100 mètres (Hyakuemu) : découverte à Annecy et rencontre avec son réalisateur Kenji Iwaisawa

Après avoir créé la surprise avec On gaku notre rock, un premier long métrage animé en équipe réduite à l’humour déjanté, Kenji Iwaisawa revient cette fois-ci avec une équipe complète pour l’adaptation du manga de Uoto : Hyakuemu

Quand l’animation transcende la narration

On vous en parlait déjà l’an dernier dans notre article consacré au work in progress du film au festival d’Annecy, le film s’inscrit dans la veine des mangas de sport de type supokon où camaraderie et esprit d’équipe sont les mots d’ordre ! Le film nous raconte l’histoire de Togashi et Komiya, deux élèves de primaire au début du film, que l’on va suivre tout au long de leur vie, leurs rivalités entre eux, mais aussi par rapport à toute une galerie de personnages, autour de la course à pied sur 100 m. 

Ce qui surprend immédiatement, c’est le style graphique, radicalement plus réaliste que dans son précédent film. Iwaisawa explique qu’il avait volontairement simplifié son trait pour correspondre au style du manga d’origine. De plus, le trait minimaliste convenait bien à la production qu’il avait abordé à la manière d’un « court métrage étudiant », s’occupant de la majorité des postes à lui tout seul ! 

Mais sur Hyakuemu (100 mètres), l’échelle est différente, cette-fois, on est face à un long métrage de 1 h 46, avec Keisuke Kojima (Kill la Kill, One punch man) à la direction de l’animation et Keikankun Yamaguchi pour la direction artistique. 

À nouveau, le réalisateur s’est servi de la rotoscopie mais pour un rendu plus réaliste, autant dans l’animation des personnages que pour les décors. Toute la puissance du film réside donc dans les moments de courses où le réalisateur vient casser la solidité du dessin pour y injecter un mouvement plus expressionniste qui vient refléter la détermination que les personnages mettent dans leurs mouvements. Cela peut aller des simples smears notamment sur le balancier des bras, jusqu’à des déformations totales sous l’effet de la vitesse. On retrouve également sa « marque de fabrique », avec une scène de course dans les rues en vue à la première personne et « caméra-épaule » qui nous plonge pleinement dans la vision du personnage.

Les premiers travaux d’Iwaisawa sont peu connus mais ce dernier a longtemps travaillé dans le domaine du court métrage avant de changer d’échelle pour espérer toucher un plus large public avec le long. La scène d’introduction en animation traditionnelle et crayons de couleur semble être une pure réminiscence de ses travaux plus « arty » et « indépendants ».

L’histoire, comme nous le disions, bien que très classique dans sa forme, reste un très beau récit d’amitié, rivalité et dépassement de soi ; mais rien d’étonnant venant de l’auteur de Le Mouvement de la Terre

Le réalisateur parvient bien à condenser les cinq tomes du manga en développant les différents défis auxquels sont confrontés les personnages évoluant dans ce milieu de la course de 100 mètres. Tout d’abord, le héros, Togashi est né avec le « don » de courir vite, c’est le genre de profil du gamin le plus rapide de sa ville natale, mais qui va être confronté à la réalité en arrivant au niveau national. Avant cela, il rencontre en primaire Komiya, qui, bien que très très nul au début, va rapidement progresser grâce à l’entraînement de Togashi pour devenir l’un de ses plus puissants rivaux. En grandissant, ils feront la connaissance de Saizu, le champion lycéen en titre, puis plus tard de Kaidou en ligue professionnelle. Toute cette galerie de personnages fera chacun face à ses propres traumas et insécurités : comment rester le meilleur, dépasser sa peur de se blesser, ne pas perdre ses sponsors, et surtout, tenter de répondre à la question : mais pourquoi on court ? 

Car au-delà des scènes de courses, l’animation abstraite de Iwaisawa vient soutenir constamment le développement narratif des personnages, comme la jambe fragilisée suite à une vieille blessure qui se met à se tordre comme un spaghetti dans l’esprit du personnage. Ou encore une scène de craquage émotionnel où toute la réalité devient floue et distordue. 

