Fêtes de fin d’année : l’étrange Noël de monsieur Japon…

Après nos interviews sur le saké et notre sélection de livres autour de la cuisine, les fêtes de fin d’année sont à notre porte, et l’occasion semble toute trouvée pour aller voir un peu du côté du pays du Soleil Levant quelles spécificités il nous réserve une nouvelle fois, pour ce passage de 2014 à 2015. Entre appropriation et tradition, nous allons tenter de vous donner un aperçu des festivités qui se tiennent pour la fin et le début de l’année.

Feu d'artifice du nouvel an à Miyajima

Feu d’artifice du nouvel an à Miyajima

Préambule : concernant la foi chrétienne…

Il nous semble logique de commencer par là, même si l’on peut observer que même dans nos contrées historiquement chrétiennes l’impact et la valeur de la foi dans la célébration de Noël tend à s’amenuiser.

Comme l’on peut s’en douter, le Japon n’est pas une terre chrétienne. Le christianisme n’a commencé à s’y implanter que tardivement par le biais de missionnaires jésuites Portugais au XVIe siècle à l’époque d’Oda Nobunaga, le premier unificateur du Japon. Ce dernier, plutôt qu’être vraiment sensible à cette nouvelle religion voyait plutôt son arrivée comme un moyen d’affaiblir le bouddhisme si puissant que de nombreux temples pouvaient contester l’autorité des seigneurs. Diviser pour mieux régner en somme.

Sans bien sûr pouvoir parler de vague massive de conversion, l’enseignement de la bible a trouvé de nombreux croyants sur le territoire (autour de 300 000 personnes selon les sources), y compris certains daimyô (seigneur de province) comme Ôtomo Sôrin (1530-1587).

Ôtomo Sôrin

Ôtomo Sôrin

Il convient néanmoins de préciser que parmi la noblesse de l’époque, certaines conversions étaient plus un acte de stratégie qu’un acte de foi : des textes établissent que les missionnaires portugais négociaient parfois des conversions en échange d’un soutien militaire en fournissant aux troupes des armes à feu.

Les Japonais se sont rendus compte que le christianisme avait servi d’outil de colonisation aux Espagnols et Portugais notamment aux Philippines et ils prirent la décision de mettre un terme à l’évangélisation du pays jusqu’à mener une véritable chasse aux chrétiens. Ceci entraina la dissolution de l’église chrétienne du Japon et poussa les derniers croyants à la clandestinité, les « kakure kirishitan » (les chrétiens cachés).

Aujourd’hui la liberté de culte est de rigueur dans le pays et les chrétiens ont le droit de pratiquer leur religion comme bon leur semble. Si les chrétiens ne représentent que 2% de la population, cela représente en valeur absolue 3 millions de personnes. Ceux-ci célèbrent la nativité comme n’importe quels autres chrétiens dans le monde. Ce qui est toutefois plus intéressant est que le reste de la population le célèbre également… mais d’une manière bien différente.

L’étrange Noël de M. Japon

Quand l’on demande à des Japonais quels mots leur viennent à l’esprit quand on parle de Noël nous avons en général en retour : poulet frit (oui oui, nous y reviendrons…), décoration, chocolat, romantisme, sorties et cadeaux.

Concernant les décorations, il s’agit là d’un point important car depuis l’après-guerre et surtout la période haute de croissance économique qu’a connu le pays des années 50 à 80, l’aspect commercial de la fête de Noël a pris un poids considérable. Les villes et grands magasins rivalisent donc de créativité pour créer des décorations et autres illuminations afin de proposer une ambiance propice à la consommation de biens et de services.

