[Interview] Samantha Bailly : pour parler la langue du moineau…

Samantha Bailly - Photo LoluCette semaine est sorti Kotori, le chant du moineau aux éditions nobi nobi !, l’histoire d’une amitié hors-norme entre un vieil homme et un petit moineau, signée par Samantha Bailly à l’écriture et Shigatsuya au dessin. C’était notre première rencontre avec Samantha Bailly, lors du dernier Japan Expo.

Cette jeune romancière de fantasy (Oraisons, vous connaissez ?) est revenue avec nous sur le travail d’adaptation de contes japonais. Entre la différence des cultures, le jeune public cible et les choix personnels, Samantha nous décrit sa façon de travailler et les moments importants ou difficiles de cette seconde adaptation pour l’éditeur , après La Princesse au bol enchanté l’an dernier.

Comment une scénariste parvient à jongler avec le fond et la forme d’une œuvre qui n’est pas, au départ, la sienne… ?

 

Fantasy et petit moineau

Journal du Japon : Bonjour Samantha, tu étais présente à Japan Expo 2012 pour présenter La Princesse au bol enchanté et depuis beaucoup de choses se sont passées : ton passage chez l’éditeur Bragelonne: et Milady, de nouveaux romans et l’arrivée de Kotori, le chant du moineau chez nobi nobi !
Est-ce que tu peux revenir sur cette année bien chargée ?

Samantha Bailly : En fait le petit éditeur qui publiait mes romans de fantasy s’est arrêté et il a revendu son catalogue ailleurs. J’ai eu une période où je n’avais plus du tout d’éditeur. J’ai donc commencé à démarcher et j’avais sous le coude Ce qui nous lie, un roman contemporain avec une pointe de fantastique qui raconte l’histoire d’une femme qui voit les liens qui relient les individus.
Lors des Imaginales, un salon de l’imaginaire à Épinal qui a lieu chaque année, j’ai rencontré Stéphane Marsan, l’un des co-fondateurs de Bragelonne. Je lui ai lui expliqué ma situation avec mon roman de fantasy que j’aimerai bien rééditer (Oraisons, ndlr) et mon roman contemporain. Mais jusqu’ici les autres éditeurs m’avaient dit : « tu sais tu as déjà fait 2 000 exemplaires en micro-édition alors que nous on ne fait même pas ça avec nos auteurs », « ton livre a déjà vécu, il est mort », « on ne le replacera plus jamais »… Optimisme !

Bragelonne

Et donc Stéphane me dit « envoie-le moi et envoie moi aussi ton roman contemporain ». Je savais que ces titres n’étaient pas du tout dans la ligne éditoriale de Bragelonne et Milady, je ne m’attendais à rien d’extraordinaire mais je l’ai fait. Et là il m’envoie un mail… Je crois que je le garderai toujours, il faudrait que je l’encadre ! (Rires)

Ce qui nous lie

Il me disait que « C’est un coup de cœur absolu », «la question n’est pas de savoir SI on va le publier mais QUAND on va le publier car ça ne rentre pas dans notre ligne éditoriale et il faut qu’on lui trouve une place. On reprend aussi Oraisons ». C’est comme ça qu’on a réédité ce dernier sous forme d’intégrale et qu’ils ont sorti Ce qui nous lie dans une collection romance (même si ce n’est pas que ça), et qui va être traduit en allemand… Je suis donc ravie !

Et il y a aussi un retour chez nobi nobi ! avec Kotori. Comment est-il né ?

Je pense que Pierre-Alain et Olivier (Pierre-Alain Dufour et Olivier Pacciani, les deux dirigeants-fondateurs de nobi nobi !, ndlr) ont une liste de contes traditionnels qu’ils ont envie d’adapter. On s’est donc vus pour discuter de La Princesse au bol enchanté et des autres titres potentiels et ils m’ont dit « Voilà nous avons un autre conte super bizarre pour toi, est-ce que ça t’intéresse ? »

Un conte super bizarre ! (Rires)

Kotori, le chant du moineau

Oui, ils ont dit qu’ils allaient « me spécialiser en contes chelous japonais ! » (Rires)
Après une princesse avec un bol sur la tête qui fait une tentative de suicide, parlons d’un petit moineau avec la langue coupée… Voilà voilà ! (Rires)
Mais après m’être remise de mes émotions sur le sort de ce pauvre volatile, je leur ai dit « ok, pas de souci, on y va ! ». Et, en fait, ça s’est avéré super intéressant car il s’agit de thématiques éloignées des princesses très classiques, c’est vraiment autre chose avec des histoires d’amitiés, de lien entre animaux et humains, de métamorphose… J’étais ravie de me lancer là dedans et je me suis mise à étudier les différentes versions qui existaient.

