Youtube, streaming et TikTok : quelle musique écoute la jeunesse japonaise ?

Depuis cinq ans, l’industrie musicale japonaise essaie de rattraper son retard par rapport au reste du monde côté streaming. Dans une société où la majorité consomme encore énormément de disques, cela paraît difficilement faisable. Mais s’il y a bien une partie de la population pour laquelle cette affirmation est à nuancer, ce sont les jeunes entre 12 et 20 ans (la génération dite Alpha) parmi lesquels plus de la moitié bénéficierait de services de musique en streaming. Grâce à des plateformes comme Apple Music ou LINE Music, ils peuvent profiter librement de leurs artistes préférés. La J-music est un style musical à part. Au sein d’un univers aussi varié et contenant autant de propositions différentes, qui sont ces artistes ayant gagné le cœur de la jeunesse japonaise ? trouve-t-on des tendances, des similarités entre eux ?
Essayons de trouver des réponses à ces questions, en commençant par présenter plusieurs des artistes les plus populaires. Pour cela, rien de très compliqué, il suffit d’aller voir les artistes les plus joués sur les plateformes de streaming et les chansons les plus chantées dans les karaoke.

Yuuri

Si l’on ne doit retenir qu’une seule chanson de 2021 au Japon, alors Dry Flower de Yuuri l’emporte haut la main. Elle s’est hissée tout en haut du classement Billboard de fin d’année 2021. Quasiment inconnu au bataillon avant sa première apparition sur la chaîne YouTube THE FIRST TAKE le 10 juillet 2020, le chanteur originaire de la préfecture de Chiba qui va fêter ses 28 ans le 23 mars prochain connaît depuis une ascension fulgurante.

L’un de ses points forts et des nombreuses raisons de son succès réside dans sa voix. Dans le paysage musical japonais, on trouve difficilement des voix plus expressives et émotives que la sienne (son titre Kagome en est un bon exemple). Et c’est cette facilité à transmettre une émotion que beaucoup trouvent attrayante, probablement parce que ses interprétations permettent à l’auditeur de s’identifier facilement aux paroles.

Les artistes populaires japonais essaient toujours d’envoyer des messages à travers leurs chansons et Yuuri ne fait pas exception. Pour ce qui est des moins de 20 ans, les chansons abordant l’amour, la séparation ou l’amitié ont un grand succès ; ça tombe bien, il est l’un des meilleurs dans ces domaines-là. Au-delà du fond, Yuuri est sans aucun doute un hitmaker, un faiseur de tubes : il a le don de créer de belles mélodies qui restent en tête longtemps et que tout le monde peut chanter sans grande difficulté. Son premier album Ichi fraîchement sorti en janvier dernier est une véritable collection de hits comme on en voit rarement… et il y en a pour tous les goûts ! Entre le très énergique Peter Pan et le plus calme Infinity, chacun est servi.

Yuuri s’annonce donc déjà comme l’un des futurs acteurs principaux de la scène musicale japonaise, lui qui fait partie de la première génération d’artistes à se servir entièrement des codes du streaming. Le jeune chanteur possède également une autre casquette, bien que directement liée à ses activités principales : il possède une chaîne YouTube comptant plus de 800K abonnés sur laquelle il s’essaie quotidiennement à divers exercices dont des covers, des duels au karaoke avec des invités ou même des pranks (bienveillants) impliquant ses followers. Vous l’aurez compris, Yuuri est très proche de son audience sur les réseaux sociaux ainsi qu’à travers ses vidéos YouTube, un autre point le rendant spécial et pouvant expliquer pourquoi tant de jeunes sont fans. Sa popularité ayant explosé pendant la crise sanitaire, il a compris les enjeux qu’impliquaient l’impossibilité de voir son public lors de concerts, il a donc innové et été très présent sur les réseaux pour combler le vide et établir tout de même une relation forte avec son public.

