Sleepy Boy de Marika HERZOG : un manga venu d’Allemagne

Une des façons de constater que le manga a du succès à l’international est de voir que la France n’est pas le seul pays où la bande dessinée japonaise a du succès et a fini par prendre une place culturelle non négligeable… C’est en Allemagne que les éditions Ankama en ont trouvé une nouvelle preuve avec Marika HERZOG qui publie chez nous Sleepy Boy, qui n’est rien d’autres que son 6e titre !

L’occasion pour Journal du Japon d’aller faire un tour du côté de Berlin, pour en savoir plus sur son parcours et sur l’histoire du manga chez nos amis germaniques, tout en découvrant ce nouveau manga qui n’a pas à rougir face à ses homologues français ou japonais.

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Du manga en Allemagne à un manga allemand : Sleepy Boy

C’est en 2018 que Goldfish de Nana YAA, aux éditions Nobi nobi est le premier manga made in germany à rentrer dans l’hexagone- nous l’avions même rencontrée !. Néanmoins le marché du manga outre-rhin, s’il a des similitudes avec la France et d’autres pays d’Europe, est un peu plus jeune que le nôtre : il faudra à la jeunesse allemande attendre une décennie de plus que nous avant de voir débarquer les épisodes de Dragon Ball, Sailor Moon et autres grands classiques, qui ouvriront la voie eux aussi au manga papier. Même si Akira arrive en 1991 en Allemagne, presque comme chez nous, c’est en effet à la fin des années 90 que la japanime lance le boom du manga qui va se faire une place face à la concurrence composé des BD de Disney, Astérix, Tintin et la bande-dessinée locale, mais qui s’avère beaucoup plus confidentielle que chez nous, comme nous l’évoquerons plus tard.

Malgré cet essor, la diffusion des animés en Allemagne n’a pas le droit à son Club Dorothée et les succès se font au bon gré des diffusions TV dans les années 2000. Pour autant le manga grignote doucement mais surement des parts de marchés, jusqu’à dépasser le cap des 50% des BD vendues en Allemagne dans les années 2010. Un marché qui va connaître, lui aussi, une nouvelle explosion depuis la pandémie, comme en France. Plusieurs générations d’auteurs vont donc grandir et s’imprégner des codes du manga, les digérer pour donner donc les premières générations d’auteurs, dont Marika HERZOG fait partie. Sleepy Boy est officiellement son 6e manga, et son premier sur notre marché tricolore.

Résumé éditeur : Nate est un garçon ordinaire, sauf quand il dort : ses cauchemars prennent vie ! Le jeune homme abuse du café pour rester éveillé et ne pas mettre ses parents et sa soeur en danger. Mais à la suite de l’apparition d’horloges volantes, d’étranges créatures envahissent le monde et les humains tombent peu à peu dans un sommeil comateux. Pour ne rien arranger, les cauchemars de Nate refusent de disparaître à son réveil, manquant de tuer sa famille… Afin de les protéger, il décide de quitter la maison.
Parviendra-t-il à découvrir la source de tous ces phénomènes et vivre enfin une existence normale ?

Pour en savoir plus sur ce titre, sur son auteure et sur le manga en Allemagne, nous sommes donc allés à la source, à la rencontre de Marika HERZOG, pour une interview des plus enrichissantes !

Rencontre avec Marika HERZOG, une mangaka made in germany

L’Allemagne, le manga, les mangakas…toute une histoire

Journal du Japon : Bonjour Marika et merci pour votre temps. Tout d’abord, parlons un peu de vous et votre histoire. Vous êtes née près de Berlin… Quelle a été votre première rencontre avec le manga et l’animation japonaise ?

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Marika Herzog, par elle-même

Marika HERZOG :Je pense que mon premier contact avec le manga s’est fait à travers les anime que nous avions tels que Princesse Sarah, Tico et ses amis, La Tulipe noire et bien d’autres. Comme j’adorais regarder ces animes, mon grand-père m’avait acheté le manga Wedding Peach pour me faire une surprise , en espérant que ça me plairait.

