ChaO : découverte du film et interview de l’équipe au festival d’Annecy

Après un léger passage à vide dans les années 2010, le légendaire Studio 4°C semble avoir repris du poil de la bête depuis quelques années, enchaînant à nouveau des propositions d’auteurs rafraîchissantes (Les Enfants de la mer en 2019, et La Chance sourit à Madame Nikuko en 2021). 

Cette année le studio fondé à l’origine par Eiko Tanaka a présenté deux films au festival d’Annecy : All You Need Is Kill (Kenichiro Akimoto), et ChaO (auréolé du prix du jury) du réalisateur Yasuhiro Aoki. Cette relecture de La Petite Sirène version pastiche de conte de fée parviendra-t-elle à dépasser les écueils du genre dont elle se moque ? Ou restera-t-elle seulement un joli bijou brillant ? 

© 2025 « ChaO » Committee

Critique du film

Ariel mais avec des chaussures 

À vrai dire, le film n’a pas grand chose à voir avec le conte d’Andersen, ni même avec le film de Disney, à part la prémisse. Stephan, un jeune ingénieur aéronautique cherchant à développer un nouveau bateau qui serait sans danger pour la vie marine, se retrouve englouti par un raz-de-marée avant d’être sauvé par une mystérieuse sirène du nom de ChaO… 

Du côté de cette dernière, c’est le coup de foudre au premier regard, et elle lui avoue alors vouloir se marier et vivre ensemble pour l’éternité ! En revanche, c’est moins le cas du côté de notre protagoniste car son Ariel tient finalement plus du poisson que de la sirène.

Dans un monde où les relations hommes-sirènes semblent encore tendues, c’est l’emballement médiatique instantané, tant la population voit dans ce mariage la promesse d’une pacification des relations entre les deux peuples. À commencer par le patron de Stephan, qui pense que le roi Triton le laissera enfin construire ses bateaux tranquille. 

Le film bascule alors dans une rom-com assez classique type « boy meets girl », où toute la population, son chef, les médias, le père poisson,… vont tout faire pour que les deux tourtereaux finissent ensemble. On a évidemment la scène du rencard au parc d’attraction, l’occasion de multiplier les gags visuels, dont la fameuse scène du « high-kick » que l’on peut apercevoir dans le teaser. 

Studio 4°C d’hier et d’aujourd’hui 

L’atout du film est sans nul doute toutes ses trouvailles visuelles, de la composition des plans à l’animation très libre. On est souvent plus proche du cartoon, avec des déformations de personnages et des poses exagérées dans la plus pure tradition du Studio 4°C, qui semble encore porter dans ses plus récentes productions tout l’héritage de Masaaki Yuasa (Mind Game, Noiseman Sound Insect, Genius Party).

Alors que les productions de grande ampleur sont généralement très calibrées, on retrouve avec plaisir un Hirokazu Kojima (directeur de l’animation et chara-designer), qui a pu bénéficier de la liberté de déployer un style très personnel, seulement aperçu jusque-là dans le court métrage Shoka. 

Des lignes très brutes et malléables qui s’adaptent parfaitement au style d’animation et à l’humour du film. On a beaucoup de comédie slapstick, à base de glissade sur peau de banane et de comique de répétition (i.e. la poêle contre laquelle se cogne le héros chaque matin). Les décors et perspectives peuvent aussi changer pour refléter l’état émotionnel des personnages.

La star du film, c’est bien sûr l’animation de l’eau, dont Kojima n’est pas un débutant, étant donné qu’il avait déjà travaillé comme animateur clé sur le film Children of the Sea. En regardant sa filmographie, on remarque également un certain talent pour l’animation des cheveux, tout en légèreté et fluidité. Dans une des scènes de climax où ChaO danse avec toute sa chevelure aqueuse, on aperçoit réellement ce talent particulier, les « mèches » aqueuses dansent avec délicatesse, pendant que les gouttes d’eau qui la compose restent en suspension un instant dans un slow-motion hors du temps. 

