[Archive JDJ] : Fête de l’animation 2009 : Vivre en harmonie avec la nature, selon Miyazaki & interview de l’animatrice Masako Sakano
Pour les 40 ans du studio Ghibli, nous republions cet article consacré à Masako Sakano, collaboratrice historique de Hayao Miyazaki, que nous avions pu rencontrer à l’occasion de la 5e Fête de l’animation de Lille en avril 2009. Le festival proposait également à cette occasion de faire un zoom sur le travail de Miyazaki et sa philosophie à travers une exposition, des projections et des rencontres.
Vivre en harmonie avec la nature
Meurtrie, révoltée et réconciliée. Depuis ses débuts dans le métier, Hayao Miyazaki cherche à travers ses films à sensibiliser les spectateurs et spectatrices au respect de la nature et à la fragilité du lien entre l’homme à la nature.
La 5e Fête de l’animation de Lille a proposé de revenir sur la philosophie de ce grand maître de l’animation avec la projection de ses films et l’exposition de planches pour retracer sa démarche. Un véritable parcours initiatique qui se déclinait en trois temps : « La Nature Meurtrie », « La Nature Révoltée » et « La Nature Réconciliée » à l’instar de ses œuvres.

« L’exposition Vivre en harmonie avec la nature montre qu’il y a une possibilité de cohabitation entre l’environnement et l’être humain, comme le message final délivré par les films du réalisateur », témoigne Gersende Bollut, co-auteur du livre Miyazaki l’enchanteur et invité du festival.
Attention ! Malgré le caractère écologique de ses films, mieux vaut éviter ce terme pour les qualifier. « Pour les Japonais, c’est un phénomène instinctif, ils s’adaptent et vivent dans le respect de l’environnement. » Mon Voisin Totoro garde, par exemple, un message optimiste et pédagogique, qui montre un père de famille enseigner cette notion à ses deux filles.
Pour expliquer la différence entre ces concepts et l’approche de Miyazaki, les organisateurs du festival ont fait appel à Masako Sakano, collaboratrice du réalisateur pendant près de 20 ans, et Gersende Bollut. Ils ont animé une conférence qui s’est très vite transformée en table ronde. Quand on demande à Masako Sakano quelles sont les principales sources d’inspiration du réalisateur, elle répond : « La vie quotidienne ! Lorsqu’il voyage, il va retranscrire ses impressions plutôt que la réalité elle-même. »
Les films de Miyazaki créent systématiquement l’évènement. Ils sont les premiers non-américains à comptabiliser le plus d’entrées mondiales. On retrouvait Le Voyage de Chihiro à la 15e position lors de sa sortie en 2001 et Le Château Ambulant à la 17e place en 2004. Ponyo sur la Falaise, avait rassemblé 204 175 565 $ de recettes à sa sortie en 2008.
Les avis dans la profession sont pourtant assez mitigés au sujet de son dernier film [Ponyo sur la falaise]. Certains lui reprochent par exemple un scénario trop léger, une approche trop enfantine. « Il a voulu revenir à un récit plus simple, qui s’adresse avant tout aux enfants, parce qu’il les respecte, c’est donc cohérent », explique Gersende Bollut qui justifie à la fois son choix narratif mais aussi le choix de sa cible.
(màj : C’est intéressant de voir les analyses de l’époque maintenant que le documentaire consacré à la création de Ponyo « 10 years with Hayao Miyazaki – épisode 1 : Ponyo est là » est sorti (2019). On y voit en effet tout le long les difficultés que Miyazaki traverse pour développer son intrigue et ses personnages. Ainsi que la déclaration finale du producteur Toshio Suzuki « Rien de ce que Miyazaki a fait ne pourra jamais dépasser Totoro », renvoyant directement dos à dos Ponyo et Totoro qui sont en effet deux approches opposées du cinéma du réalisateur. Miyazaki délaisse l’ancrage réaliste de Totoro et sa dépiction du Japon des années 50 avec de petites touches de fantastique, pour un conte merveilleux et fantastique « où peu à peu, le surnaturel va prendre le pas sur le réel, jusqu’au point de littéralement le submerger et presque l’engloutir… »)
L’arrivée de Ponyo sur la Falaise sur grand écran montre que la vision du réalisateur a changé. « Hayao Miyazaki avait foi en l’homme, aujourd’hui il est devenu misanthrope et très critique avec l’être humain. » Bien que son discours se soit toujours dirigé vers l’enfant, le réalisateur, désabusé, semble d’autant plus s’appuyer sur leur naïveté et leur innocence pour véhiculer son message de respect de la nature.
