Japan Expo 2019 : des courtisanes et des artisans à Wabi Sabi !

Après notre bilan de la 20e édition de Japan Expo, comme promis, voici le zoom sur des artisans et des artistes que la rédaction de Journal du Japon a pu rencontrer. Le salon grossit d’année en année et s’il y a bien un lieu qui s’est particulièrement amélioré, c’est l’espace culturel et traditionnel, le pavillon Wabi Sabi ! Retour sur nos coups de cœur de cette édition qui se sont fait remarquer pour leurs shows ou bien leurs produits d’artisanat japonais.

紺夜 KOOYA, cédez aux charmes des oiran

Pour sa première fois en France, la troupe de KOOYA a fait fort en choisissant de commencer sa tournée européenne chez nous, à Paris. L’artiste et productrice du spectacle, Maika KOBAYASHI a expliqué ce choix pour 2 raisons : la première étant la longévité de Japan Expo (20 ans !) et son aura à l’international (1er salon d’Europe) et JE est connu jusqu’au Japon ; la deuxième raison étant pour notre histoire et notre culture du partage dont on détaillera plus loin avec le message que veut transmettre la troupe.

Troupe KOOYA sur leur stand à Japan Expo ©Journal du Japon

Troupe KOOYA sur leur stand à Japan Expo ©Journal du Japon

KOOYA est constitué de professionnels : 4 danseuses (Mifumi AOI, Tomato INAMI, Nao MAMIYA et Anna OTSUKA), 2 danseurs et acrobates (Daiki ABIRU et Yohju TAKASHIMA), 1 gymnaste à la roue Cyr (Shadai WAKUTA), 1 joueur de taiko (Yuki SAKURAI) et l’artiste Maika KOBAYASHI. Cette dernière a voulu passer de la toile à un projet de plus grande envergure en créant les costumes et leurs motifs ainsi que le spectacle. En à peine 9 mois, elle a réussi à trouver les meilleurs pour former sa troupe et mettre au point le show. Tous n’ont pas suivi le même chemin pour apprendre leur métier. Les danseuses ont été formées à l’université en s’y spécialisant dans leur domaine. Pour les acrobates, c’est dans une école à Asakusa quand ils étaient âgés de 16-17 ans puis ils ont trouvé un sempai, vu qu’il n’existe pas d’école de samouraïs/ninja. Pour Yuki SAKURAI, l’apprentissage du tambour japonais (taiko) a commencé très tôt puis il a ensuite intégré une formation privée spécialisée dans le tambour avec un maître taiko au collège. Shadai WAKUTA est classé 2e au championnat mondial de roue Cyr. Au rythme des percussions du tambour, de la musique traditionnelle, les danses des courtisanes de haut-rang se marient très bien avec les combats et les acrobaties des samouraïs et le numéro original de roue assez inattendu finit d’emporter le spectateur !

La courtisane Mifumi AOI de KOOYA avec la Tour Eiffel

La courtisane Mifumi AOI avec la Tour Eiffel ©KOOYA

Derrière les motifs des costumes aux couleurs vives avec des fleurs et des papillons, Mme KOBAYASHI attire notre attention sur la Terre. KOOYA vise à extraire les courtisanes de leur espace réduit originel, les quartiers de plaisir (yūkaku) en bravant les tabous japonais pour les exposer au monde entier, pour partager l’art des oiran et toucher le cœur des spectateurs et oublier leurs soucis du quotidien. Pour les Japonais, la France est le pays de la Révolution française. Le changement et l’émancipation sont dans notre ADN. Au Japon, l’évolution des mentalités est lente, le conservatisme et l’attachement aux traditions étant forts. La troupe est d’ailleurs engagée aux côtés des Nations Unies pour l’égalité des sexes et l’autonomisation des femmes en reversant une partie des recettes de ses spectacles à cette cause.

Ukiyo-e "Unryu Uchikake no Oiran" de Keisai Eisen et la version de Van Gogh

Ukiyo-e « Unryu Uchikake no Oiran » de Keisai Eisen et la version de Van Gogh ©Japan Forward

Les oiran (花魁 « premières fleurs ») étaient des courtisanes de haut-rang qui se distinguaient des prostituées ordinaires par leur maîtrise des arts (danse, chant, instrument de musique, calligraphie, cérémonie du thé) et par leur beauté. Au début du 17e siècle, la prostitution (masculine et féminine) était un phénomène assez répandu dans les grandes villes de Kyoto, Edo (Tokyo) et Osaka. Pour y mettre de l’ordre, celle-ci a été limitée aux maisons closes dans les yūkaku, quartiers de plaisir emmurés que les prostitués ne pouvaient pas quitter, loin du centre des villes. Les plus connus étaient Shimabara à Kyoto, Yoshiwara à Edo et Shinmachi à Osaka. Avec la montée en puissance des geisha, les « personnes d’art » qui ne se prostituent pas mais qui maîtrisent les arts traditionnels, le nombre de courtisanes va s’effondrer, les geisha proposant un divertissement moins onéreux et leur déplacement étant libre (non restreint aux seuls quartiers de plaisir). Elles pouvaient donc distraire leurs clients des centres-villes qui n’ont plus à se rendre dans ses quartiers s’ils ne souhaitent profiter que d’un spectacle, sans prestation sexuelle.

