Gaming Memories #55 – Double Dragon

Bienvenue dans ce 55e numéro de Gaming Memories qui nous ramène 36 ans dans le passé en pleine salle d’arcade. On (re)découvre ce mois-ci l’une des œuvres les plus emblématiques du beat’em-up. Nous vous invitons à prendre une bonne grosse poignée de pièces… Direction 1987 pour Double Dragon de Technos Japan !

L’histoire d’une vie retranscrite en jeu vidéo

A l’origine de notre jeu du mois, Double Dragon, il y a Yoshihisa KISHIMOTO. Celui-ci, d’abord employé de l’éditeur Data East, s’est illustré grâce à plusieurs titres sur laserdisc (support capable d’un grand stockage d’image et de son pour l’époque) impressionnants, sur lesquels nous aurons l’occasion de revenir une prochaine fois. Il est ensuite allé chez Technos. Aidant énormément à la démocratisation d’un support impressionnant mais éphémère, il se tourne vers le beat’em-up avec Nekketsu Kôha Kunio-kun, partiellement inspiré de sa propre vie. Ce soft mettait en scène Kunio qui devait affronter des hordes d’un clan d’un autre lycée qui avait enlevé son meilleur ami à coups de poing et autre mandales bien senties. Oui, le créateur de Double Dragon était un lycéen qui aimait la baston, un furyô !

Kunio-kun est un personnage relativement méconnu en dehors du Japon. Mais là-bas, on peut compter plus de 40 jeux autour de lui en l’espace d’une dizaine d’années ! Beat’em-up, party games, dodgeball et plus encore, seulement quelques-unes de ses aventures sont arrivées jusqu’à nous, et encore, elles étaient maquillées pour paraître plus occidentales (si jamais vous avez connu Nintendo World Cup sur NES, sachez que c’est aussi un jeu Kunio-kun à l’origine). Ainsi sa première aventure est devenue Renegade, avec un style bien plus américanisé. Si l’on parle de ce petit personnage plus en détails dans ce numéro, c’est parce qu’il est une base à la fois pour le genre en question, en introduisant l’idée de combos et de déplacements dans la profondeur à l’écran (les productions de ce genre précédentes comme Kung-fu Master par exemple restaient sur un plan 2D). Double Dragon, sorti un an après, améliorera encore la recette.

Double Dragon est sorti le 22 avril 1987, 11 mois après Kunio-kun. Il devait en être une suite à la base, jusqu’à ce que les dirigeants de Technos Japan demandent à KISHIMOTO d’en faire quelque chose de plus américanisé et surtout, qui serait jouable à deux pour un plus grand attrait et profit monétaire. Les américains purent profiter du jeu le même mois, alors que la version européenne a attendu juin pour sortir.

Un thème d’intro cultissime, composé par Kazunaka YAMANE.

Pour plus de renseignements sur l’histoire de Double Dragon et son créateur, nous conseillons la lecture du livre documentaire Enter the Double Dragon sorti aux éditions Pix’n’Love en 2012.

Local Renegades vs Double Dragons

Tout commence alors que Marian, la petite amie de Billy Lee, se fait agresser et kidnapper devant le garage dans lequel il travaille (curieusement nommé Matin…). Il va donc parcourir les rues de sa ville et ses environs jusqu’au quartier général des Black Warriors, la bande de punks qui s’en est prise à elle ! Seul, ou aidé par son frère Jimmy (le deuxième joueur), il devra bien entendu défourailler des hordes de sbires pour parvenir à la secourir.

C’est en tous cas ce que racontent les versions américaine et européenne. Au Japon, le scénario du jeu est légèrement différent et un peu plus fourni. Là-bas, le monde a subi une guerre nucléaire dans les années 1990 et le jeu se déroule donc dans une ambiance post-apocalyptique, largement inspirée, selon les dires de son créateur, par Hokuto no Ken (Ken le Survivant) et Mad Max. Les frères Lee y tiennent un dôjô d’arts martiaux dont Marian, toujours petite amie de Billy, est également une disciple. Le reste ne change pas, les BlackWarriors l’enlèvent pour causer du tort aux frères, mais selon certaines versions… il y aurait une petite surprise quant à qui est réellement Jimmy.

(Double) Dragon punch !

