Le Rituel de Thomas Malher : à la rencontre du père de Godzilla

Pour la sortie du Rituel, bande dessinée s’intéressant à la vie et l’œuvre d’Eiji TSUBURAYA, figure aussi importante que méconnue du kaijû eiga et, plus généralement, du cinéma de genre japonais, Journal du Japon est allé à la rencontre de son auteur, Nicolas Malher. Une occasion idéale pour nous de toucher quelques mots sur la BD, parue l’année dernière chez L’Association, et pour son auteur, d’en dire un peu plus sur sa vision et son rapport aux film de TSUBURAYA.

Le Rituel, Mahler, couverture

©L’Association

Le Rituel : dialogue imaginaire, avec le père des monstres japonais.

Les maquettes, détruites par les humains en costumes des premiers films de la saga Godzilla ont toujours eu un charme particulier. Outre leur âge qui leur donne parfois un aspect comique ou grossier, c’est aussi leur grande qualité technique qui force l’admiration. En effet, les films du roi des monstres bénéficient d’un technicien hors pair, Eiji TSUBURAYA, et d’un studio, TSUBURAYA Production, aux moyens techniques et humains importants (uniquement égalés par certaines sociétés états-uniennes).

La bande dessinée Le Rituel de Nicolas Mahler propose ainsi un entretien imaginaire avec Eiji TSUBURAYA. Imaginaire, d’une part car le technicien est mort en 1970, mais aussi parce que, si TSUBURAYA est reconnu au Japon, son travail y est vu comme une prouesse technique et artisanale, n’appelant que peu de commentaires. Aussi, il ne s’est pas beaucoup exprimé sur ses créations.

Tsuburuya, Une page folle, film

Une page folle ©Lobster Films

La figure d’Eiji TSUBURAYA est pourtant très intéressante. Ce dernier débute dans les années 1920 comme opérateur, notamment pour le film Une Page folle de Teinosuke KINUGASA en 1926, avant de se spécialiser dans les effets spéciaux. Ce terme ne s’applique alors pas à la seule science-fiction, et TSUBURAYA travaillera sur de nombreux films en costumes et autres films de guerre avant de réaliser des segments pour des films de science-fiction à la fin des années 1940. Autre fait intéressant, à l’époque, le directeur des effets spéciaux dirigeait et réalisait les scènes dont il avait la charge, ainsi, les films de monstres peuvent être perçus comme ayant deux réalisateurs travaillant de concert à l’élaboration d’une même œuvre. Enfin, Eiji TSUBURAYA, nous l’avons dit plus tôt, est un artisan, un technicien, qui expérimente et fabrique ses propres machines, ses propres effets. Bien sûr, il s’aide de techniciens et de machines (une tireuse optique notamment), mais il s’implique physiquement dans la création de ses maquettes, il est présent lors du tournage et ne planifie pas de loin une séquence qu’il délègue ensuite à une équipe compétente : il est sur le plateau, il tourne.

C’est donc cet Eiji TSUBURAYA, le fabricant de maquettes et de films, que Mahler s’attache à représenter avec beaucoup de justesse, appuyant à juste titre l’importance de son savoir-faire technique : son goût du rythme et d’une forme de cinéma motivée par l’action pure, le mouvement. C’est en maître devenu un sage en ayant atteint une maîtrise totale de son art que Mahler nous représente le spécialiste. Ce faisant, il donne au genre du kaijû eiga une noblesse et une grandeur que l’on ne peut qu’applaudir.

L’affiche japonaise de Mecha-Godzilla contre-attaque ©Tôhô

Pourtant, cette croyance, cette version de la réalité, est quelque peu forcée et fabriquée. En effet, en extrayant complètement TSUBURAYA des films qu’il a contribué à créer (en insistant sur le ridicule des dialogues, des situations, du scénario des films tels que Prisonnières des martiens et Mechagodzilla contre-attaque de Ishiro HONDA, réalisés en 1957 et 1975) Mahler semble oublier qu’Eiji TSUBURAYA s’inscrit au sein d’une œuvre qui recèle de nombreuses qualités autres que leurs effets spéciaux. La vision des films que Mahler nous propose est alors celle de quelques nanars ridicules, sauvés par un maître tellement au-dessus de la mêlée qu’il transcende les films, parfaitement conscient et désintéressé de leurs défauts, faisant de TSUBURAYA un être éthéré, un pur auteur. Pour sauver les maquettes de TSUBURAYA, Mahler jette le reste de tous les films, ignore tous les autres acteurs impliqués dans leur création.

Démarche de légitimation bien intentionnée très certainement, mais détachée de la réalité des films. Détachement tel que l’auteur se retrouve à attribuer la paternité des effets spéciaux du sublime Mechagodzilla contre-attaque (dernier film de Ishiro HONDA, dernier film Godzilla de l’ère Showa, qui fait office de référence à Mahler dans de nombreuses planches) à TSUBURAYA mort depuis 5 ans à l’époque du tournage. Eiji TSUBURAYA est certainement le plus grand directeur d’effets spéciaux au monde, et lui rendre ainsi hommage n’est que justice. Encore faudrait-il veiller à ce qu’il n’éclipse pas l’intégralité du travail de ses collaborateurs, de ses collègues et successeurs, Teruyoshi NAKANO en tête, directeur des effets spéciaux des films Godzilla après la mort du maître, et auteur de certaines des plus belles réussites visuelles de la franchise.

Rencontre avec Thomas Mahler

Tout d’abord, merci d’accepter de nous accorder cette interview. Vous avez récemment publié une bande dessinée du nom de Rituel, pour commencer pouvez-vous vous présenter au lecteur ainsi que vos travaux ?

