Découpes du Chanbara : dissection d’un genre

Genre incontournable du cinéma japonais, le chanbara se confond presque avec l’histoire centenaire du cinéma sur l’archipel. Aussi, n’est-il pas étonnant qu’un sujet aussi vaste ait suscité l’intérêt de la recherche universitaire cinématographique. C’est ainsi que les Presses Universitaires de Strasbourg éditent l’ouvrage Découpes du Chanbara : une érudite et passionnante plongée dans les figures mythiques du genre et leurs évolutions.

Tetsuro TAMBA et Tatsuya NAKADAI dans Hara-Kiri, de Masaki KOBAYASHI ©Shochiku

Les Aventuriers de l’Incunable Perdu

Le cinéphage avide d’étancher sa soif de connaissance vit généralement dans une quête perpétuelle d’ouvrages de qualité, à même de satisfaire ses hautes exigences en la matière. Fût-ce une monographie d’un réalisateur plus ou moins obscur, une étude d’un genre des plus confidentiels, un recueil d’entretiens, une historiographie du cinéma de telle ou telle région… Dans sa recherche perpétuelle de la perle rare, il écume les librairies spécialisées, les étals des bouquinistes et les bibliothèques, tel un archéologue de cinéma, inlassable.

Si le cinéma du Japon bénéficie plutôt d’une belle diffusion dans nos contrées, que ce soit en salles ou en vidéo (loués soient les éditeurs et les distributeurs passionnés qui accomplissent, ces dernières années, un travail de diffusion et de préservation précieux…), mais les ouvrages autre que généraux en français sont finalement loin d’être légion et l’on est parfois contraint de s’orienter vers les publications en langue anglaise pour en apprendre plus sur des sujets plus pointus ou inédits.

Aussi, quand paraît par bonheur un livre s’attaquant à un thème inédit en français, il nous semble important de l’évoquer (comme ce fut le cas l’année dernière avec le livre de Claude LEBLANC sur Yoji YAMADA). Et quand on apprend la parution d’un ouvrage universitaire consacré au Chanbara, on sait que l’ascension de la montagne sera ardue, mais que la vue en son sommet devrait valoir le coup ! Une excitation renforcée par la présence au sommaire de quelques noms qui ne nous sont pas inconnus et dont on a déjà pu apprécier le précieux travail (dont Robin GATTO, auteur d’une formidable monographie en deux volumes sur Hideo GOSHA).

Un art consommé de la découpe

Édité par les presses universitaires de Strasbourg, l’ouvrage Découpes du Chanbara, sous-titré « Motifs, mythes et modernités du film de sabre japonais », se propose, à travers une série de chapitres construits comme autant d’articles thématiques, d’interroger le genre cinématographique que constitue le Chanbara, ses origines, son histoire, les figures classiques qui l’ont construites, comme ses mutations plus tardives.

Il ne s’agit donc pas là de faire une présentation encyclopédique ou chronologique du genre par le menu, mais de l’éclairer par différents angles très précis qui, additionnés, permettront d’en saisir la complexité, plus que les simples contours.

La lecture du livre est exigeante et il ne s’agit pas là d’un ouvrage de vulgarisation. Mais le soin apporté à la langue en fait généralement un régal. Chaque chapitre ayant un ou des auteurs différents, on peut percevoir des différences de style et d’approche, mais toujours dans un soin de cohérence avec l’ensemble de l’entreprise. Évidemment, cela implique aussi que le lecteur trouvera plus d’intérêt à l’approche ou à la thématique de l’un ou l’autre, suivant ses films ou réalisateurs de prédilection par exemple, mais tous réservent leur lot de surprises promptes à initier la réflexion du cinéphile curieux.

Si les auteurs ne manquent pas d’effectuer quelques recontextualisations nécessaires (et les notes de bas de page sont légions, comme dans tout article universitaire), il est attendu que le lecteur connaisse un peu les grandes lignes du sujet, ou saura se documenter pour combler ses lacunes. Mais c’est aussi là l’un des intérêts de l’ouvrage : faire prendre conscience à son lecteur de l’étendu et de la complexité du sujet et susciter chez lui la curiosité d’en découvrir plus, et de se plonger dans les films qu’il n’aurait pas vu.

