Portrait de figures locales : Takayama Isao, l’art du tatami
Nichée dans le département de Mie, Toba est une petite ville côtière dynamique qui abrite et accueille de nombreux artisans japonais. Découvrez notre série sur ces artistes qui vous présentent leurs arts si particuliers, une occasion de donner encore plus envie de s’intéresser à la culture japonaise.
Sa passion, ce sont les tatamis. À 82 ans, Isao Takayama pratique encore cet art, dans les ruelles de la ville côtière qu’il aime tant. Un coup de maître dans ce pays où la fabrication artisanale de ce sol japonais ancestral a presque disparu. Rencontre avec un homme passionné, qui fait entrer ses tatamis dans le quotidien des habitants.

Un sol historiquement ancien
Fabriqué essentiellement de paille de riz et de jonc tissé, le tatami est un incontournable des maisons au Japon. Encore aujourd’hui, les appartements proposent une « pièce japonaise », recouverte de ce revêtement ancestral. Les temples en possèdent également. Les Japonais restent très attachés à ce matériau, confortable et à l’odeur incomparable.
Le visiteur enlève évidemment ses chaussures pour marcher dessus, afin de le préserver.
Le tatami est si important au Japon que le volume des pièces ne se calcule pas en mètres carrés, mais en tatamis (90 cm × 180 cm).
Né au Japon sous l’ère Heian (794–1185), le tatami était onéreux, et seule la classe aisée et les nobles pouvaient s’offrir ce sol luxueux. Les paysans et autres artisans devaient, eux, se contenter d’un sol en paille tissée grossièrement. À partir du XIIIe siècle, il se démocratise dans les foyers, d’abord en ville, puis à la campagne et dans les temples.
La fabrication est uniquement artisanale.
Une fabrication minutieuse
La fabrication du tatami, emblème du sol traditionnel japonais, est un processus artisanal qui allie savoir-faire ancestral et sélection rigoureuse des matériaux. Tout commence par la culture de la paille de riz dont la principale région de production reste Miyagi. Cette paille de qualité est soigneusement sélectionnée, séchée et stockée pour garantir sa robustesse et sa durabilité. Elle constitue le cœur du tatami, appelé « tatami-doko » qui est formé par la superposition, l’entrecroisement et la compression de plusieurs couches cousues, offrant ainsi fermeté et isolation naturelle. Il est ensuite découpé aux dimensions standards.
Sur ce matelas de base est cousue une natte tressée en jonc “igusa”, le « tatami-omote », qui apporte douceur au toucher et une odeur caractéristique. Le tressage de l’igusa, récolté principalement dans la préfecture de Kumamoto, exige une grande précision pour obtenir une surface régulière et résistante.
Les bords du tatami sont ensuite recouverts d’un ourlet en tissu, le « tatami-heri », souvent en lin ou coton, parfois orné de motifs décoratifs. Chaque étape, du tressage à la couture, requiert une attention méticuleuse pour garantir la solidité et la longévité du produit fini. Il faut environ 5 à 6 semaines pour réaliser un tatami traditionnel depuis la récolte de la paille de riz jusqu’au produit fini, dont la majeure partie est consacrée au séchage naturel de la paille. Aujourd’hui, bien que la fabrication se soit partiellement mécanisée, des artisans comme TAKAYAMA Isao perpétuent ces techniques traditionnelles assurant au tatami son authenticité et sa qualité unique.
Grâce aux mesures standardisées, les tatamis s’emboîtent parfaitement dans une pièce conçue en fonction du nombre de tatamis que le client souhaite avoir. Aucun clou ni colle n’est ajouté : le tatami est simplement posé, ce qui permet à l’air de circuler dans la pièce.

Un produit utile
Au-delà de l’aspect décoratif, le tatami offre un véritable confort pour les pieds, en plus d’être un isolant et un absorbant d’humidité. Même si le futon (lit japonais) n’est plus vraiment utilisé au quotidien, les Japonais aiment s’asseoir dessus, lire, jouer ou se reposer. La cérémonie du thé, toujours pratiquée, se fait traditionnellement sur les tatamis.
Quant aux auberges traditionnelles et aux restaurants, ils se composent de ce sol, pour le plus grand plaisir des touristes et des Japonais en quête d’authenticité.
À l’inverse, le tatami est un matériau exigeant dont il faut prendre soin : dépoussiérage dans le sens du tissage, aération quotidienne, et ennemi des taches. Le tatami s’entretient afin de bien vieillir et de perdurer au fil des années.
Takayama Isao, gardien de la tradition du tatami à Toba
C’est dans une ruelle de la ville de Toba que Takayama Isao exerce son savoir-faire ancestral. Âgé de 82 ans, ce fabricant de tatamis partage avec nous son histoire et son art.

