Rendez-vous à Tokyo de Daigo Matsui : Drive my cab

Réalisateur, scénariste pour la télé et surtout dirigeant de la troupe de théâtre 5-jigen, Daigo MATSUI, 37 ans et quelques sélections en festivals à son actif – Berlin et Rotterdam notamment – est encore inconnu dans l’hexagone malgré bientôt 10 ans de carrière. Une injustice qui devrait toucher à sa fin ce 26 juillet, avec la sortie en salles de son premier film distribué en France : Rendez-vous à Tokyo.

Un juillet sans fin

Sept jours ou sept ans. C’est, selon la perspective, le temps que dure l’intrigue de Rendez-vous à Tokyo. Sept jours. Ou un. Car, c’est la subtilité, le premier film de Daigo MATSUI diffusé en France est construit selon une logique épisodique, et, s’il s’intéresse à un couple, Teruo et , respectivement un danseur et une chauffeuse de taxi, il ne raconte leur vie que le temps d’une journée. Le 26 juillet, date d’anniversaire du premier. Sous le patronage de Jim JARMUSCH qu’il cite ouvertement et de Richard LINKLATER auquel il emprunte un rapport au temps étiré, le film joue donc la carte d’une narration éclatée, ne saisissant, des sept années de relation de ses personnages, qu’une seule journée qui en marque l’évolution autant qu’elle permet d’en saisir l’intensité.

N’allons cependant, pas trop vite. L’histoire de Rendez-vous à Tokyo, nous l’avons dit, est celle de Yô et Teruo. La première est une chauffeuse de taxi qui sillonne la capitale japonaise principalement la nuit. Le second est un danseur, qui travaille aussi comme éclairagiste, et tous les deux, dans les premières minutes du film, sont absorbés par leurs métiers respectifs et ne se croisent que brièvement à la fin de la séquence liminaire. Il faut dire que, Retour à Tokyo, en plus de se dérouler sur sept 26 juillet répartis sur sept ans, ne suit pas une chronologie linéaire. Son temps est fracturé, et il n’est pas tant le conte d’une romance que le puzzle d’une relation. Chaque 26 juillet est un fragment qu’il convient de replacer dans un tout plus grand – celui du lien entre Yô et Teruo – et qui, une fois positionné, éclaire les pièces dans lesquelles il s’emboite autant que l’ensemble auquel elles appartiennent. 

©2022 JUST REMEMBERING FILM PARTNERS

Un ensemble qui est une affaire de relations, mais pas que. Car au cœur du film, autant que Yô et Teruo, il y a la ville où ils vivent, se croisent et s’aiment. Tokyo. Une capitale vibrante de jour comme de nuit, à laquelle Rendez-vous à Tokyo, rend un hommage constant. Ses premières minutes, qui la montrent de nuit, depuis l’abri d’une voiture en route ne laissent ainsi aucun doute. Il y a, aussi convenue que soit l’expression, trois personnages dans le film. Yô, Teruo, et Tokyo. Ainsi, si Matsui porte une attention toute particulière au soundscape urbain et se paye le luxe d’un design sonore de qualité qui, a lui seul, réussit à rendre compte de la moiteur des nuits de pluie tokyoïte ou de la chaleur de ses étés, il fait de la ville largement plus qu’un cadre. Pour s’en convaincre, il suffit de s’intéresser à une scène montrant un Teruo abattu, assis sur un banc. Partout où se porte son regard, la capitale donne à voir, à travers les vieillards, les couples, les parents et enfants et même les sans-abris qui la peuplent, ce qu’il lui manque, ou ce qu’il croit avoir perdu. Tokyo, sous la caméra, est vivante, humaine. Elle est une ressource à money-shot dont le réalisateur ne se prive pas, qu’il filme un feu d’artifice sur ses toits ou une discussion dans ses ruelles étroites. Mais derrière son esthétisme évident, elle semble aussi habitée par une énergie, des histoires et personnages, qui, presque toujours, font écho au couple principal et à son histoire.

Cityscape amoureux

En outre, si Tokyo joue un rôle aussi important dans le film, c’est parce que Matsui y décline une série de lieux : théâtres et scènes de concerts relativement underground, petit izakaya bruyant, bars cosys, aquariums déserts, jardins de quartiers et, bien sûr, appartements étroits qui appartiennent à un imaginaire urbain et qui servent d’écrins à la relation entre les deux protagonistes du film. C’est dans ces lieux symboliques de la ville qu’est Tokyo que se joue leur relation. Une évidence, qui donne malgré tout au film tout son charme. En effet, de par sa nature elliptique, Rendez-vous à Tokyo, est un film qui ne peut – et ne veut – que saisir des fragments. Des petits instants qu’il juxtapose pour créer une ambiance, pour générer de l’émotion, et, au final, raconter l’histoire de ses personnages. En inscrivant ces instants dans des lieux précis, il en amplifie la justesse et le réalisme, mais, surtout, il leur confère une forme d’universalité. Et, derrière Teruo et Yô, il y a tous les couples tokyoïtes ou non, qui se croisent dans des cafés, dorment dans des lits trop étroits, prennent le taxi la nuit ou font ensemble, quotidiennement, un même trajet.

