Nippon Kaigi, le lobby politique le plus influent du Japon

Le Parti libéral-démocrate (PLD) est relativement bien connu à l’international mais qu’en est-il des groupes d’influences qui viennent impacter les politique et la société japonaise ? Retraçons les origines du discours nationaliste et révisionniste japonais qui ont structuré l’extrême droite japonaise pour ensuite voir les conséquences sur la politique intérieure et extérieure du pays.

Aux origines du nationalisme japonais

Détour historique

Les plus anciens récits japonais permettent de comprendre les origines mythologiques de la maison impériale et sa légitimité fondée sur la déesse du soleil Amaterasu. Les récits mythologiques du Kojiki ou du Nihon shoki racontent que le premier empereur humain Jinmu aurait fondé l’empire en 660 avant notre ère. A la période Yayoi (-400 à 250), des populations chinoise et coréenne s’installent au Japon et c’est à cette époque qu’apparaissent la riziculture et des objets en bronze et en fer dans l’archipel. L’État japonais se serait ensuite constitué durant la période Asuka, vers 710 avec l’élaboration des textes administratifs et moraux de l’histoire de la politique japonaise en s’inspirant de la Chine. Cette période voit également naître les premières luttes religieuses et politiques entre les partisans du shintô qui souhaitent rester fidèles aux kami ancestraux et les partisans du bouddhisme chinois venu de Corée.

Amaterasu sortant de la caverne, estampe par Kunisada
Estampe de Utagawa Kunisada représentant Amaterasu sortant de la caverne

L’époque Heian signifiant « paix » (794 – 1185) est un âge d’or pour la culture (littérature avec l’exemple du premier roman en japonais, Le Dit du Genji de Murasaki Shikibu) et l’art japonais (peinture Yamato-e notamment) sous le patronage de la cour impériale qui connaît alors son apogée. Progressivement, de grandes familles comme les Fujiwara gagnent en autorité à mesure qu’elles se bâtissent de grands domaines fonciers. A l’issue de la guerre de Genpei (1180-1185), guerre civile opposant les clans Minamoto et Taira, une dictature militaire est mise en place (shogunat ou bakufu en japonais). De l’époque de Kamakura (1185 – 1333) à l’époque d’Edo (1603 – 1868), il y a une organisation bicéphale du pouvoir au Japon : d’un côté la cour impériale, à l’ouest dans le Kinai et le gouvernement shogunal à l’est dans le Kantô (à Kamakura puis à Edo, future Tokyo). Sous la dynastie des shōgun Tokugawa, l’archipel connaît une période isolationniste de « fermeture du pays » (鎖国 sakoku) qui restreint les liens avec l’étranger et notamment l’Occident pendant près de deux siècles, à partir de 1650. C’est l’arrivée du Commodore Perry en 1853 qui met fin à cette période en forçant le shōgun à signer la convention de Kanagawa, un traité inégal pour le Japon qui viendra nourrir un fort sentiment national. [1]

Les origines historiques du nationalisme

Le gouvernement militaire affaibli est renversé au profit du retour de l’Empereur comme souverain du pays : c’est la restauration de Meiji. Lors de l’ère Meiji (1868 – 1912), des penseurs rappellent alors les origines divines de l’Empereur tout en se détachant de l’influence chinoise dans la culture du pays. Tout ce phénomène s’incarne derrière le concept de kokutai (国体), que l’on pourrait traduire par « essence nationale » et qui vient cimenter la nouvelle identité nationale du pays. Parallèlement, le shintô est séparé du bouddhisme pour devenir le shintô d’État (国家神道 Kokka shintô). Le nationalisme, initialement vu comme un outil émancipateur, s’érige peu à peu en rempart contre l’influence des autres nations. 

