Sélection de romans pour s’évader au printemps

Journal du Japon vous propose une petite sélection de beaux romans à lire sous un cerisier en fleurs.

Petites boîtes de Yôko Ogawa : veiller sur les âmes des enfants morts

Petites boîtes de Yôko Ogawa, éditions Actes Sud : couvertureC’est un roman troublant que nous livre la célèbre écrivaine Yôko OGAWA. On y retrouve des thèmes qui lui sont chers : le deuil, l’enfance, la mémoire… Ils y sont traités de façon étrange et sublime.

Tout se passe dans une petite ville. La narratrice habite dans l’ancienne école maternelle. Petit à petit, son corps s’est adapté à la taille du mobilier et elle y mène une vie simple qui semble lui convenir. Elle est en quelque sorte la gardienne de l’école, et elle accueille tous les parents qui viennent s’occuper des petites boîtes-vitrines qui s’empilent dans l’auditorium où jadis avaient lieu les spectacles des enfants.

« Les rayons du couchant qui entraient par la fe­­nêtre étaient si bas qu’ils se glissaient sous le bureau de la directrice et éclairaient nos pieds. Chaque fois que je baissais les yeux, la couleur de la lumière était différente. Sept bureaux où personne ne s’était assis depuis longtemps se faisaient face dans la salle des maîtres. Un menu hebdomadaire inachevé, des mugs vides, une pile de carnets de correspondance pas encore remplis, des images en désordre du kamishibaï Les Trois Petits Cochons, des ciseaux, de la colle, des papiers de couleur… Tous les objets ignoraient qu’ils avaient perdu leur utilité et attendaient patiemment le retour de ceux qui ne reviendraient pas. »

Désormais, ce sont les âmes des enfants décédés que ces boîtes conservent, contenant des poupées dont les cheveux sont ceux des enfants morts. Et chaque parent vient y apporter des objets pour aider ces âmes à grandir : un doudou à câliner, un livre à lire, une balle, un cahier, une couverture, un nouveau ruban pour les cheveux… car les enfants continuent à grandir dans l’esprit des parents qui viennent fêter les anniversaires. La narratrice allume lors de leurs venues des bougies aux parfums sucrés de l’enfance, partage des cupcakes, vérifie que le soleil n’entre pas et n’altère pas le contenu précieux de ces boîtes.

Le quotidien s’organise entre les visites des parents à l’école et les trajets pour aller récupérer de nouvelles boîtes à l’ancien musée. Les visites à sa cousine pour lui apporter des livres de bibliothèque, les promenades avec l’ancien conservateur du musée, Monsieur Baryton, qui ne sait plus parler mais uniquement chanter de sa voix puissante, et dont l’épouse hospitalisée loin lui envoie des lettres que la narratrice déchiffre pour lui. Il y a la patronne de la blanchisserie qui, tétine autour du cou, vient jouer dans l’aire de jeux de l’école envahie par les herbes hautes.

Il y a aussi l’ancienne coiffeuse qui fait des merveilles avec les cheveux des enfants morts (dont elle fait et refait les coiffures en fonction des demandes des parents), et qui, avec l’ancien dentiste devenu sculpteur, permet à de minuscules instruments faits à base de ces cheveux et de bois (voire d’os, de cordons ombilicaux des enfants morts) d’émettre des sons délicats comme des chuchotements d’enfants lors des « concerts de soi à soi » (où chacun place le petit instrument sur son oreille et marche lentement dans le vent sur la colline).

« Bien que la musique ait diminué avec le vent faiblissant, les instruments jouaient encore leurs sons chimériques dans mes oreilles. Les coquillages apportaient le bruit de vagues lointaines, les grelots des hochets tintinnabulaient gaiement, les hélices des avions brassaient agréablement l’air. Les cordons ombilicaux desséchés faisaient entendre une chanson qui ressemblait à un murmure rocailleux, roulant sans cesse au fond des petits flacons en raison de leur forme irrégulière qui les empêchait de se poser. Leur jolie voix cristalline, qui détonnait avec le rouge presque noir du sang de l’accouchement, transformait la chanson la plus banale en un message unique. Un message que ne pouvaient recevoir que l’instrument du lobe de l’oreille et le vent d’ouest. Ainsi les musiciens retrouvaient la voix des enfants morts, sur la colline, dans la nuit. »

C’est donc a priori un livre morbide, dérangeant, mais qui, grâce à la plume magique de Yôko Ogawa, devient un long poème chanté qui aborde le deuil de façon surprenante. On est à la fois triste, terrifié, mais également envoûté, emporté. Dans cette ville sans enfants, leur présence semble cristalline, dansante, souriante, mais éphémère, évanescente, transportée par le vent… Elle s’efface comme les images du spectacle sur la cassette vidéo, ou leurs créations artistiques qui, d’année en année, se décolorent, se décomposent.

