Chrysanthème : éloge à la vie

En parcourant des jardins botaniques et des parcs floraux sur la période d’octobre à novembre, on rencontre de jolis pompons colorés. Bien que sa floraison puisse débuter en juin, le chrysanthème est surtout présenté comme étant une fleur automnale. C’est aussi une plante facile d’entretien. Robuste, elle résiste au gel et aux basses températures. Le chrysanthème est peu exigeant : un sol humide et une exposition au soleil suffisent à son bonheur. Planté en pleine terre ou en pot, l’Astéracée se décline en plusieurs variétés : annuelles ou vivaces, fleurs simples ou doubles…

Introduit en France en 1770, le chrysanthème ne gagne en reconnaissance qu’après la Grande Guerre (1914-1918). C’est pour sa résistance au froid et son panache coloré que le Président de la République Raymond Poincaré le choisit pour décorer les tombes des soldats. Depuis sa demande officielle, le 11 novembre 1919, ces plantes luxuriantes égayent les monuments aux morts à chaque journée d’Armistice. On peut aussi en voir lors de la commémoration des défunts, le 2 novembre, le lendemain de la Toussaint.

Mais qu’en est-il au Japon ? A-t-elle la même symbolique funèbre ? Ou a-t-elle au contraire une représentation plus élogieuse ?

Les chrysanthèmes se déclinent en plusieurs variétés : sur les 20 000 déclinaisons répertoriées dans le monde, 350 sont japonaises. Celles qui viennent du Japon sont appelées wagiku et les variétés occidentales yôgiku.

La « fleur d’or », un vénérable héritage asiatique

Le nom chrysanthemum a pour origine les mots grecs chrusos (l’or) et anthemis (la fleur). Sa naissance remonte pourtant bien avant la Grèce antique : au 15e siècle avant notre ère, en Chine, où on lui reconnaissait déjà des propriétés médicinales. Les fleurs jaunes et blanches étaient particulièrement appréciées en infusions vertueuses. On lui prêtait même le pouvoir de prolonger la vie voire de rendre immortel. Certaines variétés sont comestibles et des recettes de cuisine (en soupe, en ragoût, en sauce, en poêlée…) existent. Elle fait même partie des « 4 nobles plantes » dans l’art chinois avec l’orchidée, le bambou et le prunier.

La « marguerite d’automne », un symbole impérial

Son arrivée dans la culture japonaise remonte à la fin du 8e siècle . C’est Go-Toba (1184-1198) qui a mis en avant cette fleur en l’adoptant comme emblème impérial : sceau, habits, mobilier… Celle-ci incarne le Soleil, la puissance et l’immortalité. En 1869, un motif de chrysanthème pourvu de 16 doubles pétales est établi comme emblème officiel de la famille impériale. Le trône de l’empereur est par ailleurs appelé « trône du Chrysanthème ». De nos jours, le chrysanthème à 16 pétales simples figure sur de nombreux documents administratifs japonais dont le passeport.

L’Ordre suprême du Chrysanthème demeure depuis 1876 la plus haute distinction au Japon. Il est réservé surtout à la famille impériale et aux dignitaires étrangers. Il se distingue de l’ordre le plus ancien et réservé aux militaires et aux hommes, l’Ordre du Soleil Levant, et de celui réservé aux femmes, l’Ordre de la Couronne Suprême. Son prestige s’explique par l’extrême rareté de ses récipiendaires. Cet ordre se décline en 2 façons :

  • Le Grand Collier réservé à l’empereur et aux souverains étrangers, mais qui peut également être décerné à titre posthume à des citoyens japonais : la reine Elisabeth II d’Angleterre, le roi Willem-Alexander aux Pays-Bas, le roi Felipe VI d’Espagne…
  • Le Grand Cordon qui peut être indifféremment décerné du vivant ou à titre posthume : le président Reagan aux États-Unis, le roi Philippe de Belgique, l’empereur du Japon Naruhito…
Sur les tissus, dans l’architecture, sur les pièces de monnaies, dans les haïkus… La chrysanthème est partout !