Macaroni Enpitsu / Saucy Dog

Au sein de la scène rock japonaise, deux jeunes groupes se démarquent particulièrement. Le premier, Macaroni Enpitsu, est caractérisé par son énergie ardente et son rock fortement inspiré des années 90. Le deuxième, Saucy Dog, arbore une teinte rock plus légère et agréable, avec des vocaux doux et chaleureux. Si l’on aborde ici les deux à la fois, c’est parce qu’ils partagent plusieurs points communs, mais aussi parce qu’ils sont aussi proches sur le plan personnel. Les deux groupes ont même organisé des concerts où ils se partagent la scène. Et ce qui est drôle, c’est que les deux ont pris d’un coup en popularité à la même période. Retour en 2020, année qui voit véritablement naître Macaroni Enpitsu aux yeux du grand public avec leur titre Koibito Gokko, qui arrive à se classer haut dans le classement Billboard.

Le groupe bénéficie également d’un coup de pouce en passant sur la très grosse chaîne YouTube THE FIRST TAKE, leur permettant ainsi d’accéder à un public plus vaste. Ils gagnent petit à petit en popularité jusqu’au mois de novembre 2021, durant lequel le groupe sort son premier véritable hit Nandemonaiyo (« Laisse tomber »). La chanson explose et le groupe avec, au meilleur moment possible. Ils avaient en effet prévu de dévoiler leur nouvel album suite à la sortie du morceau, et en faisant de la sorte, avec leur côte de popularité ayant exponentiellement augmentée, ils ont su fidéliser leur nouveau public en leur fournissant directement de la nouvelle musique.

L’album, intitulé en français « L’espoir d’une fin heureuse » résonne particulièrement avec la mentalité de la population jeune qui voit se dresser devant elle une montagne de problèmes aussi bien sociétaux qu’environnementaux ou encore géopolitiques. Dans leurs paroles comme dans leurs sonorités Macaroni Enpitsu dégagent une sincérité unique, sentiment qui semble avoir pour racine le chanteur et leader du groupe Hattori. Etant un grand fan d’Oasis et des Beatles, l’auteur de l’ensemble des morceaux du groupe semble vouloir retranscrire son amour pour ces artistes légendaires en s’inspirant musicalement et spirituellement de leurs travaux lors de la composition et l’interprétation des chansons qu’il a lui-même écrites. Pour revenir très rapidement sur l’album, sorti le 12 janvier dernier, c’est une vraie claque d’adrénaline tant l’énergie du groupe est superbement bien communiquée à travers la voix fougueuse de Hattori. L’un des meilleurs morceaux pour le comprendre est le très mouvementé et addictif Ikiru wo Suru(« Vivre »).

Du côté de Saucy Dog l’avancée a été relativement similaire, à un seul point près : là où Macaroni Enpitsu a connu son premier succès en 2020 avant de confirmer l’année d’après, Saucy Dog a été un peu plus précoce, en profitant d’une belle visibilité en 2016 avec leur chanson Itsuka (“Un jour”).

Après ça, le groupe se fait discret et même s’ils sortent singles, EPs et mini-albums, rien ne bouge vraiment et pas de gros hit en vue. Jusqu’en mars 2020 où sort le single Yui, accompagné d’un nouvel EP. La chanson fait du bruit et le public découvre à nouveau Saucy Dog.

De la même manière que leurs amis Macaroni Enpitsu, le trio originaire de Yokohama refait profil bas jusqu’en août 2021, mois au cours duquel leur tube Cinderella Boy voit le jour. Le clip, assez original car sous forme de manga, montre la courte histoire d’un couple et de comment ce couple va se dégrader jusqu’à sa rupture, du point de vue de la fille. Sur le plan musical, c’est un titre de rock assez simple, très agréable à écouter et au refrain diablement prenant. La voix du chanteur transmet parfaitement les émotions du personnage au cours de l’histoire, ce qui explique pourquoi la chanson a autant de succès parmi les jeunes. Comme quoi, les chansons traitant de rupture amoureuse marchent vraiment bien.

