Elden Ring Nightreign : un jeu sans éclat ?

C’était l’une des annonces les plus surprenantes de la cérémonie des Game Awards 2024 : quelques mois après la sortie du sublime DLC Shadow of the Erdtree, la franchise Elden Ring allait accueillir un nouveau titre à part entière. Un jeu qui ne ressemble à aucun autre, mariage du savoir-faire du studio et des dernières tendances de l’industrie du jeu vidéo. Un mariage qui, comme on le constate manette en main, s’est fait pour le meilleur, mais aussi pour le pire.

©Bandai Namco Entertainment Inc. / ©2025 FromSoftware, Inc.

“Fort Nuit” : Elden Ring à la sauce roguelite

Pour commencer, rappelons l’étrange mélange des genres auquel nous avons affaire : Elden Ring Nightreign n’est pas un jeu de rôle solo comme le furent son illustre aîné et les plus grands succès du studio From Software. Il s’agit d’un roguelite, axé sur des sessions de jeu de 45 minutes où l’on repart de zéro sur une carte. Sous la pression du temps, des ennemis et de la zone de jeu qui se resserre progressivement, nous devons – seul ou avec deux autres joueurs – nous constituer un build le plus vite possible afin de triompher des trois combats de boss qui jalonneront notre aventure. Notre but, à terme, est d’éliminer le dernier boss, un Seigneur de la Nuit. Actuellement, le jeu en compte moins d’une dizaine.

Le système de combat

Nightreign conserve malgré tout quelques fondamentaux du système de combat d’Elden Ring : une arme en main gauche et l’autre en main droite, la consommation d’endurance et de mana, les parades et les esquives, les runes servant à la fois de monnaie auprès des marchands et de points d’expérience pour monter en niveau, la mort punitive… De même, nous retrouvons des armes déjà existantes. Certaines, comme le katana « Rivière de sang », possèdent leur compétence signature ; d’autres, que nous pouvions personnaliser, se voient attribuer une compétence aléatoire à chaque session. Petite nouveauté : la plupart des armes disposent désormais de bonus passifs. Des attaques successives qui soignent, des tirs de flèches améliorés… En plus des armes avec lesquelles nous combattons, il nous faut donc sélectionner minutieusement celles que nous conserverons dans notre arsenal – qui comporte six emplacements – afin de bénéficier des meilleures améliorations pour notre personnage.

À ce sujet, puisque nous ne conservons plus le même personnage dans la durée, Elden Ring Nightreign nous permet de choisir avant chaque session de jeu une classe de personnage parmi les suivantes : le rôdeur, le gardien, la duchesse, l’anachorète, l’œil perçant, le forban, l’exécuteur et la revenante. Chacun possède des affinités propres avec certains types d’armes, comme l’œil perçant et les armes à distance ou le forban et les armes lourdes. Choisir une classe nous permet aussi d’accéder à ses compétences : une capacité passive (par exemple ramener les ennemis vaincus à la vie pour nous assister), une compétence permettant de lancer une attaque spéciale, et une technique ultime, plus longue à charger, mais qui peut faire pencher la balance lors d’un affrontement délicat. Toutes ces classes possèdent leurs forces et leurs faiblesses afin de s’adapter au style de jeu de chacun.

L'écran de sélection de personnages d'Elden Ring Nighreign.
La compétence de l’œil perçant vous permet notamment de vous rapprocher de vos ennemis voire de passer dans leur dos. La technique ultime s’avère quant à elle redoutable lors de combats contre des groupes, comme les émissaires postés dans certaines ruines.

©Bandai Namco Entertainment Inc. / ©2025 FromSoftware, Inc.

Chronique d’une valse en trois jours

Concrètement, à quoi ressemble une session de jeu d’Elden Ring Nightreign ? Elle débute dans le hub central, la table ronde, où vous pouvez notamment sélectionner la classe de votre personnage et lui équiper des reliques, des bonus que vous pouvez obtenir durant vos parties ou auprès d’un marchand et qui permettent de commencer chaque session avec un objet précis, de donner une affinité élémentaire à votre arme de départ (qui fera par exemple des dégâts de feu) et toute une variété d’améliorations plus ou moins déterminantes.