Il y en a beaucoup ?

Oui, il y a pas mal de variations. A la base, c’est un conte qui viendrait de Mongolie qui s’appelle Le moineau à la hanche cassée. Il y avait donc pas mal de choix possibles, avec des variations situées au début et à la fin de l’histoire, notamment sur le sort de certains personnages. On a fait des choix ensemble, je faisais des propositions à nobi nobi ! puis on a réajusté ensemble. De leur coté, ils ont ensuite travaillé avec une nouvelle illustratrice, Shigatsuya.
On était un peu plus rodés car c’était vraiment le même fonctionnement que sur La Princesse au bol enchanté. J’avais découvert tout ce qui touchait au format sur le premier ouvrage : découpage, pagination, quantité de texte… Ça avait déjà bien fonctionné sur le premier donc là, sur Kotori, ça a roulé sans problème.

Comme pour La Princesse au bol enchanté tu n’as eu aucun contact avec l’illustratrice pendant l’écriture. Est-ce que ça ne t’as pas gênée ?

En fait on est sur un conte traditionnel qui ne m’appartient pas, donc ça ne pose aucun souci dans le sens où c’est un travail d’adaptation d’un fond qui existe déjà. J’apprécie l’œuvre et je me cultive en travaillant dessus mais je ne me sens aucun droit de regard, ce qui serait sans doute différent pour un conte que j’aurai créé. Mais là, la direction artistique, c’est vraiment le rôle de nobi nobi !
Et en plus je ne suis jamais déçue de ce que je vois donc bon…

Construction et déconstruction : la réécriture d’un conte…

Shigatsuya

Si vous travaillez de manière séparée, dans quel ordre se construit l’œuvre : le texte puis les planches ?

nobi nobi ! me montre quelques planches préparatoires, faites pour tester les rendus du moineau par exemple. Ensuite je fais le texte et ils donnent à Shigetsuya (l’illustratrice, photo ci-contre, ndlr) le découpage qu’on a réalisé. Enfin je vois les planches et là je rajoute des choses dans le texte, des petits détails en général… Par exemple à un moment il y a un banquet et, par rapport aux éléments de nourriture qu’elle a mis sur le dessin, je vais rajouter différentes choses dans le texte. Ce sont des petites touches de réajustement.

Combien de temps d’écriture a été nécessaire pour la réalisation de l’ouvrage ?

Pour moi c’est toujours assez rapide, il y a en général une semaine de travail sur l’écriture. Mais le travail d’appropriation est plus long que le travail d’écriture : lire et comparer les contes, voir ce qu’il en ressort, l’ambiance, faire la sélection, le découpage. nobi nobi ! a commencé à m’en parler en avril ou mai 2012. J’ai commencé à le lire pendant les vacances et j’ai commencé l’écriture entre septembre et octobre.

Sur ce nouveau texte, il y a eu des passages difficiles ?

Ce texte raconte beaucoup de péripéties donc le plus dur a été de condenser le tout. Il faut être dans l’efficacité mais il faut aussi un peu de poésie, on essaye de jouer un peu avec la langue. Par exemple, à un moment, le vieillard cherche son moineau, il traverse la forêt et rencontre un premier fermier qui lui dit : « Si tu bois les 7 baquets d’eau sale, je te dirai où est ton moineau» puis il rencontre un vacher, puis un autre etc. Il y a plusieurs scènes comme ça, un peu répétitives, qui sont toujours un enjeu : on ne va pas en faire trois planches, ce n’est pas là que réside l’intérêt de l’histoire, ce n’est qu’un petit moment.
Donc il y a ce travail de condensation qui nous a permis, ensuite, de nous déployer davantage sur le petit moineau et sur sa métamorphose, ce qui permet des scènes assez lumineuses.

Samantha Bailly  - Photo Lolu 

Adaptation d’un conte : copier sans coller

Dans La princesse au bol enchanté, il y avait la scène peu évidente du suicide… Est-ce que tu as retrouvé une autre scène un peu compliquée à traiter pour le jeune public ?