Bien que ce soit son premier long métrage, les idées de cadrages et de compositions des plans du réalisateur Yasuhiro Aoki sont très innovantes et servent la narration. On retiendra notamment l’utilisation astucieuse de l’eau tout le long du film pour préparer le spectateur à entrevoir ChaO sous sa forme de sirène humanisée, nous laissant, comme à Stephan, un avant-goût de la transformation. 

Car plus que La Petite Sirène, le film relève plutôt de La Belle et la Bête. On comprend rapidement que si ChaO se sent en confiance, et aimée pour ce qu’elle est au fond d’elle-même, sa beauté extérieure se révèle alors à l’être aimé. Un challenge que va devoir relever Stephan tout le long du film. 

Le réalisateur s’appuie beaucoup sur les plans larges et bien souvent dénués de personnages, nous laissant admirer les décors et la direction artistique somptueuse de Hiroshi Takiguchi. Ayant également occupé cette fonction sur les films de Makoto ShinkaiThe Garden of Words et Weathering With You, on retrouve des couleurs vives, des décors très texturés, et un travail poussé sur la lumière du soleil, les tons orangers des couchers de soleil sont magnifiques. 

Le scénario boit la tasse 

En somme, toute cette histoire est assez convenue, les scènes s’enchaînent parfois sans vraiment de cohérence, le début du film fait très compilation de gags : on passe de la scène rigolote du réveil se découvrant fiancés, aux passages comiques de rencard, aux séquences drôles de la vie de couple. Les deux personnages apprennent à s’apprivoiser et se rapprochent jusqu’à une scène de tension maximale qui fait exploser le couple, faisant revenir le récit à son point initial. Puis une scène de flashback – qui n’est pas sans rappeler l’histoire de Le Serpent Blanc (1958), film fondateur du cinéma d’animation japonais – vient apporter un dernier éclairage sur les origines de leur relation, pour enfin terminer par la scène de bataille final, and they lived happily ever after. 

Le film ne renverse donc pas les codes du genre et propose une comédie romantique adolescente assez standard de ce point de vue là. Toutefois, comme les rom-com américaines des années 90 justement, le film souffre du traitement des personnages féminins. On se rappellera du « Je t’ai embauché pour piloter des bateaux pas des femmes » ou bien de l’ingénieur qui dessine des plans sur le dos de l’infirmière à gros seins ou encore de la rédactrice en cheffe de Stephan avec des ENCORE plus gros seins surnommée « Missiles paire d’obus » par ce dernier, et dont elle tombe amoureuse. Ces éléments qui m’avaient sortis du film pendant le visionnage m’apparaissent à la réflexion trop énormes (sans mauvais jeu de mot…) pour ne pas être de l’absurde. Car le film semble bien évoluer dans ce registre du pastiche de conte de fée, on nous présente en début de film un livre de conte, pour au final découvrir la vérité derrière la légende, et la morale en sous-texte de ne pas toujours croire ce que l’on nous raconte ? Mais en parallèle, les comportements de ces personnages durant la narration ne sont jamais invalidés ou sanctionnés par le reste des protagonistes…

Vous l’aurez compris, le film est une merveille visuelle qu’il serait dommage de louper sur grand écran ! La comédie burlesque fera peut-être plutôt rire les enfants, mais les adultes en prendront au moins plein les yeux. En somme, un véritable film d’animation ambitieux visuellement, mais qui pêche un peu narrativement, bloqué dans certaines ficelles et écueils de la rom-com adolescente.


Interview : rencontre avec trois membres de l’équipe du film

Pour commencer M. Aoki, pourriez-vous revenir sur la genèse de ce projet ? C’est vous qui avez approché le Studio 4°C avec une idée de scénario originale ou bien Mme Tanaka, la productrice du studio, est venue vous chercher ?

Yasuhiro Aoki (réalisateur) : C’est le deuxième cas de figure, le projet m’a été proposé par la productrice Mme Tanaka.

ChaO me rappelle d’ailleurs un précédent projet que vous aviez déjà développé ensemble, le court métrage : Kung Fu Love. Ce dernier contient beaucoup de points communs avec ChaO, que ce soit dans l’histoire (boy meets girl, un couple entre deux mondes), ou certaines idées visuelles (gags, tête de poisson). Dans quelle mesure le court métrage était-il une base pour votre film ?