Si ils courent, c’est pour défier la réalité, la volonté du coureur peut réécrire le destin et tout changer, c’est pour se prouver à eux et au monde qu’ils en sont capables. Tout cet esprit brûlant de dépassement est d’ailleurs soutenu par une pure BO de rock énervée bien shônen. Entre On gaku et le nom de son studio d’animation Rock’n Roll Mountain, Iwaisawa est un fan de rock au cas où on ne l’aurait pas remarqué !  

Hyakuemu est donc une totale réussite où le matériel d’origine est sublimé en utilisant pleinement les potentialités sonores et visuelles du médium pour transcender l’histoire d’origine. Le film sort à l’automne au Japon, et on espère bientôt voir poindre une date française ! En tout cas, pour l’Europe, le film est d’ores et déjà acquis par Anime Ltd. / All the anime. 

« Beaucoup de gens veulent créer des œuvres intéressantes totalement par eux-mêmes et je veux aider, comme je le peux, ces personnes. »

Journal du Japon : Comment est venue l’idée de cette adaptation ? Étiez-vous un fan du manga à l’origine ou bien c’est l’éditeur du manga qui vous a approché ? 

Kenji Iwaisawa : Au départ, j’avais lu Du mouvement de la Terre, une autre œuvre de M. Uoto, et j’avais notamment trouvé ça très novateur. Ça m’a intrigué, et j’ai cherché quels autres mangas il avait publié. Je suis tombé sur Hyakuemu, qui m’a intéressé grâce à son thème de l’athlétisme. Je lisais le manga depuis un mois, lorsque j’ai reçu la proposition de m’occuper de son adaptation en anime. C’était un pur hasard, si bien que j’ai accepté, car cela me semblait être le destin. 

Pour Variety, vous aviez dit que le chara-design était très important pour vous, la première chose que l’audience découvrirait, le choix de Keisuke Kojima était évident dès le départ ? 

En effet, le character design est la chose la plus connue d’une œuvre, étant donné que même des gens qui ne la connaissent pas peuvent tomber dessus. C’est vraiment important. On m’a rapporté que M. Kojima avait vu mon précédent film On gaku notre rock, et à partir de là, on a commencé à échanger, je lui ai demandé des conseils. M. Kojima est non seulement animateur, mais c’est aussi quelqu’un de très cultivé. Je me disais que s’il ne rejoignait pas l’équipe, on ne pourrait pas faire Hyakuemu. Je lui ai donc également demandé de diriger le character design

Kojima a de très bonnes notions de background animation et de placement de caméra, est-ce que vous avez aussi fait appel à lui pour vous aider sur le storyboard ou les layouts

Il n’a pas touché au storyboard, mais je lui ai plusieurs fois montré. Sur On gaku, j’étais pratiquement seul, donc le storyboard, je le faisais pour moi. Mais cette fois-ci, j’ai travaillé avec une véritable équipe qui devait saisir facilement mes intentions. On est donc revenu à une méthode assez classique, où le storyboard sert de base à tout le monde. M. Kojima m’a en quelque sorte supervisé, car je lui montrais le storyboard en lui demandant si ça convenait. 

En parallèle, vous réalisez un projet plus personnel (Hina). Comment faire deux choses en même temps ?

J’ai travaillé environ deux ans sur Hyakuemu. Alors que j’avais commencé à travailler sur Hina sans trop de financements, le projet Hyakuemu est arrivé sur la table avec un budget complet. Du coup, je suis passé sur Hyakuemu à temps plein tout en continuant à chercher des sponsors pour Hina.

 Est-ce que les deux projets s’influencent entre eux ? 

Je pense qu’il y aura des traces d’influences oui. Je vais sûrement utiliser des choses et des façons de faire que j’ai apprises sur Hyakuemu pour Hina.

