Ryoko SEKIGUCHI : portrait d’une écrivaine traductrice

Journal du Japon aime vous faire découvrir ceux qui traduisent les romans, mangas et recueils de poésie que vous lisez. Rencontre aujourd’hui avec Ryoko SEKIGUCHI, auteure de romans, poésie et essais, mais également traductrice de littérature et de manga !

RYOKO SEKIGUSHI

Journal du Japon : Pouvez-vous nous raconter vos débuts dans le métier de traductrice ?

Ryoko Sekiguchi : C’est une première traduction plutôt originale. Comme je lis le persan, on m’a demandé de traduire un roman d’Atiq Rahimi en japonais ! Pour le premier livre que j’ai traduit du japonais au français, c’était un de mes livres. Pour les mangas, ce fut Daisuke Igarashi chez Casterman.

Vous traduisez aussi bien des romans que des mangas. Pouvez-vous nous expliquer les spécificités de la traduction de manga ?

Traduire des mangas est un exercice très différent de la traduction de littérature. Je peux m’y consacrer une à deux heures par jour avec une concentration qui n’a rien à voir avec celle nécessaire à la traduction d’un roman. Ce n’est pas plus facile, mais je peux traduire par petits bouts, et les dessins aident beaucoup.

Thermae Romae de Mari Yamazaki, traduit par Ryoko SekiguchiComme ce sont essentiellement des dialogues, chaque parole doit être bien personnalisée, sans pour autant tomber dans le cliché. Ainsi, pour un manga qui se passe dans la Rome antique (Thermae Romae de Mari Yamazaki, qu’elle a traduit), il faut faire parler les personnages à la façon de l’époque, sans pour autant tomber dans la caricature du peplum ! Pour les shôjo, les lectrices japonaises comprennent tout de suite les sentiments des héroïnes, même sans parole, alors qu’en France, il faut expliquer davantage ce que pensent les personnages. Il faut apprendre à lire les images, qui ont leur propre grammaire ! J’ai toujours été une fervente lectrice de mangas, depuis toute petite. Mes parents ne comprenaient pas cette passion, et d’ailleurs ils ne lisent pas de mangas, n’arrivent pas à les apprécier. Je pense que le manga est une langue à part entière.

Et la littérature ?

Dans l'oeil du démon de Jun'ichirô TanizakiJ’ai la chance de pouvoir traduire des écrivains que j’aime beaucoup. C’est le cas de Jun’ichirô Tanizaki,  qui a déjà été beaucoup traduit, mais dont il existe encore des textes non traduits en français. J’ai passé un été à relire ses livres (le volume de son oeuvre est impressionnant, une vingtaine de gros tomes) pour savoir quelles pépites étaient encore à traduire. J’ai été agréablement surprise en voyant qu’il y en avait beaucoup. Cet écrivain a eu, comme Picasso en peinture, diverses « périodes », tout aussi passionnantes et innovantes les unes que les autres. Il y a donc de multiples créations à découvrir, pièces de théâtre, essais, certains écrits étant inachevés. Tanizaki est un écrivain passionnant par la diversité des formes qu’il donne à ses romans. Ainsi, le dernier livre que j’ai traduit avec Patrick Honnoré pour les éditions Picquier, Dans l’oeil du démon, est un objet littéraire très original, un peu polar, un peu quête d’un genre littéraire, dans lequel les structures s’emboîtent, comme une parodie de théorie sur la littérature. Tanizaki aime tout essayer dans le roman : polar, épistolaire, saga familiale !

J’aime également beaucoup Osamu Dazai, mais l’essentiel de son oeuvre a déjà fait l’objet de traduction … Mais qui sait !

On ne choisit pas toujours ses auteurs, et c’est cela qui est bien ! C’est comme lorsqu’on organise des événements sur des thèmes préétablis. Cela fait naître des idées que je n’aurais pas eu moi-même. L’écriture est un travail solitaire, et parfois les autres savent mieux que moi ce que je pourrais traduire avec plaisir ! Ainsi, quand une éditrice m’a demandé de traduire Patrick Chamoiseau en japonais, j’ai beaucoup hésité, c’était un sacré défi. Et finalement je l’ai remerciée d’avoir pensé à moi pour ce travail de traduction. C’est impressionnant de voir comment les autres voient juste en nous !

Justement, parlons traduction du français en japonais … Quels auteurs ?

Beaucoup d’auteurs ont déjà été traduits en japonais. J’aurais adoré traduire des romans « pour tout le monde », comme Jules Verne et Alexandre Dumas ! Concernant les auteurs contemporains, c’est délicat, parfois ça se fait (Jean Echenoz), parfois il est plus diffficile d’avoir l’accord des éditeurs. Il y a de moins en moins d’offres de traduction de littérature étrangère au Japon à l’heure actuelle, et il est difficile de vivre de traduction au Japon, comme dans d’autres pays d’ailleurs.

La traduction de manga m’aide à pouvoir vivre de ce métier. Mais attention, ce n’est pas un travail alimentaire, la traduction de manga est une vraie passion pour moi !

Et la poésie ?

Ex-voto de Gôzô YoshimasuC’est encore autre chose ! Je ne dirais pas que c’est plus facile, mais il existe des cadres linguistiques, une structure, une ossature bien définie. Le travail de traduction est donc plus précis, plus clair. Une fois qu’on a l’outil, la structure de tel ou tel poète, il devient plus facile de garder son style. Ainsi pour Gôzô Yoshimasu, que j’ai la chance de traduire en français, il y a des mots clés, des refrains. C’est alors un véritable bonheur de traduire ses oeuvres !

Comment a évolué votre rapport aux deux langues, française et japonaise ?

Je suis toujours consciente de parler français ou japonais, mais la séparation est moins claire maintenant. Je ne me « vois » plus parler telle ou telle langue. C’est plus fluide, naturel, dans l’une ou l’autre. Pour l’écriture, c’est différent, il y a vraiment des spécificités très fortes, chaque langue a comme un but différent pour moi.

Journal du Japon remercie Ryoko Sekiguchi pour sa disponibilité et ses réponses passionnantes !

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