Nous vous invitons à les suivre sur la page Facebook KOOYA ou leur compte Twitter. Après leur passage à Japan Expo, la troupe a donné deux représentations « Aux Belles Poules », ancienne grande maison close parisienne des années folles (années 1920). Après le spectacle intimiste, limité à 40 personnes, la troupe a eu le plaisir de rester partager une tasse de saké, de répondre aux questions et de prendre des photos pour immortaliser cet instant unique, le mariage de ce beau cadre parisien avec le charme des courtisanes japonaises. Après Japan Expo et Aux Belles Poules, la troupe a pris goût à la vie parisienne et à la mode française et recherche d’autres partenaires français pour se produire.

KOOYA en réprésentation Aux Belles Poules

KOOYA en réprésentation Aux Belles Poules ©KOOYA

Onishi Kyosendo : 180 ans d’éventails à Kyoto !

Stand d'Onishi Kyosendo

Stand d’Onishi Kyosendo ©Journal du Japon

Shota ONISHI, 9e génération de la maison Onishi Kyosendo est ravi de l’accueil pour sa première fois à Japan Expo. La boutique de Kyoto spécialisée dans la vente d’éventails japonais kyo-sensu est riche d’une histoire vieille de plus de 180 ans où 9 générations se sont succédées. Proche du pont Sanjō Ōhashi, du Myoshin-ji, du Chion-in et du Nanzen-ji, Onishi Kyosendo fournit ces temples bouddhistes. Bien placé, les touristes japonais et étrangers y viennent pour acheter un souvenir utile, de qualité et facile à transporter (qui prend peu de place dans les valises). Pour le salon, un modèle exclusif avec des geisha et un décor de Kyoto dans un style manga était à la vente et a eu son petit succès, nous révèle Shota ONISHI. Une large sélection, du plus simple au plus raffiné, permet à toutes les bourses d’acheter un éventail fabriqué au Japon avec des matériaux japonais. Pour fabriquer chaque modèle, il faut compter 10 personnes et Shota ONISHI est celui qui apporte les finitions. Suivez leur actualité sur Facebook ou Instagram.

Né à Kyoto, le kyo-sensu était à l’origine réservé aux nobles de la cour impériale à l’époque Heian (794-1185). Après l’époque Edo (1603-1867), l’accessoire s’est démocratisé puis s’est répandu dans toutes les régions du Japon, notamment à Edo (Tokyo) et Nagoya. Les éventails japonais n’ont pas qu’une fonction rafraîchissante l’été et sont utilisés lors de cérémonies (notamment du thé), de festivals (matsuri) et de spectacles (théâtre , kabuki, danses traditionnelles et arts martiaux) et au cours des 15e et 16e siècles, le gunsen, « éventail de guerre » à monture de fer servait à transmettre des signaux lors des batailles.

Aco*cocha, la céramique de Bizen revisitée

Stand Aco*cocha

Stand Aco*cocha ©Journal du Japon

On enchaîne avec l’agréable surprise des créations d’Ako YOSHIOKA, de la très connue céramique de Bizen revisitée. Elle nous a expliqué que le Bizen-yaki plaît principalement aux hommes et que pour attirer les femmes, elle a innové en proposant des objets moins sombres et avec de nouvelles formes (bijoux, luminaires…). Elle a grandi à Okayama, dans la région où la céramique de Bizen est le trésor régional et a appris à l’université la cuisson de l’argile. Elle vend ses créations sur sa boutique en ligne au Japon et ne propose pas encore de livraison à l’étranger : Japan  Expo était donc une belle occasion, pour nous Français, de repartir avec l’un de ses objets de décoration ou bijou ! Si vous voyagez au Japon et que vous vous rendez à Okayama, vous pourrez aussi retrouver ses produits dans des magasins de la ville. Plus d’informations et d’images de ses créations sur son site internet, sa page Facebook ou son compte Instagram.