Je suis un auteur de bandes dessinées, écrivain et illustrateur et j’habite à Vienne en Autriche. Je travaille également pour des journaux et des magazines, mais je me concentre plus sur mes propres livres. J’en ai jusqu’ici réalisé à peu près soixante, allant de la bande dessinée, au livre illustré, à l’adaptation de classique de la littérature (Joyce, Proust, Thomas Bernhard, …) jusqu’aux collections de mes dessins pour la presse.

Mahler, Le Rituel

Nicolas Mahler en 2014 ©Manfred Werner – Tsui

Qu’est-ce qui vous a emmené vers le dessin ? Pouvez-vous nous parler de vos influences ? Y a-t-il parmi elles des artistes japonais ?

J’ai commencé à publier mes dessins quand j’avais dix-huit ans, et je n’ai jamais arrêté de dessiner depuis. Mes principales influences sont des artistes classiques de comics américains des années 1920/1930 comme « Krazy Kat » de George Herriman. Récemment, j’ai découvert des artistes japonais comme Kotobuki SHIRIAGARI ou SENGAI, plus classique.

Quel a été votre premier contact avec le genre du kaijû eiga, et pourquoi l’avez-vous choisi comme sujet du Rituel ?

Cela devait être dans les années 1980 sur la télévision allemande. J’ai toujours été un amateur de films, et les monstres japonais m’attiraient avec leur aspect vieillot et fait main. Et bien sûr très exotique pour l’Europe.

Vous intéressez-vous aux autres genres du tokusatsu ? Ou plus largement à d’autres domaines de la culture populaire japonaise ?

Mahler, Le Rituel, film, BD

©L’Association

En tant que cinéphile, je suis plus familier avec les films de Akira KUROSAWA et consorts. Mais j’apprécie également des films comme House (1977). Très étrange !

Le Rituel se concentre sur la carrière de Eiji TSUBURAYA, à votre avis qu’a-t-il réussi à faire durant sa carrière de réalisateur d’effets spéciaux ? Que ces films signifient pour vous ?

Ce qui est fascinant avec TSUBURAYA, c’est son attention portée au savoir-faire artisanal. Qu’il ait fait de la construction de modèles et d’effets spéciaux toute sa vie.

J’ai toujours aimé le côté fait main de sa filmographie, les effets spéciaux sont tellement flagrants que ça leur donne un côté émouvant. Je n’arrive pas à apprécier les effets spéciaux générés sur ordinateur, par exemple, je trouve les derniers Godzilla américains inintéressants.

Durant vos recherches ou personnellement, avez-vous regardé ses autres œuvres de science-fiction en dehors du kaijû eiga comme Ultraman, Mighty Jack ou ses films de guerres ?

Je n’en ai vu que des images, ce que j’ai trouvé sur internet était en japonais, alors je n’ai pas pu étudier profondément les vidéos. Mais les vidéos que j’ai vues d’Ultraman avaient l’air super !

Partagez-vous le point de vue du personnage principal du Rituel sur ces films de kaijû ? Si non, qu’est-ce qui rend ces films si spéciaux pour vous ?

Bien sûr, les aspects visuels vieillots et faits main font le charme de ces films. Je me sens aussi un peu démodé dans ma technique du dessin, au pinceau et à l’encre sur papier, donc je pense qu’il y a des similitudes entre le personnage de la bande dessinée et moi-même. Tout comme les nouveaux effets spéciaux des films sont réalisés sur ordinateur, les bandes dessinées les plus récentes sont faites digitalement. Peut-être que dessiner des bandes dessinées sur papier est un art qui disparaît comme la construction de modèles.

Le Rituel et Kyoto Manga parlent des droits d’auteurs et des problèmes qui en découlent. Pouvez-vous nous dire comment cela a affecté vos travaux ?

Au Japon, on m’a dit que je ferais mieux de ne PAS mentionner le nom de Godzilla dans ma bande dessinée, car les droits d’auteurs sont très stricts concernant les personnages détenus par la Tôhô. Donc j’ai décidé de ne pas nommer les monstres et leur créateur. Je pense que c’est même mieux ainsi, de rendre l’histoire plus abstraite.

Le rituel, BD, Mahler

©L’Association

Le Rituel est le titre de la bande dessinée, pourquoi avoir choisi un titre si intrigant et que siginifie-t-il pour vous ?

J’ai visionné beaucoup de commentaires audio que l’on trouve parfois dans les nouvelles éditions DVD de films de monstres japonais. Quelqu’un qui réalisait les effets spéciaux d’un de ces films a dit qu’il ne racontait pas des histoires mais qu’il se concentrait sur les rituels de « destruction d’une ville » ou de « deux monstres s’affrontant ». Et pour moi aussi, l’histoire n’est pas si importante. J’aime me concentrer plus sur la FAÇON dont quelque chose est fait. Ça m’est égal si l’histoire reste plus ou moins la même, ça peut même permettre de mieux voir les détails.

Nous avons parlé du Rituel et de ce que vous aimiez, donc, pour finir le tout, pouvez-vous nous donner un aperçu de ce vos futurs ouvrages ?

Je partage mon temps entre mes bandes dessinées autobiographiques (je viens d’en finir une sur mon séjour au Japon il y a quelques années – Kyoto Manga, à paraître en avril chez L’Association) et sur mes adaptations de littérature. Je viens de finir une biographie en dessin de Thomas Bernhard et je suis actuellement en train de travailler sur l’adaptation de l’histoire Schwarze Spiegel (Miroirs noirs) d’Amo Schmidt.

Journal du Japon tient à remercier les éditeurs du Rituel, L’Association, ainsi qu’Ophélie Paris, qui a rendu cette interview possible. Evidemment, nous tenons aussi à remercier M. Mahler pour le temps qu’il nous a accordé.

Critique réalisée par Maud Gacel et propos recueillis par Elliot Têtedoie.

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