Que cela ne décourage pas le spectateur, Ponyo sur la Falaise est avant tout une belle histoire, dont l’animation est particulièrement réussie.

Masako Sakano : « Je pense que Miyazaki est trop timide pour tout dévoiler par des mots »

Le sourire et la joie de vivre, voilà ce que nous inspire Masako Sakano. Espiègle, cette professionnelle de l’animation repense à ses années de travail au studio Ghibli avec humour et sérénité. Elle nous livre quelques petites anecdotes sur le personnage si mystérieux de Hayao Miyazaki, et nous étonne par sa franchise.
La carrière de Masako Sakano a été marquée par son poste d’assistante animatrice pour le studio Ghibli, pendant 20 ans. Elle a fait partie de l’équipe du grand réalisateur japonais Hayao Miyazaki dès Nausicaä de la vallée du vent. Elle s’est par la suite installée en France et travaille comme animatrice 2D sur le dessin animé Wakfu pour la société française Ankama. Entre-temps elle aura aussi participé à de nombreux projets, notamment Mia et le Migou pour Folimage et Mulan pour Disney.
JDJ : Comment avez-vous découvert le travail de Hayao Miyazaki ? Qu’est-ce qui vous a marquée dans sa conception de l’animation ?
Masako Sakano : J’ai commencé ma carrière comme assistante animatrice sur une série de Toei Animation pour la télévision – Great Mazinger en 1974. Depuis, j’ai travaillé sur trop de projets pour pouvoir tous les évoquer. (Rires). Je n’ai pas connu le travail de M. Miyazaki avec Sherlock Holmes (1982). En revanche, j’ai découvert Le Château de Cagliostro (1979) plus tard, qui m’a impressionnée, notamment pour le style novateur qu’il apportait au monde de l’animation, qui était alors très conservateur. Beaucoup de réalisateurs avaient déjà tenté de faire bouger les choses, en proposant différentes techniques d’animation, sur l’animation des mouvements des personnages par exemple. C’est finalement M. Miyazaki qui a réussi à bouleverser les habitudes du dessin animé. Il n’aimait pas la façon dont les autres réalisateurs travaillaient, c’est ce qui l’a poussé à devenir lui-même réalisateur. En voyant son film, j’ai eu un déclic, je l’ai trouvé génial ! (Rires)
Comment avez-vous été amenée à travailler pour M. Miyazaki ?
M. S. : Après Le Château de Cagliostro, il a commencé à travailler sur la bande dessinée Nausicaä de la vallée du vent. Un jour, j’ai vu dans une petite annonce qu’on recherchait des professionnels pour travailler sur un long-métrage… C’était Nausicaä de la vallée du vent. J’y ai répondu.
Quel a été votre rôle dans son équipe ?
M. S. : J’étais assistante animatrice. Les statuts sont assez différents au Japon et en France. Au Japon, l’assistant animateur fait ce que l’on appelle le « clean up » qui consiste littéralement à « nettoyer » le dessin des animateurs pour que le département de la couleur puisse ensuite travailler plus facilement. On est également chargé de dessiner les images intermédiaires (« intervalles ») entre les dessins « clefs » de l’animateur. Après le travail de l’animateur, le chef animateur vient ajouter des corrections, puis c’est au tour du réalisateur, M. Miyazaki dans ce cas, et ensuite c’est au tour de l’assistant-animateur / intervalliste.
Comment avez-vous vécu cette expérience, comment était-ce de travailler pour lui ?
M. S. : Une période vraiment intéressante, j’avais la sensation que nous faisions quelque chose de grandiose, un travail énorme. Pour moi, c’est une expérience très importante car j’ai pu voir son travail, c’était vraiment très formateur de le voir à l’œuvre. J’ai beaucoup appris sur le métier dans son studio.
Qu’est-ce qui fait la force selon vous de l’animation au studio Ghibli ?
M. S. : C’est de l’animation traditionnelle avec un crayon et du papier ! (Rires) On utilise aussi un peu l’ordinateur, parce qu’on ne peut plus s’en passer aujourd’hui. À l’époque, on utilisait beaucoup de plastique (ndlr : les feuilles d’acétate de cellulose ou « celluloïd » sur lesquelles on appliquait la peinture à la main). À présent, tout le monde pense que Pixar ne fait que de l’animation par ordinateur, mais les techniciens ont forcément recours au papier et au crayon. La différence entre ces deux studios est que pour le premier, on utilise beaucoup plus le dessin.
