[Interview] Silence : un manga qui va faire du bruit !
À l’occasion de la sortie du tome 1 de la nouvelle création française aux Éditions Kana : Silence, Journal du Japon a eu l’opportunité de pouvoir rencontrer son auteur, Yoann Vornière pour une longue interview.
Dans cet entretien, vous allez pouvoir découvrir que l’auteur n’en est pas à son coup d’essai avec notamment la réalisation d’une BD jeunesse pour Ankama : Jill & Sherlock, sous le pseudonyme YO-One, en collaboration avec Jim Bishop.
Au programme : ses influences très marquées comme Mauvaise Herbe, Les Liens du Sang ou Les Enfants de la Mer, l’importance de retransmettre au mieux les bons signes et bien d’autres choses encore. Sans plus attendre, découvrez les coulisses de la création du manga… qui ne devait pas en être un, à l’origine !
Résumé officiel
Le jeune Lame et son village sont coupés du reste du monde. Les monstres, qui les repèrent grâce au son et plus particulièrement à la voix, les ont contraints à communiquer par la langue des signes.
Mais dans un monde où règne une nuit permanente, les ressources viennent à manquer. Alors que Lame accompagne Gris le chasseur du village dans une expédition de ravitaillement à l’extérieur, ils sont attaqués car le jeune garçon rompt par inadvertance le silence.
Lame, rongé par la culpabilité, va tout faire pour se racheter et va faire une découverte qui pourrait bien changer du tout au tout le destin du village…Trailer
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Silence, un projet de comics sans dialogue
Journal du Japon : Bonjour Yoann Vornière, comment est venu l’idée de ce scénario particulièrement original ? Et peux-tu nous parler du processus créatif ?
Yoann Vornière : Le scénario est venu en plusieurs étapes. Au départ, l’idée de base, c’était un projet de comics sans dialogue car j’avais réalisé ma première BD chez Ankama (ndlr : Jill & Sherlock) et je trouvais désagréable de mettre simplement des textes dans des bulles (rires). Je m’étais dit, faisons une BD sans bulles ! En parallèle, il y avait ce truc de monstres et de neige. En gros, la toute première idée, c’était cela, ce qui n’a rien a voir avec Silence aujourd’hui.
Pour le concours Tezuka, cette idée est revenue car je ne voulais pas partir de rien pour créer mon histoire et j’ai eu cette idée de faire un personnage qui, dans un monde silencieux, était recouvert de clochettes : Lune.
Suite à quoi, j’ai rajouté des personnages qui parlaient en langue des signes pour communiquer. Ce n’était donc plus du tout une BD muette dans le sens où l’on entend car des bulles sont présentes, mais il n’y avait pas de « bruit ».
Enfin, le point majeur a été de développer une série, l’univers, l’aspect magique, donc cela s’est réfléchi en 3 étapes importantes.
Tu parlais de la genèse du projet qui devait être plutôt orienté comics, de fait, comment en es-tu venu à en faire un manga ? Et pourquoi le choix de ce support, plutôt que le comics par exemple ?
Le projet comics n’a rien à avoir avec ce que c’est maintenant. J’ai eu plusieurs périodes avec comme je le disais la création d’une BD chez Ankama avec un graphisme plutôt cartoon. J’aime beaucoup lorsque j’attaque un projet d’essayer de dessiner autrement, de proposer graphiquement autre chose. Et le manga, c’est quelque chose que je veux faire depuis que je suis ado.. et dans ma tête, je savais que je ne suis pas Tony Valente ou Reno Lemaire. Je me suis dit alors, « prends toi du temps ». J’ai donc pris quatre-cinq mois où je n’ai eu de cesse d’essayer de comprendre le dessin « manga » et après je me suis jeté à l’eau en envoyant mon dossier. Je me suis dit, si cela ne passe pas, on fera de la BD ou autre chose (rires). Au final, cela a plu à des éditeurs, dont Kana, et le projet s’est concrétisé.
Est-ce que Silence a été auto-édité au format numérique avant sa parution aux Éditions Kana ou directement publié au format papier ?
Le one-shot pour le concours Tezuka a été publié sur Internet, mais cela n’a rien à voir avec Silence. Je n’ai proposé qu’un dossier avec 15-20 pages à Kana et ce ne sont même pas les pages que l’on retrouve dans le tome, mais c’est un dossier d’auteur… Après, tout s’est fait avec Kana.
Des influences inconscientes : Daisuke Igarashi, Shuzô Oshimi, Kaigo Shinzô
Ton style graphique est assez reconnaissable, quels sont les artistes qui t’ont inspiré dans le développement de l’oeuvre, ou qui simplement t’inspirent ?
