Compléter les blancs de Keiichirô Hirano : et si vous ressuscitiez ?

Journal du Japon vous fait découvrir l’un des romans chocs de ce printemps : Compléter les blancs. C’est un roman sur la mort, le suicide, mais également sur des ressuscités qui reviennent à la vie après une absence plus ou moins longue, et la place qu’ils doivent alors trouver dans la société.

Keiichirô Hirano est un écrivain brillant. Reconnu très jeune (il n’a que 24 ans en 1999 lorsqu’il reçoit le prestigieux prix Akutagawa pour son premier roman L’Eclipse), il a une écriture très poétique (comme l’atteste le merveilleux Conte de la première lune publié la même année que l’Eclipse) et un regard curieux et critique sur le monde d’hier et d’aujourd’hui.

Les Français avaient pu le découvrir aux éditions Picquier (L’Eclipse, Conte de la première lune et La dernière métamorphose).

 Conte de la première lune  hirano-eclipse  La dernière métamorphose 

Il revient en France aux éditions Actes Sud avec Compléter les blancs, un roman inclassable qui démarre comme un thriller et se poursuit comme un conte philosophique.

  

Un homme mort ressuscite trois ans plus tard …

Tetsuo Tsuchiya revient chez lui après trois ans d’absence … Et pour cause, il était mort !blancs

Comme plusieurs milliers de personnes à travers le Japon et le monde, il est ressuscité.

Mais comment reprendre une vie « normale » avec sa femme et son fils (qui avait un an lorsqu’il est mort et en a maintenant quatre) ?

Il faut ajouter à cela le fait que Tetsuo pense avoir été assassiné, et non s’être suicidé comme cela a été dit à l’époque dans la conserverie où il travaillait et à sa famille (qui a dû supporter le regard et les mots blessants de l’entourage au quotidien).

Autant de questions qui taraudent ce trentenaire et font de ce retour à la vie un véritable casse-tête.

« Testuo, le visage collé à la vitre, contemplait le lac Senko sur lequel se reflétait un ciel limpide. Un oiseau noir à bec rouge fendait doucement la surface miroitante du lac, dans un sillage s’élargissant à l’infini, comme une gigantesque fermeture éclaire.
Comme si une force mystérieuse l’ouvrait du bout des doigts. Une fois mort, on perd la vie à jamais. Ce monde absurde dont les bords s’écartaient peu à peu laissait en cet instant entrevoir un autre univers, miraculeux. L’imagination de Tetsuo se mit à galoper. Son propre retour à la vie n’était-il pas issu de cet éclat aveuglant ? Dans un monde nouveau qui se révélait peu à peu, les hommes, tel le feuillage printanier des rangées de cerisiers de la rive opposée, mouraient eux aussi plusieurs fois et revenaient à la vie à l’infini … »

Hirano Compléter les blancs backIl tente donc de comprendre et d’enquêter : il avait une femme qu’il aimait plus que tout, un fils adorable, un travail intéressant (il avait inventé un système révolutionnaire de canette de bière permettant de boire une bière bien mousseuse). Il ne se souvient pas des quelques instants qui ont précédé sa mort (il s’est jeté du toit de son usine), mais il se rappelle qu’un type louche très agressif lui tenait des propos choquants. Et si c’était lui l’assassin ?

Cette vie qui reprend n’est donc pas un long fleuve tranquille. Il y a des hauts et des bas.

Même si sa femme accepte son retour, elle a beaucoup souffert pendant ces trois années entre son travail, ses finances, son petit garçon à élever seule. Elle est compréhensive mais semble lui cacher quelque chose …

« Grâce au contrat collectif de l’assurance-vie, elle avait entièrement remboursé l’emprunt après la mort de Tetsuo. Cela l’avait réellement sauvée. Mais elle s’était aussi rendu compte que la force d’attraction des souvenirs l’avait empêchée de vivre sa propre vie.
Cet appartement prenait la forme d’un futur qui n’adviendrait jamais. Il était construit selon le plan et la taille idéale pour les abriter tous les trois, elle, Tetsuo et Riku. »

Son fils, lui, a plus de mal à reconnaître en cet homme un papa et refuse que celui-ci le touche. Et le père qu’est Tetsuo en souffre (son propre père est mort d’un arrêt cardiaque à l’âge qu’il a maintenant, il n’en a que les souvenirs racontés par sa mère, et il veut à tout prix être un bon père pour Riku).