Pour débuter une nouvelle session, vous devez sélectionner l’un des Seigneurs de la Nuit dans une liste (vous n’en aurez qu’un au départ, un loup à trois têtes). Ce choix n’est pas anodin : chaque boss possède une faiblesse élémentaire qu’il vous faudra exploiter pour augmenter vos chances de succès. Ensuite, il vous faut choisir si vous accomplirez cette expédition en solo ou dans une équipe de trois joueurs – le mode duo a été confirmé par les développeurs et prévu lors d’une mise à jour ultérieure.

Le rythme d’une session de jeu

Votre équipe atterrira ensuite quelque part en bordure de la carte, qui présente de légères variations d’une partie à une autre, avec des zones inédites à mesure que vous progressez dans le jeu : une forêt putréfiée, une cité de mages, une montagne enneigée… Dès l’instant où vous poserez le pied à terre, vous débuterez une course frénétique où chaque seconde s’avère précieuse, et chaque erreur redoutable.

La partie se compose de trois journées : le jour 1 et le jour 2 sont dédiés à l’exploration, et le jour 3 au combat contre le Seigneur de la Nuit. À mesure que le temps progresse, la nuit se manifeste sous la forme d’une zone circulaire qui se resserre et restreint votre espace de jeu – oui, à la manière de Fortnite. Votre personnage court plus vite que l’avancée de cette zone mais il est facile de se laisser avoir, surtout lorsqu’on explore un château ou une galerie minière.

Durant le jour 1, vous devrez prioriser le gain d’expérience et les lieux à portée de votre niveau : des campements, des forts et des ruines pour obtenir un meilleur équipement, ou encore des églises pour augmenter votre nombre de soins. Idéalement, vous vous concentrerez pendant le jour 2 sur du contenu plus ardu comme le château central, les boss de terrain, ou tenterez de récupérer du matériel de forge pour augmenter les dégâts des armes que vous avez obtenues.

Lorsque le cercle se sera entièrement refermé à la fin des jours 1 et 2, vous devrez affronter quelques ennemis mineurs, puis un boss intermédiaire. Généralement, la nature des premiers adversaires vous servira d’indice pour le boss qui suivra, par exemple des semi-humains qui annoncent un combat contre la reine et l’épéiste semi-humains. Si vous triomphez de tous les boss, vous pourrez tenter de combattre le Seigneur de la Nuit. Dans le cas contraire, votre partie s’arrête et vous perdez toute votre progression – hormis les reliques obtenues.

L’œil perçant bondit en direction d'une église.
La boussole située en haut de l’écran et les marqueurs que vous et vos coéquipiers pouvez placer sur la carte seront essentiels pour communiquer efficacement et vous orienter rapidement, surtout en l’absence de chat vocal.
©Bandai Namco Entertainment Inc. / ©2025 FromSoftware, Inc.

Des qualités éclipsées par les contraintes

Au terme d’une trentaine d’heures, que vaut donc Elden Ring Nightreign ? Il en ressort un jeu profondément singulier dans le catalogue de From Software. Il en conserve les fondamentaux en termes de système de combat, mais aussi sur le plan du game design. À la manière d’un Dark Souls, il exigera de votre part une certaine maîtrise pour pouvoir progresser dans le jeu. Considérez ici le loup tricéphale comme l’équivalent du Démon de l’Asile, du Chevalier Gundyr ou de Gyoubu Oniwa en tant que gardien impitoyable s’interposant entre la poursuite du titre et vous. On retrouve aussi, d’une certaine manière, la facilité avec laquelle le studio nous propose des environnements riches, complexes, parfois entremêlés sur plusieurs niveaux, et qui réussit malgré cela à nous familiariser progressivement à ces environnements, presque jusqu’à les parcourir les yeux fermés. Plus vite vous saurez vous orienter dans ce monde en apparence éclaté et mieux vous parviendrez à optimiser chaque seconde de votre partie.

L’expérience qui en ressort est donc, généralement, très dynamique, sans se reposer sur les lauriers des titres qui l’ont précédé. Elden Ring Nightreign nous propose ainsi plusieurs boss d’anthologie parmi les Seigneurs de la Nuit, au design soigné et au concept parfois surprenant. Avant d’affronter Libra la bête de l’équilibre, les joueurs devront par exemple passer un marché donnant-donnant avec elle : gagner de la force ou une potion de soin en échange de points de vie, réduire la santé maximum afin d’être automatiquement soigné sous un certain seuil, obtenir une puissante technique susceptible de nous endommager… Ajoutez à cela des musiques qui n’ont pas à rougir des précédentes compositions d’Elden Ring, incluant le thème qui accompagne le combat contre un duo d’insectes et dont la volupté vous rappellera par exemple les cordes et les choeurs tranquilles de l’Esprit ancestral. Enfin, mentionnons deux autres atouts, techniques mais pas moins importants : le prix conseillé de vente raisonnable (39,99 euros) et des serveurs stables (davantage qu’ils ne l’étaient lors des tests bêtas) qui contribuent à faire d’Elden Ring Nightreign une expérience multijoueur plus accessible. Cependant…

