team Silent d’aborder de nouvelles thématiques. Heather paraîtra par exemple à plusieurs moments du jeu observée à la manière d’une proie.

Cela est notamment visible dans le niveau de l’hôpital avec le personnage de Stanley Coleman. Ce patient instable envoie en effet de multiples déclarations par l’intermédiaire de lettres, allant jusqu’au harcèlement. Nous n’irons pas jusqu’à qualifier Silent Hill 3 de jeu résolument féministe. On ressent cependant une volonté notable d’évoquer des problématiques auxquelles des adolescentes ou jeunes femmes sont régulièrement confrontées. Les thèmes de la grossesse, de l’avortement, et plus précisément de l’appropriation du corps des femmes (ici principalement par une secte religieuse) sont aussi abordés au cours du scénario.

Heather affiche par ailleurs une personnalité plus affirmée. James Sunderland, protagoniste du 2, apparaissait effacé (ce qui peut cependant se comprendre au vu de son histoire). Heather semble au contraire bien plus animée. On la voit ainsi régulièrement exprimer de la colère, du sarcasme, ou encore de la tristesse. Silent Hill 4 ne poursuivra pas cette tendance, en remettant de nouveau en avant un protagoniste peu expressif, voire indifférent à son environnement.

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La protagoniste Heather comprendra peu à peu son lien avec la ville de Silent Hill ©KONAMI

On pourra regretter que les enjeux de l’histoire de Heather apparaissent trop tardivement. On peut ainsi être confus, lors de la première partie du jeu, par l’absence d’enjeux réels (hormis celui peu engageant que notre protagoniste souhaite rentrer chez elle…). Le récit se densifie par la suite, en se reliant avec l’histoire du premier jeu Silent Hill.

Un air d’adolescence plaisant

La bande-son diffère également par rapport à l’épisode précédent. Le style pop-rock est plus que jamais mis en avant par le compositeur Akira YAMAOKA. Ce dernier collabore pour la première fois avec la chanteuse Mary Elizabeth McGlynn, qui participera ensuite comme interprète à tous les autres jeux de la série. Elle prête ici sa voix pour des compositions rock (« You’re not here », musique d’intro du jeu), ou plus intimistes (« Letter from the lost days », « I want love »). Les compositions ont par ailleurs la qualité de s’écouter parfaitement bien même en-dehors du contexte du jeu.

La palette d’émotions plus large affichée par Heather par rapport aux protagonistes précédents s’avère cohérent avec le fait de contrôler une adolescente. Les thèmes horrifiques se font aussi moins psychologiques et plus directs que dans Silent Hill 2. Si on peut dire que ce troisième jeu perd en subtilité, il délivre cependant une vision horrifique saisissante. Silent Hill 3 propose plusieurs scènes qui auront marqué la grande majorité de ses joueurs. On pense à la séquence du miroir (phobie de Heather), ou encore du mannequin, qui sont sans doute restées comme les plus iconiques. Cette volonté d’utiliser des « scènes-choc » au détriment d’une horreur plus diffuse peut aussi laisser penser que le jeu s’adressait à un public plus adolescent.

Cela n’empêche cependant pas la Team Silent d’évoquer les clichés horrifiques avec une certaine dérision. La séquence de la maison hantée du parc d’attraction en est l’illustration. Celle-ci abuse jusqu’à l’absurde d’éléments horrifiques caricaturaux et factices : plancher qui grince, voix-off surjouée, jumpscares faciles… Elle laisse toutefois planer un doute sur la véritable nature de ce lieu quand Heather finit par être poursuivie par une menace intangible mais bien réelle.

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La célèbre scène du miroir, qui verra le reflet de Heather se consumer avant de s’immobiliser. ©KONAMI

Visite (trop ?) express à Silent Hill

C’est l’un des points noirs les plus souvent évoqués lorsque l’on parle de Silent Hill 3. La ville éponyme n’y est que très peu visible. On ne rejoint la bourgade maudite qu’à (approximativement) la moitié du jeu. Encore plus frustrant, celle-ci n’est que très peu explorable. De nombreuses rues sont inaccessibles, poussant le joueur à se rapprocher vite du niveau de l’hôpital. Alors que les deux premiers jeux de la série donnaient la possibilité de visiter plusieurs établissements de la ville, Silent Hill 3 se veut beaucoup plus linéaire.