Cela ne change en rien le déroulement du jeu. On incarne Billy par défaut, et le deuxième joueur est Jimmy, qui ont tous les deux les mêmes mouvements. On progresse dans les quatre niveaux du jeu en vainquant les hordes de membres de Black Warriors ainsi que des boss qui concluent chaque stage. Pour cela, on se déplace dans toutes les directions, dans des décors pas totalement linéaires (ils vont principalement de gauche à droite mais il y a parfois des dénivelés qui font monter ou descendre), et on dispose de deux vies par crédit.

Pour se défendre, les frangins utilisent aussi bien leurs poings que leurs pieds, qui sont chacun assignés à un bouton de la borne d’arcade. Les deux ont un enchainement fixe, qu’il est possible d’alterner en appuyant sur une autre touche d’action pendant un combo, selon l’envie du joueur. On peut sauter, pied en avant pour frapper ses ennemis, et aussi les attraper pour leur coller le genou dans le ventre comme des chiffonniers, ou faire une projection pour les envoyer valdinguer plus loin. D’autres mouvements sont disponibles, comme un coup de tête en appuyant deux fois rapidement sur une direction, ou de coude dévastateur pour se débarrasser de quelqu’un d’un peu trop collant.

Comme le jeu est jouable à deux, on peut apprécier le fait que la collaboration soit possible : quand on parle de se battre comme des chiffonniers, ce n’est rien de le dire car on peut carrément attraper quelqu’un par derrière pendant que l’autre le martèle de coups ! Les ennemis peuvent, cela dit, en faire de même. Il y a égalent des armes sur notre chemin ou que l’on peut subtiliser à nos ennemis, comme une batte de baseball, un fouet ou encore même un rocher à jeter à la figure des autres. Là encore, les membres du gang de vilains peuvent le faire aussi mais ces objets ne disparaissent pas après les avoir perdus plusieurs fois comme chez la concurrence, donc on peut parfois se battre pour celui qui aura l’arme qui fera la différence…

Un premier niveau encore tranquille pour apprendre les bases.

Une armée entière ne suffirait pas à m’arrêter

Double Dragon commence donc par cette courte séquence d’introduction, dans laquelle Marian se fait enlever. C’est un détail à signaler, car il ne faut pas oublier que nous sommes en 1987. Si de nos jours, un minimum de narration même dans les jeux qui n’en ont pas forcément besoin est commun, c’était à ce moment d’une grande rareté, là où la concurrence (tous genres confondus) s’autorisait plutôt un texte ou quelques images explicatifs.

Les graphismes du jeu sont plutôt de bonne qualité pour l’époque, avec des couleurs bien présentes malgré une palette limitée. L’animation est détaillée pour la plupart des mouvements, et bien sûr on combat une armée de clones donc il n’y a pas énormément de types d’adversaires différents. Leur nombre à l’écran dépasse rarement quatre ennemis : là encore à cause d’une limitation technique. Mais tout cela a son charme, tout comme la diversité que la progression propose grâce à ses décors à la fois en ville ou en plein air.

Les scènes de transition entre chaque niveau amplifient cette impression de progression, et évitent de se retrouver d’un lieu à un autre sans aucun rapport comme dans tous les autres jeux de ce genre. On pourrait regretter que la caméra est trop cadrée vers la droite lorsque l’on avance, ce qui fait qu’on ne voit les ennemis parfois qu’au dernier moment… et ils n’attendront pas bien sagement qu’on les ait remarqués pour nous frapper.

Très vite, on sent une action rapide et réactive : on s’amuse à faire des sortes de combos poings/pieds/projections en fonction de nos envies. On progresse assez vite dans les niveaux, qui suivent bien entendu une montée en puissance des ennemis au fil de l’aventure. Ceux-ci, cela dit, sont assez résistants et peuvent faire mal dès le début. Aucun n’est à prendre à la légère, surtout qu’ils ne font pas de cadeaux. Double Dragon est de la vieille école et cela se sent.

En effet, on tombe fréquemment sur ce que l’on appellerait des injustices. Les attaques des sbires touchent en premier assez souvent alors que l’on a lancé la nôtre avant si l’on est un peu trop près. Et il n’y a pas de répit : on peut régulièrement se faire enchaîner alors que l’on vient juste de se relever. Les vilains ne sont pas toujours très nombreux à la fois (un, deux voire trois au maximum), à cause d’un hardware trop limité qui souffre de gros ralentissements dès qu’il y a plus de trois personnages à l’écran. On peut supposer que « ne pas faire de cadeau au joueur » est peut-être une contrepartie.