La fin du féodalisme du shogunat laisse place à un système centralisé et une militarisation ainsi qu’une modernisation accrue du Japon. Dans le but de contrer le colonialisme occidental, le Japon se lance dans l’impérialisme expansionniste qui conduit à la première guerre sino-japonaise en 1894, l’annexion de Taïwan en 1895, la guerre russo-japonaise en 1904 pour le contrôle de la Mandchourie et de la Corée. L’empire coréen devient une province sous contrôle nippon en 1910 lors de son annexion. [2]

L’impérialisme japonais et les guerres mondiales

La Première Guerre mondiale permet au Japon de renforcer son influence sur la scène mondiale. Puis, durant les années 1930, les lobbies militaires et industriels gagnent en puissance sous le règne de l’empereur Shōwa (Hirohito) et parallèlement le pays est marqué par une politique impérialiste et militariste importante. A cette époque, l’idéologie dominante est basée sur un concept de « race pure » qui permettrait de légitimer la domination japonaise sur les autres peuples d’Asie et les velléités colonialistes du Japon.[3] En envahissant la Mandchourie en 1931, le Japon lance son grand projet de « Sphère de coprospérité de la Grande Asie orientale », dans le but de contrer l’influence occidentale tout en créant son propre empire panasiatique. Les états occupés et colonisés se voient imposer une politique d’assimilation et d’acculturation au profit du système japonais [4], à travers la propagande mais aussi la violence.[5] Le massacre de Nankin (1937) est malheureusement un symbole du déchaînement de haine de l’armée impériale sur les populations civiles et militaires à cette époque.[6] Citons aussi le triste exemple des « femmes de réconfort », vaste système d’esclavage sexuel instauré par l’armée japonaise.

Nankin, la cité en flammes (Ethan Young)
Nankin, la cité en flammes (Ethan Young)

A la capitulation du Japon le 2 septembre 1945, le pays est une nation dévastée par les bombes atomiques. La population en plein désarroi se sent humiliée après cette défaite. L’armée impériale est alors dissoute sous l’occupation américaine jusqu’en 1952. Lors des procès de Tokyo, le Premier ministre, qui endosse la responsabilité de la guerre, est condamné à la peine capitale, comme plusieurs autres grands criminels de guerre de classe A. Dans ce Japon post-colonial, la population japonaise se sent à la fois coupable des crimes de guerre et victimes des bombardements et de la défaite.

Naissance de Nippon Kaigi et fonctionnement du groupe

Histoire de la création du Nippon Kaigi

Avant toute chose, faisons un court rappel du fonctionnement du système politique du Japon. L’Empereur a seulement un rôle symbolique et c’est le Cabinet (内閣 Naikaku), le Premier ministre et son gouvernement, qui détient le pouvoir exécutif.  Le Premier ministre est élu par la Diète (l’équivalent du Parlement en France), qui vote les lois, les budgets et ratifie les traités internationaux. N’hésitez pas à (re)lire notre article « [Société] À la découverte du système politique japonais ».

La création du PLD

A partir de 1946, la politique de croissance du Premier ministre Yoshida, issu du Parti Libéral (自由党  Jiyūtō), permet le redressement de l’économie japonaise et parvient in fine à la signature du traité de San Francisco en 1952 qui redonne l’indépendance au Japon et met fin à l’occupation américaine. Suite à cela, le Parti Libéral Démocrate (自民党 Jimintō) naît en 1955 de la fusion du Parti Libéral et du Parti Démocrate. Le parti de tendance libérale sur les questions économiques adopte une position conservatrice sur les questions sociales. Le PLD reste au pouvoir de 1955 à 1993, traversant divers scandales de corruption sur fond de problèmes économiques en raison de la spéculation. Il est alors intéressant de noter que bon nombre de ministres et membres de la Diète font partie de ce groupe. Certains émettent l’hypothèse que les difficultés économiques rencontrées par le Japon dans les années 90 ont fourni un terrain fertile pour que ressurgissent ces discours identitaires et le besoin de protection ressenti par une partie de la population.

Les organisations révisionnistes

En 1993, apparaît au sein du PLD une Commission pour le réexamen de l’histoire (自民党歴史検討委員会 Jimintō rekishi kentō iinkai) dont les déclarations permettent de mieux cerner la position du parti sur la guerre du Pacifique. En effet, pour celle-ci, les actions du Japon durant la Seconde Guerre mondiale avaient pour seules motivations la « libération de l’Asie » dans un processus « d’auto-défense ». Ainsi aucun crime de guerre n’aurait été commis. Voici la nouvelle perception historique qui doit être diffusée.[7] C’est d’ailleurs la version que l’on retrouve dans un manuel scolaire édité en 2001. Cela a grandement ravivé les controverses sur le révisionnisme japonais et a causé un important incident diplomatique avec la Chine et la Corée du Sud. 

