Shichifukujin, une porte sur le bonheur et une fenêtre sur le syncrétisme shintô-bouddhique au Japon


Connaissez vous les Huit Immortels appelés aussi les Huit Joyaux ? Figures de la religion populaire chinoise et du taoïsme, ils sont semblables à des talismans, repoussant le mal. D’abord vieillard, mendiant, lettré, femme et homme. Les Huits Immortels expriment le vivant et diffèrent de l’image divine de leur homologue. Sur ce schéma de pensée, il existe au Japon Les 7 divinités du bonheur : Shichi (7), Fuku (« bonne fortune »), Jin (« divinité »), proposant une iconographie tirée du pêcheur, du marchand, de la musicienne… et surtout, proche du peuple. Qui sont-elles et d’où viennent-elles ? Quelle place occupent-elles au pays du Soleil Levant et dans l’harmonie des religions ? Nous allons entrouvrir une brèche sur ses questionnements et tâcher d’y faire pénétrer un peu de lumière.

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Le chiffre 7 et ses vertus

Parlons chiffre pour commencer. Le 7 est souvent considéré comme un symbole de chance et de bonheur, et ce, dans de nombreuses cultures. Depuis l’Antiquité, il joue le rôle de régulateur dans le monde. Dans de nombreuses religions, traditions et croyances anciennes, le chiffre 7 revêt un caractère sacré et d’équilibre. Dans la mythologie égyptienne, il symbolise l’harmonie cosmique et l’ordre divin. En Chine, conformément aux enseignements taoïstes, les 7 étoiles majeures (7 étoiles de Beidou) de la Grande Casserole ou Grand Chariot, sont considérées comme des divinités protectrices. Du côté de l’Inde, les Sapta Puri se réfèrent à l’hindouisme. Il s’agit de 7 lieux, naturellement dotés d’une importante aura spirituelle, ayant été le berceau de grands sages et divinités de la mythologie hindoue. Des Grecs aux Romains, des religions abrahamiques au brahmanisme, de la mythologie à la pop culture, le chiffre occupe une place de premier ordre dans notre univers. Pensez au chiffre 7 et voyez, par le pouvoir de vos connaissances, de votre culture et centres d’intérêts, les innombrables relations que vous pouvez trouver.

Des vertus pour contrer les vices. Les Japonais ne pouvaient pas échapper à l’attraction omniprésente du 7. Outre les 7 boules de cristal, les 7 herbes que nous sommes supposées manger le 7 janvier afin de repousser le mal (Nanakusa) et la fête des étoiles (Tanabata) qui se déroule chaque année le 07/07 au Japon, ce chiffre est un numérateur célèbre dans le décompte des vertus. Dans le bushidô, le code des principes moraux de la voie du guerrier, il existe 7 grandes vertus empruntées au bouddhisme, shintô et confucianisme : Gi (la rigueur) ; Yu (le courage) ; Jin (la bienveillance) ; Rei (le respect) ; Makoto (la sincérité) ; Meiyo (l’honneur) et Chûgi (la loyauté). La vertu amenant le bonheur, nous en venons ainsi aux 7 divinités de la bonne fortune Shichifukujin. Célèbres figures de la mythologie japonaise, elles sont symboles de qualités, telles que l’intégrité, la générosité, la prospérité, la dignité, la magnanimité, la popularité et la longévité. Les différentes formes de vertus, du bushidô aux Shichifukujin, partagent pour beaucoup des valeurs communes. Prenons par exemple l’intégrité, la loyauté et la sincérité ; la générosité et la bienveillance ; l’honneur, le courage et la dignité ; la rigueur et la magnanimité. Un véritable champ lexical et moral semble s’ouvrir à nous. Au-delà de ces vertus, le précepte du Bushidô tout comme l’origine de ces divinités sont un très beau témoignage du mélange des religions au Japon.

Tanabata, la fête des étoiles ©Sarah MARIE pour Journal du Japon – Ne pas reproduire sans autorisation

Les 7 divinités du bonheur

Baptisés Shichifukujin ou encore Fuku no Kami, les 7 divinités du bonheur se composent d’Ebisu, Benzaiten, Daikokuten, Bishamonten, Hotei, Fukurokuju et Jurojin. Une légende raconte que le moine centenaire Tenkai de l’école Tendai – secte du bouddhisme japonais fondée en 805 par le moine Saichô (767-822) – se plaisait à clamer les 7 vertus de l’homme d’État idéal. Les Japonais croyaient en la possibilité que celles-ci leur soient accordées à la manière de bénédictions, par le pouvoir des 7 divinités du bonheur. Parmi ces 7 personnages, seul Ebisu est purement originaire du Japon, avec pour point d’ancrage le shintô. Cela fait de lui la divinité du bonheur la plus emblématique de l’Archipel. Protecteur des pêcheurs, des marchands, il est le symbole de l’intégrité. Nous viennent ensuite Benzaiten et Daikokuten avec des influences mêlant bouddhisme et hindouisme. Benzaiten est la conception bouddhiste de la divinité hindoue Sarasvati et représente la vertu de la générosité. Daikokuten a pour représentation Mahakala, autre nom de Shiva dans l’hindouisme. Il est un symbole de prospérité. Figure du bouddhisme dans de nombreuses contrées d’Asie et protecteur de la Loi, Bishamonten est le gardien du Nord et porte le titre de Vaisravana, l’un des quatre rois célestes. La dignité lui est attribuée. Enfin, le taoïsme s’associe au bouddhisme dans la pensée chinoise pour trois autres divinités. Tout d’abord, Hotei pour la magnanimité. Cette divinité trouve sa source en la personne de Budai, un moine bouddhiste chinois du 10e siècle. Surnommé le « bouddha rieur », il est intégré au taoïsme en tant que dieu du contentement et de l’abondance. Enfin, Fukurokuju et Jurojin les jumeaux de la divine étoile, sont considérés comme descendants de Nankyokusei. Dans la religion taoïste, il s’agit de l’étoile Canopus, personnifiée par le vieil homme du pôle sud. Ils représentent la popularité et la longévité. Malgré ces différentes influences, comment les 7 divinités du bonheur sont-elles devenues des figures emblématiques au pays du Soleil Levant ?

