La Maison Japonaise depuis 1945 par Naomi Pollock
Il est impossible de se promener dans les rues de la capitale japonaise sans être étonné, surpris, ou bien émerveillé, devant certaines maisons japonaises qui se dressent là, en plein cœur d’un quartier résidentiel des plus communs, et qui dénotent de l’environnement dans lequel elles s’inscrivent. Avec leurs caractéristiques si uniques et inattendues, ces maisons japonaises questionnent et ne laissent personne indifférent, que l’on aime ou pas leur esthétisme en décalage avec le voisinage. Mais comment expliquer leur présence, à nos yeux d’occidentaux, et d’autant plus à nos yeux de français pour qui la commune à toujours le dernier mot en terme d’urbanisme ? Naomi POLLOCK, nous livre au travers La Maison Japonaise depuis 1945 une analyse profonde des enjeux sociaux et historiques qui se cachent derrière ces maisons.
Naomi Pollock : une architecte américaine à Tokyo
Diplômée de l’École supérieure de design de l’Université Harvard en 1985 puis du Master Architecture de l’Université de Tokyo en 1991, Naomi Pollock est une architecte américaine qui s’est tournée vers le Japon dès le début de sa carrière. Avec un parcours professionnel bien rempli, Naomi Pollock est surtout connue par le grand public pour ses nombreuses publications dans la littérature dédiée au design et à l’architecture japonaises. Que ce soit au Japon, aux États-Unis ou en France, on retrouve l’auteure dans de nombreuses publications, dans le cadre de revues spécialisées et des livres accessibles à un plus large public.
En France, on lui doit notamment les ouvrages Maisons contemporaines japonaises (Phaidon, 2006), La Nouvelle Architecture Japonaise (Seuil, 2010), Le Design Japonais depuis 1945 (Éditions de La Martinière, 2020), et le dernier en date, celui qui nous intéresse ici : La Maison Japonaise depuis 1945 (Parenthèses Éditions, 2023) qui retrace, comme son nom l’indique, l’évolution de l’architecture japonaise depuis la seconde guerre mondiale jusqu’à maintenant.
Pour découvrir plus en détails l’univers et les travaux de Naomi Pollock, rendez-vous sur son portfolio en ligne.
La Maison Japonaise depuis 1945
« De la contrainte nait la créativité » : cette citation a pris tout son sens dans l’architecture japonaise au lendemain de la guerre. Le Japon, face à une crise économique sans précédent avec plus de 2 millions de bâtiments détruits et tout autant de soldats et personnes rapatriées, estime son manque de logements à plus de 4 millions. Le gouvernement met alors en place des aides dans le but de promouvoir l’accès à la propriété immobilière.
C’est aussi à ce moment que l’occidentalisation du Japon s’installe, modifiant radicalement les familles japonaises : la famille multigénérationnelle, dite traditionnelle, n’est plus celle que l’on favorise. On laisse place à la famille nucléaire dans laquelle on retrouve un couple, avec ou sans enfants, ou une personne seule avec enfants. Cette redéfinition de la famille japonaise a un impact immédiat sur la conception de l’habitat, mais elle n’est pas la seule. Rentrent aussi en compte une nouvelle vision hygiénique de séparer l’espace alimentaire et les lieux de sommeil, ainsi que le rôle de la femme devenu central dans la tenue du foyer. L’architecture japonaise s’éloigne alors du passé, avec une volonté bien affichée de se moderniser.
Contrainte par le prix des matériaux, la maison japonaise d’après-guerre se doit avant tout d’être minimaliste et fonctionnelle. Un mot d’ordre : l’efficacité. Les réglementations en vigueur sont strictes sur les aspects sécuritaires et santé, mais ne posent aucune limite sur l’aspect esthétique. La maison japonaise se retrouve donc être à l’image de son propriétaire, et c’est un élément caractéristique de l’architecture japonaise, qui la différencie bien de la nôtre. Si en France l’on trouve principalement sur le marché des maisons des années 1900 à 1985, dans leurs jus mais toujours debout, à rénover ou déjà rénovée, au Japon l’on privilégie la destruction et la reconstruction. Une grande liberté est alors prise dans la conception de la maison japonaise, car les propriétaires savent qu’elle sera rasée après sa vente. C’est avant tout le terrain qui fait la valeur du bien.
Cette rapide mise en contexte n’est qu’une infime partie de La Maison Japonaise depuis 1945 proposée par Naomi Pollock. Si nous nous arrêtons ici sur les premières pages de l’ouvrage, c’est pour vous laisser la découverte de l’évolution qui suivra les prémices de l’architecture japonaise d’aujourd’hui.
Découpé en 9 chapitres, retraçant décennies après décennies les événements majeurs que vit le pays, l’auteure commence chaque partie par une mise en contexte historique et sociétale, avant de présenter en détails différentes maisons caractéristiques de l’époque, conçues par les plus grands architectes du moment. Illustrées par des plans et différentes photographies, les maisons japonaises présentées sont décortiquées, des choix esthétiques aux matériaux utilisés. Certaines d’entre-elles sont accompagnées de témoignages de ceux qui y ont vécus, que ce soit leur concepteur ou leurs enfants, plongeant alors le lecteur dans une approche très intime de la maison.
Très accessible, l’ouvrage n’est pas exclusivement dédié aux passionnés d’architecture et aux fins connaisseurs. N’importe qui, qui s’intéresse de près ou de loin à la société japonaise, à sa culture et à son histoire, prendra plaisir à découvrir page après page les fascinantes maisons japonaises sélectionnées par l’auteure. Si de nombreux noms apparaissent tout au long du livre, on apprend petit à petit à les reconnaître. Les architectes japonais n’ont alors plus de secret pour nous. Il ne reste alors plus qu’à prendre un billet pour le Japon afin d’aller admirer ses maisons japonaises de nos propres yeux, après avoir été instruits sur leur histoire et leur concepteur.
Gros ouvrage de 400 pages et plus de 2kg, La Maison Japonaise depuis 1945 est un beau livre à offrir ou à s’offrir. Au-delà d’être un ouvrage d’Art, il se présente également comme une analyse socioculturelle et historique particulièrement intéressante pour comprendre les us et coutumes du pays et le regard que les Japonais portent dessus. Dense, lourd et imposant, La Maison Japonaise depuis 1945 n’est pas un ouvrage qui se lit mais qui se savoure, le temps de comprendre les enjeux présentés, de les assimiler, et d’admirer les œuvres des grands architectes japonais.