Une célébration haute en couleurs au Japon

La fleur automnale est célébrée le 9e jour du 9e mois de l’année. Cette fête du chrysanthème, kiku no sekku, est aussi appelée chôyô no sekku que l’on peut traduire alors par fête du double neuf ou du double yang. Le 9 septembre fait partie des cinq dates charnières go sekku. Le 9 étant le chiffre impair le plus haut, cette fête est considérée comme la plus importante du groupe. La présence du doublon renvoie à l’image positive du Ying et Yang (alors que le 9 est associé à la malchance). Cette fête étant la moins populaire des cinq à l’internationale, les agences touristiques recommandent ainsi les voyages à cette période. En arrivant au début du mois, les touristes peuvent profiter des installations florales sur tout le Japon.

Les Japonais rendent hommage à ces fleurs de différentes façons. Parmi celles-ci, citons les poupées ornées d’habits floraux kiku-ningyô, l’exposition de diverses variétés et compositions de chrysanthèmes, la dégustation d’alcools floraux, des concours de plants et de bonsaïs… Une des coutumes invite les Japonais à poser un linge en coton sur les fleurs avant la rosée du matin. On applique ensuite sur son visage le tissu imprégné de la senteur des chrysanthèmes et des gouttes matinales. Ce kisewata serait un soin purificateur et rajeunissant pour la peau très apprécié de la gente féminine. Les célébrations concordant avec la récolte des châtaignes, on parle aussi de kuri no sekku, la fête des châtaignes. On en consomme à cette même date avec du mochi ou du riz.

Sa présence dans l’art floral japonais

Pour en apprendre plus sur cette fleur, on a interrogé Joffrey Maubert qui pratique l’ikebana, l’art de l’arrangement floral. Quels sont les symboliques du chrysanthème dans l’art japonais ? Quelles sont les couleurs et les variétés privilégiées dans les compositions saisonnières ? Le Français vit depuis plus de deux ans au Japon et a découvert l’ikebana par l’intermédiaire d’un ami. En expérimentant avec son père, professeur dikebana à l’école Sagagoryu, il choisit de suivre son enseignement. Depuis il continue de tester de nouvelles compositions et d’explorer cet art très codifié qui laisse toutefois place à la sensibilité de chacun. Joffrey parle d’un « coup de cœur non prémédité » le rapprochant de la culture japonaise et de son amour des fleurs.

La parole d’un amoureux des fleurs

« Comme beaucoup de personnes je pense, j’associais les chrysanthèmes (菊 kiku en japonais) aux cimetières et n’en avait pas l’image d’une fleur que l’on achète pour mettre dans un vase et décorer son intérieur. Au Japon, les chrysanthèmes sont associés notamment à l’empereur et sont très utilisés en Ikebana.

Joffrey Maubert

Il nous révèle que sa plus grande découverte est liée au nombre de variétés qui existent et la résistance du chrysanthème. L’amoureux des fleurs explique que quand on utilise des chrysanthèmes en ikebana, il n’est pas rare que des racines sortent des tiges et qu’il est ainsi possible de les replanter si on le souhaite. Les Japonais à la campagne sont très nombreux à entretenir un potager et il n’est pas rare d’y voir des chrysanthèmes. Lui aussi en a d’ailleurs planté dans son jardin et dans son potager à partir de fleurs utilisées au préalable dans des compositions florales. Il se dit ainsi très satisfait de se dire qu’utiliser une fleur coupée permet finalement de donner vie à une nouvelle plante.   