Aimyon

Il serait impossible de faire cet article sans mentionner Aimyon, que l’on peut sans aucun doute désigner comme l’une des artistes les plus importantes de la dernière décennie tant elle a apporté à la musique moderne japonaise. La native de Nishinomiya, ville de la région du Kansai, n’a certes commencé sa carrière qu’en 2015 mais s’est rapidement établie comme une tête d’affiche. Son premier single avait annoncé la couleur du changement que la J-pop allait subir avec sa montée en popularité : sobrement intitulée “Chanson d’amour pur de ta dissection – Meurs -” et (logiquement) censurée de la radio et de la télévision, la chanson dépeint une fille follement amoureuse de son petit ami et qui souhaite entre autres lui arracher les doigts pour qu’il ne puisse pas tenir la main d’autres filles. Musicalement, pourtant, la chanson est très entraînante et sans le contexte on ne pourrait jamais deviner ce dont elle traite.

 

C’est donc au niveau des paroles qu’Aimyon veut révolutionner, et ce dès ses débuts, la scène musicale nippone. Avant son arrivée, effectivement, les artistes populaires japonais avaient pour habitude de tout polir, de tout rendre beau et parfait. Entre l’âge d’or des groupes d’idoles mené par les AKB48, Arashi ou les J Soul Brothers et la pop pétillante et colorée portée par Kana NISHINO et Namie AMURO, la J-pop servait d’échappatoire au quotidien plus calme mais aussi plus dur. La mondanéité de la vie, ainsi que les problèmes auxquels n’importe qui peut être confronté n’étaient que très peu voire pas du tout retranscris à cette époque-là, du moins dans la musique populaire. Mais avec la plume d’Aimyon, ce discours-là est devenu révolu. Accompagné d’une volonté globale de changement dans l’industrie de la part du jeune public, l’artiste a su imposer sa vision des choses dans des chansons aux sonorités majoritairement folk et pop-rock : Aimyon partage le véritable quotidien dont ses côtés les moins excitants et les plus douloureux, jusqu’à aborder le sujet du suicide dans l’excellent hymne Ikiteitandayona (“Elle était en vie”).

Si ça peut vous rassurer, elle ne broie pas que du noir, loin de là : on entrevoit toujours une lumière d’espoir dans l’ensemble de ses compositions et elle aime souvent rajouter une touche d’humour quand le sujet le permet (venant d’une grande fan du groupe Spitz, ce n’est pas étonnant). Le style d’écriture plaît beaucoup, surtout chez les jeunes. On s’en rend facilement compte car même quand ce n’est pas elle qui interprète, le succès est présent : il suffit de voir le nombre de vues du morceau Neko de DISH// sur YouTube. Le rapport ? C’est Aimyon qui a écrit et composé la chanson.

En dehors de son impact sur les paroles, Aimyon représente un autre changement majeur dans le paysage musical japonais : l’avènement du streaming. Elle est la première artiste japonaise à avoir cru pleinement au potentiel du streaming et par conséquent la première à en avoir bénéficié en retour : entre autres, son titre Marigold, l’un des grands hits de la décennie passée, est la première chanson japonaise à avoir cumulé 100 millions de streams sur les plateformes.

En bref, Aimyon et son public fidèle ont été les pionniers du passage au streaming à un temps où la formule du CD paraissait non-modulable aux yeux de l’industrie.

Ado

Ado, c’est l’icône d’une jeunesse japonaise rebelle et fatiguée des normes sociétales trop strictes. Usseewa (“Ferme-la”), son titre phare, est un véritable cri de frustration et d’énervement face au monde du travail, aux trop nombreuses règles qui le régissent et au stress auquel les employés sont soumis. Rarement a-t-on vu un tel retentissement dans la société japonaise causé par une simple chanson ; on peut clairement parler de polémique. Quelques temps après la sortie du morceau les critiques fusent : les enfants et adolescents l’adorent, certes, mais leurs parents beaucoup moins, ce qui est tout à fait compréhensible (qui aimerait entendre ses enfants chanter les mots “Ta gueule” à tue-tête ?). Mais au-delà du caractère un peu violent de la chanson, le fond est très intéressant et si celle-ci a obtenu autant de succès, c’est qu’il y a une grande partie de vérité. Sur le plan musical, on peut qualifier le titre d’inimitable.