Ne connaissant rien d’autre à l’époque, j’ai beaucoup aimé ce livre.

Mais je n’ai commencé à lire et à acheter des mangas qu’une dizaine d’années plus tard, parce qu’il n’y en avait pratiquement pas dans nos librairies et que je n’avais jamais le temps de m’y intéresser.

Ironiquement j’ai dû quitter la grande ville de Berlin pour une petite ville afin d’avoir accès aux mangas.

Quel souvenir gardez-vous de vos premiers animes ? Comment vous ont-ils influencé ?

En fait, j’ai commencé par les vieilles séries des années 70, parce qu’à l’époque, il n’y avait rien d’autre sur la télévision publique et je n’avais le droit de regarder que les vieilles séries. À l’époque, elles étaient déjà dépassées, mais l’Allemagne était à la traîne en matière d’anime et de manga depuis longtemps.

Grâce à Sailor Moon, Wedding Peach, One Piece, Akira et Neon Genesis Evangelion, que je regardais en cachette parce que j’étais trop jeune, je suis devenue une fan. C’est pourquoi j’ai commencé à m’intéresser aux mangas et à dessiner mes propres histoires.

Par conséquent, je pense que ce qui m’a le plus influencé, outre les dessins, c’est la façon dont les histoires sont racontées : après tout, ce qui fait le succès des mangas et des animes. D’autant plus que ces supports offrent généralement plus d’espace pour les émotions et des intrigues plus étendues, grâce à la durée de ces séries.

Après le phénomène Japanime, quand et comment les mangas sont-ils arrivés en Allemagne ? Quels étaient les titres les plus populaires à l’époque ?

Le premier manga à l’époque était Akira, vers 1991. Cependant, à ce stade, les mangas étaient encore recolorés et mis en miroir pour l’Allemagne, afin de pouvoir les adapter à la lecture occidentale. La percée s’est produite à la fin de l’année 1997, lorsque Carlsen (NDLR : principal éditeur de manga en Allemagne, avec un catalogue qui comprend notamment Dragon Ball, Naruto, One Piece,…) a publié la version noir et blanc sans miroir de la série Dragon Ball. Pour autant que je m’en souvienne, la version sans miroir était une exigence de l’éditeur japonais. En raison de son succès, elle est devenue la norme en Allemagne.

Je ne peux pas dire, d’après ma propre expérience, quels titres ont eu le plus de succès à l’époque. Mais des séries comme Dragon Ball, Sailor Moon et Akira ont connu un grand succès, qui a également été renforcé par les anime associés, que les jeunes suivaient à l’époque.

Akira, Dragon Ball et Sailor Moon, édition allemande

Et vous ? Quel artiste vous a le plus impressionné ?

Je suis moi-même un grand fan de plusieurs artistes. Il est donc difficile de dire lequel m’a le plus impressionné, car j’ai beaucoup de mangaka qui m’ont influencé, que ce soit au niveau du dessin ou des histoires.

Parmi eux, Katzuya MINEKURA (Gensomaden Saiyuki) et Oh!Great (Air Gear), ainsi que des artistes comme OBATA (Death Note), ODA (One Piece), HORIKOSHI (Boku no Hero Academia), SUZUKI (Seven Deadly Sins), TABATA (Black Clover) et FURUDATE (Haikyuu).

Dans les années 90, un mouvement « anti-manga » s’est développé en France, parce que certaines personnes considéraient les mangas comme trop violents et de mauvaise qualité par rapport aux autres bandes dessinées. Était-ce également le cas en Allemagne ? Quelle était l’image publique du manga au début ?

Le manga a toujours été considéré avec un peu de scepticisme et de « peur ».

Ils étaient considérés comme des « trucs d’enfants » et surtout comme « sales », parce que la plupart des anime à cette époque dans le programme du soir étaient presque uniquement des divertissements pour adultes. Cela se reflétait également de manière négative dans l’opinion de nombreuses personnes à l’égard des mangas.