On remarque alors un lien étroit depuis les années 1950 entre politique de droite conservatrice et discours nationaliste et révisionniste. Dans ce contexte, diverses organisations conservatrices ont émergé. Deux d’entre elles sont particulièrement notables :

– La « Conférence pour la protection du Japon » (日本を守る会 Nippon wo Mamoru Kai), créée en 1974, est liée aux groupes religieux (shintô, bouddhiste, …) et vise la restauration de la grandeur impériale. Elle est bien implantée dans les milieux étudiants et universitaires.

– Et le groupe que l’on peut traduire par « Conférence Nationale pour Défendre le Japon » (日本を守る国民会議 Nippon wo Mamoru Kokumin Kaigi), formé en 1981 où ses membres militent pour la réforme de la Constitution pacifiste et le retour de l’autorité de l’Empereur.

De la fusion de ces deux groupes, naît celui qui nous intéresse aujourd’hui, le Nippon Kaigi.

La création du Nippon Kaigi

Tout d’abord, faisons un point sur les différences entre négationnisme et révisionnisme. Selon l’historien Henri Rousso, le premier se caractérise par le rejet pur et simple de preuves, là où le révisionnisme cherche à minimiser certains faits historiques.[8] Le lobby Nippon Kaigi cherche plutôt à atténuer les faits, étant donné qu’ils ont été jugés par le tribunal de Tokyo et ont fait l’objet d’excuses officielles. Il semble donc impossible de nier qu’ils n’ont pas eu lieu. 

Le groupe compte aujourd’hui 38 000 membres et des organismes collectifs, notamment religieux. Des assemblées locales et branches préfectorales permettent au groupe de se structurer à travers l’ensemble du territoire japonais. Le Nippon Kaigi articule ses revendications autour : du plaidoyer pour une nouvelle constitution (principalement pour réformer l’article 9 qui stipule la renonciation du Japon à la guerre), un soutien aux Forces japonaises d’autodéfense (FJA) et le slogan « créer un pays fier », reflétant l’idéologie nationaliste du groupe.

Shinzo Abe
Shinzō ABE (Wikimedia Commons)

La politique est bien souvent une affaire de népotisme familial, mais c’est sûrement plus vrai que jamais au Japon, où le concept confucéen de piété filiale est important et le nombre de « politiciens héréditaires » très important. [9] Ainsi, il n’est pas étonnant, si l’on creuse un peu, de se rendre compte que les élus adoptant des positions critiques vis-à-vis de faits historiques, n’en sont souvent pas si éloignés… On peut citer le cas de Nobusuke KISHI, criminel de guerre reconnu, revenu dans la vie politique japonaise dans les années 1950. Il n’est autre que le grand-père de Shinzō ABE. Le frère cadet de Shinzō Abe, Nobuo KISHI, a été ministre de la Défense de 2020 à août 2022. 

« De même, l’ancien ministre des Affaires étrangères actuellement élu à la Diète, Hirofumi NAKASONE, membre du Nippon Kaigi, est le fils de l’ancien Premier ministre Yasuhiro NAKASONE, qui avait reconnu avoir organisé en 1978, lorsqu’il était lieutenant en Indonésie, une « maison de réconfort », lieu de prostitution forcée pour les « femmes de réconfort », au service des soldats et personnel de l’armée japonaise. »[10]

Au-delà de l’influence dans la sphère politique, les membres du Nippon Kaigi infusent dans la société japonaise à travers tous les domaines : religieux, chefs d’entreprises, universitaires. Tout cet entremêlement crée un large entre-soi à l’influence importante dans les sphères de pouvoirs.[11] Enfin comme nous l’avons vu précédemment, les deux branches à l’origine de la création du Nippon Kaigi explique les liens de ce groupe avec deux sphères en particulier : le PLD et la religion shintô. 