Pour On gaku notre rock, vous avez dû rajouter du contenu par rapport au manga d’origine pour tenir la durée d’un long métrage. Et là, le manga de Uoto fait cinq tomes, donc j’imagine que vous avez dû faire le processus inverse ? 

Le manga en lui-même est assez long pour être adapté en série. Mais pour un film, il fallait obligatoirement supprimer des choses. Par exemple, pour le personnage de Nigami, dans le manga on trouve de très longues scènes sur son passé, pendant environ un tome et demi. Pour le film, je me suis dit qu’on pouvait arranger le récit pour que ça ne soit que l’histoire de Komiya et Togashi. Je ne me suis pas trop inquiété à ce sujet. 

Comment avez-vous approché le fait de pouvoir vous concentrer sur la réalisation, contrairement à On gaku notre rock sur lequel vous faisiez un peu de tout ? 

Pour Hyakuemu, j’allais devoir demander aux autres de dessiner. J’ai donc pris du temps pour me préparer à la communication interne. C’est une différence qui pèse, et il fallait bien que j’apprenne les processus. Au fur et à mesure que le film approchait de la complétion, notre méthode de travail devenait de plus en plus classique. J’ai toujours travaillé en indépendant jusque-là, donc je sais faire beaucoup de choses par moi-même. Du coup, j’ai tout de même dessiné certaines choses moi-même pour Hyakuemu. Pas les personnages, mais j’ai dessiné pas mal de décors, de détails.

Depuis les débuts, on a le sentiment que vous essayez de vous affranchir d’une certaine « orthodoxie de l’animation ». Cela a-t-il un rapport avec l’usage de la rotoscopie qui permet d’atteindre un rendu hybride proche de la prise de vue réelle ?

Oui, encore maintenant je pense que la rotoscopie a beaucoup de choses à offrir. Notamment au Japon, il n’arrive que très rarement qu’une œuvre ne soit fabriquée qu’à l’aide de la rotoscopie. Je me demande si l’on ne peut pas arriver à une nouvelle forme d’animation. En Europe, ça n’est pas si rare, en revanche. 

Quelles sont vos œuvres utilisant la rotoscopie favorites ?

J’aime vraiment beaucoup Douce et Criquet s’aimaient d’amour tendre des frères Fleischer. 

Vous avez même monté un studio, Rock’n Roll Mountain animation, pour garder la totale indépendance et vision sur vos projets à l’époque. 

J’avais le nom du studio, mais il n’y avait personne à l’époque. J’ai pu rassembler du monde à l’occasion de Hyakuemu justement. Ce ne sont presque que des jeunes, qui n’ont pas ou peu d’expérience dans l’industrie de l’animation. L’animation est en pleine expansion, le marché s’élargit, des nouveaux studios, voulant créer de nouvelles choses, fleurissent un peu partout sur la planète. Mais cela prend des années pour créer une nouvelle œuvre. Pour Hyakuemu, les sponsors voulaient que je finisse le film pour cette année, alors je n’avais pas d’autre choix que de créer mon studio. 

Est-ce que c’était dur de trouver des producteurs pour le film Hina ?

Je n’ai pas encore vraiment de producteur fixe. Quelqu’un m’a déjà proposé mais ça ne s’est pas fait, au final. Au minimum, je suis parfois obligé de faire le producteur tout en réalisant. C’est assez difficile, c’est pourquoi j’ai vraiment envie de trouver un producteur. (rires)

Et à présent, vous faites usage de votre célébrité nouvelle pour aider de jeunes réalisateurs, en tant que producteur à votre tour, comme Ryuya Suzuki avec son Jinsei (également en sélection cette année). Est-ce que c’est votre ambition, de pouvoir créer un espace pour l’animation indépendant au Japon ? 