Vous avez travaillé chez Ghibli pendant 20 ans, qu’est-ce qui a changé quand vous êtes arrivée chez Ankama ?
M. S. : Je passais ma journée à dessiner au crayon et sur papier. (Rires) Maintenant, je travaille pour Ankama, une société d’animation française, et c’est pareil, j’utilise toujours ces outils.
Miyazaki cherche à faire passer un message sur la quête de la spiritualité à travers ses œuvres, pouvez-vous nous en dire plus ?
M. S. : Il ne va jamais exprimer ses sentiments, il n’exprime rien par des mots, tout passe par ses dessins.
Pensez-vous que c’est sa façon de s’exprimer ?
M. S. : Je n’en sais rien, je ne peux pas vraiment me mettre à sa place. (Rires) Je pense que Miyazaki est trop timide pour tout dévoiler par des mots, il a un peu honte. On retrouve parfois son côté romantique dans les dialogues de Lupin, dans son premier film Le Château de Cagliostro. Il ne dira jamais que la vie est belle, la nature magnifique, qu’il faut sauver la planète ou que le monde est magnifique et qu’il faut le préserver. Il ne tient pas un discours écologiste explicite. C’est difficile de retrouver son opinion à travers ses œuvres.
Quelles sont ses principales sources d’inspiration ?
M. S. : La vie quotidienne ! Lorsqu’il voyage, par exemple, il prend beaucoup de notes, fait beaucoup de dessins, et une fois rentré, il combine tout ça et quelque chose de nouveau en émerge ! Mais peut-être que lui-même ne sait pas vraiment comment ce processus fonctionne.
C’était le cas pour son voyage en Alsace ?
M. S. : En réalité, je ne pense pas qu’il y soit allé spécifiquement avec une idée de film précise en tête. Généralement, c’est après l’un de ses voyages qu’il a des idées qui émergent et qu’il va par la suite utiliser les paysages qu’il a vu dans un projet. (ndlr : en réalité, Hayao Miyazaki et Isao Takahata s’étaient déjà rendus en Europe à l’époque de la production de Heidi et Marco. Il y revient en 2001 à l’occasion de la promotion française du Voyage de Chihiro, les recherches effectuées à ce moment serviront directement pour Le Château ambulant).
Dans le cas de Kiki la petite sorcière, tout le monde pense que la fameuse boulangerie où vit Kiki aurait pour modèle un véritable lieu en Australie, mais je ne pense pas que ce soit possible, il n’y est jamais allé. (Rires) Quand je lui en ai parlé, il a réfléchi et m’a dit que ce n’était pas forcément faux finalement. L’Australie est un pays d’immigrants européens, Melbourne par exemple est une ville qui rassemble différentes cultures et qui peut faire penser à la ville de Kiki la petite sorcière, également très riche culturellement. Pour Kiki, en réalité, il a pris des références issues de différentes villes européennes, et il les a mélangées pour créer la ville imaginaire du film.
Que pensez-vous de l’exposition Vivre en harmonie avec la nature ?
M. S. : Présenter l’animation au public est une très bonne initiative ! J’ai bien aimé l’exposition, pour sa simplicité, mais comme je ne parle pas français, je n’ai pas pu tout comprendre. (Rires) J’ai par exemple bien aimé le stand de concours de dessin.
Outre votre travail chez Ankama, avez-vous des projets ?
M. S. : Je suis animatrice 2D chez Ankama, mais je n’ai pas vraiment de projet… (màj : en 2016, elle a notamment collaboré au film Dofus, Livre 1 : Julith) J’ai bien une idée qui pourrait convenir pour un long-métrage mais je ne pourrais jamais faire un film comme Miyazaki. Il faut une équipe, de l’argent, du talent, et je n’ai pas tout ça ! (Rires)
Merci beaucoup pour votre disponibilité !
M. S. : Merci, à bientôt !
Remerciements : Masako Sakano, Pauline Ramillon et Nolwen pour la traduction.
Compte rendu de l’exposition : Paul Ozouf
Interview : David Amelin
Mise à jour 2025 : Quentin Dumas
