Ken Domon, l’objectif au cœur de l’âme japonaise

Le photographe Ken DOMON (1909-1990) est considéré comme l’un des maîtres du réalisme japonais, au même titre qu’Henri Cartier-Bresson en France. Très connu au Japon où un musée lui est dédié mais très rarement exposé en Europe, il fait actuellement l’objet d’une toute première exposition française à la Maison de la culture du Japon à Paris jusqu’au 13 juillet. Si Ken Domon a beaucoup voyagé pour photographier, il n’a jamais quitté son pays natal, s’attachant à en montrer les multiples facettes. En une centaine de photographies, l’exposition offre un instantané nuancé du Japon de l’ère Shôwa (1926-1989) à travers le regard d’un photographe à la personnalité particulièrement méticuleuse et exigeante.

Un détour par la photographie de propagande nationaliste

Ken Domon débute sa carrière de photographe à 24 ans en intégrant en 1933 le studio Kotaro MIYAUCHI à Tokyo comme assistant, puis le Nippon studio de Yonosuke NATORI, éditeur du magazine Nippon, où le jeune photographe promeut la culture japonaise à l’étranger.

NATORI, qui a étudié en Allemagne, introduit au Japon des techniques de photojournalisme utilisées au profit de la république de Weimar au début des années 1930. Il innove également en développant l’editing-reporting et la collaboration entre photographes et designers graphiques, ce qui contribuera au développement du photojournalisme.

Dans un contexte nationaliste, de nombreuses revues sont interdites et la photographie d’avant-garde est « mise en sourdine » au profit de l’unique propagande visuelle. Seuls quelques journalistes triés sur le volet se voient confier du matériel photographique. Ken Domon s’oriente alors vers l’image de propagande, rendant hommage dans des compositions strictes aux soldats de la marine impériale en plein entrainement ou aux infirmières japonaises.

Jeune infirmière (1938) collection du Ken Domon Museum of Photography

Au moment de l’entrée en guerre du Japon contre les États-Unis en 1941, Ken Domon, qui fait vivre une famille de 7 personnes et craint le « bulletin rouge » de mobilisation, se tourne vers les arts traditionnels de son pays comme le théâtre de marionnettes bunraku et entame une série de portraits de personnalités de son pays comme l’écrivain Yukio MISHIMA ou le réalisateur Yasujiro OZU. Il n’est d’ailleurs pas rare que Domon, réputé pour son insatisfaction récurrente, provoque des tensions avec ses modèles en raison de sa lenteur extrême…  

Après la guerre, l’adhésion au réalisme

A la fin de la guerre du Pacifique, après la capitulation du Japon, Domon prend un nouveau tournant et se distingue, à la fin des années 1940. Face à son pays meurtri qui entame une mutation sociale et politique profonde, le photographe prend le parti de montrer la « vérité », renonçant à tout pathos, mise en scène ou artifice. Domon regrettera d’ailleurs les photographies de ses débuts qui glorifiaient le patriotisme, tandis qu’il montre désormais un Japon de traditions locales, les pêcheuses ama, les artisans, le Tokyo de l’après-guerre dans sa vitalité autant que sa pauvreté, mais aussi l’américanisation de la société. En 1951 puis en 1953, Domon participe à deux grandes expositions de photographies réalistes à Tokyo aux côtés d’une quinzaine de photographes dont W. Eugene Smith et Henri Cartier-Bresson.

Domon sonde son pays et son peuple dans ses dimensions traditionnelle et sociale, spirituelle et matérielle en suivant inlassablement son fil rouge : la destinée et la culture du peuple japonais.

Ken Domon, Carrefour à Ginza 4-chôme, 1946, collection du Ken Domon Museum of Photography

Voyages à Hiroshima

Au Japon, depuis la fin de la guerre et les bombardements, la pratique de la photographie documentaire s’est développée dans une large mesure. La signature du traité de San Francisco libère le pays de la tutelle américaine à partir de 1952, allégeant ainsi la censure qui pèse autour de la dénonciation des crimes américains au Japon.   

En 1957, Domon effectue plusieurs voyages à Hiroshima où il documente les conséquences du bombardement atomique : il entre dans les maisons des survivants et laisse les victimes se placer devant son objectif, donnant lieu à des images crues qui mettent la population face à des plaies toujours ouvertes et exposent Domon à d’importantes critiques. Le prix Nobel Kenzaburô OE a considéré à l’époque ce projet photographique comme « la première œuvre d’art contemporain inspiré par la bombe atomique qui traite des vivants et non des morts ». Ces photographies prises dans les familles, à l’orphelinat ou dans les hôpitaux, constituent à l’époque un dossier de référence pour la chirurgie reconstructrice.

Ken Domon, Le Dôme de la bombe atomique et la rivière Motoyasu, photographie de la série Hiroshima, 1957, collection du Ken Domon Museum of Photography

Les enfants, une constante dans l’œuvre de Domon

Même lorsqu’il représente des scènes tragiques, Domon montre que la vie est partout et poursuit son cours. C’est peut-être pour cette raison que les enfants sont omniprésents dans sa pratique photographique, depuis ses débuts. Il aimait les enfants et y était sensible, en partie peut-être à cause du décès de sa deuxième fille survenu en 1946. Domon raconte la société à travers les enfants et leur consacre en 1959 une série intitulée Les enfants de Chikuhô, du nom d’une des régions les plus pauvres de l’archipel qui abritait des mines de charbon fermées dans les années 1950 et où de nombreux enfants sont livrés à eux-mêmes. Cette série a eu un grand retentissement au Japon.

Ken Domon, Enfants faisant tourner des parapluies, Ogôchimura, photographie de la série Enfants, vers 1937, collection du Ken Domon Museum of Photography

La culture bouddhique japonaise, un lien avec les temps anciens

Suite à ce reportage, les ennuis de santé de Domon débutent. Victime d’une première hémorragie cérébrale, il doit modifier ses habitudes de travail et s’écartant alors de la photographie sociale, il se consacre entièrement à un projet débuté dès 1939 : le pèlerinage des temples anciens. Entouré d’assistants, Domon photographie, en couleurs désormais, temples et sculptures bouddhiques à travers tout le pays. Il s’agit de son projet le plus long, qu’il a mené jusqu’à la fin de sa vie en faisant preuve d’une ténacité et d’une méticulosité légendaires qui lui ont valu le surnom de « démon de la photographie ».

Ken Domon, Pagode à treize étages du sanctuaire Danzan-jinja, Nara, 1963, collection du Ken Domon Museum of Photography

En attendant de découvrir, si vous en avez l’occasion, le musée Ken Domon de Sakata, au Japon, dont le bâtiment moderne et minimaliste se dresse en pleine nature et abrite quelques 70 000 tirages donnés par le photographe, Journal du Japon vous invite à aller visiter cette exposition, gratuite, à la Maison de la culture du Japon à Paris, et à nous laisser un commentaire !

Retrouvez plus d’informations sur la page de la maison de la culture du Japon à Paris.

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