Les figures du Chanbara au microscope

Nombre d’articles sont transversaux (comme celui sur l’évolution du son ou celui sur la présence des armes à feu dans le chanbara) et permettent de mettre en avant plusieurs films ou réalisateurs emblématiques et donc, une certaine évolution stylistique du genre dans le temps.

Cette mise en exergue se fait en examinant une figure mythique du film de sabre, telle que Tange Sazen, Miyamoto Musashi ou Zatoichi, ou via un acteur comme Tetsuya NAKADAI, dont on va analyser le jeu à travers l’utilisation de son regard dans différents films ! Évidemment, ces figures se recoupent et l’une présente au cœur d’un article, sera à nouveau citée brièvement comme exemple dans un autre.

Le regard de Tatsuya NAKADAI analysé, notamment dans Hara-Kiri, de Masaki KOBAYASHI, lui aussi présent à plus d’un titre ©Shochiku

Les réalisateurs aussi se trouvent au centre, mais toujours sous un angle original qui évite celui de la notice biographique ou de la monographie : ainsi, Kenji MISUMI – évidemment cité dans de nombreux chapitres, dont celui sur la série des Zatoichi ou sur la mise en scène des duels dans les Baby Cart occupe la place central du chapitre consacré à sa représentation du Shinsengumi dans 2 films séparés de 10 ans au sein de sa filmographie…

L’ouvrage remonte aux origines du Chanbara à travers un réalisateur de l’avant guerre comme Daisuke ITO (l’occasion de parler du contexte économique et politique de l’époque et de ses conséquences sur les réalisateurs et l’industrie cinématographique), mais aussi via les origines du terme même – une onomatopée désignant le bruit du sabre – et aborde ainsi l’évolution du design sonore des films, de Akira KUROSAWA à Takeshi KITANO en passant par Kenji MISUMI et Hideo GOSHA.

Des ponts sont dressés entre le passé et le présent, par exemple en comparant le Hara-kiri de Masaki KOBAYASHI à son remake par Takashi MIIKE.

Un autre article sur les Tateshi (chorégraphes) nous permet de découvrir un aspect fort méconnu du film de sabre japonais, là où les chorégraphes du cinéma Hong-Kongais ont, eux, été maintes fois célébrés. Une main est d’ailleurs tendue avec le cinéma HK, notamment à travers Tange Sazen et la figure du sabreur manchot que le personnage aurait contribué à inspirer dans le cinéma HK, et qui reviendra d’ailleurs croiser celle du masseur aveugle Zatoichi dans un des films de la célèbre série mettant en scène Shintaro KATSU

Des pistes sont même ouverte vers d’autres médias à travers un chapitre consacré à la transposition du chanbara dans le jeu vidéo.

Toshiro MIFUNE est plusieurs fois cité dans l’ouvrage, ici dans la trilogie MUSASHI de Hiroshi INAGAKI, personnage et films faisant aussi l’objet d’analyse. DUEL A ICHIJOJI ©1955, TOHO CO., LTD.

Tisser une toile semblable au tableau d’un enquêteur

On le sent bien au court de ce très bref et élusif résumé, des fils se tissent d’un chapitre à l’autre. Les articles se répondent et permettent au lecteur attentif de tisser sa propre toile de compréhension du Chanbara qui se densifie au fur et à mesure, éclairant ses évolutions, ses pratiques, ses acteurs et réalisateurs, et reliant l’ensemble avec la société japonaise et son histoire, tant contemporaine de la réalisation des films que des époques qu’ils mettent en scène.

L’ouvrage dans son ensemble finit ainsi par constituer naturellement une trame élaborée, dessinant les contours et les subtilités de ce genre complexe dont l’histoire se confond avec celle d’un cinéma centenaire, qui a lui-même reflété les évolutions de son pays tout en portant un regard critique sur son passé, du glissement des perceptions de la restauration de Meiji et du Bakumatsu, à la période de la monté du militarisme…

Découpes du Chanbara constitue donc autant une étude approfondie qu’une fenêtre ouverte pour donner envie au lecteur-spectateur d’en découvrir plus.

Découpes du Chanbara – Motifs, mythes et modernités du film de sabre japonais est édité par les presses universitaires de Strasbourg. L’ouvrage a été réalisé sous la direction de Morgan BREHINIER, Simon DANIELLOU et Yannick KERNEC’H.

1 réponse

  1. Yannick Kernec'h dit :

    Merci pour cette très sympathique recension. Salutations!

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