Mais avant d’approfondir cet aspect, revenons sur la personne qu’est Ado. Qui se cache derrière ce personnage d’anime à l’allure démoniaque ? quelle est la véritable identité de la créatrice d’un des plus gros tubes de 2021 ? eh bien, on ne sait pas. Ado, c’est ce qu’on appelle une utaite, c’est-à-dire une chanteuse qui poste des reprises de chansons vocaloid (un style musical à base de voix synthétisées, comme celle de Hatsune Miku, et de mélodies inspirées de la J-pop, aux rythmes souvent élevés) sur les sites Niconico (précurseur de YouTube au Japon) et YouTube. La seule information que l’on possède sur Ado, à ce jour, est sa date de naissance, et par conséquent, son âge. Tenez-vous prêts, ce prodige à la voix phénoménale n’a que 19 ans … et elle en avait seulement 17 lorsqu’elle a enregistré et sorti son premier titre, qui n’est autre que le chef d’oeuvre Usseewa. Si le titre est inimitable, c’est parce qu’on peut en dire autant sur la voix d’Ado : unique, puissante et mature. Mais ce n’est pas tout, les sonorités de la chanson sont également uniques, cela venant du fait qu’elle a été composée par un producteur de chansons vocaloid, Syudou. La spécificité de ces producteurs, dits Vocalo-P, est qu’ils sont habitués à des voix synthétiques aux gammes vocales irréalistes, rendant encore plus impressionnante la performance d’Ado. Et pour le plaisir de nos oreilles, elle n’hésite pas à reproduire ce genre de performance vocale dans beaucoup de ses morceaux, comme dans l’excellent Gira Gira.

Dans son premier album Kyogen, paru le 26 janvier dernier, Ado démontre sa facilité à aborder des thèmes différents (une critique de la société dans Usseewa, la difficulté de comprendre ses sentiments dans Kokoro to Iu Na no Fukakai ou encore le fait de ne pas se sentir à sa place dans Readymade) et des styles musicaux variés à l’aide d’une multitude de producteurs (un producteur différent par titre) tout en n’oubliant pas de jouer avec sa palette vocale tout du long. L’opus a par ailleurs amassé 142 000 ventes la première semaine, des chiffres impressionnants pour une première et qui prouvent son immense succès. Ado a clairement marqué les esprits en 2021 et bien qu’elle ait déjà formé un petit arsenal de tubes (dont Odo, qui a contribué fortement à son succès) à son jeune âge, elle ne compte pas s’arrêter là.

Yoasobi

Impossible depuis 2 ans de passer à côté de Yoasobi, duo aux refrains entraînants et aux mélodies sophistiquées. Ikura et Ayase, respectivement chanteuse et compositeur/lyriciste du groupe ont beau avoir pour spécificité d’adapter des romans en chansons, ils sont eux-mêmes protagonistes d’une histoire qui paraît fictive : leur premier single sorti en décembre 2019, Yoru ni Kakeru (“Courir la nuit”), rentre dans l’histoire de la musique japonaise moderne en étant le tout premier morceau certifié diamant en streaming (il cumule aujourd’hui plus de 700 millions de streams), mais aussi le premier single jamais sorti en physique à se hisser à la première place du classement Billboard de fin d’année (le Japan Hot 100, un top 100 des chansons les plus écoutées et vendues). Sur YouTube, le clip était également destiné à tout exploser sur son chemin mais malheureusement, la chanson parlant de suicide et la vidéo mettant en scène les paroles sous forme d’animation, il s’est fait censurer et n’est pas disponible pour les moins de 18 ans (ci-dessous la chanson sans clip).