Cela dit, la palette de mouvements de nos frangins Lee est impressionnante pour l’époque et permet une diversité certaine dans les mouvements, que d’autres BTU n’auront pas puisqu’il n’y a souvent qu’une seule touche d’attaque donc un seul combo fixe. On n’est pas au niveau d’un Streets of Rage, bien sûr, et on aurait peut-être apprécié une super attaque qui dégomme tout le monde contre un peu d’énergie comme Final Fight l’introduira deux ans plus tard, mais Double Dragon fait déjà un grand bond en avant parmi ce que nous, joueurs européens et aussi américains connaissions jusqu’alors. L’action s’arrête assez peu souvent, et on appréciera aussi de pouvoir interagir avec certains décors, grâce à des trous qui sont d’une grande aide… ou pas ?

Le jeu ne fait certes pas de cadeaux, et il est parfois un peu injuste – sans compter qu’il n’y a pas d’objets de soin qui trainent par terre et seulement deux vies par crédit, certes. Mais il a aussi une particularité de programmation (possiblement faite pour diminuer légèrement la difficulté) qui peut faire la différence et est très simple à utiliser : en effet, les ennemis sont incapables de se déplacer en diagonales et ne peuvent avancer qu’horizontalement puis verticalement vers le joueur. Mais notre personnage, non ! Avec un peu de maîtrise, il devient possible de faire en sorte que les sbires viennent se jeter en plein dans nos attaques. Cela ne met pas à l’abri de tout, bien sûr, mais peut faire pencher la balance en la faveur du joueur. L’intelligence artificielle est plus que limitée, et tous, sans exceptions sont programmés pour aller vers le joueur en prenant le chemin le plus court. Autrement dit, s’il y a du vide à un endroit dans un niveau, il est totalement possible de profiter de cette lacune : les vilains allant juste se jeter dedans bien sagement.

Le jeu ne fait que quatre niveaux, mais qui ont chacun une ambiance différente, avec une progression détaillée. En effet, contrairement à la plupart des autres jeux, les stages s’enchaînent naturellement comme si l’on allait réellement d’un point A à un point B. L’avancée dans les décors est donc cohérente et ne fait pas passer d’un endroit à un autre sans logique ni lien réels. Cela peut être parcouru en un peu moins d’une demi-heure si l’on se débrouille bien mais le temps de bien apprendre la maniabilité permissive et à être le plus brutal, il faut compter environ une heure. Pas que Double Dragon ait mal vieilli pour autant ! Au contraire, il est toujours aussi plaisant, si bien sûr on pardonne ses injustices.

Il faut aussi signaler et saluer sa bande-son du jeu : si celui-ci est dynamique et épique à lui seul, le coté sonore ne fait qu’amplifier toute cette ambiance, en rajoutant à l’action héroïque un petit côté inquiétant pour maintenir le joueur en alerte. Principalement orientée rock, elle se permet de faire un petit crochet vers une sensation de musique funk et de rock’n’roll vers la fin. Bien sûr nous sommes en 1987, il ne faut pas s’attendre à plus que de la musique chiptune. Mais cet ensemble musical fonctionne parfaitement, rendant Double Dragon marquant aussi bien pour les yeux que pour les oreilles ! Il y a très peu de morceaux différents dans le jeu, mais il est impossible de ne pas en retenir au moins un, si ce n’est le thème principal devenu culte !

Les Dragons sont (presque) immortels

Qu’on se le dise tout de suite : 1987 était une année de légende pour le jeu vidéo, et Double Dragon en fait bien entendu partie. Il a marqué des milliers de joueurs, aussi bien en arcade que sur consoles, grâce à ses innombrables portages. Ce fut un choc et une découverte considérables pour les joueurs, qui n’avaient encore jamais essayé un jeu de combat aussi prenant et violent, sur lequel on pouvait lire la douleur que ressentaient les personnages !

Puisque l’on parle de portages, on peut citer parmi les plus connus ceux sur NES, Master System, et GameBoy mais Double Dragon est également sorti sur d’autres machines bien plus anciennes et dépassées telles que le ZX Spectrum, Atari 2600 ou Amstrad CPC. Concrètement parlant, le jeu de Technos Japan s’est trouvé être le troisième jeu le plus rentable au Japon en 1987, et aux États-Unis il s’est fait sa place dans 80% des salles d’arcade à tel point que des bornes illégales ont été mises en service ! Plusieurs centaines de milliers de copies se sont écoulées sur chaque console domestique, salon comme portable… indéniablement l’un des jeux les plus vendus de tous les temps.