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En outre, et c’est là encore dû à sa structure, Rendez-vous à Tokyo est un film de répétitions – sans pour autant être un film répétitif. C’est une histoire de routines doucement altérées par le temps, à l’image du réveil de Teruo qui, à chaque fois, ouvre une nouvelle séquence et dont l’évolution du déroulé épouse celle du personnage. Les petits gestes qu’il fait ou non sont autant d’indices sur son état d’esprit cette année-là. Des variations desquelles nait l’émotion du film, chargeant rétrospectivement des petits gestes à priori anodins d’un poids émotionnel fort. Un processus qui vaut donc aussi pour les lieux. Ils changent d’une année sur l’autre. Ils ne sont habités ni de la même façon ni avec les mêmes personnes. Un drame autant qu’une chance : pour chaque moment perdu dans le fil du temps, un autre est gagné. Les habitudes évoluent, se remplacent et changent.

C’est certainement la plus belle idée de Rendez-vous à Tokyo. Une idée qui marche en grande partie grâce à un dispositif de réalisation aussi simple qu’efficace. Matsui, en effet, y fait largement usage du montage alterné, des séquences dans la vie de Yô répondant à d’autres, aux mêmes moments, dans celle de Teruo. Cette alternance, rendue plus sensible encore par le design sonore du film qui multiplie les ruptures d’une séquence à l’autre contribue à souligner les variations dans les vies des personnages, et le manque ou le désir qu’elles produisent. Parce qu’un geste effectué seul ou en compagnie de l’être aimé n’a pas le même poids, la juxtaposition de leurs vies et du vide qu’ils y ont laissé ou non est une idée aussi simple qu’efficace, qui rend certaines scènes du film particulièrement touchantes.

Légèreté de l’être (aimé)

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Et c’est au fond, ce qu’il faut en retenir. Film dont les noms mêmes des deux personnages sont liés à la lumière et l’obscurité, Rendez-vous à Tokyo est un objet ambivalent, riche d’une mélancolie et d’une joie qui s’y mêlent assez bien. Une alchimie en grande partie due à son duo d’acteur, Sôsuke IKEMATSU et Sairi ITÔ, qui insufflent quelque chose de particulièrement organique à leurs personnages et leur relation. Certainement parce que, construction narrative singulière oblige, le film fait le chemin de l’amertume vers la légèreté, ils donnent l’impression que le jeu, au sens d’espièglerie, est au cœur du couple que forment leurs personnages à l’écran. Un couple qui, dès lors, semble touché par une grâce permanente – qui frôlerait même parfois avec la mièvrerie quand les moments qu’ils partagent approchent le cliché – enracinée dans un bonheur total, transgressif et presque régressif. Honnêtes, joueurs, doux, spontanés, ils sont, au fond, tout ce que le film en lui-même est. Et s’ils semblent parfois habités par une mélancolie écrasante malgré le bonheur qu’ils affichent dans d’autres séquences, c’est parce que Rendez-vous à Tokyo est fait du même bois qu’eux : un bois que rongent à vitesse égale les flammes du plaisir et celle de l’amertume.

Il y a, au cœur du film, le thème principal de la communication, et derrière elle encore, celui de la compréhension. Que ce soit à travers la danse, des futilités comme l’usage ou non des sous-titres au cinéma, les conversations entre Yô et ses clients ou même l’évolution de la carrière de Teruo, c’est cette idée qui semble habiter tout Rendez-vous à Tokyo. À ce titre, autour du couple principal gravitent une série de personnages attachants – on pense en particulier à un patron de bar et ses quelques habitués – qui permettent au film d’éviter le nombrilisme amoureux. Un couple, une ville, ceux qui la peuplent, et le temps qui y passe. Ce sont ces éléments qui font du film de Matsui l’œuvre qu’il est : une tranche de vie d’autant plus vibrante et touchante qu’elle est fragmentée. Une peinture qui marque par ce qu’elle montre, et, plus encore, par tout ce qu’elle suggère mais laisse en hors champ.

Il y a un mot pour définir Rendez-vous à Tokyo. Joli. Basé sur une jolie idée, elle-même servie par une jolie mise en scène et une belle fin, le film est, fondamentalement, une œuvre douce. Un joli regard sur un Tokyo et une jolie variation sur le désir, son surgissement et sa fin. Un joli film donc, à découvrir autant pour sa tendresse omniprésente, que pour le tableau qu’elle peint de la vie urbaine contemporaine, à Tokyo ou ailleurs.

2 réponses

  1. Kitano dit :

    J’ai eu du mal à suivre, car vu que l’on ne sait pas en quelle année nous sommes lors de chacun des 26 Juillet, j’ai parfois eu du mal à comprendre si le moment conté est avant/pendant/après la rupture.
    La journée consacrée à leur rencontre est bien trop courte, hop, juste une discussion après un spectacle, puis ils rentrent ensemble et dansent dans la rue?
    Pareil, pour la jeune danseuse qui cours après notre héros, j’ai eu du mal à comprendre si c’était pendant, voire après sa rupture avec l’héroïne.

    J’ai bien aimé en tout cas le point d’ancrage représenté par le musicien (seul dans la rue pour leur rencontre), puis on le revoit jouant avec son groupe plus tard, puis au final avec les problèmes de la covid et l’annulation du concert. On le voit évolué dans son look et ses chansons.

    Au final, elle l’aime encore mais finit sa vie avec le gars rencontré à l’arrache lors d’une pause clope. Un choix par défaut?
    Lui pareil, il aurait pu lui courir après, mais trop fier de lui, préfère la laisser partir.

  2. Boletha dit :

    Je cherche les morceaux de musique que l’on entend dans le film (en dehors de Osaka CreepHyp Night on Earth) lors du concert rock, quand ils dansent dans la rue, etc. Est-ce que quelqu’un saurait où les trouver?

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