Oui, grâce au succès de mon film On gaku, j’ai pu amasser de bonnes ressources financières, être assez tranquille. La suite est assez logique. Il y avait M. Suzuki, qui travaillait dur sur son long métrage, tout seul, et je me suis dit que si je l’aidais, il pourrait réussir à compléter son film. J’ai aidé, sans m’impliquer ni dans l’histoire ni dans quoi que ce soit, mais simplement pour que cela voit le jour. Il y a beaucoup de monde qui veut créer des œuvres intéressantes totalement par eux-mêmes, et je veux aider comme je le peux ces personnes.

En voyant le film projeté à Annecy, je me suis dit que l’image que j’ai de l’industrie du divertissement ne serait que meilleure si plus d’œuvres comme ça sortaient. Et ce que je peux faire pour aider, c’est supporter les créateurs. 

Est-ce que vous vous rendez à des événements qui rassemblent les animateurs indépendants ?

Pas du tout, malheureusement. Mais j’ai pu créer un peu de lien cette année au MIFA, durant le Festival d’Annecy. 

La scène d’introduction, ainsi que la scène juste après le générique d’ouverture, tranchent beaucoup visuellement avec le reste du film. Elles rappellent vos courts métrages d’étudiants. Est-ce vous qui vous êtes personnellement occupé de ces scènes, où bien l’avez vous confié à un animateur ? 

Oui, j’ai demandé à Ryôji Yamada, un animateur de mimoid.inc, un studio qui fait des vidéos de promotion pour des musiciens assez connus au Japon. J’aime beaucoup son travail, et je réfléchissais à donner un aspect différent à l’ouverture du film, alors je lui ai demandé de travailler dessus.

Le clip Inside du groupe Dustcell réalisé par Yamada Ryoji

Quel a été votre déclic pour passer à la création d’anime ? Aviez-vous effectué un quelconque travail d’animation avant ? 

Au départ, j’avais comme rêve de réussir dans le cinéma en prise de vue réelle. Mais c’est véritablement impossible de réussir sans savoir communiquer avec son équipe ou gérer une équipe. Et j’étais assez mauvais à cela. Mais j’avais vraiment envie de donner vie à mes idées. Il se trouve que j’aimais bien dessiner, et que je dessinais beaucoup d’ailleurs, en traçant les lignes à partir des prises de vue réelles. Je me suis alors dit : « Pourquoi pas en faire de l’animation ? ». J’ai alors commencé, et pendant cinq ans, j’ai produit un court métrage de quatre minutes et quelques [voir ci-après], en utilisant la rotoscopie, mais sans savoir que la technique existait déjà. Et au premier festival de films indépendants ou j’ai amené mon court métrage, les gens m’ont dit : « Mais c’est de la rotoscopie ! ». J’ai donc enfin réalisé que cette technique existait. Alors, j’ai décidé d’en faire ma spécificité et d’utiliser cette technique dans mes animations.

Qu’avez-vous appris durant vos années dans le film live aux côtés de Teruo Ishii ?

Pas grand chose en vérité (rires). C’est étrange, au départ j’étais dans son équipe pour un de ses films, j’avais 18 ans. J’étais jeune, je ne comprenais pas grand-chose mais je voulais devenir réalisateur de films live. Quand on a fini le tournage, M. Ishii m’a contacté, sans rapport avec un film, simplement pour qu’on aille manger ensemble. Il me demandait de venir chez lui, ça me donnait un peu l’impression d’aller chez mon grand-père. Mais contrairement à ce que son statut de grand réalisateur pourrait laisser penser, il ne m’a pas du tout parlé de réalisation. Plutôt de sujets comme : « c’est impoli de se comporter comme ça devant une femme ». C’est vraiment plus ce genre de choses qu’il m’a enseigné ! (rires) On avait une relation assez étrange, et assez intime au final. 

Nous remercions l’équipe de All The Anime ainsi qu’Aurélie Lebrun et Emmanuelle Verniquet de l’agence Games of Com pour l’organisation de cette rencontre !

Entretien préparé par Elliot Têtedoie, Florian Abbas et Quentin Dumas

Conduite de l’entretien et traduction : Florian Abbas

Rédaction de l’article : Quentin Dumas

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