Dans les coulisses de la Cité Internationale de la Bande Dessinée

Le fort rayonnement d’Angoulême, à travers son célèbre musée de la BD et son incontournable festival chaque année, est une évidence pour tout le monde. Mais une autre mission incombe à la cité de la BD, un travail de l’ombre que l’on a tendance à oublier et pourtant ô combien primordial : la sauvegarde des archives de la bande dessinée et du manga. L’équipe de Journal du Japon a eu l’occasion d’effectuer une visite des fonds patrimoniaux imprimés. Pauline Pétesch, l’une des bibliothécaires en charge de la conservation et de la diffusion des fonds, nous a expliqué son travail au sein de la Cité et nous a montré certaines œuvres qui y sont conservées. 

Plongez avec nous dans les coulisses de la Cité et découvrez les prémisses du manga en France ! 

La Cité Internationale de la Bande Dessinée et de l’Image

La Cité Internationale de la Bande Dessinée et de l’Image, CIBDI ou Cité, est un établissement public de coopération culturelle (EPCC). Différents acteurs sont ainsi chargés de son financement et de son administration : la ville d’Angoulême, le département de la Charente, la région Nouvelle-Aquitaine et enfin l’État, à travers le ministère de la Culture et de la Communication.  

CNBDI vu depuis « le Nil » – Photo de Nicrid16 (Wikimedia Commons)

C’est en 2008 que le Centre National de la Bande Dessinée et de l’Image (CNBDI) et la Maison des Auteurs fusionnent pour former ce que l’on nomme « La Cité ». Celle-ci regroupe à présent trois espaces :

  • la maison des auteurs, sur les remparts de la ville ;
  • le vaisseau Mœbius en contrebas au bord de la Charente, qui se compose de la bibliothèque de lecture publique, le cinéma, la brasserie ainsi que des espaces d’exposition temporaire mais aussi l’école japonaise de mangas, animation, game art et illustration, la Human Academy (indépendante de la Cité) ;
  • et le Musée de la bande dessinée, dans les chais situés sur l’autre rive et reliés au vaisseau Mœbius par une passerelle qui enjambe le fleuve où nous pouvons visiter l’espace de collection permanente, “Mon petit musée” dédié au jeune public, ainsi que des expositions temporaires et un auditorium.

Mais il existe un quatrième espace, beaucoup moins connu, et constituant le cœur de notre sujet du jour : la réserve de la bibliothèque patrimoniale. Située dans le musée (ouverte occasionnellement au public lors d’événements ou de visites organisées) aux côtés du centre de documentation et des « fonds musée », elle regroupe albums et périodiques dans deux sous-réserves. A ce jour, la réserve compte 100 000 albums dont 61 000 acquis via le mécanisme de dépôt légal, ainsi que 150 000 périodiques. Les collections sont consultables tous les jours au centre de documentation sur demande et sur rendez-vous et, si besoin, en version numérisée. 

Le processus d’enregistrement est d’ailleurs très méticuleux : les bibliothécaires prennent soin d’utiliser un papier et une colle neutres pour la  numérotation, appliquée à l’aide d’un pinceau, et une fois cela fait, on prend soin de le manipuler le moins possible. Ainsi, les albums et périodiques doivent rester dans les réserves durant trois ans s’ils ont été exposés au public plus de trois mois. Les conditions climatiques sont également très précises afin de conserver au mieux les ouvrages et le papier : pas de lumière du jour, un contrôle climatique régulier via une sonde pour éviter au maximum les variations de températures, de sorte à rester toujours à 19°C avec un taux d’hygrométrie à 50%. La situation se complique évidemment lors des périodes de canicule… Et pour ne rien arranger, les locaux sont situés sur les bords de la Charente. 

Les fonds patrimoniaux 

Entre 1984 et 2014, la Cité bénéficiait du dépôt légal grâce à son statut de « pôle associé BNF ». Ainsi chaque ouvrage édité était envoyé en deux exemplaires via un bureau de redistribution, un à la Bibliothèque Nationale de France (BNF), et un autre à la Cité. Néanmoins, le bureau a été supprimé en 2015. Et depuis, la bibliothèque doit continuer sa mission d’échantillonnage par ses propres moyens. Toutefois, cet « âge d’or » aura permis à la Cité de constituer un solide socle à sa collection, avec ses 61 000 premiers albums. Elle en compte à présent plus de 100 000 exemplaires.