Ce n’est que depuis quelques années que la réputation des mangas et des dessins animés s’améliore et qu’ils sont progressivement acceptés dans notre société, petit à petit. Mais nous avons encore un long chemin à parcourir. En outre, il faut dire que l’Allemagne n’est pas un pays de bandes dessinées. Cela est dû au fait que l’Allemagne s’est davantage spécialisée dans les importations dans le domaine des mangas et des bandes dessinées, plutôt que dans les productions internes. Une autre raison est que l’opinion publique allemande est plutôt défavorable aux professions artistiques.

Cependant, des éditeurs comme Altraverse (NDLR : l’éditeur de FMA, Frieren, Re: Zero entre autres) essaient activement de lutter contre cela, en supervisant et en publiant un grand nombre de leurs propres productions et en lançant de nombreuses campagnes telles que le « MANGA DAY« , auxquelles d’autres éditeurs se sont joints.

Le prochain manga day aura lieu le 16 septembre prochain en Allemagne

Revenons à vous : parlez-nous un peu de votre parcours scolaire et étudiant. Ensuite, qu’est-ce qui vous a donné envie de devenir mangaka ?

Quand j’étais enfant, j’allais dans une école primaire de sport, où je participais à des tournois et des clubs sportifs. Entre autres, j’ai essayé beaucoup de choses, comme le judo (où j’ai d’ailleurs gagné des médailles), la danse, le volley-ball, la gymnastique ainsi que la gymnastique sportive rythmique.

Je n’ai donc jamais eu beaucoup de temps pour faire autre chose et je n’ai regardé que sporadiquement des dessins animés. Ce n’est que lorsque mes parents et moi avons déménagé de la grande ville de Berlin vers une petite ville/village que j’ai pu acheter mes propres mangas. Comme les clubs de sport ont progressivement disparu dans la ville voisine, je me suis concentré sur les animes et les mangas. D’autant plus que ma grand-mère m’avait montré un concours de dessin pour les mangas, auquel j’avais participé sans succès.

Mais cela a renforcé ma décision de dessiner et de créer mes propres histoires, car j’avais déjà commencé à aimer les dessins animés lorsque j’étais enfant. C’est pourquoi j’ai décidé d’intégrer une école de design à Warnmünde, sur la mer Baltique, après le lycée. Cependant, nous n’y avons pas étudié le dessin, mais plutôt la production d’imprimés et la manière de travailler avec les programmes appropriés afin que je puisse également imprimer mes propres histoires.

Ok. Si nous nous rencontrons aujourd’hui, c’est pour parler de Sleepy Boy, qui est votre 6e manga si je ne m’abuse. Les précédents ont été publiés chez différents éditeurs, ce qui signifie que parfois, le chemin a pu être difficile… Pouvez-vous nous parler de votre vie de mangaka jusqu’à la sortie de Sleepy Boy ?

En fait, j’ai dessiné plus de 6 mangas. Mais la plupart d’entre eux n’ont jamais été publiés et ils sont encore quelque part dans les cartons, bien cachés du monde extérieur et surtout de moi.

Comme je l’ai déjà dit, l’Allemagne n’est pas un pays de bandes dessinées. Pendant des années, il était donc impensable de travailler en tant que mangaka ou dessinateur de bandes dessinées. Les éditeurs ont dû s’adapter et apprendre comment tout fonctionne. Tout comme nous, les artistes.

J’ai eu la chance de rencontrer un dessinateur de BD nommé Guido Neukamm à cette époque, qui m’a convaincu de publier mon premier manga à compte d’auteur dans le magazine de BD en ligne Comicwerk. Grâce à lui, j’ai beaucoup appris et c’est aussi grâce à lui que j’ai établi mes premiers contacts avec des éditeurs comme Carlsen, EMA et Comic Culture Verlag.