Mais Yoasobi n’est pas un “one-hit wonder”, c’est à dire qu’ils n’ont pas profité d’un coup de chance pour ensuite se reposer sur leurs lauriers. Ils ont à l’inverse surmonté la pression et les attentes qui les entouraient en continuant sur leur lancée et en sortant successivement des hits. En 2021, dans le Japan Hot 100, 11 des 100 chansons dans le classement étaient de Yoasobi, dont 3 dans le top 10. Mais pourquoi ce duo est-il tant au centre de l’attention ? Comment leur succès s’explique-t-il ? On peut y trouver différentes raisons : d’abord, les compositions musicales sont très inhabituelles par rapport à ce qui se fait sur le marché et il n’est pas injuste de dire que Yoasobi se démarque de tous les autres artistes. Ce sentiment de nouveauté et de fraîcheur dans la musicalité, couplé à la superbe voix très versatile et addictive de la chanteuse Ikura, est la principale piste pour expliquer le succès de Yoasobi à l’échelle non seulement nationale mais aussi internationale. En effet, le duo souhaite s’exporter dans le monde entier, et autant dire qu’ils partent avec de très bonnes bases : ils se sont déjà prêtés plusieurs fois à des interviews pour des magazines en anglais et leur chanson Monster (version anglaise de Kaibutsu, le thème d’ouverture de la seconde saison de l’anime Beastars) s’est retrouvée à la 5e place du classement des meilleures chansons de 2021 selon le magazine américain Time.

Et oui, vous avez bien lu, Yoasobi s’essaie depuis l’année dernière à des versions anglaises de leurs propres chansons afin d’attirer le fameux public international qu’ils souhaitent conquérir. Ces versions anglaises fonctionnent d’ailleurs plutôt bien et bien qu’elles soient évidemment incomparables aux originales en termes de vues, elles n’ont rien à envier quant à la manière dont elles sonnent. Le travail de traduction est fantastique, la différence entre leurs chansons en japonais et en anglais est minime alors que les sonorités et la rythmique des deux langues n’ont rien à voir. Le meilleur exemple pour s’en rendre compte est celui de Into the Night, version anglaise du méga hit Yoru ni Kakeru. Ecoutez les 2 chansons à la suite, c’est franchement très impressionnant.

Au final, on tient la clé de leur succès : Yoasobi se donnent à fond dans tous leurs projets et sont passionnés par ce qu’ils font.

Vaundy

Pour clore la liste, qui de mieux que Vaundy, jeune génie créatif de la scène actuelle qui dès ses premiers pas a frappé juste et qui se pose actuellement en statut d’étoile montante ? Les premières traces du personnage de Vaundy (dont le vrai nom est inconnu) remontent à 2016. En vérité, avant d’opter pour la voie de l’artiste mainstream qu’il est rapidement devenu, l’interprète du très fameux second opening de l’anime Ousama Ranking était à l’origine un utaite, au même titre qu’Ado. C’est un fait peu connu sur l’artiste qui relève plus de l’anecdotique qu’autre chose, mais cela reste intéressant à savoir. Ce qui nous intéresse le plus, cependant, c’est le Vaundy tel que nous le connaissons aujourd’hui : chanteur tokyoïte de 21 ans, élève à l’université, qui cumule des millions de vues sur YouTube et qui a notamment collaboré avec la chanteuse Aimer sur sa chanson Chikyuugi ainsi que la célèbre actrice et modèle Nana KOMATSU pour le clip du très entêtant Odoriko.

Revenons-en à ses véritables débuts : comment Vaundy est-il devenu la tête d’affiche qu’il est aujourd’hui ? pour avoir la réponse, il faut revenir en mai 2019, date de création de sa chaîne YouTube : ce qui est impressionnant avec lui, c’est qu’il a décollé subitement en l’espace de 3 vidéos : les 2 premières, intitulées pain et soramimi, sont des chansons intéressantes aux visuels et ambiances déjà caractéristiques de ce que l’artiste proposera au fur et à mesure de sa jeune carrière, mais elles ne font pas énormément de bruit, quoique suffisamment pour déjà attirer un peu de monde, ce qui est assez impressionnant en soi (on parle d’une première vidéo, tout de même). La troisième cependant, Tokyo Flash, va exploser et être partagée massivement sur les réseaux sociaux. Et honnêtement, compte tenu du très haut niveau de musicalité de la chanson, on comprend pourquoi. C’est le premier vrai clip de Vaundy, et le seul dans lequel il se montre.

