Shiki, 4 saisons au Japon : le roman graphique doux-amer de Rosalie Stroesser

En cette rentrée, Journal du Japon vous propose de découvrir un roman… graphique, le récit en noir et blanc d’un an de séjour au Japon entre campagne et ville, entre douceur et amertume. Le Japon que Rosalie a vécu, entre ombre et lumière.

Le Japon au fil des saisons et des rencontres…

Shiki de Rosalie Stroesser, éditions Virages graphiques : couvertureOctobre 2016, Rosalie, jeune artiste passionnée par les vieux mangas des années 70, rentre d’une année passée au Japon. Elle y a vécu quatre saisons, beaucoup de rencontres et d’aventures plus ou moins heureuses, découvert les côtés merveilleux de ce pays et de sa culture, mais aussi les faces sombres, en particulier en tant que femme dans une société très patriarcale.

« Comment raconter en quelques phrases cette année si dense ? Comment expliquer cette relation particulière, toute en contradictions, que j’ai développée avec le Japon ? Ce mélange incohérent d’attirance et de rejet ? »

En prenant ses feutres et en livrant un récit passionnant sur plus de 300 pages !

Après nous avoir raconté l’histoire de la naissance du Japon, Rosalie nous emmène dans la campagne japonaise, dans une auberge dans laquelle elle vit et travaille avec quatre autres jeunes filles, sous le regard attentionné mais un peu étrange du propriétaire. L’occasion pour le lecteur de découvrir le quotidien entre cuisine, courses, cueillette, promenade au milieu des rizières, des plaqueminiers et susuki de l’automne. Il y a les délicieux mochi, les soirées temaki, les promenades sous la pluie, les photos en kimono… mais tout est loin d’être rose et c’est précipitamment qu’elle quitte ce lieu qui aurait pu paraître idyllique.

Direction Tokyo pour l’hiver, changement de décor, de rythme, petite colocation avec la gentille Nao qui cuisine très bien l’oden, plat typique de l’hiver japonais et a un merveilleux kotatsu, le meuble indispensable dans les maisons japonaises mal isolées. Rosalie travaille dans un bar où les clients sont gentils, mais ont parfois des gestes déplacés. Prendre sur soi et profiter de son temps libre pour aller se promener, aller se détendre à Odaiba avec son ami Yusukue.

Arrive le printemps et quelques jours à Kyoto. S’émerveiller sous les torii, dans le château Nijo, au musée du manga et sous un sakura !

Puis dix mois après son retour en France, un voyage au Japon l’été pour retrouver ses amis et faire le point sur ses sentiments vis à vis de ce pays décidément bien compliqué à cerner. Il y a la beauté du Mont Fuji, l’ambiance merveilleuse des matsuri, mais aussi la difficile place de la femme dans cette société où les hommes dominent, humilient, maltraitent celles à qui on demande beaucoup et on donne peu.

Un livre qui nous plonge dans le Japon du quotidien, entre émerveillement et tristesse, entre douceur et colère. Un pays qu’on aime et qu’on déteste en même temps, dont on attend beaucoup et qui parfois déçoit. Une complexité qui est livrée avec sensibilité et honnêteté.

Un univers graphique dans lequel on se plonge totalement, de la chambre à la cuisine, des rizières au rues de Tokyo, d’un bain à un bar, de l’étang aux lotus de Ueno à un sanctuaire dans la foret. Et toujours tous ces petits détails enchanteurs : un toit de chaume, des tatamis, des portes qui coulissent, des motifs de kimonos… Avec en bonus des contes et légendes traditionnels en couleur de toute beauté !

Un Japon en noir et blanc à découvrir d’urgence !

Entretien : Le Japon de Rosalie Stroesser

Journal du Japon : Pouvez-vous vous présenter aux lecteurs de Journal du Japon (parcours artistique, pourquoi le Japon) ?

Portrait de Rosalie Stroesser sur le site de son éditeurRosalie Stroesser : Bonjour lecteurs ! Je m’appelle Rosalie, je suis illustratrice et autrice de bande dessinée. J’ai grandi dans les Alpes, j’ai suivi un cursus scolaire classique et après le lycée le choix d’une poursuite d’études dans l’art ne s’est pas imposé comme une évidence. J’hésitais entre la physique-chimie et le graphisme. C’est finalement vers le graphisme que je me suis tournée, en obtenant un BTS design graphique, puis vers l’illustration, en DMA illustration, puis enfin vers la BD, un domaine que je ne connaissais pas plus que ça, que j’ai découvert en DMA et qui m’est apparu vaste et bourré de possibilités. En ce qui concerne le Japon, j’ai toujours été attirée par ce pays. J’ai grandi avec les films des studios Ghibli, et ma grand-mère qui avait beaucoup voyagé là-bas me faisait rêver petite avec ses récits et ses photos. J’étais très attirée par les paysages, la culture graphique et traditionnelle du pays et son folklore. 