Aoki : Il est vrai qu’il y a plus d’une quinzaine d’années, j’ai réalisé ce court métrage, Kung-Fu Love, et ce film, au-delà de sa nature de court métrage, avait une valeur de « bande annonce », une dimension exploratoire. J’espérais faire un film dont ce pilote était une sorte de graine. Puis, le temps passant, j’ai travaillé à d’autres projets, dans d’autres studios, je me suis éloigné du Studio 4°C. Mais lorsque Mme Tanaka m’a proposé le projet de ce film, qui fait écho en effet à ce projet précédent d’il y a 19 ans, c’était vraiment comme une sorte de retour à cette époque-là, je me suis dit qu’il y avait dans sa proposition, des facteurs compatibles avec ce projet précédent, et j’ai eu l’envie forte de construire un projet de film sur la base de ce pilote. Je me suis dit que c’était le moment de donner forme à l’envie que j’avais ressentie à l’époque, faute de quoi elle aurait été construite en pure perte, n’est ce pas ?

De manière générale, j’aime les films qui commencent comme des comédies, prennent un ton plus sérieux en cours de route et se terminent en effet dans cette perspective-là, c’est quelque chose de commun à ces deux projets, mais donc oui, ce sont deux choses qui les relient de manière assez profonde. 

M. Shôgo Furuya, vous êtes crédité sous le terme de enshutsu, parfois traduit « metteur en scène » ou bien dans ce cas-ci sur certains sites « codirecteur ». Est-ce que vous pouvez revenir sur votre rôle dans la production / comment vous êtes-vous partagés les tâches avec M. Aoki ?

Ilan Nguyen (interprète) : la traduction correcte est bien « metteur en scène ».

© 2025 « ChaO » Committee

Shôgo Furuya (coréalisateur) : Pour vous détailler un petit peu comment les choses se sont organisées, les plans parvenaient d’abord à M. Aoki, qui, en tant que réalisateur, les vérifiait et vérifiait avant tout des considérations liées au tempo des plans et au tempo des scènes en général. Ensuite, les plans m’arrivaient, alors il pouvait y avoir des indications concrètes (ou pas), mais venant tous les deux d’une carrière d’animateur, nous étions capables de corriger les plans du strict point de vue de l’animation. Puis, sur le plan du rythme, l’une des difficultés a été d’être au niveau de l’ambition du film qui cherchait à se détacher du tout venant de l’animation japonaise pour tenter de restituer une sensation de réalité à l’image. M. Aoki souhaitait faire avancer le travail de l’animation de personnage en tant que tel. Et donc, par delà des différences ponctuelles dans l’animation des personnages, qui aurait été, dans une autre disposition, de nature à susciter une correction et une uniformisation, là, si le mouvement proposé par les animateurs clefs était en lui-même attrayant, alors on voulait conserver cette forme venant du travail des animateurs. Et donc tout ce travail a été un véritable dilemme avec M. Kojima, à la conception des personnages, parce qu’il a fallu concevoir ensemble une ligne directrice beaucoup moins uniforme et beaucoup plus ouverte à la versatilité de l’image.  

M. Kojima, votre style graphique tranche beaucoup avec les productions japonaises habituelles. Les autres animateurs présents sur le projet arrivent-ils à imiter votre style ? Dans quelle mesure le travail de superviseur de l’animation est-il compliqué quand on a un style si distinct ?

M. Kojima hésite longuement pour chercher les mots justes. 

Hirokazu Kojima (directeur de l’animation / chara-designer) : Alors oui, il y a eu des difficultés et cela a eu une incidence sur le temps de travail de correction et de réflexion. Et puis, j’ai aussi eu un peu de regret sur certains passages, et alors oui, il y avait des gens qui parvenaient à un style suffisamment proche mais… 

(il reprend une pause) 

Aoki : Comme vous le voyez, c’est quelqu’un qui prend le temps de la réflexion, qui se met à hésiter, ça prend du temps, et nous on se disait : « Eh bien ce n’est pas grave, avançons ! » 
M. Kojima est quelqu’un de très sérieux, très consciencieux, ce qui lui permet de par ce travail intérieur, d’avoir grandi sur ce projet et d’en avoir tiré des leçons qui lui servent pour le projet suivant, donc c’est tout à fait remarquable de ce point de vue là. 