Exemple de décoration dans un grand magasin

Exemple de décoration dans un grand magasin (source : m-masak blog)

Parmi ces biens, nous trouvons bien sûr les cadeaux et le chocolat. Les cadeaux se font en général des parents vers les jeunes enfants ou dans le couple s’il s’agit de jeunes gens, en raison de la dimension romantique qu’a revêtue cette période. Sorte de Saint Valentin avant l’heure, le soir de Noël ou les jours qui le précèdent sont l’occasion pour les couples de faire une sortie au restaurant et de s’échanger des cadeaux. Les célibataires ne sont pas non plus en reste car on prévoit également des sorties entre amis le soir de Noël pour manger un morceau et surtout boire un bon verre dans une izakaya qui sont particulièrement prisées pour ces soirées. Cette pratique est en vigueur chez les jeunes adultes, notamment les jeunes filles.

Concernant cette histoire de poulet frit, qui arrive en première position des choses qui viennent à l’esprit quand on parle de Noël, il s’agit du repas pris typiquement le soir de la nativité. Que cela soit en famille avec les enfants, en couple ou entre amis, c’est le mets que l’on va commander au restaurant ou se faire livrer à la maison. On peut y voir ici une bonne campagne marketing de KFC Japan qui a su récupérer le repas de Noël à son profit et ainsi multiplier son chiffre d’affaire sur la période.

La fête de nouvel-an : le vrai « Noël » japonais.

 En effet, nous allons voir que pour le peuple japonais, la fête la plus importante de la fin d’année, voire de l’année dans sa globalité, est la fête du nouvel an.

Originellement les Japonais fêtaient la nouvelle année en accord avec le calendrier chinois. L’adoption du calendrier grégorien en 1873 sous l’empereur Meiji – l’une des diverses mesures visant à moderniser le Japon – fait passer le début de l’année au 1er janvier.

Dans notre culture, la célébration de la nuit du 31 décembre au 1er  janvier se matérialise par une soirée entre amis le plus souvent, avec un accent fort festif, consistant à boire plus qu’à l’accoutumée et pourquoi pas enflammer la piste de danse. Au pays du Soleil Levant en revanche, cet évènement revêt une toute autre forme à commencer par la dimension familiale. C’est effectivement une soirée que l’on passe de préférence en famille autour de mets spécifiques. Puis on se rend au temple à minuit, à l’instar des catholiques avec la messe de minuit, et on offre des étrennes aux enfants.

Plat de soba pour le soir du 31 (toshikoshisoba)

Plat de soba pour le soir du 31 (toshikoshisoba) Source : Gourmet blog

Ceux qui en tant qu’étrangers habitués aux traditions de Noël en France ont eu l’occasion de participer à cette soirée avec une famille japonaise ressentent une ressemblance entre les deux fêtes sinon sur le fond, au moins dans la forme.

La forme en question

C’est bien connu, au Japon on s’efforce de mettre les formes en toutes circonstances… et le nouvel An n’échappe pas à la règle.

Les pratiques en relation avec la célébration de la nouvelle année s’échelonnent sur plusieurs jours et leur préparation commence bien en amont, comme l’écriture des cartes de vœux par exemple. Nous connaissons cette pratique qui consiste à envoyer un petit mot à nos proches pour leur souhaiter bonne année, toutefois, cela prend des proportions considérables dans l’archipel nippon. Chaque année ce sont autour de 3,5 à 4 milliards de cartes de vœux qui sont envoyées. Rapporté au nombre d’habitant cela correspond à une moyenne de 30 cartes par personne. On écrit à la famille, bien entendu, mais aussi aux amis, aux connaissances, aux collègues de travail, aux clients pour les commerçants voire au médecin de famille. Tout ceci avec l’obligation impérieuse que la carte soit dans la boîte aux lettres du destinataire le 1er janvier précisément d’où un branle-bas de combat général des services de la poste à cette période.

Exemple de carte de nouvel An (nengajô)

Exemple de carte de nouvel An (nengajô) Source : wampagu.com

D’autant que cela ne se limite pas à de simples cartes. C’est également l’un des moments de l’année où l’on offre des oseibo, sortes de présents qui peuvent prendre diverses formes mais le plus souvent sous forme de nourriture (fruits, légumes, viande, gâteaux…) que l’on offre aux personnes vis-à-vis desquelles nous sommes redevables. Cela peut être des collègues de travail, son professeur, son médecin, une famille amie qui nous a rendu un service d’une manière ou d’une autre, etc. Les grands centres commerciaux ont récupéré cette tradition et proposent des rayonnages dédiés aux oseibo à l’entrée de leurs magasins à la fin de l’année, en plus d’un service de livraison.