Quelles sont vos sources d’inspiration (manga, littérature japonaise) ? En vous voyant cheminer à vélo au fil des pages dans des paysages variés, j’ai pensé à TANIGUCHI et L’homme qui marche, version La jeune femme qui pédale…

J’aime beaucoup Taniguchi, ses histoires douces et contemplatives m’ont probablement nourries, mais c’est Shigeru MIZUKI que je citerais en source d’inspiration principale. J’adore son noir et blanc, ses décors si minutieux et si beaux, ses personnages si drôles, ce contraste justement entre décors fouillés et hyperréalistes et ses personnages cartoon. Comme tout le monde j’aime aussi énormément Tayou MATSUMOTO. Son dessin est incroyable et j’aime beaucoup le rythme de ses histoires, ses mises en scènes. 

Le choix du noir et blanc (sauf pour les contes traditionnels) s’est-il imposé tout de suite, comme une évidence?

Je dirais que oui. Quand j’ai commencé à faire des recherches graphiques j’ai essayé plusieurs techniques mais je n’ai jamais envisagé la couleur.  Je voulais que le Japon ait une présence aussi importante sinon plus que mon personnage, que mes décors soient fouillés, riches en détails, mais pas trop lourds, les plus élégants possible. Le noir et blanc reste aussi ma zone de confort et je pense que j’aurais mis 5 ans à faire cette bd si je l’avais faite en couleur. 

Comment a évolué votre relation au Japon depuis ce voyage ? Allez-vous y retourner bientôt ?

Mon rapport au Japon aujourd’hui est peut-être un peu plus apaisé qu’à l’époque. Fin 2016 quand je suis rentrée en France après un an passé au Japon j’étais encore dans l’excitation, dans l’enthousiasme de la nouveauté, dans le déni aussi des choses les plus dures que j’avais vécues là-bas. En 2017-2020 j’étais dans une phase de colère par rapport à ces choses, à ce sexisme insidieux. Je me suis vraiment sentie trahie par ce pays sur lequel j’avais projeté tant de fantasmes. Aujourd’hui ces fantasmes, ces attentes m’amusent un peu. Je n’idéalise plus le Japon comme avant, il y a des aspects de cette culture qui me désespèrent (comme en France, comme partout), et d’autres qui m’attirent toujours autant. J’y retournerai peut-être, si j’arrive à concilier ça et ma décision de ne plus prendre l’avion ^^.

Petit questionnaire sur « votre Japon » :

  • saison préférée au Japon: 

J’hésite entre printemps et automne… Disons automne.

  • plat préféré (onigiri, oden… un autre ?)

Onigiri au kombu!

  • sucrerie préférée (mochi ?)

Kusamochi (sucrerie à base d’armoise et de riz gluant, fourré à l’anko, une pâte de haricot rouge sucrée)

  • mangas préférés

Amer béton de Tayou Matsumoto, NonNonBâ de Shigeru Mizuki, Le vieil homme et son chat de Nekomaki, Ashita no Joe de Tetsuya Chiba et Asao Takamori, Solanin d’Inio Asano…

  • conte traditionnel préféré

« Bunbuku chagama », un conte qui met en scène un être mi-théière, mi-tanuki.

  • ce que vous aimez particulièrement au Japon / ce que vous détestez

Quand j’étais retournée à Tokyo en 2017 j’avais écrit un mail à un ami qui contenait justement une liste de tout un tas de choses que j’aimais/ détestais au Japon, du très anodin au plus viscéral. Pour en citer quelques unes :

J’aime l’intérieur des maisons japonaises, l’odeur des tatamis et les shoji (portes coulissantes en papier). 

J’aime les petits jardins en pots que l’on trouve devant chaque maison. 

J’aime voir le linge qui sèche au vent sur les balcons.

J’aime le train et la petite musique kitsch qui annonce leur arrivée (elles sont différentes dans chaque ville).

J’aime l’umeshu, la liqueur de prune que je bois souvent.

J’aime les divinités qu’ils vénèrent et leur représentations. J’aime le fait que même en pleine ville, on tombe tous les 100 mètres sur un petit temple, un petit sanctuaire, des statuettes de yokai difformes, tout un tas de trucs un peu random…

J’aime (parfois) l’effervescence et les lumières de la nuit.

Je déteste la manière dont sont considérées les femmes. Je généralise mais l’objectif premier de beaucoup de Japonaises est de trouver un mari, si possible un homme riche, si possible avant 25 ans. Une fille se doit d’être désirable et la manière d’y arriver est aussi standardisée. Il faut être jolie, il faut être douce, il faut être soumise, il faut être consentante, toujours. Il faut être stupide ou en tout cas prétendre l’être pour que l’homme ne se sente pas inférieur. J’ai vu des interviews d’hommes abordés dans la rue qui disaient franchement qu’ils aiment cette tendance, qu’ils sont attirés par les filles ‘kawaii’ qui agissent comme des enfants de 8 ans parce qu’ils ont le sentiment de devoir la protéger et d’être en position dominante.

Je déteste les supermarchés et le sur-emballage extrême qu’on y trouve. 

Journal du Japon remercie Rosalie pour sa disponibilité et ses réponses passionnantes !

Plus d’informations sur le site de l’éditeur.

 

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