Devant ce succès, Technos Japan demande un second épisode à son créateur, KISHIMOTO, qui accepte de s’en occuper à reculons : il aurait préféré se lancer dans un autre projet, peut-être dans le même genre mais sans se lancer dans la licence à suites multiples. Cependant, Double Dragon II s’avère lui aussi être un succès, avec quelques scènes cultes comme celle de l’hélicoptère et sa porte qui s’ouvre régulièrement en aspirant tout le monde. Succès qui a été certes moins grand que son prédécesseur, mais également le premier contact pour beaucoup de joueurs de NES pour qui il est le meilleur de toute la série. Deux ans plus tard, en 1990, Technos Japan à bout de souffle et au bord de la faillite produit un troisième épisode sous-titré The Rosetta Stone, qui manquera cruellement d’originalité et de finesse graphique. Le jeu proposera surtout un système d’upgrades payantes… avec des pièces réelles !

Un jeu aux mille versions, on l’avait bien dit !

Malgré ce demi-succès, Double Dragon ne s’arrêtera pas là. Super Double Dragon voit le jour sur Super Nintendo (sans surprise), nettement mieux reçu que le volet précédent bien qu’il s’éloigne un peu trop de ce qu’était la licence au départ. Rachetée par Tradewest, la série a aussi un cinquième opus qui est devenu un jeu de baston pure sur NeoGeo notamment et qui s’éloigne à nouveau un peu trop de l’esprit du jeu d’origine. On signalera également, dans le genre « ça va trop loin », un spinoff avec la série Battletoads. Tout cela a duré au final jusqu’en 2002. Et ce n’est pas tout dans le domaine du « n’importe quoi », malheureusement et au grand dam de son créateur…

Double Dragon se voit adapter en film live avec les acteurs Robert PATRICK et Mark DACASCOS, ainsi qu’en comics assez anecdotique et autres dessins animés tout aussi oubliables – le lot de ces séries à succès dont on veut tirer le moindre petit sous en l’exploitant jusqu’à l’usure. Les fans seront cependant sans doute heureux de l’arrivée d’un Double Dragon Advance sur GameBoy Advance (sans surprise… là encore), refonte graphique et technique qui fera le plus grand bien à une licence culte bien trop malmenée par des suites non-voulues.

Double Dragon IV (oui oui…) fera à nouveau revenir les frères Lee (rappelons que – attention spoiler –, à la base, Billy et Jimmy finissaient par se battre dans un duel à mort à la fin du jeu à deux… donc niveau crédibilité dans les suites, on y repassera…) en janvier 2017. Mais bien qu’il ait été produit par des ténors du jeu de baston 2D, Arc System Works, cet opus tout en pixel art « à l’ancienne » n’était pas franchement des plus intéressants. On retiendra pour finir Double Dragon Neon (PS3, Xbox 360, Steam, septembre 2012), qui s’il arbore un côté rétro et quelques idées de science-fiction un peu étranges, s’avère être de très bonne facture, avec des sensations d’époque modernisées qui rendent ce titre signé Way Forward et supervisé par KISHIMOTO lui-même un très bon jeu.

Juste pour le fun, le trailer du digne successeur, Double Dragon Neon !

Si de nos jours Double Dragon semblerait sans doute inaccessible, trop difficile et très probablement ringard pour les plus jeunes joueurs, il est définitivement un de ces jeux qui ont marqué le monde, aussi bien niveau joueurs qu’éditeurs. Il est la base solide et inventive toujours diablement fun d’un genre qui aura donné par la suite d’autres incontournables dont certains nous en avons déjà parlé dans la rubrique. Il serait difficile d’y jouer légalement dans sa version arcade de nos jours, mais les consoles sont toujours là, et au vu de ces quelques derniers jeux de la décennie précédente, qui sait ? Peut-être que les frangins bastonneurs reviendront à nouveau un jour !

Et le mois prochain, retour sur un nouveau beat’em-up avec des bestioles gluantes et menaçantes… A bientôt !

Captures d’écran prises par JDJ. Crédits des autres visuels : Tous droits réservés ©Technos Japan

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