Ce choix peut se justifier par le volonté de proposer une aventure horrifique intense, nécessitant donc un rythme important. On perd cependant la part de mystère et d’ambiguïté que la ville laissait entrevoir par certains lieux explorables. D’autant plus que même une fois à Silent Hill, l’aventure se déroule principalement en périphérie de celle-ci. Ce détachement avec la ville sera encore plus prononcé dans Silent Hill 4. Ce dernier ne donnera en effet même pas la possibilité de s’y rendre. C’est en l’occurrence plutôt Silent Hill qui viendra au personnage principal.

Silent Hill 3 n’est pas complètement sans ambiguïté. Une réplique du personnage de Vincent laisse notamment le doute sur la nature des monstres rencontrés par Heather. Le rôle et la symbolique du monstre de Valtiel (que l’on peut apercevoir après un game over et dans certains passages spécifiques) peut aussi laisser libre cours à plusieurs interprétations. La scène du miroir évoquée plus haut appuie l’idée effrayante que la ville de Silent Hill utilise les peurs intimes des protagonistes. Ces éléments restent toutefois ponctuels et assez peu développés.

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La seule partie de la ville brouillardeuse qu’il est possible d’explorer (le bar Heaven’s Night et le Brookhaven Hospital sont les seuls bâtiments accessibles) ©KONAMI

Un Silent Hill sans fins multiples

Autre point souvent décrié : le nombre de fins accessibles. Alors que les deux premiers épisodes proposaient pas moins de quatre conclusions différentes (en excluant les fins ajoutées dans un but humoristique), Silent Hill 3 n’en comporte que deux (ainsi qu’une fin décalée). La seconde ne peut d’ailleurs être débloquée que dans le cadre d’une nouvelle partie ! Autant dire qu’il n’existe qu’une seule fin réellement canonique ; et celle-ci n’est pas des plus convaincantes. Le jeu se termine en effet sur une étrange blague et une dernière réplique peu raccord avec l’ambiance et les thématiques sombres abordées tout au long du jeu. Le générique rattrape le coup avec la chanson « Hometown » qui nous fait terminer ce voyage horrifique sur une belle pointe de mélancolie.

Silent Hill 1 et 2 analysaient le comportement inconscient du joueur pour lui apporter une fin plus ou moins cohérente avec celui-ci. Ici, seule une seconde partie où le joueur tuera un nombre suffisant de monstres et choisira la réponse adéquate à une question optionnelle permettra d’accéder à la seconde fin. De quoi décevoir les joueurs qui avaient apprécié la dimension psychologique des titres de la série.

Des niveaux inégaux mais aussi mémorables

La construction des niveaux de Silent Hill 3 alterne le très bon et le moins inspiré. On sent que le jeu a été développé dans le but de sortir le plus rapidement possible. KONAMI espérait sans doute surfer sur le succès critique et commercial des deux titres précédents.

L’hôpital Brookhaven Hospital de Silent Hill 2 est ainsi carrément recyclé, sans doute par faute de temps. Certaines salles sont cependant devenues inaccessibles, alors que d’autres se sont ouvertes. Malgré cet aspect peu dépaysant, il s’agit sans doute du meilleur niveau du jeu. L’ambiance y est glaciale dès l’entrée, avec ce noir complet (seulement éclairé par la lampe de Heather) et ses infirmières au pas saccadé cherchant à agresser notre protagoniste. La version alternée de l’hôpital, y est encore plus marquante de par sa direction artistique faite de rouille et de sang caractéristique de la série.

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Une infirmière de Brookhaven Hospital (accompagnée dans le jeu d’une bande-son particulièrement anxiogène) ©KONAMI

En revanche, le métro (inspiré du film L’échelle de Jacob) s’avère moins satisfaisant. Labyrinthique et uniforme, ce niveau parfois contre-intuitif et frustrant ne dégage pas non plus une ambiance très significative. Il est par ailleurs suivi du niveau des égouts, abusant de couloirs sans réelle personnalité. Heureusement, d’autres lieux sont plus convaincants. C’est par exemple le cas de la version alternée particulièrement pesante du Hilltop Center. La chapelle conclut bien l’aventure, donnant notamment davantage de précisions sur l’histoire de Heather.