Après ça, l’étudiant universitaire tokyoïte n’a fait qu’enchaîner les petits ou grands succès parmi lesquels figure par exemple le superbement moderne et inhabituel Fukakouryoku, en quelque sorte la chanson Vaundy-like par excellence, ou bien l’hymne pop un peu plus classique Kaiju no Hanauta. En bref, malgré sa courte discographie, Vaundy maîtrise à merveille son art et on ne peut qu’espérer un futur radieux pour ce jeune bourré de talent.

TikTok et son influence dans les tendances musicales

A-t-on encore besoin de présenter TikTok? devenu en 2021 le site le plus visité au monde devant Google. L’application chinoise au milliard d’utilisateurs actifs est un phénomène de société à ampleur mondiale et le Japon n’y a pas échappé, au point même d’être devenu sur la scène musicale un véritable incubateur de futures stars à l’instar du très populaire Hirai Dai, auteur d’un des gros tubes de 2021, Stand by me, Stand by you, qu’il a d’ailleurs interprété à la 72e édition de Kohaku Uta Gassen (le plus gros évènement musical de l’année, qui a lieu le 31 décembre).

D’autres artistes comme Eito ou Tani Yuuki sont passés de l’inconnu au grand public grâce à la plateforme et la flambée de jeunes créateurs de contenu qui la font vivre. Mais la puissance et l’influence de TikTok ne s’arrête pas là : bien que la montée en popularité de nouveaux jeunes artistes via une mise en avant sur une application utilisée majoritairement par des jeunes soit cohérente, on observe aussi, plus étonnamment, une explosion de certains morceaux populaires à d’anciennes époques comme Megumi no Hito de Rats & Star, sorti en 1983. C’est son refrain entraînant et surtout son gimmick « Me !” (vous comprendrez en écoutant) qui ont été utilisé dans des vidéos de danse et ont contribué à la redécouverte du morceau.

Par ailleurs on notera que c’est grâce à l’application que Yoasobi, que nous avons abordé précédemment, a réussi à s’exporter à échelle globale, après que leur hit Yoru ni Kakeru ait été partagé massivement. Avec ce genre de belle histoire, on ne peut que reconnaître l’influence positive de TikTok sur le marché de la musique tant pour les nouveaux artistes que pour ceux déjà établis depuis longtemps.

La montée en puissance de la K-Pop au Japon

Un autre phénomène mondial qu’il est difficile d’ignorer ces dernières années est celui de la K-pop. BTS, le porte-drapeau du genre, compte en septembre 2021 23 Guinness World Records dans les domaines de la musique et des réseaux sociaux, dont le titre du groupe le plus écouté sur Spotify. Et au Japon, leur succès est assez évident : ce sont eux qui ont le plus vendu dans le pays en 2021 alors qu’ils figuraient déjà dans le top 5 les 2 années précédentes.