Un livre doux-amer que l’on quitte à pas de loup pour ne pas déranger le monde des souvenirs.

Plus d’informations sur le site de l’éditeur.

Le Roi Chien d’Hideo Furukawa : quand un brillant écrivain invente une suite au Dit des Heike !

Le roi chien d'Hideo Furukawa, éditions Picquier : couvertureHideo FURUKAWA est l’un des grands écrivains japonais contemporains. Il démontre une fois de plus sa créativité et ses talents de conteur dans ce nouveau livre très original : un texte entre mythe et chant qui raconte l’histoire de deux enfants, cent cinquante ans après la bataille navale de Dan-no-ura, où périt le clan Taira (Heike) qui combattait contre le clan Minamoto (histoire narrée dans le Dit des Heike).  C’est après avoir travaillé sur une nouvelle traduction en japonais moderne de ce Dit que l’auteur a eu envie d’écrire un volet supplémentaire à cette œuvre qui le hantait.

Et le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il manie à merveille le style du Dit. Il nous embarque dans un Japon de danseurs, conteurs, joueurs de biwa, décrivant les protagonistes, expliquant ce qui doit être expliqué, comme si nous étions en face de lui et l’écoutions raconter son histoire depuis la scène d’un théâtre ou une simple estrade d’un petit village. C’est passionnant, entraînant, rafraîchissant !

Les chapitres sont courts, apportant chaque fois un élément nouveau à l’histoire. Comme un récit qui ne durerait que quelques minutes chaque jour, comme un feuilleton qu’on lirait dans un magazine, attendant avec impatience la suite des aventures.

Il y a donc Tomona, fils de pêcheur-plongeur, dont la vie bascule lorsqu’il doit, à la demande de gens de la capitale, sortir de la mer une épée (un des trois trésors impériaux perdu lors de la bataille des Heike) avec l’aide de son père. Cette épée tuera ce dernier et rendra le jeune Tomona aveugle, avant de retourner au fond de la mer. Tomona ira alors en ville pour savoir pourquoi et deviendra un talentueux et célèbre joueur de biwa.

En parallèle, on découvre Inuô, enfant né difforme, qui doit se cacher sous des vêtements étouffants et un masque pour ne pas effrayer les gens. Mais grâce à une volonté de fer, il réussira à faire évoluer son corps en imitant ses frères danseurs, sa famille dirigeant une troupe de Sarugaku. Il deviendra un grand maître de Sarugaku.

Ces deux-là vont devenir amis et monter de superbes spectacles, un nouveau Heike ! L’occasion pour l’auteur de nous replonger dans le Dit des Heike revisité par nos deux héros talentueux.

C’est un livre atypique qu’on ne lâche pas facilement, qui mêle Histoire et aventure, univers artistique et récit plus intime, beauté et laideur. Un monde où les vivants et les morts cohabitent, où les esprits courroucés s’unissent pour aider les vivants. Du grand art, un réel bonheur de lecture ! Et l’envie de plonger ensuite dans Le Dit des Heike !

Un petit extrait pour vous faire une idée du style :

« La rumeur se répandit qu’un esprit yôkai était apparu dans le quartier de Sakyô. Le bas du corps était d’un humain normal, le haut d’un démon. La tête, tout au moins, d’une forme assurément démoniaque, tous ceux qui le voient en tombent sur le cul, disait-on en termes choisis. Mais il ne fait rien de mal, disait-on aussi. Il éclate d’un grand rire quand il est surpris, c’est tout, disait-on. Réaction typique de yôkai, disait-on.
L’histoire du yôkai parvint également aux oreilles de Tomona.
Mais une autre rumeur circulait, une rumeur qui méritait d’être creusée, bien plus importante pour Tomona. Tomona se préoccupait peu des apparitions de yôkai qui mettaient le quidam en émoi. Ne serait-ce que parce qu’il ne risquait pas de se retrouver sur les fesses, lui, quand le yôkai se dresserait, dans la mesure où il ne le verrait pas. En admettant qu’il s’agisse d’un démon véritable, peut-être se ferait-il dévorer sur-le-champ. Pas de quoi en faire un plat, se dit Tomona. »

Plus d’informations sur le site de l’éditeur. Et côté cinéma, un film de Masaaki Yuasa risque bien d’en proposer une adaptation : Inu-Oh.

