Fuminori NAKAMURA : le maître du roman noir était à Paris, Journal du Japon l’a rencontré

Fuminori NAKAMURA est un écrivain qui n’a pas son pareil pour sonder la noirceur du monde. Trois de ses ouvrages sont parus en France aux éditions Philippe Picquier : Pickpocket, Revolver, et depuis quelques jours L’hiver dernier je me suis séparé de toi. L’occasion pour lui de venir rencontrer ses lecteurs à Paris. Journal du Japon a pu lui poser quelques questions.

 

Rencontre avec Fuminori NAKAMURA

Fuminori NAKAMURA

Fuminori NAKAMURA

JDJ : Bonjour monsieur NAKAMURA. Vous avez rencontré vos lecteurs ces derniers jours, comment avez-vous vécu ces échanges ? (ci-contre photographie de la dédicace du 2 février à la librairie Junkudo de Paris)

Fuminori NAKAMURA : C’était très intéressant, très touchant. Les lecteurs français sont amicaux, charmants. Ils posent beaucoup plus de questions que les lecteurs japonais !

Y a-t-il des écrivains français que vous appréciez, qui vous inspirent ? En vous lisant, on pense à Camus par exemple.

En effet, je lis beaucoup d’écrivains français. Albert Camus, Jean-Paul Sartre et André Gide m’inspirent beaucoup. Et dans les écrivains plus contemporains, Michel Houellebecq.

pickpocketLa notion de destin est très présente dans les trois livres publiés en France. N’y a-t-il pas moyen d’échapper à ses conditions de vie « définies » par notre naissance ?

C’est une notion importante. Avant la rédaction de Pickpocket, j’ai lu la Torah. Il y a Dieu, et il y a les hommes qui ont leurs faiblesses, leurs défaillances humaines. Les hommes doivent faire avec elles.

Et l’amour ne peut pas les sauver ?

Chaque être humain mène sa vie comme il peut. Il doit surmonter beaucoup de problèmes. Malgré tout ce qui arrive, l’espoir est là. C’est l’espoir qui aide les hommes à avancer.

Votre plume est très précise, vous arrivez en quelques lignes à emmener le lecteur dans une ruelle, dans une petite pièce avec des hommes louches. Vous rendez immédiatement l’atmosphère angoissante, pesante. Comment faites-vous pour écrire ainsi ?

Écrire me demande un effort de concentration énorme. Au bout d’une ou deux heures, je suis épuisé, j’ai faim. Parfois, juste après, je ne me souviens même pas de ce que j’ai écrit. Je découvre le résultat de cette concentration après avec surprise.

revolverVous sollicitez les cinq sens chez le lecteur, et en particulier le toucher (du revolver, des mains qui saisissent les portefeuilles dans Pickpocket, l’appareil photo et les poupées dans le dernier livre qui vient de sortir en France). Est-ce par le toucher que l’on perçoit mieux les choses ?

Je suis très content que vous soulignez ce point. C’est la première fois que l’on me parle de cela en interview. Même au Japon cela n’a jamais été évoqué donc je suis très touché. En effet je trouve que le son et la vue sont insuffisants pour faire passer ce que je veux faire sentir au lecteur. Le toucher, mais également les odeurs, sont des éléments fondamentaux pour moi.

Dans le dernier livre publié en France, vous utilisez de nombreux supports (lettres, vidéos, tweets). Quel est votre rapport aux réseaux « sociaux » ?

J’ai mon propre site internet (en japonais, d’ailleurs il faudrait que j’envisage une page en anglais !). Il y a du bon comme du mauvais. Je pense que Donald Trump ne serait pas devenu président sans les réseaux sociaux. Beaucoup de fausses nouvelles y circulent. Et le problème est que les gens VEULENT croire ces fausses nouvelles. C’est dangereux.