Lien avec le PLD et la religion shintô

Les liens entre le PLD et le Nippon Kaigi n’est plus à prouver au vu du nombre de personnalités politiques faisant partie des deux groupes. Dans les dernières décennies, on peut notamment citer, les deux Premiers ministres, Shinzō ABE et Yoshihide SUGA, ou Nobuo KISHI, ancien ministre de la Défense. Cette connivence s’avère inquiétante dans la mesure où le PLD a pratiquement toujours gouverné le pays depuis 1955. Cela offre donc une plateforme de diffusion importante pour les idées conservatrices et révisionnistes du Nippon Kaigi.  

Mais le Nippon Kaigi n’est pas le seul groupe d’influence derrière le PLD, on peut noter l’importance de la religion shintô, et surtout les étranges connexions qu’entretiennent ces trois groupes. Effectivement, malgré la fin du shintô d’État suite à la défaite lors de la Seconde Guerre mondiale, la religion continue d’occuper une place importante dans la société japonaise. D’une part, comme nous l’avons vu dans la première partie, l’Empereur japonais trouve la source de sa légitimité à travers les origines divines qui lui sont attribuées à travers le shintô. D’autres part, un des deux organes à l’origine de la formation du Nippon Kaigi était un groupe shintô, ainsi religion et politique semblent être entremêlées depuis un long moment.

Ce lien prend forme de manière contemporaine à travers des relations de clientélisme, où les associations cultuelles financent les campagnes de politiciens en attendant en retour un soutien, idéologique ou financier sous la forme de subventions par exemple. Thierry Guthmann a notamment analysé les liens entre le PLD et la Ligue Politico-shintoïste [12], expliquant l’origine de plusieurs controverses, notamment celles autour du sanctuaire Yasukuni

Sanctuaire Yasukuni
Sanctuaire Yasukuni (Wikimedia Commons)

La fonction de ce sanctuaire est de commémorer ceux qui se sont battus pour le Japon, autant dans des conflits majeurs, comme la Première Guerre mondiale, que dans les « incidents » (formulation japonaise) de Chine et Mandchourie. Ainsi, repose ici la controverse majeure qui nous intéresse : le sanctuaire abrite autant des héros du Japon que des criminels de guerre condamnés par le tribunal de Tokyo. « Parmi les personnalités inhumées controversées, on peut citer Seishirō ITAGAKI, général lors de l’invasion de la Mandchourie en 1931, Hideki TŌJŌ qui endossa la responsabilité japonaise au Procès de Tokyo mais qui fût également le général en poste en Chine lors du massacre de Nankin, et de nombreux autres militaires accusés de crimes de guerre. » [13]

Les visites par ses prédécesseurs, Yasuhiro NAKASONE en 1985, et Jun’ichirō KOIZUMI en 2001, ayant tendu les relations politiques avec la Chine et la Corée du Sud, ont conduit Shinzō ABE à se montrer plus prudent dans ses visites au temple. Du moins durant son mandat, sa dernière visite remontait à 2013, et il y est retourné dès 2020, puis de nouveau en 2021. Les controverses autour de ces visites ministérielles restent vives.  Les hauts fonctionnaires déclarent les faire à titre privé, mais signent parfois le registre de leurs titres ministériels. Une ambiguïté politique qui nourrit de nombreuses polémiques. 

Le révisionnisme du Nippon Kaigi et le cas des « femmes de réconfort »

On estime entre 80 000 et 200 000 les filles et femmes, principalement chinoises et sud-coréennes qui ont alimenté ce vaste réseau de prostitution forcée pour l’armée impériale jusqu’à la fin de l’empire colonial japonais.[14] Il a fallu attendre 1993 pour que le secrétaire en chef du cabinet japonais, Yōhei KŌNO, déclare la responsabilité du pays dans cette affaire et présente officiellement des excuses aux victimes au nom du gouvernement. Même si à l’inverse, d’autres membres du Nippon Kaigi sont allés jusqu’à nier la responsabilité du gouvernement japonais dans cette affaire. Cela a été notamment le cas de Shinzō ABE en 2007 alors qu’il occupait le poste de Premier ministre. Depuis, le gouvernement japonais n’a jamais réfuté officiellement cette déclaration, la rendant toujours valable actuellement…

Sur la scène internationale, le Japon a été plusieurs fois sommé par l’ONU de reconnaître sa responsabilité légale. Quant aux relations nippo-coréennes, elles restent très tendues encore aujourd’hui car le Japon ne semble pas vouloir accéder entièrement aux requêtes de réparation de son voisin. Des victimes ont déjà été indemnisées grâce à un fonds privé mais beaucoup n’avaient pas accepté, préférant attendre une compensation officielle du gouvernement ainsi que la reconnaissance de leur statut de victimes par le Japon.