Ce qui pourrait ternir votre expérience

Ce serait mentir que d’affirmer que notre expérience de jeu a été plaisante. Dans les conditions de test qui furent les nôtres, Elden Ring Nightreign s’avéra au contraire plutôt frustrant. La faute principalement à l’absence de cross-platform entre les joueurs des différentes plateformes : si vous jouez sur Xbox, il vous sera donc impossible d’interagir avec les joueurs PS5, ni même avec les joueurs PC comme cela est parfois le cas pour d’autres titres. Ce n’est malheureusement pas une première : il en allait de même pour les précédents jeux du studio. Cependant, dans ces derniers, l’aspect multijoueur restait bien plus anecdotique puisqu’il se cantonnait à de l’entraide pour éliminer des boss et une dimension joueur contre joueur largement facultative. Or, la collaboration est centrale dans la progression d’Elden Ring Nightreign. Que votre maîtrise s’affine est une chose, encore faut-il s’assurer qu’il en soit de même pour vos coéquipiers. L’expérience est certainement plus agréable et stimulante lorsque vous avez la possibilité de jouer entre amis, avec un chat vocal en parallèle pour échanger sur vos stratégies ou partager vos moments de joie ou de frustration. De devoir partager cette expérience avec des joueurs anonymes, sans aucune collaboration vocale ni de partenariat dans la durée au fil des parties donne, au contraire, l’impression de jouer à la roulette russe.

Pour faire le parallèle avec un autre titre, il est tout à fait agréable de jouer avec des équipiers sélectionnés aléatoirement pour accomplir les défis et donjons ordinaires de Final Fantasy XIV. Néanmoins, pour les instances les plus difficiles qui nécessitent un certain apprentissage, il est beaucoup plus complexe de ne pas pouvoir compter sur des partenaires réguliers. Sans compter que le jeu ne vous permet pas immédiatement de retenter votre chance si vous mourez face à un Seigneur de la Nuit : pour poursuivre votre apprentissage et l’affronter de nouveau, il vous faudra redémarrer une session de 45 minutes avec d’autres joueurs – sans aucune garantie de parvenir jusqu’au boss final. Les boss d’Elden Ring pouvaient se montrer impitoyables, mais il ne fallait pas plus de deux minutes pour retourner dans l’arène… Pour vous prémunir de ces inconvénients, vous serez peut-être plus enclins à jouer en solo. Le jeu s’adapte donc en partie en réduisant la vie des ennemis et en augmentant le nombre de points d’expérience que vous gagnez (une amélioration ajoutée lors d’une mise à jour). Néanmoins, ces bonus n’occultent pas des choix de game design plutôt hostiles aux joueurs solitaires : les boss multiples ne seront pas moins nombreux et vous devrez les gérer seuls. Et si Elden Ring nous offrait diverses options pour compenser la faiblesse du nombre, comme des invocations ou un comportement des ennemis qui s’adaptait pour ne pas vous déborder outre-mesure, les choses sont bien moins équilibrées ici. Dommage…

En l’état, Elden Ring Nightreign ne s’adresse donc pas à tout le monde. Même si vous avez apprécié les précédents jeux du studio, il n’est pas garanti que vous puissiez profiter de tout le potentiel du titre. Il vous faudra concéder le rythme d’exploration plus lent auquel vous étiez habitué pour une expérience plus intense, sans temps mort, et surtout, vous devrez le faire en bonne compagnie. Cela étant, le jeu possède des qualités indéniables et pourrait bien séduire une communauté plus large s’il s’en donne les moyens au fil de ses mises à jour. Elden Ring Nightreign est disponible depuis le 30 mai sur Playstation 4 et 5, Xbox One et Series et PC.

Loïc Delahaye-Hien

Auteur de livres d'analyses sur les jeux vidéos chez Third Éditions. "Dans l'abîme de Dishonored : refonder l'immersive sim" sorti en 2024 Prochain ouvrage à paraître en 2025.

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