On me le demande beaucoup. Déjà, je suis content que ce soit un style reconnaissable, ce n’est jamais évident. On ne s’en rend pas compte soi-même. Concernant les artistes qui m’influencent, je ne sais pas trop. Je sais les artistes qui me plaisent à lire comme Daisuke IGARASHI pour Les Enfants de la Mer, Les liens du Sang de Shuzô OSHIMI ou même récemment Kaigo SHINZO qui a réalisé Hirayasumi ou Mauvaise Herbe, mais ce n’est pas du tout le même ton que je fais dans Silence. Cela doit m’influencer inconsciemment, mais je ne pense pas que l’on se dise lorsque l’on voit Silence que cela fait penser à du Shuzô OSHIMI. Mais ce sont plus ces auteurs que je lis en ce moment.
Un rythme de production soutenue
Quel est le rythme de production de Silence ? Combien as-tu mis de temps pour réaliser le tome 1 et quelle est ta semaine type ?
Pour le tome 1, j’ai mis 9 mois. Le tome 2 étant terminé, j’ai mis 6 mois et, actuellement, je suis sur le tome 3 qui va mettre plus de 10 mois. Globalement, je pense que 9 mois, c’est un bon rythme.
Concernant la semaine type, cela va dépendre dans quelle période je suis. Si je suis en période de storyboard, cela va être de l’écriture du storyboard toute la journée. Et sinon si c’est en période de planches, je commence à 09h30 et je finis en général aux alentours de 22h. J’essaye de faire au moins 1 planche par jour, parfois ce n’est pas le cas. Je travaille entre cinq et six jours par semaine sur les planches, histoire de réussir à avancer. Parfois, je réalise dix planches par semaine et parfois que cinq, cela varie énormément. Également, tout va dépendre de quand je dois réaliser la couverture qui va être la priorité, ou lorsqu’il y a des corrections à effectuer. Tout en écrivant le tome 3, il a fallu que je fasse les corrections des textes du tome 2 et en parallèle, il y avait la promotion du tome 1 à faire, donc cela fait des semaines qui varient forcément.
Travailles-tu seul ou as-tu des assistants comme les mangaka japonais qui travaillent sur les décors ou l’encrage par exemple ?
Pour le moment, pas d’assistants. En effet, rechercher des assistants prend du temps et je n’arrive pas à déterminer le type d’assistant dont j’aurais besoin. Il faut également les former et financièrement, je ne sais pas si cela serait viable car cela prend une part de revenu sur le tome. Par ailleurs, si la série s’arrête en quatre tomes, engager des assistants serait peut-être un peu prématuré. Si la série continue, il y aura fatalement cette question qui se posera. Avec Kana, on s’assiéra et on discutera (rires). Mais pour le moment, je travaille tout seul chez moi.
Des personnages hauts en couleur qui sortent du carcan « shônen »
Dès les premières pages, Lame, le personnage principal, devient très vite un leader prêt à se sacrifier pour protéger sa communauté, ce qui nous sort un peu du carcan habituel du shônen nekketsu. Vas-tu poursuivre dans cette direction ou te rapprocher un peu plus des « standards shônen » ?
Ce sera plutôt le personnage d’Ocelle qui aura une évolution plus « nekketsuesque », mais pour Lame je ne pense pas que l’on ira dans cette direction car ce n’est pas la mentalité du personnage… et parce que je n’ai pas envie qu’il se construise ainsi. Forcément, il y aura un power-up, des trucs un peu classique du shônen, mais j’aime bien prendre un peu le contre-pied, sans pour autant complètement dénaturer ou réinventer le manga. Ce serait un peu prétentieux. Et c’est pour cela qu’il y a également Ocelle qui va proposer autre chose au héros.
En parlant d’Ocelle, comptes-tu en faire le compagnon d’arme de Lame ou bien sa rivale ?
Les questions se sont posées, je me suis demandé s’il était plus intéressant de la faire en rivale genre « Sasuke version Silence« . Mais au final, j’aime bien l’idée que ces deux personnages soient amis et qu’il y a une vraie amitié fille-garçon, que ce soit une vraie équipe. Et je ne veux pas non plus en faire un personnage trop secondaire, que cela devienne un Yamcha ou un Krilin si on prend l’exemple de Dragon Ball, mais qu’elle ait une vraie force et que ce soit un personnage qui participe à faire avancer l’intrigue, qui ne soit pas simplement là pour mettre en valeur le personnage principal. D’ailleurs dans le tome 1 – et dans la suite, aussi – on va parfois voir que c’est un peu l’inverse. Cela va être plus Lame qui va mettre en valeur Ocelle.