Ce sujet encore à vif cristallise à la fois des enjeux pacifistes et féministes asiatiques internationaux. Il constitue ainsi un symbole de l’évolution sociétale et pose la question de la pérennité des discours nationaliste et révisionniste du Nippon Kaigi.

Influence du Nippon Kaigi sur la société japonaise

De nos jours, le hard power militaire japonais d’antan a laissé place à un soft power puissant basé sur ses productions culturelles et artistiques populaires, un attrait touristique, ainsi que la singularité de ses traditions.

Influence interne

On se rappelle le documentaire France 24 qui, en 2017 mettait en lumière une école maternelle nationaliste (森友学園 Moritomo Gakuen) ayant pour but d’éduquer les élèves selon les préceptes nationalistes et militaristes du Nippon Kaigi. Et tout cela avec des manuels révisionnistes, soutenus par le régime bien entendu. On y apprend par exemple que « le massacre de Nankin est une invention du régime communiste chinois pour discréditer le Japon et leur permettre de manipuler l’opinion publique ». Le plus intéressant dans cette affaire, ce sont les liens qui s’y dessinent avec le gouvernement et le couple ABE. Le terrain où a été construite l’école aurait été vendu une bouchée de pain par l’Etat, grâce à des falsifications de documents. De son côté, Akie ABE avait été nommée directrice honoraire de l’école et soupçonnée de malversations. [15]

École primaire inachevée sur le site de Toyonaka de Moritomo Gakuen (mars 2017) (Wikimedia Commons)

Cependant, il serait réducteur de croire que la société japonaise constitue un monolithe homogène. L’influence du PLD n’est pas totale et subit parfois de grandes résistances de la part de la population japonaise. Les Japonais ont fortement manifesté leur opposition à l’intervention en Irak en 2003. Lors du vote pour l’adoption des lois de défense en 2015, des membres de la Diète se sont même battus, quand dehors, les manifestations contre cette modification ont rassemblé des milliers de personnes. [16]

Le pacifisme constitue une valeur fondamentale pour la société japonaise. L’antimilitarisme s’articule notamment autour d’une critique du nucléaire et des bombardements d’Hiroshima et de Nagasaki. Un peu en baisse depuis le début du siècle, on a vu ces sujets ressurgir en 2011 avec l’incident de Fukushima. 

En ce qui concerne l’écologie, du fait de son ancrage shintô et sa volonté de préserver la « Terre mère patrie », le Nippon Kaigi pourrait sembler s’inscrire dans une soutenabilité forte du développement durable et une écologie intégrale. Toutefois, on se rend rapidement compte que cette position a pour seul but de servir son agenda réactionnaire et ne remet aucunement en question le consumérisme, l’économie capitaliste et l’industrialisation.

Parmi les combats marquants du 21e siècle on peut relever celui pour l’égalité des genres et le féminisme. En effet, le Nippon Kaigi et le PLD, composés en grande majorité de vieux hommes riches et puissants, basant leurs valeurs sur le traditionalisme et une cellule familiale forte et immuable, ne voient pas d’un bon œil tous ces changements sociétaux. Ainsi, le mariage entre couple du même sexe est toujours interdit et le Japon se classe 116e sur 156 selon le rapport mondial pour l’égalité des sexes. Les positions sexistes et patriarcales de ces groupes ont encore une influence majeure sur la société. On peut imaginer le paradoxe auquel pourraient très bientôt être confrontés les impérialistes en ce qui concerne la succession de la maison impériale. Si le prince Hisahito n’obtient pas de fils, les conservateurs seront coincés entre laisser gouverner une femme ou bien laisser s’éteindre la dynastie impériale, ciment de la société traditionnelle. 