Par la suite, j’ai reçu un e-mail de Carlsen me demandant si j’étais intéressé par le dessin d’un chibi, une histoire courte au format chibi manga. Cette histoire a ensuite été publiée avec plusieurs autres artistes.

C’est ainsi que je suis entré dans le monde de l’édition.

Cependant, la plupart des artistes en Allemagne ne peuvent pas vivre des revenus d’un manga publié par un éditeur seul. Certains grands éditeurs l’indiquent d’ailleurs sur leur site web : il est préférable d’avoir un autre emploi principal à côté, car les revenus d’un mangaka sont très faibles.

C’était également mon cas.
Ma vie quotidienne consistait donc à dessiner des histoires, des mascottes et des illustrations promotionnelles pour divers éditeurs et sociétés tels que Tombow, en plus de mon emploi de plus de 30 heures en tant qu’analyste de données dans une entreprise.

Et depuis, vous avez toujours un travail à côté, pour « payer les factures » ?

Pour l’instant, je travaille toujours dans l’entreprise à côté de mon travail d’artiste. Je ne peux pas dire si et quand je pourrai me mettre complètement à mon compte, parce qu’il y a certains facteurs que je dois prendre en considération. Contrairement à d’autres collègues. Mais mon objectif est de dessiner un jour et de m’y consacrer totalement, et j’ai déjà fait un grand pas en avant vers ce rêve.

Quels sont vos thèmes préférés ? En d’autres termes, qu’est-ce qu’un manga de Marika HERZOG?

En tant qu’artiste, j’ai essayé différents thèmes, seule ou avec des co-scénaristes, de l’horreur à la romance. Je sais donc que mon thème préféré sera toujours l’aventure avec des éléments comiques et de l’action dans le genre shônen.

Il est donc difficile de dire ce qui fait un Marika Manga. Mais je pense qu’en résumé, ce serait de l’urban/fantasy, de l’action ainsi que des décors à moitié détaillés.

Ca nous donne une petit idée, merci. Nous en avons fini avec le passé, et sommes arrivés au présent. Avant de parler de Sleepy Boy, une dernière question sur les mangas en Allemagne : quels sont les plus populaires ces derniers temps, et tes préférés ?

En ce moment, Solo Leveling est en tête de liste, avec Chainsaw man et Jujutsu Kaisen, et les autres séries Jump bien connues, je suppose.

Malheureusement, je n’ai pas une vue d’ensemble de ce qui se fait de mieux ou qui est le plus populaire en ce moment, car je me concentre davantage sur le dessin. Je lis différents titres et je n’ai pas de favori pour le moment mais Solo Leveling et d’autres webtoons comme My S-Class Hunters font partie de mes séries préférées, tout comme Boku no hero Academia ou Jujutsu kaisen ainsi que Black Clover.

Solo Leveling, Chainsaw man et Jujutsu Kaisen, édition allemande

Et est-ce que les auteurs allemands parviennent-ils à se faire une place parmi les titres d’auteurs japonais ?

Oui.

Nous avons déjà en Allemagne des artistes très impressionnants qui ont du succès et qui n’ont pas à se cacher face aux titres japonais. Qu’il s’agisse d’auto-édition ou de publication chez des éditeurs de mangas. De plus, il y a des artistes comme moi qui rêvent d’être publiés au Japon. Qu’ils dessinent directement pour un éditeur local ou qu’ils obtiennent une licence pour être publiés par un éditeur au Japon.

C’est pourquoi certains artistes allemands ont déjà déménagé au Japon pour y travailler en tant qu’assistants. Par exemple en 2012-2014, Carolin Eckhardt avait déjà publié son manga en deux volumes intitulé Okusama Guten Tag ! ( » 奥さま Guten Tag ! « ) en tankobon (au format relié, NDLR) chez l’éditeur Shueisha.

Une belle réussite personnelle, encore faut-il sauter le pas et aller là bas. Vous envisagez de faire de même ?