Le bouddhisme est une religion, une philosophie originaire de l’Inde, importée au Japon à partir des 5e et 6e siècles depuis la Chine et la Corée. Lorsque ce courant de pensée s’implante dans l’archipel, le shintô est déjà ancré dans la culture du pays depuis des temps immémoriaux. Vision philosophique polythéiste et animiste, il se fonde sur la croyance envers des génies protecteurs, des esprits appelés kami. S’ensuit petit à petit une fascinante cohabitation entre ces deux spiritualités. En effet, le bouddhisme qui prend pied dans différentes cultures, a su coexister avec bon nombre de religions dont l’hindouisme, le confucianisme, le taoïsme. D’ores et déjà riche de toutes ces influences, c’est sans surprise qu’il s’intègre à la pensée shintô. Les divinités alors importées dans cette valse de croyances, se voient associées à des kami au Japon. Ainsi, Benzaiten emprunte des caractéristiques à Ugajin, kami des moissons et de la fertilité. Daikokuten s’approprie le grand kami Okuninushi, tutélaire du sanctuaire Izumo-taisha, un des plus anciens et des plus importants sanctuaires shintô du Japon. Quant à Bishamonten, il est considéré comme un des trois grands kami de la guerre, Tamon-Ten. En faisant son apparition au Japon, le bouddhisme, loin de chasser les anciennes croyances présentes dans le shintô, a orchestré une fusion de ces voies, donnant naissance à une forme de syncrétisme shintô-bouddhique.

Ebisu et Benzaiten ©Sarah MARIE pour Journal du Japon – Ne pas reproduire sans autorisation

Le pèlerinage des 7 cultes

Issus de divers mouvements spirituels, il est possible de prier ce groupe vertueux aussi bien dans des temples que dans des sanctuaires au Japon. L’émergence des croyances autours de ces divinités a été identifiée aux alentours de l’époque Muromachi (1336 – 1573) et plus précisément au début du 16e siècle. Par la suite, à l’époque où Tokyo portait encore son ancien nom d’Edo, il était courant de parcourir les lieux de cultes abritant chacune des 7 divinités. Depuis lors, divers pèlerinages appelés Shichifukujin Meguri sont encore pratiqués. Relevant autant du rituel religieux que du loisir, aucune condition préalable n’est requise pour s’adonner à cette charmante expérience. Il existe plusieurs parcours à travers le pays. Une pratique courante consiste à explorer dans une zone géographique délimitée, les 7 lieux de cultes abritant chaque divinité. Durant ce type de pèlerinage, il est possible d’obtenir un sceau à chaque lieu visité, à la manière des goshuin, les calligraphies sacrés propres aux temples et sanctuaires qui peuplent le Japon. Créateur de souvenirs, cette entreprise est également un gage de félicité et de réussite pour les douze mois à venir.

Douze mois à venir ? En effet ! Il est de bonne augure de rendre visite aux Shichifukujin à l’occasion du nouvel an. Le changement d’année se traduit généralement par une première visite au sanctuaire de son quartier, appelée Hatsumode. Ce rituel est pratiqué un peu partout dans le pays. De plus, une coutume indique que la nuit du premier janvier – donc la nuit qui accueillera le premier rêve de l’année, Hatsuyume – les enfants placent sous leur oreiller une image qui représente les Shichifukujin à bord d’un bateau à voile, baptisé Takarabune. Hatsuyume détermine si l’année en cours sera de bonne augure et sujette au bonheur. Il est primordial de mettre toutes les chances de son côté ! Le Takarabune est en fait un bateau aux trésors. A son bord peuvent se trouver Kaguregasa (le chapeau d’invisibilité), Nunobukuro (le sac de fortune), Hagoromo (la robe de plume) et Makimono (les rouleaux de sagesse et de longévité). Ces artefacts sont souvent portés par les divinités elles-mêmes. Le voilier débarque rempli de richesse, que le petit groupe de la bonne fortune distribue aux méritants.

Shichifukujin Meguri

Rien que pour vous, voici quelques adresses de pèlerinage des Shichifukujin pour l’année prochaine, pourquoi pas ! Ce qui vous laisse le temps de bien préparer votre itinéraire.

Si vous restez dans la capitale, vous aurez la possibilité de vous engager pour le pèlerinage de Yanaka, le plus ancien Shichifukujin Meguri de Tokyo.

Si vous comptez explorer davantage l’archipel, le pèlerinage de l’île Awaji dans le département de Hyôgo, entre les îles Honshu et Shikoku, est fait pour vous !

N’oubliez pas votre shuincho, le carnet pour référencer vos shuin (goshuin).

De la bière Yebisu aux netsuke, en passant par Noragami, les diverses formes de représentations des 7 divinités du bonheur sont la preuve intangible de leur popularité.  Avec leur visages tout sourire (Bishamonten mis de côté…) et leur importante stature, ils brillent comme un phare dans la nuit, des figures sur lesquelles on peut compter. Alors si l’occasion vous est donnée, foncez et allez chercher le bonheur que vous méritez !

Dans le détail

Pour plus d’informations sur chaque divinité, n’hésitez pas à suivre notre page Instagram ! Vous pourrez y découvrir dans les prochaines semaines des publications spéciales à leur sujet.

Bibliographie

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