Du côté de la population, ABE, durant sa politique de relance des « Abenomics », avait mis l’accent sur la revalorisation du travail des femmes à travers les « Womenomics ». Toutefois, il ne faut pas s’y tromper, comme l’a analysé Helen Macnaughtan, ces mesures avaient moins à cœur de remettre en question le modèle social japonais, qu’à pallier aux difficultés économiques. [17]

Et même si des mesures sont prises par le gouvernement pour étendre le droit à la parentalité par exemple, la réalité fait que très peu de pères utilisent ce droit car les normes sociales n’ont, elles, pas encore évoluées. 

De l’autre côté du spectre, certains membres du Nippon Kaigi sont carrément ouvertement opposés à l’égalité des sexes en se montrant très actifs dans la lutte contre le droit à l’avortement et opposés aux projets de lois pour que les femmes puissent garder leur nom de naissance après le mariage. 

Enfin, les positions anti-migratoires du groupe freinent un quelconque espoir de pallier au vieillissement de la population. Plusieurs membres du Nippon Kaigi se sont alors opposés à des projets de lois visant à octroyer le droit de vote aux étrangers lors d’élections locales.

Influence sur la politique étrangère

Au-delà de la question des « femmes de réconfort », le passé colonial du Japon a conduit à l’émergence de nombreux conflits territoriaux avec ses voisins asiatiques. Les principaux conflits tournent autour des îles Takeshima avec la Corée et des îles Sakhaline avec la Russie. Mais le plus emblématique est celui autour des îles Senkaku tant il cristallise les tensions entre Taïwan, la République Populaire de Chine et le Japon, en même temps. Annexées par le Japon en 1895, elles sont inoccupées depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, mais revendiquées par plusieurs nations du fait de la présence d’hydrocarbures, qui en fait un intérêt économique évident. Du côté du Japon, le Nippon Kaigi revendique l’appartenance de ces îles comme territoire japonais, invoquant le droit international. 

Ces rivalités régionales en Asie de l’Est poussent parfois les États-Unis à se poser en arbitre des conflits. L’oncle Sam souhaite à la fois renforcer ses liens avec le Japon et la Corée du Sud, face à une Chine qui gagne en puissance et une Corée du Nord menaçante. Mais du côté japonais, les souvenirs traumatisants de la guerre et la présence de bases militaires à Okinawa conduisent à redouter cette ingérence américaine. 

Une organisation vieillissante

Le Nippon Kaigi n’est bien sûr pas l’unique groupe représentant les idées conservatrices au Japon. La majorité des autre formations sont regroupées sous le terme de « aile droite » (右翼 Uyoku) et caractérisent les groupes d’extrême-droite nationaliste. On pourrait citer un groupe en particulier appelé Netto-uyoku (ネット右翼) ou « droite du Net ». Ses membres sont particulièrement actifs sur les sites et les forums et leurs commentaires tournent autour de critiques envers la Corée, la Chine et la contestation des procès de Tokyo. Pour Furuya TSUNEHIRA, la montée de ces discours haineux en ligne provient en grande partie des lacunes du système éducatif qui passe trop peu de temps sur l’histoire de la Seconde Guerre mondiale.[18] L’hyper-connexion de Netto-uyoku exacerbe d’autant plus l’obsolescence numérique du Nippon Kaigi en comparaison. Cette dernière apparaît alors comme une organisation ancienne qui peine à se moderniser, dont la majorité des membres sont âgés et les plus jeunes ont la quarantaine. A cela s’ajoute un manque d’utilisation des outils numériques et des réseaux sociaux qui limite la propagation de leurs idées. Ainsi, l’influence du Nippon Kaigi reste évidemment toujours forte dans les sphères traditionnelles mais est à relativiser au niveau global.

