NieR Orchestra : une élégie mémorable

Pour la première fois, la tournée NieR Orchestra se produisait en France les 22 et 23 février au Palais des Congrès. Des retrouvailles émouvantes alors que NieR Automata célébrait son septième anniversaire.

© AWR Music Productions, LLC, and Square Enix

Réception critique mitigée, échec commercial, la licence NieR est une miraculée après l’accueil glacial de son premier titre, NieR Replicant, sorti en 2010. Pourtant, il a bénéficié par la suite de l’aura d’un chef-d’œuvre incompris pour sa narration audacieuse, sa direction artistique marquante et, notamment, sa bande originale poignante. L’attachement grandissant des fans pour ce titre permit à un nouveau jeu de voir le jour. NieR Automata, cette fois, fut l’un des grands crus de 2017 et a porté la licence aux premiers rangs des sagas de Square Enix, parmi Final Fantasy et Dragon Quest. Les 22 et 23 février derniers avaient donc un parfum de fête pour les fans qui se sont rassemblés au Palais des Congrès pour assister aux deux concerts français de la tournée NieR:Orchestra Concert 12024 [the end of data]. Les cosplayers étaient nombreux au rendez-vous, de même que les larmes dans les rangs d’un public conquis.

NieR pour la première fois en France

Il fallait une bonne dose de chance et de détermination pour assister à ces concerts. La mise en vente des billets en juillet dernier s’était révélée un parcours du combattant pour les fans, en raison de nombreux problèmes techniques. Pourtant, le jeu en valait la chandelle. Jusqu’alors, le seul concert européen dédié à la licence s’était tenu à Londres en février 2020. Le mois suivant, l’éditeur Square Enix annulait la fin de la tournée NieR:Orchestra Concert re: 12018 en raison de la pandémie de COVID-19. Quatre ans après le concert londonien, Paris a finalement pu découvrir sur scène l’univers du game designer et scénariste TARO Yoko.

Les spectateurs pouvaient compter sur la présence en salle du compositeur phare de la licence, OKABE Keiichi, et du producteur SAITO Yosuke. Sur scène, le chef d’orchestre Eric Roth (qui a également participé aux spectacles dédiés à Final Fantasy) a magistralement porté choristes et musiciens dans un ensemble équilibré qui est parvenu à rendre justice aux sublimes compositions d’OKABE. Également présentes sur scène, les chanteuses Emi Evans et J’nique Nicole comptent parmi les plus belles voix féminines du jeu vidéo. Les doubleurs anglais d’origine des protagonistes de NieR Automata, Kira Buckland et Kyle McCarley, ont enregistré des répliques inédites de 2B et 9S projetées sur grand écran, entre extraits des jeux et visuels créés pour l’occasion. L’ensemble déroule le fil d’un scénario inédit écrit par Taro YOKO pour cette série de concerts. Le créateur de NieR n’était certes pas présent pour ces représentations françaises, mais son empreinte reste indissociable de l’expérience globale du spectacle.

© Photo de Loïc DELAHAYE-HIEN – Ne pas reproduire sans autorisation

Plus qu’une adaptation, un nouveau chapitre

Il peut être vertigineux de se plonger dans l’univers de Taro YOKO. L’histoire de la saga NieR ne se résume pas à la simple jonction des récits de NieR Replicant et de NieR Automata. Il faut d’abord recoller les morceaux entre les différentes perspectives de personnages et faire la part des fins multiples que proposent ces deux jeux. Il faut également tenir compte des variations entre NieR Automata et son adaptation animée, ou entre NieR Replicant et son remake de 2021. Sans compter la licence dont NieR est à l’origine un spin-off, Drakengard… ou encore NieR Re[in]carnation, jeu mobile condamné à disparaître en avril 2024. L’épopée de NieR n’est jamais gravée dans le marbre ; elle l’est avant tout dans notre mémoire, au plus proche du centre de nos émotions, là où Taro YOKO nous manipule à sa guise.

Les différentes adaptations scéniques ont également leur place dans ce vaste puzzle narratif. NieR Automata s’inscrivait déjà dans la continuité de YoRHa, une comédie musicale jouée trois ans plus tôt sur le seul territoire japonais. C’est la même chose pour ce NieR Orchestra. Contrairement au spectacle Elden Ring Symphonic Adventure qui proposait une aventure semblable au jeu de base, ce nouveau concert puise dans les bandes originales des deux jeux principaux de la licence… non pas pour rappeler leur histoire à des spectateurs nostalgiques, mais pour en faire la trame musicale d’un chapitre inédit. En revanche, on ne retrouve aucun morceau provenant des autres jeux du créateur ou des différentes adaptations.

Cet article ne se veut pas une simple revue du spectacle : il est aussi une humble contribution à ce travail plus large des fans de la licence pour conserver les traces de l’odyssée mécanique tissée par Taro YOKO. On ignore pour l’heure si ce chapitre inédit sortira sous une forme quelconque – une édition Blu-Ray du concert ou une novélisation. La dernière partie de l’article vous en fait donc la synthèse, et nous vous invitons donc à arrêter ici votre lecture si vous souhaitez éviter les spoilers. De plus, cette partie dévoile des éléments majeurs de la saga NieR.