Kojima : Comme M. Aoki l’a mentionné dans son intervention, j’étais en effet trop investi à l’égard de ces personnages et donc, je voulais absolument les faire les amener à un certain niveau. C’est aussi une leçon que j’ai tirée de ce projet, il faut arriver à ne pas trop s’investir émotionnellement vis à vis des personnages en se disant ce ne sont pas MES personnages, et donc maintenir une distance.

Furuya : Et donc, le résultat du film, c’est qu’il y a une disparité dans la forme du mouvement, dans l’apparence graphique aussi, mais je trouve que ça va dans le bon sens, ça sert le film. 

M. Kojima, l’animation de l’eau est au centre de ChaO, mais il nous semble que votre relation avec cet élément remonte à plus loin (Les Enfants de la mer au moins). Pouvez-vous revenir sur la manière dont vous dessinez l’eau a évolué au fil du temps ? Sur ChaO, avez-vous pris une approche distincte de vos précédents travaux ?

Kojima : Vous savez qu’au Japon, que ce soit pour l’eau ou d’autres éléments naturels, il y a des animateurs qui sont très portés sur l’animation d’effets spéciaux, c’est un domaine particulier d’expression pour eux. Et moi, j’ai l’impression par rapport à ça, que si l’on regarde de manière plus longue à l’échelle de l’histoire de l’animation au Japon, il y a eu à chaque époque des animateurs qui ont travaillé sur ce motif de l’eau.

Il me semble que c’est une question vis à vis de laquelle il n’y aurait pas une seule réponse, définitive et univoque. Il y a une sensibilité – formelle – qui évolue au fil du temps, une question de sens du mouvement qui est en jeu, ainsi, il y a toutes sortes de réponses qui ont été proposées de façon successive à travers l’histoire. Pour ma part, c’est quelque chose dont je n’étais pas vraiment conscient au début de mon travail sur le film Les Enfants de la mer, mais il se trouve que dans le final paroxystique, l’eau prend une place particulière et pour cela, on a fait appel à un animateur qui est particulièrement doué pour la représentation de l’eau. Le travail qu’on a reçu en termes d’animation à ce moment-là était tout à fait satisfaisant et éclatant, c’est ça qui m’a fait dire que je devais aller dans cette direction pour ChaO (car le projet était déjà en route à cette période-là). Il y a donc eu une sorte de révélation à ce moment-là.

© 2025 « ChaO » Committee

M. Aoki, comment s’est passé le travail avec le directeur artistique Hiroshi Takaguchi ? Ses décors sur le film ont l’air moins photo-réalistes que ses précédents projets…

Aoki : Quand on travaille sur un long métrage au cinéma, on a besoin d’un seuil minimal de qualité des décors, d’un certain niveau d’impact pour que le film puisse exister. Je connaissais le travail de M. Takaguchi grâce à plusieurs de ses travaux précédents, et j’avais envie de travailler avec lui, mais c’est quelqu’un qui déteste refaire deux fois la même chose, et c’est mon cas également, donc on s’est posé la question par rapport aux personnages tels qu’ils avaient été construits par M. Kojima même en termes de pur tracé. L’enjeu pour nous, c’était de trouver des décors qui soient convaincants, et satisfaisants pour lui, et qui correspondent au type de changement que lui voulait mettre en place par rapport à ses travaux précédents. Donc, ça a été un mélange entre ces considérations-là qui nous a permis d’aboutir à ces décors. 

Nous remercions l’équipe d’Eurozoom ainsi qu’Alexis Rubinowicz (AR Presse) pour l’organisation de cette rencontre. Et bien sûr, M. Ilan Nguyen, pour sa traduction toujours réactive et précise en dépit de mes questions à rallonge.

Les droits de distribution français du film ont déjà été acquis par Eurozoom et la date de sortie officielle dans l’hexagone a été fixée au 28 janvier 2026.

Entretien préparé par Elliot Têtedoie, Florian Abbas et Quentin Dumas

Rédaction de l’article et conduite de l’entretien : Quentin Dumas

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