Une manifestation de Zaitokukai contre les Coréens au Japon a eu lieu à Tokyo. Un homme porte une pancarte sur laquelle il est écrit « Foutez-les dehors » (Wikimedia Commons)

La première partie historique de cet article nous a permis de comprendre les racines du discours identitaire japonais ainsi que l’hostilité d’une part de la population vis-à-vis d’une présence américaine dont le Nippon Kaigi se sert pour légitimer ses positions militaristes. Le passé colonial japonais explique aujourd’hui les relations tendues du Japon avec ses voisins sud-coréen et chinois. Par la suite, l’analyse de la structure du Nippon Kaigi et son imbrication dans les réseaux de pouvoirs a été éclairante pour comprendre son influence sur la société japonaise. Pour enfin analyser les limites de ce groupe en tant qu’organisation vieillissante qui peine à conquérir les canaux de communication de son époque, se faisant parfois supplanter par des néo-groupes d’extrême droite plus en phase avec leur temps. Sans oublier toutefois que le Nippon Kaigi reste l’organisation conservatrice la plus influente du Japon, insérée dans une dynamique de réseau très importante, et au plus proche des instances de pouvoir.


Bibliographie

[1] Hisaki KENMOCHI – entretien pour Etienne AUGRIS, « La révolution Meiji est la matrice de l’Etat-nation », Revue L’Elephant N°13, Janvier 2016.
[2] Pauline ROBERT, Nippon Kaigi & la structuration des discours nationalistes au Japon et leur résonance sociétale, mémoire de fin d’études, 2021.
[3] Arnaud NANTA, « Reconstruire une identité nationale », Cipango, Octobre 2012 [en ligne]  
[4] Leo T. S. CHING, « Becoming « Japanese »: Colonial Taiwan and the Politics of Identity Formation », University of California Press (e-book), 2001.  
[5] Franck MICHELIN, « La Sphère de coprospérité de la Grande Asie orientale : réflexion sur un régionalisme asiatique », Relations internationales, vol. 168, n°4, 2016.  
[6] Rana MITTER, « Le massacre de Nankin. Mémoire et oubli en Chine et au Japon », Vingtième Siècle. Revue d’histoire, 2007/2 (n°94), p. 11-23  
[7] Arnaud NANTA, « L’actualité du révisionnisme historique au Japon » In: Ebisu, n° 26, 2001. pp. 127-153. [En ligne]
[8] Henri ROUSSO, Le syndrome de Vichy, éditions du Seuil, 1987, 2e édition 1990.  
[9] Antoine DE LA MAZELIERE, « L’évolution de la famille japonaise ». In: Bulletins et Mémoires de la Société d’anthropologie de Paris, V° Série. Tome 5, 1904  
[10] Christine LEVY, « Femmes de réconfort de l’armée impériale japonaise : enjeux politiques et genre de la mémoire », Réseau de Recherche Violence de Masse & Résistance, en ligne sur Sciencespo.fr, 2012  
[11] Sylvie TISSOT, « Entre soi et les autres », Actes de la recherche en sciences sociales, vol. 204, n°4, 2014  
[12] Thierry GUTHMANN, Shintō et politique dans le Japon contemporain, Paris, L’Harmattan, 2010.
[13] Pauline ROBERT, Nippon Kaigi & la structuration des discours nationalistes au Japon et leur résonance sociétale, mémoire de fin d’études, 2021.
[14]  Anaïs KIEN, « « Femmes de réconfort » : du discours hygiéniste de l’esclavage sexuel à la condamnation du gouvernement japonais », émission « Le Journal de l’Histoire » sur France Culture, 2021 [en ligne]  
[15]  Akira MINAMI, “Abe team gave false responses about Moritomo on 139 occasions”, The Asahi Shimbun, Novembre 2020  
[16] « Japon: la cote du gouvernement au plus bas après le vote des lois de défense », Agence France Presse, 2015
[17]  Helen MACNAUGHTAN, “Womenomics for Japan: is the Abe policy for gendered employment viable in an era of precarity?”, The Asia-Pacific Journal, Vol. 13, Issue 12, N°1, 2015 [en ligne]
[18] Furuya TSUNEHIRA, « Le vrai visage de l’extrême droite sur Internet », Nippon.com, 2016 [en ligne] – extraits de « La contre-offensive de l’extrême droite sur Internet » (Sōwasha, 2013)

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