C’est la scène où le moineau se fait couper la langue justement. Elle est vraiment bien illustrée, avec une métaphore où on ressent la douleur avec tous ces traits rouges notamment. On voit le ciseau mais ça reste de la suggestion. Dans le conte original, c’est plus dur : « Et donc il prit un ciseau et lui trancha la langue » et il existe des illustrations de certaines versions où il y a des vraies trainées de sang… C’est gore ! (Rires)
Je me demandais donc ce qu’allait donner ce passage car c’est tout de même l’histoire du moineau à la langue coupée. Même si on a changé le titre, c’est un élément de fond de l’histoire qu’il faut respecter. C’est un élément culturel qui est vu différemment chez nous, surtout la violence envers un animal – moi-même je trouve ça assez fort – mais ça reste essentiel. J’ai donc choisi de mettre « elle lui coupa la langue ».

Kotori

Tu ne pouvais pas ne pas le dire…

Exactement. En illustration on peut le dire autrement mais dans le conte il faut le dire textuellement, c’est la vérité.

C’est la même chose sur le titre de l’œuvre, qui n’est plus Le moineau à la langue coupée mais Le chant du moineau

On s’est dit qu’on ne pouvait pas laisser ce titre pour un conte francophone. Moi-même je n’aurais pas envie d’acheter pour mes enfants un livre qui s’appelle Le moineau à la langue coupée. On est toujours dans cet équilibre entre le conte traditionnel et l’adaptation. Et ça passe aussi par remodeler un titre.
Pour l’œuvre précédente, le titre était La princesse affublée d’un bol, ce n’est clairement pas très glamour. Alors que La princesse au bol enchanté invite plus le lecteur et indique plus nettement le contraste autour de ce bol, entre malédiction et bénédiction.

Plus joyeux maintenant : qu’est-ce que tu apprécies particulièrement dans ce conte ?

Personnellement, adorant les animaux, c’est l’amitié entre le moineau et le vieil homme. Trouver un animal blessé, le ramener chez soi et le soigner… Quand j’étais petite j’en ai soigné beaucoup des oiseaux avec mes parents. Je trouve que tout ceci résonne avec la relation parentale. C’est aussi un message de tolérance envers l’animal qui me tient tout particulièrement à cœur.

Kotori

Il y a l’histoire d’amitié et de métamorphose mais ça reste cette espèce de bienveillance qui m’a le plus touchée…. Moi je préfère les enfants qui ramassent des animaux que ceux qui leur jettent des pierres, clairement. Et il y a beaucoup de choses qui se jouent à cet âge-là justement, sur l’empathie chez un enfant. Certains n’en ont pas du tout mais c’est quelque chose qui se construit en grandissant, en étant confronté à des images. C’est pour ça que je trouve que ce message est important.

Pour finir cet entretien, peux-tu nous parler de tes projets ?

Chez Rageot je sors un thriller nommé À Pile ou Face, en septembre également. L’année prochaine j’ai pas mal de projets… Il y a un roman intitulé Stagiaires chez Milady et une trilogie de fantasy jeunesse chez Syros (du groupe Nathan) sur laquelle je travaille depuis plus de 10 ans, Souvenirs Perdus, et le tome 1 sort l’année prochaine. C’est déjà pas mal ! (Rires)

Samantha Bailly -  Photo Lolu

Et chez nobi nobi ?

On travaille sur un projet… qui vient de moi.

Inspiré d’un conte ?

Non pas du tout, c’est une histoire totalement inédite, qui me tient à cœur. Je leur en parle depuis un moment et on y réfléchit. Ce sera sans doute un nouveau format. Il n’y a rien de concret encore mais c’est dans les esprits.

C’est noté, on guette ça alors. Merci Samantha Bailly !

Merci à vous !

Retrouvez Samantha Bailly sur son site internet: et son compte Twitter. Pour suivre l’actualité des éditions nobi nobi !, vous pouvez vous rendre sur leur site internet, ou leurs comptes Facebook et Twitter.
Remerciement à Samantha Bailly pour sa bonne humeur et sa disponibilité, et à l’équipe de nobi nobi ! pour la mise en place de cette interview.

Photo Lolu ©journaldujapon.com – Tous droits réservés 

Paul OZOUF

Rédacteur en chef de Journal du Japon depuis fin 2012 et fondateur de Paoru.fr, je m'intéresse au Japon depuis toujours et en plus de deux décennies je suis très loin d'en avoir fait le tour, bien au contraire. Avec la passion pour ce pays, sa culture mais aussi pour l'exercice journalistique en bandoulière, je continue mon chemin... Qui est aussi une aventure humaine avec la plus chouette des équipes !

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