SORAE, objets de mémoire

SORAE, objets de prières

Stand SORAE, objets de prières ©Journal du Japon

Les objets de mémoire de la marque SORAE sont une belle découverte à Japan Expo qui peut surprendre le public français. Depuis des temps anciens, les Japonais ont pour tradition d’honorer leurs ancêtres et la famille. Pour garder un lien et penser à eux, un « autel des ancêtres » (kamidana, autel shintō et/ou butsudan, autel bouddhiste) est installé à la maison. On y fait des offrandes (riz, eau…), pose des fleurs et prie pour honorer les êtres chers disparus (ancêtres et animaux domestiques). Si au Japon, les rites funéraires sont presque exclusivement bouddhistes, les objets de prières SORAE sont universels et s’adaptent à toutes les cultures et pays. Nés à Kyoto, ancienne capitale impériale (Heian-kyo) de plus de 1 000 ans d’histoire, berceau de la culture la plus raffinée du pays qui compte de nombreux sanctuaires et temples, ils n’ont pas pour autant repris les symboles religieux mais la marque en a conservé la sensibilité esthétique, tout en s’appuyant sur des artisans japonais qui maîtrisent le travail de matériaux authentiques de qualité comme la laque, le verre et le bois pour symboliser l’éternité de nos liens forts avec les êtres chers. Dans un style japonais moderne, ils peuvent s’intégrer dans toutes les maisons et dans n’importe quelle pièce (salon, chambre, bureau, cuisine…).  Fleurs de lotus (hasu no hana) sans statue de Bouddha, scènes où l’on peut mettre une photo et divers objets chers au défunt ou des cheveux, urnes ou bougies commémoratives, SORAE propose une large gamme de produits pour s’adapter aux goûts de chacun. Keiko SUEYOSHI nous indiquait qu’il était de moins en moins rare que les clients prient pour le salut de leur animal de compagnie.

Kennycreation, steampunk version japonaise

Kennycreation

Kennycreation ©Journal du Japon

« Kenny » a créé tout seul sa boutique à Shinjuku. Si tout le monde ou presque connaît déjà le steampunk, le créateur souhaite avec son projet Kennycreation le réinventer en combinant les canons du mouvement occidental avec la culture et l’art japonais pour forger son identité propre et se démarquer de ce qui se fait déjà dans le monde. Pour nous, Occidentaux, on peut avoir du mal à s’imaginer ce qu’est le steampunk japonais. Alors que cela n’est pas vraiment si nouveau au Japon… C’est l’art d’innover en recyclant.

Dans le Japon ancien, les Japonais avaient l’habitude d’utiliser les objets le plus longtemps possible et même de les réutiliser sous une autre forme lorsque cela était réalisable. Cette culture de l’anti-gaspillage a un nom, le mottainai ! Le steampunk est un moyen moderne, avec de la créativité, de trouver de nouveaux usages à d’anciens objets. Les seules limites : notre imagination ! Kennycreation, ce sont de nombreux artistes et artisans japonais qui s’amusent à recycler et transformer des objets ou des matières premières : des ceintures en tatami recyclé, des parapluies transformés en chapeau avec des tissus japonais… Ne parlez pas de cosplay, « Kenny » incarne le personnage tel qu’il l’imagine, avec sa personnalité, en toute liberté, sans copier un personnage de fiction. Il apprécie constituer un groupe pour des événements spéciaux, importants pour faire connaître sa vision du steampunk japonais à l’étranger. Comme souvent au pays du soleil levant, les Japonais aiment importer un concept pour le retransformer avec « l’esprit japonais » (Yamato-damashii). Pour suivre l’actualité de kennycreation, n’hésitez pas à vous abonner sur leur page Facebook ou leur compte Instagram.


Une journée à Japan Expo, cela passe vite, surtout au pavillon culturel et traditionnel, Wabi Sabi où de nombreux artistes et artisans exposent le travail japonais de qualité. Ce 20e anniversaire était riche en première fois pour de nombreux exposants. De belles découvertes avec des personnes passionnées toujours heureuses de répondre aux questions et de faire connaître leur art. Au programme une magnifique diversité : des courtisanes, des acrobaties et du taiko avec la troupe KOOYA, des éventails de Kyoto avec la boutique de Onishi Kyosendo, de la céramique de Bizen revisitée par Ako Yoshioka (Aco*cocha), des objets de mémoire SORAE et du steampunk japonais avec kennycreation ! De quoi nous convaincre donc : rendez-vous l’année prochaine !

 

Nous remercions Takahiro SUGIUCHI et toute l’équipe de Japan Promotion sans qui ces entretiens n’auraient pas pu avoir lieu ainsi que Maika KOBAYASHI, dessinatrice et responsable de la troupe KOOYA, Shota ONISHI, 9e génération de la maison Onishi Kyosendo, Ako YOSHIOKA, artiste céramiste qui revisite la poterie Bizen avec Aco*cocha, Keiko SUEYOSHI pour la marque SORAE et « Kenny » de kennycreation.

David Maingot

Responsable Culture à JDJ et passionné de la culture et de l'histoire du Japon, je rédige des articles en lien avec ces thèmes principalement.

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