Journal du Japon : Pouvez-vous vous présenter ?
Takayama Isao : Je m’appelle Takayama Isao, je suis fabricant de tatamis. J’ai 82 ans… et j’ai un jour d’écart avec le président Biden ! Je suis encore en forme : je soulève sans problème les tatamis modernes qui font autour de 20 kg. Tant que je peux continuer à travailler de mes mains, je suis heureux.
Pouvez-vous nous parler de l’histoire de votre entreprise ? Depuis combien de temps fabriquez-vous des tatamis ?
Mon entreprise existe depuis plus de 100 ans. C’est mon père qui l’a tenue avant moi, mais en réalité, elle était là même avant lui. Je représente donc la deuxième génération dans la famille, et j’ai commencé à travailler avec mon père à l’âge de 20 ans.
Pourquoi avez-vous choisi la ville de Toba ?
Je suis né ici, à Toba, dans ce quartier. Avant, c’était très animé : il y avait un cinéma, un dance hall, des salles de pachinko, une scène de théâtre à l’intérieur du cinéma… Aujourd’hui, c’est bien plus calme, les ruelles sont tranquilles. Le quartier a beaucoup vieilli.
Quels sont les changements majeurs que vous avez observés dans la fabrication des tatamis ?
Le changement le plus important, c’est l’arrivée des machines. Avant, tout se faisait à la main. Il fallait de la force, de la précision, et beaucoup de temps. Aujourd’hui, on règle la machine, on appuie sur un bouton, et elle fait une partie du travail à notre place. Par exemple, la couture d’un tatami, qui prenait plus d’une heure et demie autrefois, ne prend plus que 15 à 20 minutes.
Pouvez-vous expliquer le processus traditionnel de fabrication ?
Pour un tatami traditionnel, j’utilise 28 kg de paille de riz. Je forme plusieurs couches que je compresse pour faire la base. Ensuite, je pose la natte du dessus, tissée avec du igusa – c’est une sorte de jonc japonais. Enfin, je couds les bords et j’ajoute les bandes décoratives en tissu qu’on appelle heri.
Quels matériaux utilisez-vous ? Y a-t-il une différence entre ceux d’hier et d’aujourd’hui ?
Le tatami traditionnel est entièrement fait de paille de riz, avec une natte en igusa. Aujourd’hui, pour les versions modernes, on utilise des bases plus légères, en polystyrène ou en fibres souples. Et pour la natte, on peut choisir entre igusa, papier japonais (washi), ou plastique.
Le igusa, c’est beau, ça sent bon, et ça vieillit bien, mais ça peut moisir si on n’en prend pas soin. Le plastique, lui, ne bouge pas, c’est facile à nettoyer, mais ça n’a pas d’odeur et la couleur ne change pas.
Tout dépend de l’usage : les particuliers préfèrent souvent le igusa, mais les restaurants demandent du plastique.

Pourquoi le tatami est-il important dans la culture japonaise ?
Il est omniprésent dans des lieux emblématiques de la culture japonaise comme les dojos, les temples et les sanctuaires. Dans les bâtiments historiques, par exemple le château de Nagoya, on continue de remplacer les tatamis avec des modèles traditionnels pour préserver l’authenticité du lieu et maintenir la tradition.
Comment la demande a-t-elle évolué ?
La demande a fortement baissé, évidemment. Par exemple, dans les maisons actuelles, il n’y a souvent plus qu’une pièce en tatami. Aujourd’hui, il y a plus de choix dans les matières premières, et il existe une variété dans la demande : tissage, couleurs, matériaux… On peut obtenir des rendus très différents, voire des demandes très personnalisées.
Y a-t-il des coutumes autour du tatami ?
Avant, cela faisait partie de l’étiquette de ne pas marcher sur le heri, les bords du tatami. C’était un peu une superstition, mais ce n’est pas du tout un problème : les bords du tatami sont tout aussi solides que le reste.
Pensez-vous que le tatami doit évoluer avec son temps ?
Ce que l’on observe, ce sont par exemple des demandes pour recouvrir un parquet avec seulement la partie supérieure du tatami. Normalement, l’épaisseur d’un tatami est de 55 mm, mais dans ces cas-là, on pose une version de 10 mm sur le sol.
Comment voyez-vous l’avenir du tatami ?
Il faut être réaliste : la demande continue de diminuer. C’est un secteur qui est en difficulté.
Une anecdote à partager ?
J’ai été habitué à beaucoup me fatiguer à force de déplacer les tatamis, mais s’il y a bien un moment où j’étais occupé non-stop, c’était le mois de décembre, à cause de toutes les commandes pour le nouvel an.
Merci à Takayama Isao et à la ville de Toba pour cette interview.
Pour en savoir plus sur la ville de Toba : Site officiel , Facebook et Instagram.
Allez plus loin en retrouvant un nouvel article de cette série :