Grâce à la variété de tailles et de couleurs de ces fleurs on peut les utiliser de nombreuses manières en Ikebana en en faisant un élément central ou plus discret. Il existe de nombreuses écoles d’Ikebana qui respectent chacune des règles propres et l’ordre d’importance des couleurs des chrysanthèmes varie d’une école à l’autre.  Ainsi, pour exemple, selon l’école Sagagoryu dont je fais partie, les chrysanthèmes blancs sont les plus importants, suivis des violets, jaunes, pourpres et enfin rouges. Les autres écoles ont un classement différent. En pratique, par exemple si on réalise une composition faite exclusivement de chrysanthèmes, les blancs seront les plus grands et les rouges les plus petits.

Joffrey Maubert

L’ikébaniste nous présente son école Sagagoryu basée au temple Daikakuji, à Kyoto qui organise tous les ans des expositions de chrysanthèmes. Il précise que l’on peut également en voir à travers tout le Japon. Ces fleurs ont réellement une place à part dans la culture japonaise. Utiliser des chrysanthèmes en ikebana est pour lui maintenant une façon de se sentir plus proche de la culture du pays.

Des réalisations ikebana mettant à l’honneur la chrysanthème – Photo de Joffrey Maubert

Il nous précise comment il arrange les fleurs selon leur langage et leur symbolique. Par exemple, les petits chrysanthèmes représentent un cœur pur et innocent, la vérité et la vitalité. Cela permet de donner encore plus de profondeur à cet art selon lui. L’utilisation des chrysanthèmes en ikebana est très courant et il y a des codes sur la forme de base d’une composition. Bien qu’en général une fleur puisse en remplacer une autre, il y a des cas où l’on va utiliser spécifiquement des chrysanthèmes pour respecter un style donné plus que pour une occasion.

Dans le cas précis de la composition de la photo, le choix de la couleur était un pur choix esthétique. Ce rose doux n’est pas très courant et se mariait très bien au jaune des autres fleurs. Ce style de composition est appelé shogonka et est un des quatre styles principaux propres à l’école Sagagoryu. Pour ce style, on utilise un vase bien spécifique dans lequel viennent s’emboîter différentes parties qui permettent de placer les fleurs et branches de façon à avoir cette forme particulière qui représente l’univers et les 5 éléments essentiels à la vie que sont le ciel, le feu, le vent, la terre et l’eau. L’avantage des chrysanthèmes dans ce cas est que leurs feuilles sont belles et aident à cacher le vase et à donner du volume à la partie centrale qui représente l’homme, le lien entre le ciel et la terre.

Joffrey Maubert

Le chrysanthème a adopté une symbolique macabre en Europe depuis un siècle. Pour autant, la fleur automnale était initialement choisie pour apporter des bouquets colorés à la mémoire des défunts à une période de l’année où les floraisons se font rares. La vocation de ces plantes était de stimuler agréablement les sens des visiteurs, d’égayer les tombes et de rappeler la robustesse de ces offrandes florales. On voulait associer une image positive aux soldats. La fleur a finalement été associée aux morts pour finir ensuite aussi sur les tombes à la Toussaint. Aujourd’hui, en France, on a une vision négative des chrysanthèmes, surtout si on en reçoit. Pourtant avant le 20e siècle, le chrysanthème était déjà présent en Europe. L’association au 11 novembre lui a permis de devenir populaire dans nos jardineries et pépinières. Aujourd’hui, en s’intéressant à sa représentation dans les autres cultures, cela peut lui donner un sens nouveau.

Si dans le langage des fleurs européen, le chrysanthème est associé à la rupture et à la mort, au Japon il s’agit d’un emblème impérial à qui on associe le soleil et l’énergie solaire, la royauté et la puissance, la longévité et l’immortalité, la force et la résistance… Des valeurs qui restent proches de la volonté de Raymond Poincarré. Si au Japon le chrysanthème n’a jamais cessé d’être couverte d’éloges, des jardiniers français la glorifient en espérant qu’elle acquerra la même réputation hors du sol japonais.

La fleur se retrouve aussi dans cette chanson populaire, dont la traduction des paroles est disponible sur cette seconde vidéo.

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