En fait, non. Visiter le Japon a toujours été mon rêve, et je le réaliserai un jour. Mais émigrer au Japon et y travailler serait plutôt improbable pour moi.
Mon objectif actuel est plutôt de continuer à m’améliorer et à apprendre afin de pouvoir passer à l’étape suivante.
En outre, le lien du Japon est en train de se développer et il n’est plus obligatoire de se rendre directement au Japon pour bénéficier d’éventuelles opportunités en tant qu’artiste.

Cela peut être plus difficile si vous n’êtes pas de la région, et vous avez toujours besoin d’un interprète si vous ne connaissez pas la langue vous-même. Mais la tendance actuelle est de plus en plus à la collaboration internationale, quel que soit le lieu de résidence de l’artiste.

Sleepy Boy : les rêves, le sommeil et le temps dans de l’urban fantasy

Parlons maintenant de Sleepy Boy : comment le projet a-t-il vu le jour ?

La réponse est assez courte. Un peu de café… ou plutôt un gallon de café, en m’amusant avec des amis et ma sœur. C’est généralement comme ça que je trouve mes idées d’histoires.

Marika Herzog, Sleepy Boy et beaucoup de café !

Pourquoi avez-vous choisi le thème des rêves ?

En tant qu’artiste, je me suis rendu compte que beaucoup de thèmes finissaient par me limiter. Je voulais inclure des éléments loufoques comme dans One Piece, mais dans un cadre urbain.

Les rêves étaient donc la solution parfaite pour moi, car ils n’ont aucune limite et peuvent être tout ce que nous imaginons puisqu’ils ne sont pas liés par les lois de notre monde. Je voulais donc les utiliser pour obtenir un peu de liberté afin d’explorer davantage, d’apprendre et de jouer. Il va sans dire que je préférerais ne plus jamais quitter le monde de Sleepy Boy, tant en termes de dessin que de narration.

Les rêves et les cauchemars sont un sujet récurrent dans la culture pop. De quelles œuvres vous êtes-vous inspiré pour Sleepy Boy ? Quelles légendes et croyances sur les rêves vous ont impressionné ?

J’ai été plutôt inspiré par les vieilles traditions. Pour ma part, j’ai une grande affection pour les vieilles légendes sur les fantômes, les démons, les dieux et le surnaturel.

C’est pourquoi j’aime écouter des documentaires ou regarder des films d’horreur.

Mes principales sources d’inspiration ont donc été les légendes sur les miroirs plutôt que sur les rêves. Dans divers contes du passé, partout dans le monde, les miroirs symbolisent le passage vers d’autres univers. Le plus souvent vers le monde souterrain. En outre, on dit qu’il ne faut pas avoir de miroir au pied de son lit la nuit, sous peine d’être remplacé par son reflet, un fantôme, ou de voir sa santé affectée.

Une autre raison est que l’image du miroir qui reflète l’âme. D’où le dicton selon lequel on a 7 ans de malchance si le miroir se brise. Car de ce point de vue, c’est aussi sa propre image de l’âme qui est brisée. Ces légendes varient en fonction de l’époque et de l’origine.

En fin de compte, j’ai relié ces inspirations aux thèmes du temps et des rêves.

Comment est né Nate, le héros principal ?

En général, j’ai deux façons de commencer mes histoires. Souvent, il s’agit d’une idée brute sur un certain sujet, où je crée un monde avant de créer les personnages principaux. Mais, parfois, un croquis aléatoire d’une personne que j’ai dessiné pour m’amuser suffit à lancer une aventure.

C’est ainsi que Nate a vu le jour. À l’origine, il s’agissait d’un simple croquis que j’avais dessiné au hasard, alors que je passais du temps avec ma sœur et mes amis.

Comme j’aimais bien l’image de base et que j’avais les légendes sur les miroirs et les démons en tête, j’ai créé Nate et son monde à partir de ce simple croquis.

Nate, dans ses deux « modes » et son oreiller monstrueux !

