Aux origines du manga

Ce printemps a vu paraître un très bel ouvrage chez les éditions de la Martinière. Un livre qui nous fait voyager sur la trace des prémices du manga, à travers des œuvres réalisées entre la période Heian (794-1185) et l’ère Meiji (1867-1919). Fort de plus de deux-cent cinquante pages, il nous fait découvrir quelques trois-cent œuvres commentées. Coup de cœur de la rédaction, Journal du Japon vous propose aujourd’hui de revenir sur les origines premières des mangas.

Le manga, un art millénaire

Malgré son titre, vous ne croiserez point de Naruto ni de Luffy dans ce joli ouvrage bilingue français-japonais ! Ne vous y trompez pas, comme l’indique son sous-titre « de la période Heian à l’ère Meiji », le livre s’arrête avant l’apparition des œuvres d’Osamu TEZUKA, souvent surnommé le père du manga. Mais plutôt devrions-nous dire « le père du manga contemporain », car ce qui nous intéresse ici, ce sont toutes les œuvres nées avant les mangas que nous connaissons bien.

Dans tous les pays, des artistes réalisent des caricatures. Si la culture du manga s’est développée de manière différente au Japon par rapport à d’autres pays asiatiques, c’est parce que les mangas n’y sont pas dessinés à la main, mais imprimés en série grâce aux techniques de gravure sur bois polychrome. C’est ainsi que le manga est devenu un objet de consommation. Tout a commencé en 1720, à Osaka.

Isao SHIMIZU, préface

Vous savez peut-être que le terme « manga » provient d’un livre de Katsushika HOKUSAÏ, ô combien célèbre peintre d’estampe du 18e siècle. Ce que l’on nomme désormais « La Manga », pour distinguer cette œuvre des bandes dessinées japonaises actuelles, est une collection de croquis sur divers sujets, qui répertorie la faune et la flore du Japon, mais aussi les personnages légendaires, les us et coutumes, les paysages, etc. Mais nous connaissons beaucoup moins les autres œuvres – livres reliés, estampes, rouleaux e-maki – créées au Japon depuis le premier millénaire qui mettent en scène des histoires souvent rocambolesques dans le but de divertir.

Peintres, caricaturistes et courants artistiques

Une œuvre uke-e « peintures de sept ans du bonheur ». Sont ici rassemblés de nombreux objets commençant par le son « fu » (renvoyant au bonheur)… Comme par exemple le mont Fuji !

Aux origines du manga est divisé en une trentaine de chapitres, qui prennent chacun pour thème un artiste, un genre graphique ou une série d’oeuvres. La vie et les œuvres de Hanabusa ITCHÔ, Soga SHÔHAKU, Utagawa KUNIYOSHI, Kawanabe KYÔSAI, Tsukioka YOSHITOSHI et Kobayashi KIYOCHIKA n’auront de secrets pour vous ! Vous retrouverez les dessins abrégés de Kuwagata KEISAI, des œuvres d’Utagawa KUNIYOSHI et d’HOKUSAI… Vous découvrirez également les plus grands genres et thèmes des estampes. Même si certains sont déjà relativement connus dans nos contrées comme les shunga (estampes érotiques) ou les trompe-l’œil Yose-e, la plupart seront certainement des découvertes. Il y a par exemple les images de squelettes, celles de poissons-chats, d’oni (démons), les Ôtsu-e, etc.

Chaque nouveau chapitre est introduit par un texte de présentation et les commentaires qui accompagnent les œuvres permettent de découvrir des détails que l’on ne remarquerait pas immédiatement… Ou bien d’obtenir les clés de compréhension culturelles et historiques manquantes. Bien que le terme « manga » signifiait à l’origine « croquis », nombre des estampes présentées ici sont pleines de détails… À tel point qu’il est intéressant de se munir d’une loupe pour certaines, afin de profiter un maximum de tout ce qu’elles ont à nous offrir !

L’art de la caricature politique

En plus des caricatures dessinées à la main, le Japon se distingue par ses estampes satiriques. Lorsque le shogunat Tokugawa finissant met en œuvre plusieurs réformes, les gens du peuple se rebiffent contre le pouvoir autoritaire.