Ambiance réussie, combats laborieux : des boss en demi-teinte

De façon générale, la saga Silent Hill n’est pas réputée pour la qualité de ses boss. Ces derniers consistent en effet souvent à répéter les mêmes actions en boucle dans une salle étroite. S’éloigner, tirer ou frapper au bon moment, et continuer jusqu’à la mort de l’ennemi. Et cela dans une rigidité caractéristique des jeux 3D de l’époque… Autant dire qu’on ne prend pas un plaisir particulier à les combattre. Il est d’ailleurs intéressant de noter que Silent Hill 4, peut-être conscient de cette difficulté, ne comporte que deux boss obligatoires à combattre.

Cela est d’autant plus dommage que la mise en scène des boss et leurs musiques sont très réussies. On passe heureusement ces séquences sans trop d’encombres, évitant de générer de la frustration. Notons toutefois le combat contre Alessa, qui utilise un concept intéressant. L’affrontement final, assez long, pourra donner une sensation agaçante de se battre contre un « sac à PV ». Un joueur qui n’aurait pas suffisamment économisé ses munitions pourrait d’ailleurs se retrouver dans l’embarras…

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La rencontre d’Alessa utilise un concept et un décor particulièrement réussis ©KONAMI

Une saga enfin ressuscitée

Silent Hill 3 marquera malheureusement un réel déclin de la série. Il ne parviendra à se vendre qu’à 350 000 exemplaires aux États-Unis, contre 600 000 pour son prédécesseur. Les ventes seront également moins bonnes sur les autres continents. Le succès critique, bien que présent, est aussi moins prononcé.

Ainsi, consciente de la nécessité de se renouveler, la Team Silent conclura sa quadrilogie avec Silent Hill 4. Ce dernier cherchera à explorer de nouvelles pistes, avec plus ou moins de réussite. Suite à des ventes encore décevantes, KONAMI sous-traitera la licence à des studios européens ou américains. Ceux-ci ne parviendront pas non plus à donner de second souffle à la série. On pourra toutefois noter quelques prises de risque notables comme sur Shattered Memories(2009).

L’histoire de Silent Hill n’est cependant pas terminée. Après des années d’attente et de rumeurs, KONAMI a enfin annoncé le retour de la saga en octobre dernier. Outre le remake de Silent Hill 2 (auquel participeront Akira YAMAOKA et Masahiro ITO de la Team Silent) et son adaptation cinématographique, ce ne sont pas moins de trois autres jeux qui ont été annoncés : Silent Hill f, Townfall et Ascension (ce dernier prenant visiblement la forme d’une série interactive). Sortie d’un long brouillard de plus de 10 ans (entrecoupé de la désillusion du projet annulé Silent Hills), la ville maudite est enfin de retour. Rendez-vous d’ici la fin de l’année ou courant 2024 pour un premier bilan !

Un héritage plus faible, mais un charme certain

En délaissant la profondeur psychologique, véritable marque de fabrique de la saga, sans non plus proposer de nouvelles idées de gameplay, Silent Hill 3 a déçu certains fans de l’époque. Outre d’autres éléments évoqués plus haut, la courte durée de vie (6 heures environ) est aussi un point noir souvent évoqué.

Toutefois, les aventures de Heather ne manquent pas non plus de bons côtés. Malgré son style plus linéaire, Silent Hill 3 a en effet le cœur de ce qui faisait le charme des premiers jeux de la Team Silent. Une ambiance dérangeante (et ici particulièrement viscérale), une bande-son très réussie (tant au niveau des bruitages que de la musique), ou encore des monstres repoussants et chargés de symbolique. Si l’écriture n’est pas au sommet, l’implication émotionnelle autour de Heather est également plus importante que pour les autres protagonistes de la Team Silent.

Silent Hill 3 est aussi l’un des derniers survival-horror « vieille école » de cette période fin 90 et début des années 2000. Certains éléments de ces jeux horrifiques de l’époque peuvent aujourd’hui paraître datés. On pense par exemple aux plans de caméra fixes ou encore aux énigmes capillotractées basées sur la combinaison d’objets. Le futur nous dira si les prochains titres de la série parviendront à intégrer avec succès les aspects plus traditionnels des jeux Silent Hill aux nombreux progrès vidéoludiques constatés ces dernières décennies.

1 réponse

  1. Cyril dit :

    Il est super cet article.

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