Une question légitime a commencé alors à se poser au sein de la Cité : faut-il continuer la mission malgré la perte du dépôt légal ? Sans ce dernier, la bibliothèque ne pourra jamais atteindre l’exhaustivité alors que pour Pauline Pétesch : « le but d’une bibliothèque patrimoniale, c’est d’être la plus riche et complète possible ». 

Heureusement, voyant l’ampleur des dons qui affluaient et la collection impressionnante déjà réunie, la Cité a estimé qu’il était pertinent de continuer. Il y a deux ans, elle a reçu un leg de près de 30 000 albums qui sont encore en train d’être triés aujourd’hui ! D’ailleurs, il est possible d’estimer, au vu des côtes actuelles, la valeur des BD afin de fournir un reçu fiscal au donateur en cas de donation importante. En revanche, la trop grande volatilité de la valeur des œuvres rend bien trop périlleux le recours aux enchères pour étoffer le fonds…  

La réserve des fonds patrimoniaux de la CIBDI ©Quentin Dumas pour Journal du Japon

Cette volonté d’exhaustivité transparaît également par l’acquisition d’œuvres en langues étrangères. Ainsi, nous confie Pauline, en ce moment, plusieurs fonds en coréens et japonais sont en attente car elle et ses collègues n’ont ni le temps ni les compétences pour les traiter. De même, du côté des périodiques, à côté des premiers numéros de Spirou et Mickey qui datent de 1938 et 1934, on trouve un don de l’éditeur Marvel de 10 000 fascicules en langue anglaise : cela représente un conteneur entier et il faut se dire qu’ils voulaient en envoyer trois à l’origine !

Ces ouvrages en VO sont notamment utilisés par les chercheurs pour étudier les lettrages, la traduction, comparer les éditions, etc. En effet, on trouve plusieurs espaces au sein de la Cité : une salle de lecture publique, avec un fond de 46 000 albums, ouvert à tous, consultable et empruntable, comme une bibliothèque classique. Mais aussi un centre de documentation où il est possible de consulter sur place l’intégralité des fonds, qu’ils soient imprimés ou numérisés.

Toujours avec l’aide de la BNF, les deux institutions se répartissent le travail de numérisation des ouvrages : la Cité se concentre sur les BD, puis ces dernières sont versées sur Gallica, la plateforme numérique libre d’accès de la BNF. Cette démarche permet de laisser en sûreté des ouvrages en si mauvais état qu’il devient dangereux de les manipuler pour leur intégrité.

Le site internet et la revue en ligne « neuvième art » proposent de faire découvrir de nombreux fonds et sélections. De plus, une partie du fonds patrimonial est consultable sur le site des collections numérisées et permet de découvrir à distance certaines œuvres sélectionnées par les conseillers scientifiques et envoyées à une entreprise de numérisation. 

La numérisation peut aussi concerner des ouvrages pas encore libres de droit (comme les Metal Hurlant en ce moment par exemple) et dans ce cas là, les ouvrages sont mis sur le réseau en ligne interne de la bibliothèque, seulement accessible aux chercheurs, commissaires d’exposition, etc. 

Un autre moyen d’alimenter le fonds régulièrement est de passer directement par les éditeurs pour que ces derniers envoient un service de presse à la Cité, tout comme aux journalistes et influenceurs. C’est là que les bibliothécaires ont un gros travail de sensibilisation et de relationnel à faire auprès des éditeurs. La notoriété du festival apporte de la visibilité sur ce sujet de la patrimonialisation, et des éditeurs à travers le monde profitent de leur venue en France à cette occasion pour faire don de leur stock à la Cité comme par exemple le magazine finlandais Kuti Kuti, ou encore Taïwan Comics. C’est également l’occasion de développer des partenariats entre les différentes institutions homologues à la Cité d’Angoulême. Par exemple, en ce moment, Pauline et ses collègues s’occupent d’envoyer des exemplaires de la revue satyrique Charlie Hebdo aux Etats Unis. Ainsi, avec en parallèle des envois physiques, la mise en commun des fonds numérisés, l’objectif à très long terme serait de construire une gigantesque base de données internationale. 