C’est tout un pan de l’histoire politique du Japon qui se dévoile à l’aune de ces illustrations. Le Japon, trop souvent associé à l’image d’un pays au peuple docile incapable de se rebeller face à l’autorité, a lui aussi connu son lot de révoltes. Des révoltes paysannes du 17e siècle, dont il est fait ici mention, aux révoltes étudiantes de 1969, ces mouvements étaient tout aussi violents et revendicatifs que les nôtres. Comme dans tout régime, la censure était (et est toujours sur certains aspects) un moyen de contrôle, que les artistes cherchent à détourner pour continuer de faire entendre leurs voix. Nombre d’entre eux avaient trouvé le moyen de passer entre les mailles du filet en lançant par exemple un nouveau style graphique…

Nous en avons la preuve depuis au moins l’époque Heian, avec les célèbres caricature anthropomorphiques Chôjû jinbutsu giga, attribuées à un arrière-petit-fils d’empereur. Composé de quatre rouleaux e-maki, le premier met en scène des lapins, singes et crapauds qui s’adonnent à des activités typiquement humaines, dans un esprit d’humour satirique.

Extrait du Chôjû jinbutsu giga
Soldats tournés en ridicule, 1933.

Si ces rouleaux ouvrent magnifiquement le présent ouvrage, ce sont des caricatures nées au début du 20e siècle qui le referment. L’Histoire s’est déroulée sur des siècles durant, le Japon connaît la montée du nationalisme mais il n’a rien perdu de son art du dessin politique.

Des œuvres de toutes sortes

Entre les deux sont présentes des illustrations destinées à des usages divers et variés : pour éduquer, pour protéger, pour servir de souvenirs, pour illustrer des contes et légendes, pour faire rire ou pour divertir, tout simplement… Il y avait à l’époque autant de raisons d’acheter une estampe qu’il y en a actuellement de se procurer un manga !

Toba-e, début du 19e siècle.

À noter qu’il est également amusant de chercher à retrouver l’influence des grands maîtres de l’estampe sur les mangaka actuel. Pour les admirateurs des œuvres de Taiyô MATSUMOTO notamment, nous vous conseillons de mettre en parallèle le chapitre consacré aux Toba-e avec Le Samourai bambou !

La préface, signée par Isao SHIMIZU, spécialiste du manga et du dessin satirique qui a été professeur d’université et conseiller du musée international du manga de Kyôto, est une mine d’information pouvant servir tout autant aux profanes désireux d’en savoir plus sur le Japon et son art graphique, qu’aux étudiants spécialisés dans l’art japonais !

Pour aller plus loin : visiter le musée international du manga de Kyôto

Finissons cet article avec une recommandation touristique : la visite dudit musée international du manga de Kyôto !

Une bibliothèque géante

Situé en plein centre-ville de Kyoto, tout près du célèbre château de Nijô, cet espace muséal constitué d’une immense bibliothèque de plus de trois cent mille mangas est à la fois un espace de visite et de détente. Pensé pour que les visiteurs puissent lire librement les ouvrages mis à disposition, le bâtiment de trois étages regorge d’alcôves, de coussins et de tables de lecture.

De nombreux espaces muséaux parsèment le lieu. Explications sur l’art du kamishibai, histoire du manga, moulages de dizaines de mains d’artistes tenant un crayon et diverses expositions temporaires sont présentes pour notre plus grand bonheur.

L’espace dédié aux kamishibai nous propose un véritable bond dans le temps avec ses objets d’époque, ses affiches présentant les différentes histoires et ses carnets griffonnés de croquis. De vrais séances ont lieux chaque jour à heure fixe : une occasion unique si vous vous intéressez à cet art !

Des animations à ne pas manquer

De multiples animations accessibles avec le billet d’entrée sont également à notre disposition et des évènements ponctuels viennent s’ajouter. Comme par exemple le « manga studio » où l’on peut voir tous les week-end la création d’un manga de A à Z avec un professionnel ou le « portrait corner » dans lequel des mangaka vous propose de faire un portrait (payant) de vous dans le style manga.

À noter que si comprendre la langue japonaise est un atout non négligeable pour profiter pleinement de ce lieu, les panneaux explicatifs et autres documents sont traduits en anglais. Ce qui permet de déjà bien profiter de la visite !

Êtes-vous maintenant décidé à inscrire Kyôto dans la liste des villes à visiter lors de votre voyage au Japon ?! En attendant de pouvoir saisir cette occasion, pourquoi en pas revenir sur les premières origines du manga, voyager entre les dessins pour mieux apprendre à découvrir un culture riche et millénaire…

Nina Le Flohic

Grande lectrice passionnée par le Japon depuis ma plus tendre enfance, je suis diplômée d'un master Langue, Littérature et Culture Japonaise. Des études au cours desquelles j'ai eu l'occasion d'effectuer des recherches dans le domaine de la littérature japonaise et de voyager plusieurs fois au pays du Soleil Levant. Très heureuse de pouvoir partager avec vous mes coups de cœur et expériences à travers mes articles, n'hésitez pas à me laisser vos questions ou avis en commentaires, j'y répondrais avec plaisir !

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