Si nous en venons à la partie artistique, nous avons également remarqué votre bestiaire : l’oreiller de Nate, mais aussi toutes les entités dramatiques qui ont un design très particulier. Qu’est-ce qui vous a inspiré pour les créer, comment avez-vous procédé ?

En fait je suis en train de tester de nouvelles choses…. de me tester, aussi.

Ma grande sœur est ma plus grande critique et elle dit souvent que mes personnages sont tous trop semblables et que je devrais inclure plus de différences. C’est pourquoi j’ai essayé d’entrer dans l’inconnu avec Sleepy Boy, de sortir un peu plus de mes zones de confort à chaque nouveau volume, aussi bien en ce qui concerne le design des personnes que des créatures de rêve.

J’ai l’impression de n’en être qu’au début et j’ai vraiment hâte de voir ce qui va se passer.

Lorsque j’ai conçu l’oreiller, je n’ai eu qu’une seule idée en tête : qui n’aimerait pas avoir un oreiller portable doté d’une protection antivol automatique ?

Mais je pense que la plupart des inspirations pour certaines créatures viennent de la nature. Nous avons tellement d’espèces animales et végétales différentes que nous pouvons y puiser des idées pour nos créations.

Nous demandons souvent aux auteurs si le héros de leur œuvre leur ressemble… Nate a peur de ses rêves et de ses cauchemars et devient accro au café. Votre description Twitter dit « always confused and sleepy manga/comic – artist /creator ✩ needs caramel macchiato/PSL to survive”. Vous semblez avoir des points communs avec lui, dites-nous en plus !

Haha. Oui. J’adore mon café.

La raison en est que j’ai fait pas mal de nuit blanches pour dessiner après avoir terminé mon autre travail. Il m’est donc arrivé de ne dormir que 2 ou 3 heures par nuit pendant plusieurs mois. Dans certains cas, j’étais même éveillé jusqu’à 48 heures. À cette époque, il m’arrivait souvent de ne pas vouloir m’endormir de peur de ne pas avoir assez de temps pour dessiner. Mais je ne recommanderais à personne de faire cela, car ce n’est pas sain.

Aujourd’hui, j’essaie de dormir 5 à 6 heures. Je suis donc toujours fatigué et j’ai besoin de café pour travailler. Il fonctionne pour moi comme un élixir de vie.

Entre-temps, je peux boire du café avant d’aller me coucher et la caféine n’a que peu ou pas d’effet sur moi.

Lors d’interviews, vous dites que vous vous souvenez souvent de vos rêves et que, par ailleurs, vous faites des cauchemars récurrents… De quoi s’agit-il ? Pourriez-vous nous en dire un peu plus sur vos rêves et vos cauchemars ?

J’ai quelque chose comme une paralysie du sommeil ou des rêves de panique comme je les appelle.

Ce cauchemar particulier revient toutes les quelques années et se déroule toujours dans la pièce où je me trouve… Vous pouvez l’imaginer comme si vous étiez endormi et que vous ne pouviez pas bouger ou que vous rampiez sur le sol en faisant beaucoup d’efforts parce qu’il y a une énorme pression sur vous. De plus, quelque chose de maléfique se rapproche de plus en plus. Vous ne pouvez pas voir ce que c’est, mais vous pouvez l’entendre respirer et traîner sur le sol.

J’ai souvent essayé de crier dans mes rêves, en espérant que je crierais dans la réalité pour que ma sœur me réveille.

Malheureusement, cela n’a jamais fonctionné jusqu’à présent.

Le pire, ce sont les soi-disant boucles.

Vous parvenez à vous réveiller et vous vous rendez compte que vous êtes à nouveau pris au piège dans la même boucle, sans possibilité d’en sortir. Et l’entité est toujours là.

Lorsque vous vous réveillez enfin pour la première fois, vous refusez de vous endormir pour le reste de la nuit et vous faites tout ce que vous pouvez pour rester éveillé. De peur d’être à nouveau pris dans cette boucle.