En outre, toujours dans cet esprit d’exhaustivité, la Cité ne concentre pas son travail exclusivement sur les magazines “institutionnels”, mais également sur les fanzines. En effet, il existe énormément de fanzines spécialisés dans la BD et la Cité a pour projet d’investir des moyens afin d’identifier et acheter de plus de créations “vraiment très micro indépendantes”. La ville de Poitiers a pour sa part déjà constitué une véritable Fanzinothèque ; l’idée est donc ici de travailler en complémentarité plutôt qu’en concurrence. A commencer par la mise en commun des fonds numérisés par exemple et pouvoir rendre accessibles les fichiers numériques sur les deux sites. Mais également de développer un véritable axe autour de l’achat de fanzine BD (car du côté de Poitiers, ils sont plus généralistes et s’intéressent à tous les types de fanzines évidemment). Par ailleurs, le collectif “ très très bien” a imaginé la suite tant attendue du manga Nana d’Aï Yazawa : dans un fanzine “Healing Roses” où plusieurs étudiants de l’EESI (école Européenne Supérieure de l’Image) ont donné leur propre vision de la suite (et fin) de ce shôjo culte. 

A noter que cette exhaustivité peut se révéler problématique, car la taille des fonds ne peut qu’être exponentielle dans ce contexte d’acquisition constante. Pauline estime que la réserve devrait atteindre sa taille critique d’ici cinq à dix ans, après cela il faudra se mettre en quête d’un nouvel espace de stockage…

Pour terminer : la question des achats d’œuvres constitue un véritable sujet de débat au sein de l’équipe, nous confie Pauline. La question de savoir quelle œuvre mérite d’être considérée comme faisant partie du patrimoine est éminemment épineuse. Il a donc fallu se doter de critères concrets afin d’éviter au maximum la subjectivité des parties prenantes. Ces critères sont votés par le Conseil d’Administration de la Cité d’Angoulême. En parallèle, il s’agit d’un processus vivant en constante évolution, essayant de s’adapter à l’ère du temps et aux demandes des étudiants, chercheurs, etc. Pour donner un exemple, le roman photo était très à la mode l’an dernier, il semblait alors pertinent d’étoffer la collection de la Cité pour traiter correctement l’objet d’étude.

Les trésors des fonds mangas

Lors de cette visite, Pauline a proposé de nous faire découvrir une sélection d’ouvrages en rapport avec la bande dessinée japonaise, notamment les premières revues ayant publié des mangas traduits en français, à savoir le magazine d’arts martiaux Budo Magazine Europe en octobre 1969 ainsi que la revue BD suisse Le cri qui tue (six numéros) qui avait été au départ désignée comme la première revue ayant instauré des mangas en France en 1978.  

Le Cri qui tue de Kesselring et Takemoto ©Quentin Dumas pour Journal du Japon

Mais les fonds conservent également d’autres supports en lien avec les mangas : en effet, nous avons pu voir par exemple des exemplaires « pirates » de MW, seinen écrit par Ozamu TEZUKA publié en 1978. Ces ancêtres du scan-trad auraient servis à l’époque à des agences de droit pour démarcher des maisons d’éditions pour faire vendre les manga de TEZUKA.

Notons également le projet expérimental et intriguant d’un étudiant de l’EESI, Corentin Garrido qui a redessiné le tome 6 du manga Astro boy d’Ozamu TEZUKA… mais en ne gardant que les lignes de vitesse ! 

Si vous souhaitez en savoir plus sur le sujet, nous vous invitons à voir la vidéo de cette sélection présentée par Pauline :

Nous remercions infiniment Pauline Pétesch pour son accueil et sa disponibilité, mais également Lisa Portejoie, bibliothécaire pour son travail au sein des fonds patrimoniaux.

Article co-écrit par Noémie Sirat et Quentin Dumas

2 réponses

  1. jenck dit :

    Merci pour l’immersion !
    J’espère qu’ils organisent des événements ^^ (expositions, conférences, peut être des ateliers..)

    • Noémie Sirat dit :

      Bonjour Marie 🙂

      Merci pour ton commentaire! Oui c’est le cas et les propositions sont nombreuses et variées! La Cité organise par exemple des rencontres avec des auteurs.ices, des expositions temporaires ( comme indiquée ci dessus, dans l’espace du vaisseau Moebius et dans le musée), des ateliers et stages dédiés au jeune public.. et propose même des évenements et accueillent des expositions en lien avec des festivals comme le Festival International de la Bande Dessinée qui se tient en janvier, mais propose aussi une belle programmation pour le festival  » partir en livre » qui se déroule en ce moment même et ce, jusqu’au 23 juillet.

      Je t’invite également à te renseigner sur le site http://www.citebd.org/ si tu souhaites plus d’informations.
      Bien à toi,
      Noémie

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