N’oublie pas les fleurs de Genki Kawamura : une mère, son fils, des souvenirs et Alzheimer

N'oublie pas les fleurs de Genki Kawamura, Fleuve éditions : couvertureAprès le beau succès de Si les chats disparaissaient du monde, c’est un autre roman de cet auteur qui met brillamment en mots les émotions du quotidien que nous découvrons. Une fois encore, c’est une histoire touchante, bouleversante, racontée avec douceur et délicatesse. De l’émotion pure pour parler du sujet difficile qu’est la maladie d’Alzheimer.

Tout commence de façon classique : Yuriko, 68 ans, vit seule dans sa maison avec son piano et donne encore quelques cours de piano à des enfants, mais de moins en moins. Son fils Izumi, qu’elle a élevé seule, a quitté la maison il y a plus de quinze ans. Il travaille pour une grande entreprise de musique, organise concerts, vidéos et albums pour des chanteurs connus ou prometteurs. Il n’habite qu’à une heure et demie de chez sa mère, mais son travail lui prend tout son temps et il ne va la voir que deux fois par an. C’est au travail qu’il a rencontré sa femme Kaori, directrice du secteur de musique classique. Elle aussi travaille beaucoup et se demande si le bébé qu’elle attend va changer sa façon de travailler, de vivre.

Un jour où Izumi rentre voir sa mère, celle-ci n’est pas à la maison et il trouve le lieu beaucoup plus négligé que d’habitude. Il retrouve finalement sa mère assise sur une balançoire dans un parc. Un autre jour, c’est un appel téléphonique à une heure du matin. Puis la police qui appelle pour lui dire qu’elle a récupéré sa mère à la sortie du supermarché où elle avait oublié de payer les courses. Direction l’hôpital. Des tests, et un diagnostic : « Alzheimer… Ce mot ne lui évoquait pas du tout sa mère. C’était une maladie lointaine, qui sévissait dans les fables, pas dans la réalité, pas dans leur réalité. »

Izumi se rend régulièrement chez sa mère. A mesure qu’elle perd la mémoire, ses souvenirs à lui affluent. C’est toute une enfance, une vie à deux qui apparaît sous ses yeux, avec ses moments lumineux mais aussi ses zones d’ombre. Un cheminement entre présent et passé, la mère évoquant ses souvenirs qu’il ne comprend pas toujours, et lui, l’aidant à s’en remémorer d’autres.

Il y a les bons petits plats qu’elle lui préparait, il y a la musique qu’elle jouait et joue encore, il y a les fleurs qu’elle adore et le soliflore qui trônait toujours dans la maison avec une fleur de saison majestueuse. Il y a les rares vacances au bord de l’eau…

La vie s’organise avec la maladie, l’aide à domicile, la maison où elle sera bien entourée… Et en parallèle le ventre de Kaori qui grossit, le bébé qui va arriver, la paternité qui questionne alors que sa propre mère semble redevenir une enfant.

C’est un livre très émouvant, tout en délicatesse, en émotions, en choses qu’on n’a pas dites, en souvenirs qu’on a oubliés… mais c’est avant tout un grand livre sur l’amour sous toutes ses formes ! L’amour inconditionnel d’une mère pour son fils, d’un fils pour sa mère, l’amour entre un homme et une femme… et la tentative de gérer tout cela au mieux pour les autres et pour soi, exercice périlleux qu’est la vie !

Un livre bouleversant qui vous donnera envie d’appeler vos proches et de leur dire que vous les aimez !

Plus d’informations sur le site de l’éditeur.

2 réponses

  1. van reysel dit :

    j’ai lu le livre
    j’adore l’écriture de yoko ogawa

  2. van reysel dit :

    bonjour,
    Jai lu le livre « petites boites » de OGAWA
    toujours un plaisir de lire ses livres cette musique, cette ambiance

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