Ce rêve me hante depuis que je suis toute petite. Je suis donc d’autant plus heureux d’avoir plus de  » rêves normaux et fous « .

Nate et ses cauchemars

Vous n’avez donc pas choisi les rêves que pour des raisons artistiques j’ai l’impression. Pour en revenir à Nate, il a aussi une relation particulière avec le temps… Dans les interviews, vous parlez du temps comme d’une chose très précieuse. Quel est votre propre rapport au temps et comment vouliez-vous le montrer dans Sleepy Boy ?

Le temps est une chose précieuse que nous ne reconnaissons plus guère comme telle. Nous sommes inondés de médias, de produits et d’informations, et tout doit être disponible de plus en plus vite. Ce qui entraîne un manque de sommeil pour beaucoup d’entre nous.

En outre, nous oublions d’apprécier de nombreuses choses, car tout est là en abondance. C’est ce que je constate tous les jours, en particulier dans le secteur des bandes dessinées, des mangas et des webcomics. Les histoires sont consommées comme des fast-foods et de nombreux lecteurs en veulent toujours plus en un minimum de temps. On oublie souvent qu’il y a des personnes derrière tout cela, parfois des personnes individuelles. D’autant plus que les lecteurs passent rapidement à d’autres projets en raison de la grande sélection. L’attente signifie pour de nombreux lecteurs qu’ils risquent d’arrêter ou d’oublier la série.

C’est pourquoi les artistes travaillent de plus en plus et ne font plus attention à leur propre santé, afin de ne pas prendre de retard, et dorment de moins en moins.

Ce n’est pas seulement le cas dans le milieu artistique, mais presque partout dans la société.

Or, le manque de sommeil est très dangereux. Un manque de sommeil en l’espace d’une semaine peut entraîner un effondrement progressif du système immunitaire. Les personnes concernées voient leur santé se dégrader et leur vitesse de réaction, leur jugement et leur mémoire se détériorer.

Dans le monde de Sleepy Boy, c’est ce comportement qui est à l’origine de l’histoire.

C’est pourquoi j’ai voulu l’aborder de plus en plus dans les volumes suivants.
D’autant plus que j’en suis moi-même affecté.

A méditer en effet…Dernière question : nous avons cru comprendre que nous pourrions vous rencontrer à Japan Expo 2023 ? Que voulez-vous dire à vos lecteurs français d’ici là ?

Oui, vous pourrez me retrouver tous les jours sur le stand d’Ankama à Japan Expo.

Alors à tous les lecteurs : dormez suffisamment ! Ne buvez pas trop de café comme Nate ou moi, afin que vous puissiez vous amuser pendant Japan Expo. ♥ Et j’ai hâte de vous rencontrer tous.

Et nous de même, en chair et en os : rendez-vous à Japan Expo donc !

Vous pouvez retrouvez toutes les informations sur Sleepy Boy sur le site des éditions Ankama, et découvrir quelques planches ici. Pour ce qui est de Marika HERZOG, vous pouvez la retrouver sur son site, en allemand, où échanger avec elle (en allemand ou en anglais, vous avez le choix) via son compte Facebook , Instagram ou Twitter.

Enfin, vous pourrez retrouver l’autrice à Japan Expo pendant les 4 jours sur le stand Ankama, aux mêmes horaires : 10h-12h puis 14h-17h.

Un grand merci à Marika HERZOG pour son temps et ses réponses, ainsi qu’à Clémentine chez Ankama pour la mise en place de cette interview.

Paul OZOUF

Rédacteur en chef de Journal du Japon depuis fin 2012 et fondateur de Paoru.fr, je m'intéresse au Japon depuis toujours et en plus de deux décennies je suis très loin d'en avoir fait le tour, bien au contraire. Avec la passion pour ce pays, sa culture mais aussi pour l'exercice journalistique en bandoulière, je continue mon chemin... Qui est aussi une aventure humaine avec la plus chouette des équipes !

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