Setlist

Acte 1
Crumbling Lies
City Ruins
Snow in Summer
Song of the Ancients
Amusement Park
The Ultimate Weapon / Deep Crimson Foe
Gods Bound by Rules
Shadowlord

Acte 2
Copied City
Emil
A Beautiful Song
Forest Kingdom / Possessed by Disease
Fleeting Words
Dark Colossus
The Sound of the End
Bipolar Nightmare / Mourning
Ashes of Dreams
Weight of the World

Encore : Kaine

Que nous raconte ce NieR Orchestra ?

Rappelons brièvement l’histoire de NieR Automata : plusieurs millénaires après l’extinction de l’humanité, la terre est le champ de bataille de machines conçues par les aliens et des androïdes de l’organisation YoRHa. Les protagonistes, 2B et 9S, sont parvenus à éliminer leurs principaux adversaires lorsque YoRHa est frappée de l’intérieur par un virus retournant les androïdes les uns contre les autres. 2B, victime du virus, se laisse tuer avant de perdre le contrôle d’elle-même. 9S semble lui aussi succomber dans l’effondrement d’une tour cyclopéenne où il venait de percer les mensonges originels de YoRHa. Voici la fin [E], l’une des vingt-six fins possibles de NieR Automata. Dans les dernières secondes de cinématique, des pods survolent une ville en ruines et retrouvent les dépouilles de 2B et 9S, qui paraissent reposer en paix l’une à côté de l’autre. C’est à partir de cette conclusion que débute l’histoire de NieR:Orchestra Concert 12024 [the end of data].

Regagner l’Éden

Grâce aux réparations providentielles apportées par ces pods, 2B et 9S ont en réalité survécu aux événements de NieR Automata. Cependant, ce sont les derniers survivants de YoRHa et leurs corps présentent des dommages irrémédiables. L’état de la boîte noire de 2B, un composant vital, est particulièrement préoccupant. Tous deux ont conscience, sans le dire à voix haute, que l’androïde n’en a plus pour longtemps. Dans une exode désespérée contre la mort, 2B et 9S plongent dans les entrailles d’Éden, un bunker secret construit par YoRHa dans un ancien vaisseau alien.

Sur leur chemin, ils découvrent des ruines humaines et des données numériques qui les éclairent sur les événements d’un lointain passé. À commencer par l’épidémie provoquée par l’apparition d’un dragon rouge dans le ciel de Tokyo lors de la fin [E] du premier Drakengard. La dépouille de cette créature d’un autre monde avait engendré une épidémie qui enrageait les malades – à la manière du virus ayant exterminé YoRHa. 2B et 9S entrevoient le déroulé chronologique de cette épidémie. L’année 2019, notamment, est présentée comme un point de bascule dans la pandémie. Difficile de ne pas y déceler l’influence du COVID-19. Les androïdes découvrent les traces du projet Gestalt, qui devait permettre aux humains de survivre au fléau en transférant leur conscience dans des clones, les replicants. Cependant, le projet échoue et ses conséquences alimentent l’intrigue de NieR Replicant.

© Square Enix

Repent. Repent. R3PENT.

La descente aux enfers de 2B et 9S les conduit dans une chapelle. Un rappel, peut-être, du mod The NieR : Automata Church qui avait fait grand bruit en septembre 2022, et dont le créateur avait d’abord fait croire à l’existence d’une véritable église cachée dans le niveau de la Cité Dupliquée. Taro YOKO avait lui-même salué le canular du moddeur et l’église était par la suite apparue dans la première saison de l’anime Nier: Automata Ver1.1a. Toutefois, 2B et 9S se rendent compte que cette chapelle, l’Éden où ils pensaient trouver le salut, est en réalité une nécropole. Ils ont marché dans les pas de nombreux androïdes autrefois venus avec le même espoir, et qui ont finalement succombé dans cette impasse. La vanité selon Taro YOKO. Dans son monde, rien n’échappe à la mort : les humains, les replicants, les androïdes… même les données de sauvegarde que les joueurs doivent sacrifier pour découvrir les ultimes secrets de ses jeux. Face à cette vanité qui lui fait front, 2B se remémore toute la violence dont elle a elle-même été responsable. Elle qui projetait autrefois de tuer l’être divin qui l’avait enfermé dans un cycle de destruction doit-elle à présenter se repentir devant lui pour obtenir l’absolution ?

Cette fois néanmoins, il n’est pas question de décevoir les espérances des spectateurs et de faire une nouvelle fois le deuil de l’androïde : les boîtes noires des YoRHa défunts s’activent pour répondre à ses prières. 2B est sauvée. Avec cette conclusion optimiste et les dernières chansons entonnées par Emi Evans et J’Nique Nicole, NieR:Orchestra Concert 12024 [the end of data] nous rappelle que dans cette merveilleuse saga, bien qu’elle soit empreinte de violence et d’un profond désespoir, le monde continuera de fleurir malgré le passage des apocalypses.

NieR:Orchestra Concert 12024 [the end of data] ne relève pas seulement de l’hommage réussi : cette inoubliable performance, l’une des plus poignantes réalisées autour d’une saga vidéoludique, nous rappelle combien la mythologie de NieR est vivace. Malgré la longue attente d’un nouveau titre sur consoles, l’œuvre de Taro YOKO continue de s’écrire à travers les différents médias. Que nous ayons une manette ou un manga dans les mains, ou que nous soyons devant un écran de télévision ou dans une salle de concert, la beauté douce-amère de NieR trace sans cesse de nouveaux chemins pour nous toucher en plein cœur.

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