Akutagawa et sa nouvelle Figures infernales vous ont inspiré L’hiver dernier je me suis séparé de toi. La folie est un élément central chez Akutagawa et chez vous. D’où vient cette folie ?

Akutagawa est en effet un auteur que j’admire. Dans Figures infernales, l’artiste entre tellement dans son oeuvre qu’il devient fou. Pour la folie présente dans mon œuvre, je vous dirais qu’elle vient de mon univers intérieur. Je prends cette folie qui existe en moi et je la renforce pour la mettre dans mes romans.

La pluie est souvent présente dans vos livres, vous aimez la pluie ?

Je n’aime pas la pluie, elle me rend sombre, donc je la met dans des scènes pour que tout y devienne triste, sinistre. J’ai même écrit un livre (pas encore traduit en France) dans lequel il pleut de la première à la dernière page. Un livre qui associe pluie, nuit et mélancolie.

Vos romans sont très noirs, allez-vous dans vos prochains écrits aller vers un peu plus de lumière ?

Oh, je ne crois pas, il n’y a pas beaucoup d’espoir que ça arrive …

On continuera de vous suivre de toute façon ! Merci !

Journal du Japon remercie Fuminori NAKAMURA pour sa disponibilité et sa gentillesse, Isabelle LACROZE des éditions Philippe Picquier pour l’organisation de cet entretien, et Elisabeth CHARLOT pour sa traduction.

 

L’hiver dernier je me suis séparé de toi : au cœur de folies destructrices …

hiverDans le dernier roman qui vient de sortir aux éditions Philippe Picquier, un journaliste est chargé par son éditeur d’écrire un livre sur un photographe qui tourne en rond dans sa prison. Il est accusé d’avoir immolé deux femmes.

Le journaliste mène donc l’enquête : pourquoi commettre des crimes aussi horribles ? Quelle motivation peut avoir ce photographe dont la carrière semble stagner ? Fasciné par l’idée de photographier des corps de femmes brûlant dans les flammes, aura-t-il poussé ce fantasme jusqu’au bout ? Un appareil photo est-il cet ‘objet effrayant’ que lui décrit le photographe ? Est-il possible que sa folie l’ait poussé au pire, comme le peintre du paravent de la nouvelle Figures infernales d’Akutagawa (qui regardera brûler sa propre fille dans les flammes et en peindra une œuvre unique avant de se suicider) ?

Le journaliste mène son enquête avec minutie : collecte de documents (lettres, vidéos, photographies, tweets, qui sont retranscrits dans le roman, ce qui crée un rythme et une narration très originale), rencontre de personnes liées au photographe mais également à ses victimes. Petit à petit un univers étrange s’offre aux yeux du lecteur : une soeur au comportement étrange, un fabricant de poupées très réalistes … Les pièces du puzzle se mettent en place d’une façon surprenante. Et si la réalité était beaucoup plus compliquée, beaucoup plus tordue que ce que les policiers ont supposé face à l’évidence des preuves ?

Le journaliste découvre une « folie organisée », une vengeance monstrueusement bien construite. Il s’enfonce de  plus en plus dans un monde qui l’attire tout en le terrifiant …

Comme dans chacun des romans de Fuminori NAKAMURA, l’écriture est précise, chirurgicale. Les scènes très photogéniques sont terriblement bien décrites (on pense aux descriptions tout aussi terrifiantes d’Akutagawa). Les personnages dévoilent leurs côtés les plus noirs, leurs instincts morbides, leurs vices, leurs névroses. Les engrenages dans les têtes sont parfaitement bien expliqués et la « logique » de la folie est détaillée dans les moindres détails, de son début à sa fin. C’est troublant, palpitant, haletant. Le lecteur est mené par le bout de son cerveau jusqu’à la dernière page.

Mais c’est à vous de plonger dans ce monde où les folies se dévoilent, se croisent, se partagent ! Un récit glaçant qui vous laissera étourdi et sonné.

Plus d’informations sur le site de l’éditeur.

 

 

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