On le ressent d’ailleurs un peu lorsque Lame est choisi par le conseil pour accompagner Gris et où Ocelle est jalouse, Lame veut la valoriser car il est assez d’accord avec elle.
Oui, l’idée est d’avoir des personnages féminins qui soient plus intéressants que ce que j’avais l’habitude de lire étant enfant et avoir ce questionnement, c’est un peu ce que l’on vit dans notre société avec parfois des injustices. Lame n’a pourtant pas refusé cette position qu’on lui offre car c’était important pour lui, et il a eu le sentiment qu’il n’avait pas le choix de refuser. Mais ce que j’ai essayé de montrer, c’est qu’Ocelle était jalouse de Lame, mais ne lui en tenait pas rigueur, mais plutôt aux membres du conseil. On le voit d’ailleurs bien dans la scène suivante où elle lui souhaite bon courage pour le lendemain. Pour moi, c’était important que ces sujets soient traités : c’est comme Lune qui apparaît, un personnage qui va être très important et je trouvais que c’était primordial que des personnages féminins soient valorisés !
En parlant de Lune, comment t’es venu l’idée de ce personnage ?
Au départ, c’était lors du concours Tezuka, je me disais que dans un monde de silence, ce serait peut-être bien d’avoir un personnage qui fait beaucoup de bruit et qui est recouvert de clochettes. Dans le premier one-shot, il y avait dans le sous-texte de l’histoire que si l’on souhaitait apporter une solution à des gens et qu’ils ont une solution qui fonctionne, mais qui n’est pas optimale, et surtout si on leur apporte une solution brutalement, cela ne va pas fonctionner. Et c’était ce personnage de Lune qui arrivait avec ce côté « j’ai une transformation qui va vous permettre d’éradiquer les monstres« . Mais les villageois étaient un peu dubitatifs car il y avait un de leurs soldats qui les protégeaient, donc ils ne se sentaient pas trop concernés. Il y avait tout ce discours autour du personnage de Lune qui était présente pour apporter une solution en faisant en sorte que la situation s’améliore, mais qui était un peu trop abrupte pour que les gens acceptent et c’était le personnage de Lame qui faisait la passerelle entre les deux… c’est ainsi qu’est né le personnage de Lune.
Une narration complexe avec la nécessité de transmettre les bons signes
Tu évoquais plus tôt que cela devait être un titre « muet », mais finalement tu l’as adapté pour en faire une sorte de langue orale sous forme de signes. Cela ne doit pas être évident d’écrire des bulles tout en sachant qu’ils communiquent via la langue des signes. Aussi, les personnages parlent-ils réellement la langue des signes ? Et est-ce une langue que tu maîtrises ?
Je ne la maîtrise pas du tout, c’était un peu une grosse angoisse. Dans le one-shot, la langue des signes, je l’inventais. Et pour la série, je me suis dit, c’est quand même important. Pour des gens, c’est leur seul moyen de communiquer, donc j’ai essayé d’utiliser un dictionnaire sur Internet qui s’appelle Le Dico Hélix. En gros, des gens se filment en train de signer, on cherche un mot et on a le signe qui correspond. Pour l’histoire, dans la bulle, je prends le mot « fort » et je dessine le signe qui correspond. Evidemment, si je mettais tout ce qui se disait, il y aurait plein de dessins de main et pour la narration, ce ne serait pas hyper fluide.
Ce qui est particulier pour la narration car tu es obligé d’adapter pour que cela soit cohérent dans les interactions entre les personnages.
Oui, il y a même une scène où l’un des personnage parle, mais il est devant l’autre. Et j’étais un peu embêté là-dessus parce que s’il signe devant lui, la personne derrière lui ne le voit pas. Donc c’était intéressant de se poser ce genre de questions, puisque finalement les gens dont c’est le moyen de communication sont confrontés à ce genre de problématique. Mais c’est vrai que j’ai essayé d’apprendre la langue des signes, mais je ne suis pas très bon là-dedans. En un an, je n’ai même pas réussi à retenir l’alphabet.
Nous tenions à remercier Yoann pour cet entretien chaleureux et passionnant et les Éditions Kana, particulièrement Laura Pillon pour nous avoir donné l’opportunité de le rencontrer. On lui souhaite le plein succès qu’il mérite !
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Retrouvez dès aujourd’hui Silence en librairie ou sur le store officiel de Kana. Un masque de sommeil et une gourde exclusive offerts.