Interview : Eisaku INOUE et Keiichi ICHIKAWA, animateurs vétérans de One Piece

Cette édition 2023 de Japan Expo a fait la part belle aux œuvres nostalgiques. Pour accompagner les très belles expos sur Tsukasa HÔJO et Black Jack, les invités du salon étaient aussi des pionniers de leur profession : Ken AKAMATSU et Tsukasa HÔJO pour le manga, Yoshiki pour la musique, puis Eisaku INOUE et Keiichi ICHIKAWA pour représenter l’animation. Si les noms de ces deux derniers sont plus confidentiels pour le grand public, les œuvres sur lesquelles ils ont travaillé ne sont plus à présenter : Dragon Ball, Saint Seiya et One Piece pour ne citer qu’elles !

Invités au salon, nous avons pu rencontrer ces animateurs vétérans pour qu’ils nous parlent de leur travail, leur rapport à feu Shingo Araki avec qui ils ont tous les deux travaillés, et leur vision du milieu de l’animation d’aujourd’hui, plus tourmenté que jamais.

De ARAKI à One Piece : animographies express

Eisaku INOUE commence sa carrière d’animateur dans des studios sous-traitants pour le compte de Toei Animation. C’est la qualité de son travail qui convainc Toei de le recruter en sein du studio principal pour œuvrer sur la série phénomène du moment : Saint Seiya.

Devenu rapidement directeur de l’animation, il travaille de pair avec Shingo Araki (character designer mythique de la série) pour définir l’identité visuelle particulière qu’on lui connait depuis.

Au sein de Toei Animation, il participe également à Dragon Ball, Dr. Slump et One Piece. Ayant autant travaillé sur l’épisode 2 de One Piece que sur le 980, il est le plus ancien animateur de la série. Il occupe aussi le poste de character designer sur les films L’Aventure de l’île de l’horloge Le Mecha géant du château Karakuri et One Piece épisode d’Alabasta : Les pirates et la princesse du désert.

Keiichi ICHIKAWA débute sa carrière aux cotés de Shingo ARAKI au sein du studio Araki Productions. Il participe alors aux séries Les enquêtes de Kindaichi et GeGeGe no Kitaro, avant de passer aux superbes OAV Saint Seiya : The Hades Chapter pour assister Shingo ARAKI puis devenir le character designer du dernier arc de Ring no Kakero. Il continue ensuite à participer en tant qu’animateur des œuvres de Masami KURUMADA avec Saint Seiya Omega et Saint Seiya : Saintia Shô.

À partir de 2017, Keiichi ICHIKAWA devient superviseur de l’animation en chef, le poste le plus important qu’un animateur puisse occuper, sur la série One Piece.

INOUE X ICHIKAWA : l’interview

Voilà pour les présentations, passons maintenant à notre interview des deux artistes !

Journal du Japon : Bonjour à vous deux et merci pour votre temps. Quels sont les artistes ou les œuvres qui vous ont donné envie de faire ce métier ?

Eisaku INOUE :
Pour ma part, c’est Battle Space Yamato. C’est en ayant vu cette série que j’ai décidé de postuler dans le studio Tiger, qui réalisait cette anime, et devenir animateur.

Keiichi ICHIKAWA : Lorsque j’avais 14 ans, en 1984, j’ai vu en février Beautiful Dreamer le film de Mamoru OSHII sur Lamu ; en avril, c’était Nausicaa et la vallée du vent ; et en juillet, Macross : Do you remenber Love. C’est vrai qu’à l’époque les enfants voulaient toujours devenir animateurs, mais il faut d’abord finir ses études. Et là ça a été dur, parce que j’ai eu trois chocs visuels en moins de 6 mois, et je me suis dit que je deviendrais animateur quand je serais plus grand.

Vous avez tous les deux travaillé avec Shingo ARAKI : qu’est-ce qu’il vous a appris qui vous a marqué et servi durant votre carrière ?

Eisaku INOUE : Pour moi il ne m’a « rien » appris officiellement, c’est-à-dire que c’était vraiment un artisan. Comme dans l’artisanat avec un grand maître, il n’enseignait pas. En japonais, on dit « regarde et vole ». C’était sa manière de faire : il fallait observer et comprendre. C’est ce qu’il me reste de lui. M. ARAKI n’a jamais était un bon enseignant et il était issu d’une génération où l’on apprenait au contact de la personne. Il pouvait donner quelques conseils, mais en fait on devait se former soi-même à ses côtés.

Keiichi ICHIKAWA : Dans mon cas, qui suis plus jeune, lorsque j’étais avec M. Araki il était plus âgé que lorsqu’il était avec M. INOUE et faisait à peu près la même chose, mais il m’a rajouté « Te wo nukuna » (« ne va pas au plus simple »). S’il y a deux voies, il y a la voie qu’il faut prendre et la voie de la facilité. On pourrait traduire ça par « que ta main reste toujours ferme », qu’elle ne faiblisse pas.

M. ICHIKAWA, pouvez-vous nous expliquer le métier de superviseur de l’animation en chef ? En quoi cela consiste-t-il, et à quel stade d’un épisode intervenez-vous ?

Keiichi ICHIKAWA : Dans l’animation d’aujourd’hui, le temps est tellement limité, et nous sommes un peu dispatchés partout, donc il n’y a plus un directeur de l’animation, mais deux ou trois par épisode. Comme vous le savez, nous faisons d’abord un layout. A partir de ce layout il y a une pose clé, les genga, puis les animations, les douga. Une fois que la pose clé est terminée, je supervise les corrections des directeurs de l’animation.