 Zone dédiée aux oseibo dans un grand magasin

Zone dédiée aux oseibo dans un grand magasin Source : izutsuya.co.jp

Il est également important « d’enterrer » l’année qui se termine via divers rituels comme l’ôsôji (grand ménage), équivalent de notre nettoyage de printemps où l’on lessive le logis de fond en comble. On tâche également de solder toutes ses dettes et de finir son travail en cours pour commencer la nouvelle année du bon pied. C’est aussi l’occasion d’organiser un bônenkai (littéralement : « rassemblement pour oublier l’année ») avec des amis ou collègues de travail au cours duquel, le plus souvent, on boira plus que de raison.

Il est de coutume de décorer l’entrée de sa maison avec une shimenawa (corde en paille de riz) et un kadomastu (pot dans lequel on dresse des cannes de bambou et des branches de pin le plus souvent) qui ont respectivement pour fonction de protéger la maison contre les mauvais esprits et servir de réceptacle à un esprit bénéfique.

kadomastu

Kadomastu – Source : je-smuire.com

shimenawa

Shimenawa – Source : Konyami blog

Pour le réveillon lui-même, le ômisoka on mange un bol de soba ou de udon. Ces pâtes longues symbolisent alors le trait d’union entre l’année finissante et celle à venir. De plus, la tradition veut que l’on ne fasse rien pendant les premiers jours de l’année. On s’efforce donc de préparer les repas plusieurs jours à l’avance. Appelé osechi ryôri ces plats typiques du début de l’année se placent dans des boîtes spéciales, ressemblant à des boîtes type bentô : les jûbako.

osechi ryôri dans sa jûbako

Osechi ryôri dans sa jûbako – Source : slanhe blog

La première visite au temple de l’année, le hatsumôde, peut se faire le soir du 31 à minuit ou durant les premiers jours de janvier. Une tradition sur laquelle peu de Japonais font l’impasse. Si l’on fait l’effort de braver le froid souvent mordant de l’archipel au milieu de la nuit on peut assister au joya no kane dans les temples bouddhistes où les moines sonnent une grande cloche (bonshô) à 108 reprises, un coup pour chaque pêché de la tradition religieuse bouddhique.

Difficile encore une fois d’échapper au lieu commun du Japon qui mêle modernité et traditions. Force est de constater qu’il s’applique parfaitement ici. Prompts à adopter des coutumes en vigueur ailleurs pour peu qu’elles représentent un intérêt commercial et un aspect ludique ou romantique, les Japonais n’oublieront jamais, pour autant, leurs traditions ancestrales…

Bonus : l’agenda des fêtes

Si vous avez la chance d’être au Japon pour la fin d’année, voici quelques évènements à ne pas manquer.

A Tôkyô :

  • Quartier de Roppongi, illuminations dans l’immeuble « Tôkyô Midtown »
  • Kareta shiyodome dans le minato-ku des piliers illuminés de 10 m avec tout un environnement éclairé de milliers de LED bleues.

A Yokohama :

  • Au Yokohama Akalenga sôko un marché de Noël illuminé avec un sapin décoré de 10m

A Ôsaka :

  • Au parc Tennôji illuminations sur le thème du Japon traditionnel.

Pour un dépaysement total essayez de vous rendre au temple le 31 décembre à minuit. Parmi les plus célèbres :

A Tokyo :

  • Le Meiji-jingu
  • Le Sensô-ji

A Narita :

  • Le Naritasan-shinsho-ji

A Kawasaki :

  • Le Kawasaki-daishi

A Kyotô :

  • Le Fushimi Inari-taisha

 

 

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