Tetsuo travaille dans la petite boutique d’un ami en attendant de trouver mieux. Il faut rembourser l’assurance vie touchée par sa femme veuve. Il fait des cauchemars. Il déprime. Peut-être que l’association des ressuscités qui s’est créée pourra l’aider ?

Le lecteur chemine donc aux côtés de Tetsuo, entre peur et bonheur, entre doute et volonté d’avancer, entre semblant de vie normale et profonde dépression.

Rélfexion sur la vie, l’individu, le suicide, la mort ?

HIRANO Keiichirô

HIRANO Keiichirô

Au-delà de la quête personnelle de Tetsuo qui fait passer le lecteur par tous les états possibles (angoisse, joie ou tristesse), c’est une véritable analyse de l’être humain et de sa place dans l’espace social mais également dans l’espace temporel que livre l’auteur.

Pourquoi un employé se tue à la tâche pour avoir un bel appartement, une voiture, des vacances à l’étranger ? Comment les individus peuvent-ils être ainsi broyés et poussés au suicide, et leur famille aussitôt mise au pilori du jugement moral ? 

Au quotidien, les employés se tirent dans les pattes, font courir des rumeurs, les journées font plus de 10 heures, les chefs mettent la pression, les réflexions sont permanentes. Même dans la vie personnelle, il faut faire face aux regards méchants, à la bien-pensance. Tout est codifié, il faut avoir un bon travail, se marier, déménager dans un bel appartement, avoir un enfant … Il faut tout encaisser sans broncher. Même parler avec ses proches, confier ses angoisses semble difficile tant les êtres sont emmurés dans un silence de plomb. Se suicider est un aveu de faiblesse qui condamne la famille du suicidé au mépris et à l’absence totale de compassion.

Quelle solution alors dans nos sociétés contemporaines défaillantes ?

Des pistes sont proposées par petites touches tout au long du livre.

D’abord essayer de se connaître soi-même, de comprendre qu’un individu est en réalité composé de « dividus », des personnalités que chacun a en soi : le dividu que l’on est avec son conjoint n’est pas le même que celui que l’on est avec son enfant, sa mère, son meilleur ami, son collègue de travail. Il faut que ces dividus cohabitent, que les « bons » s’épanouissent, que les moins bons ne prennent pas trop de place (sans tenter de les nier ou de les détruire pour autant).

Et puis surtout parler, communiquer, partager : dire son amour, mais aussi ses angoisses, ses faiblesses, vivre son bonheur mais également ses soucis sans les cacher, partager des moments simples et magiques.

« Lentement, paisiblement, comme si elle descendait pas à pas une longue pente, sa grand-mère s’éloignait de ce monde. Si Tetsuo lui trouvait l’air plus petit qu’avant, c’était peut-être à cause de la distance – parce qu’elle était déjà loin de lui.
Au bout de ce chemin, bien sûr, la fin l’attendait. Mais plutôt qu’une mort effrayante, prête à engloutir la vie dans ses ténèbres, on aurait dit que cette fin était plutôt une sorte de vacuité où sombrent sans bruit toutes les formes d’existence.
Ces pensées qui lui venaient étonnaient Tetsuo. Il connaissait la mort de près depuis son enfance et il détestait toutes les fioritures dont on l’entourait. Même en usant de la plus habile rhétorique, on ne pouvait imaginer que la mort fût autre chose que des regrets et un désespoir sans fin, pour l’éternité. On avait beau se dire désabusé par la vie, quand la mort venait, elle plongeait tout un chacun dans l’angoisse. C’était cela, songeait jusqu’alors Tetsuo, la véritable nature humaine.
Cependant, il ne pouvait accuser sa grand-père de mentir, quand il la voyait vivre ainsi sa fin de vie avec sérénité. Plutôt qu’attendre « la mort » en silence, elle semblait dans la position de quelqu’un prêt à accueillir son « retour au néant ».
Il ne s’agissait pas tant de « mort » que de « disparition ». Mais cette idée pouvait-elle offrir une quelconque consolation ?
Tetsuo pensait à sa propre « disparition », imaginant ses cendres bientôt décomposées dans la terre, dans le Jardin du Souvenir au bord du lac Senko. Son effacement, son anéantissement …
Sans le moindre doute, c’était effrayant. Pourtant, à ce moment-là, l’apaisement du néant n’avait-il pas aussi provoqué en lui une sorte d’intense consolation ? … »

Un livre mêlant ombre inquiétante et merveilleuse lumière, un hymne à la vie, à l’épanouissement personnel pour que chaque instant soit vécu pleinement avant que la mort vienne tout arrêter. 

Plus d’informations sur le site de l’éditeur.

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