Je suis comme un « super-directeur de l’animation ». J’harmonise les différents styles qui ont pu se dégager en passant entre plusieurs mains. Lorsque je rentre en scène, c’est après que le directeur de l’animation de l’épisode ait corrigé les scènes de ses animateurs, et donc avant que tout soit envoyé l’animation en elle-même, aux douga. Donc si les animateurs envoient en retard les dessins au directeur de l’animation, il a moins de temps pour corriger. Et s’il a moins de temps pour corriger, alors moi qui arrive après, j’ai encore moins de temps car je rentre au bout de la chaîne d’animation. Une fois que mon travail est fait, tout part aux intervalles.

La différence de design entre le manga d’origine et la version animée est parfois assez grande, comme dans Saint Seiya. Comment faites-vous pour vous approprier le dessin d’un mangaka ?

Keiichi ICHIKAWA : Pour être honnête avec vous, je n’ai pas tant d’expérience de character designer. Par exemple, sur Saint Seiya lorsque MM. ARAKI et IMENO ont commencé à travailler, ils ont pris les points les plus importants dans le graphisme des personnages pour développer la version animée, tout en pensant bien évidemment que derrière les animateurs devront être capables de dessiner leurs propres styles à eux. Il doit y avoir dans ce processus d’adaptation des phases qui permettent d’avoir une ligne de création. Mais je n’ai jamais été que simple directeur de l’animation. Sur Saintia Sho je suis le designer des personnages masculins, mais ils étaient déjà existants à la base, car ils devaient être proches du style d’ARAKI, donc pour moi il n’y avait pas vraiment de processus créatif. Je prenais les anciens dessins et les adapter un peu au style du manga.

Vous avez autant connu les celluloïds que l’animation par ordinateur/digital. Qu’est-ce qui a changé dans votre travail lors de ce changement d’outils  par rapport à vos débuts ?

Keiichi ICHIKAWA : Tous les gens autour de moi travaillent à la tablette, mais je travaille complètement à l’ancienne : je ne dessine qu’avec des crayons. Je n’ai pas le temps de m’habituer au digital. C’est peut être une impression de ma part, mais pour le style ARAKI ou d’autres styles un peu particuliers, le rendu ne peut pas être forcément aussi bon avec un ordinateur que sur papier. C’est peut-être pour des raisons de style, mais pour moi le style ARAKI est tellement particulier qu’il est compliqué de le restituer sur tablette. Je ne parle bien sûr pas de technique pure, mais de rendu visuel.

Vous avez tous les deux appris auprès de maîtres comme Shingo Araki. Vous êtes maintenant des vétérans. Que pensez-vous de la nouvelle génération d’animateurs ?

Keiichi ICHIKAWA : C’est un peu difficile de répondre pour moi qui ne les rencontre pas directement, mais il y a de nouveaux animateurs qui arrivent dans le milieu et qui sont bien supérieurs à moi graphiquement et techniquement. Il y a de très très bonnes recrues.

M. Inoue, vous avez eu un maître, est-ce que vous avez des disciples ?

Eisaku INOUE : J’en avais un il y a quelques années, mais il a abandonné, donc je n’ai formé personne en fin de compte. 

On entend souvent dire que le métier d’animateur connaît des jours difficiles ces dernières années. Est-ce que vous constatez qu’il y a moins d’animateurs au Japon ? Ou qu’ils sont plus découragés par les conditions de travail ?


Keiichi ICHIKAWA
: C’est assez complexe comme question. Même s’il n’y a pas de réels chiffres, on ne pense pas que le nombre d’animateurs a baissé. On peut par contre considérer que les bons animateurs sont beaucoup moins nombreux. Des pros, même au niveau du genga (pose-clé) sont toujours aussi nombreux, mais le niveau a énormément baissé.

Eisaku INOUE : Aujourd’hui, des gens sont recrutés sur Pixiv ou Twitter, car ils ont fait une petite animation. Ils se disent « je suis animateur » et y vont.

Keiichi ICHIKAWA : Les studios les engagent, car ils sont dans le rush, mais aujourd’hui tout repose sur les épaules de vétérans comme M. Inoue. À chaque fois qu’il y a une scène difficile, elle arrive pour lui. C’est ça le problème de l’animation japonaise aujourd’hui : la quantité n’a pas baissé, mais le niveau oui, et un jour il y aura une rupture, car désormais les gens veulent tous être character designer ou illustrateur de jaquette. Les gens ne veulent plus faire de nuits blanches en animation.

Photo © Juliet Faure

Nos remerciements au salon pour la mise en place de cette interview, à Pierre Giner pour l’interprétation et à Juliet Faure pour la photographie. Vous pouvez continuer à voir les travaux de Eisaku INOUE et Keiichi ICHIKAWA en regardant les épisodes de One Piece actuellement en cours de diffusion.

Olivier Benoit

Présent sur Journal du Japon depuis 2013, je suis un trentenaire depuis longtemps passionné par l'animation traditionnelle, les mangas et les J-RPG. J'écris dans ces différentes catégories, entretiens également la rubrique hentai, et gère le pôle gastronomie. J'essaie de faire découvrir au plus grand nombre les choses qui me passionnent. @oly_taka

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