Les cerisiers fleurissent aussi la nuit : un roman sur la mémoire de la guerre au Japon

De 1931 à 1945, le Japon a occupé la Mandchourie chinoise et y a commis d’innombrables exactions. Dans Les cerisiers fleurissent aussi la nuit, aux éditions Charleston, Garance Solveg retrace cette période complexe à travers la quête de vérité de deux Japonaises…

Les cerisiers fleurissent aussi la nuit

Une page sombre de l’histoire du Japon et un sujet difficile à traiter, à plus forte raison par une étrangère.

Le roman Les cerisiers fleurissent aussi la nuit se déroule en partie en Mandchourie pendant l’occupation japonaise, dans les années 1940, et en partie à Kyoto dans les années 1990. On suit d’un côté les pensées de Yuna, médecin hématologue spécialiste de la greffe de moelle osseuse, qui travaille à l’hôpital central de Kyoto dans les années 1990, et de l’autre celles d’Hiromi, journaliste et épouse du général Takeshi, un médecin haut-gradé dans l’armée japonaise, dans les années 1940.

Le lien entre les deux histoires apparait au fil du roman.

Une grande fresque familiale

Les éditions Charleston ont pour ligne éditoriale de publier des romans mettant en scène des personnages de femmes fortes. Il y en a toute une galerie dans ce livre.

Yuna d’abord. Médecin de haut niveau, récompensée par le prestigieux prix de l’Académie du Japon, elle tente à tout prix de sauver sa sœur, atteinte d’une leucémie. Cette dernière va mourir si elle ne reçoit pas une greffe de moelle osseuse. Au cours de ses recherches pour trouver un donneur compatible, Yuna va découvrir tout un pan de l’histoire de sa famille, qui se confond avec l’histoire du Japon en Mandchourie pendant la Seconde Guerre mondiale.

Hiromi ensuite. Journaliste, éprise de vérité et humaniste passionnée, elle va lutter contre la folie qui s’est emparée du Japon durant la Seconde Guerre mondiale et en particulier durant l’occupation de la Mandchourie chinoise.  

Ama ensuite, la sœur de Yuna. Tempérament de feu, présence solaire et beauté saisissante, elle aussi va lutter pour sa liberté. En particulier contre un père autoritaire, sommité médicale encensée par tous, qui cache en réalité un sombre passé.  

Wenshan enfin, princesse mandchoue libre et rebelle, qui va s’opposer à la domination japonaise.

Le tout forme une grande fresque familiale sur fond d’événements historiques.

En effet, sous couvert de « libération » des peuples asiatiques, l’occupation japonaise de la Mandchourie a été d’une brutalité inouïe. Le livre décrit notamment la violence des soldats japonais envers la population locale, l’utilisation de l’opium pour étouffer les velléités de révolte. Il décrit aussi l’utilisation de la propagande cinématographique par les Japonais pour véhiculer leur discours présentant le Mandchoukouo comme un lieu idéal pour la cohabitation des cinq « races » asiatiques qui y vivaient (Japonais, Mandchous, Chinois, Mongols et Coréens). Il retrace également l’utilisation de la dynastie impériale mandchoue pour gouverner cette province, en réalité dirigée de main de fer par les Japonais. Situé dans ce contexte historique complexe, le roman est fait d’intrigues, de faux semblants et de personnages qui ne sont pas ce qu’ils paraissent. Yuna et Hiromi, les deux héroïnes, auront bien du mal à démêler le vrai du faux.

L’auteure a su rendre compte avec beaucoup de justesse de la complexité de cette période, ainsi que de celle des sentiments s’y rapportant dans la société nippone et dans la mémoire collective. Son roman est le fruit d’un minutieux travail de recherche, et d’une fine connaissance du Japon.

Un roman inspiré de faits réels

Juriste de profession, Garance Solveg est aussi une passionnée d’histoire. Si son roman parait si réaliste, c’est qu’il est inspiré de faits historiques. « J’ai effectué beaucoup de recherches avant de me lancer dans la phase d’écriture proprement dite du roman. J’ai lu de nombreux livres d’histoire et de sociologie, des témoignages, mais aussi des romans situés en Chine et au Japon pour m’imprégner de leur culture. Je me suis également inspirée de films comme Le dernier empereur, dont une grande partie se déroule au Mandchoukouo », nous a expliqué l’auteure.

Garance Solveg - Copyright : Catherine Delahaye
Garance Solveg – Copyright : Catherine Delahaye

Si elle a choisi d’écrire sur le pays du Soleil-Levant, c’est d’abord parce qu’elle a été séduite par ce pays. Elle y a effectué un long voyage il y a une dizaine d’années, se rendant à Miyajima, Takayama, Kanazawa, Osaka, Tokyo, Hiroshima, et Kyoto. Elle se souvient avoir été « profondément touchée par le mémorial d’Hiroshima, et par les guirlandes d’origami en forme de grues qui y sont régulièrement déposées par les écoliers en signe de paix ».

Elle a ensuite découvert que « ce pays si subtil, si aimé, cachait un côté sombre, et que l’armée japonaise avait commis de terribles crimes pendant la Seconde Guerre mondiale », nous a-t-elle confié.

Elle a choisi d’explorer ce côté obscur du Japon pour contribuer au devoir de mémoire sur cette période. « Les faits réels qui ont inspiré le roman restent peu connus en France. Des livres tels que Filles de la mer ou Les orchidées rouges de Shangaï ont déjà abordé le thème des femmes de réconfort, ces femmes enlevées dans les pays asiatiques occupés par l’armée japonaise et prostituées de force. Mon roman aborde d’autres faits, encore tabous aujourd’hui au Japon », nous a-t-elle précisé. De plus, « les années 40, à l’échelle de l’humanité, ce n’est malheureusement pas si lointain », a-t-elle tenu à ajouter.

L’auteure croit en effet très fort au pouvoir de la mémoire, et se dit heureuse de contribuer à la transmission et au devoir de mémoire à son modeste niveau. « Beaucoup de lecteurs m’écrivent pour me dire que mon roman leur a fait apprendre beaucoup de choses sur le Japon et la Seconde Guerre mondiale en Asie, et que c’est une lecture qui les bouleverse et leur procure des émotions fortes », nous a-t-elle raconté.

Les cerisiers fleurissent aussi la nuit est le deuxième roman de Garance Solveg, qui aimerait beaucoup écrire à nouveau sur le Japon, un pays dont « la beauté et la complexité » n’en finissent pas de la « fasciner et de l’inspirer ». En attendant, elle travaille à un troisième roman. Celui-ci n’est pas situé au Japon, mais il se déroule également en Asie… À suivre !

Les cerisiers fleurissent aussi la nuit, Garance Solveg, Éditions Charleston, Paris, 2025, 480 pages, 19 euros. Plus d’informations sur le site web des éditions Charleston.

Emilie Guyonnet

Journaliste indépendante depuis 2005, j’ai découvert le Japon grâce au prix Robert Guillain. A partir de ce voyage, je me suis passionnée pour la culture et l'histoire nippones et j'ai commencé à me spécialiser sur le Japon en rédigeant des articles pour Le Monde diplomatique. C’est aussi à cette occasion que j'ai découvert l’histoire un peu méconnue de l’île d’Okinawa, une histoire de résilience dont j’ai eu envie de témoigner dans un livre : Okinawa, une île au cœur de la géopolitique asiatique.

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