C’est en effet peu étonnant compte tenu de l’ampleur du groupe mais aussi du fait que les Japonais ont toujours eu un attrait pour les groupes d’idoles, eux qui ont cette culture depuis maintenant plusieurs décennies. Forcément, un groupe d’idoles étranger qui a un succès pareil, ça a fait réfléchir l’industrie sur la formule des groupes d’idoles japonais actuels. Et après réflexion, elle a décidé de lancer ses propres groupes “style K-pop » aux sonorités plus occidentales, aux chorégraphies plus sophistiquées et aux clips visuellement plus frappants : en résulte ainsi NiziU, groupe féminin d’idoles japonaises managé par une agence sud-coréenne que l’on peut aujourd’hui considérer comme l’un des plus populaires du pays, ainsi que JO1, groupe cette fois-ci masculin qui a notamment remporté aux Mnet Awards 2021 le titre de meilleur artiste japonais. Les deux groupes ont été formé par le biais d’émissions de télé-réalité sous forme de compétitions dans lesquelles participent une multitude de candidats. Les groupes NiziU et JO1 ne sont donc pas partis de rien, et ont bénéficié au contraire d’une énorme visibilité avant même que les groupes n’aient été formés. Quand bien même, les centaines de millions de vues sur les clips de NiziU ne sont pas non plus seulement dues au succès de l’émission de laquelle le groupe est issu, il y a quelque chose d’autre qui doit expliquer ces chiffres démentiels.

Ce quelque chose, en théorie, est plutôt simple à expliquer : la formule coréenne plaît, alors les “imitations”, pardonnez le terme, plaisent aussi ; concrètement, cependant, ce n’est pas exactement ça. Focalisons-nous sur NiziU : tout d’abord, le marketing autour d’elles n’est pas loin d’être abusif : Coca-Cola, SoftBank, H&M, bonbons, marques de cosmétique et même tamagotchi, on les voit partout à la télé. Et quand ce n’est pas dans des pubs, c’est parce qu’elles sont invitées dans diverses émissions. Au final, si autant de personnes ont regardé au moins un de leurs clips, c’est parce que c’est en quelque sorte inévitable. Et pourtant, avec un nombre de vues presque 20 fois plus élevé que JO1 sur YouTube (Make you Happy de NiziU a 287 millions de vues, contre 15 millions pour Infinity de JO1), elles font à peine plus de ventes qu’eux, qui en plus de ça n’apparaissent pas énormément à la télévision.

Comme quoi, tout n’a pas d’explication logique, et pas besoin d’en avoir pour remarquer que les deux groupes marchent du tonnerre ainsi que pour prédire que dans un futur proche, on risque de voir de plus en plus de groupes de ce genre prendre la place des groupes d’idoles plus traditionnels.

En rentrant en profondeur dans l’univers de chacun de ces artistes dont les jeunes Japonais sont fans, on se rend compte qu’au final, il n’y a pas vraiment de ressemblances suffisamment importantes entre eux pour pouvoir dessiner une tendance. Musicalement, on comprend ce que chacun a apporté (ou va apporter) au paysage de la musique dite “mainstream”, mais il n’y a pas de code à suivre pour être un artiste populaire. A l’inverse, plus l’artiste sort des sentiers battus, plus il a une chance de se faire un nom. Yoasobi et Ado en sont 2 exemples très concrets. Au niveau de l’écriture, la révolution Aimyon a amené un phénomène de libération de la parole qui se ressent complètement dans les textes de tous les artistes de la même génération. Certains thèmes comme la romance et la rupture sont certes plus populaires que d’autres mais des prises de risques comme celle d’Ado sur Usseewa ou d’Aimyon elle-même sur Ikiteitandayona, qui en plus se démarquent dans les sonorités, se sont imposés au même titre que des mélodies terriblement efficaces sur fond mélancolique comme Dry Flower de Yuuri ou bien Cinderella Boy de Saucy Dog. Puis il y a les ovnis, ceux que l’on n’associe pas aux règles établies ; ici, Vaundy et Macaroni Enpitsu. Pour le premier, disons qu’il est né avec le groove dans la peau. Pour les deuxièmes, bien qu’ils soient musicalement proches de ce que l’on connaît déjà (du pur rock 90’s), ils ne s’inscrivent dans aucun courant actuel, personne ne fait actuellement ce qu’eux font (au Japon).

En parlant de courants actuels, l’industrie musicale japonaise a subi ces dernières années un grand nombre de changements : entre l’adoption du streaming, l’arrivée de la K-pop, l’inévitable impact de TikTok ainsi que la pandémie mondiale, le Japon a eu sa part de changements pour au moins une décennie.

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