La Papeterie Tsubaki : Quand la fiction s’ancre dans les ruelles de Kamakura.
À une heure de l’effervescence de la capitale, Kamakura offre un moment pour soi : une ville où l’océan fait face au Grand Bouddha, où un temple en cache un autre et où les petits riens du quotidien deviennent nos plus grandes histoires. C’est dans ce sanctuaire du calme que se déroule La Papeterie Tsubaki.
Ito Ogawa : Une voix pour la poésie retrouvée du quotidien
Ito Ogawa est une figure essentielle de la littérature japonaise contemporaine, celle qui murmure à l’oreille des lecteurs en recherche d’un instant de douceur et de sens. Son œuvre est une immersion dans la bienveillance, explorant avec finesse la cuisine, l’artisanat et l’importance d’être en phase avec le cycle des saisons.

Pour beaucoup, La Papeterie Tsubaki est la première rencontre avec l’auteure, et parfois même le premier pas vers la fiction japonaise. Dès les premières pages, le roman capture l’essence de ce qui peut fasciner dans cette culture : l’infinie dignité des détails. Chaque choix, de l’enveloppe au geste de la calligraphie, n’est pas anodin ; il est une méditation en soi.
L’histoire de Hatoko est d’ailleurs celle d’une reconstruction tranquille. Loin de recevoir un héritage qu’elle maîtrise d’emblée, la jeune femme est présentée en pleine transition, apprenant son nouveau métier de l’intérieur. Son rôle d’écrivain public l’oblige à devenir une oreille attentive et une interprète des cœurs. C’est en déchiffrant et en mettant en forme les émotions et les conflits des autres qu’elle découvre, avec une justesse touchante, le chemin vers sa propre maturité.
La Papeterie Tsubaki n’est pas seulement un récit, c’est une œuvre qui dicte son propre rythme de lecture. À l’image des longs temps de réflexion que Hatoko s’accorde pour choisir chaque élément de ses écrits (le papier, la nuance d’encre, le format de l’enveloppe), le livre invite le lecteur à suspendre son jugement et sa vitesse.
Chaque commande reçue par Hatoko est un véritable miroir des sentiments de la personne à qui elle prête sa plume. Ainsi, l’œuvre incite le lecteur à l’empathie et à l’interprétation. Il devient nécessaire d’apprendre à lire entre les lignes, au même titre que Hatoko doit décrypter la véritable intention ou la douleur cachée derrière la requête de ses clients. La simplicité apparente du style cache une profondeur psychologique et émotionnelle qui exige une attention particulière.
Enfin, le roman est une invitation formelle à la contemplation grâce à sa structure même. L’éditeur, Picquier, a choisi d’insérer, entre les pages du roman, des reproductions de lettres calligraphiées en japonais. Ces insertions ne sont pas de simples illustrations ; elles sont des moments suspendus. Elles concrétisent l’art de Hatoko, obligeant le lecteur à faire une pause, à apprécier la beauté du trait et la forme, rappelant que dans le monde de La Papeterie Tsubaki, le contenant est aussi important que le contenu.
Le charme intemporel du roman, si puissant, a finalement transformé l’envie de lire en une nécessité de voir. Quitter le monde du papier pour fouler le sable et les chemins des temples de Kamakura : il fallait vérifier si l’âme de ce roman vibrait encore dans cette ancienne capitale.
Arpenter les silences de Kamakura
À la sortie de la gare de Kamakura, une vague de calme vient surprendre le voyageur qui quitte l’agitation tokyoïte, promesse d’une autre cadence, loin de l’agitation moderne. La découverte de l’ancienne capitale politique et militaire – active de 1192 à 1333 – mène dans un premier temps au temple Kôtoku-in.
Après un court trajet en bus, on arpente les allées qui conduisent au pied du Grand Bouddha (Daibutsu) dont la masse de près de 93 tonnes frappe par sa sérénité. C’est, rappelons le, le deuxième plus grand Bouddha du Japon, derrière celui du Tôdai-ji à Nara.

Bien que l’on puisse pénétrer son ventre de métal, l’expérience, si elle est tentée en été, peut s’avérer éprouvante. Sous la morsure de l’été, elle devient brève et suffocante : le passage se compte d’ailleurs en moins de soixante secondes.
C’est dehors que le temps reprend ses droits. On peut déposer sa hâte, s’asseoir face à lui, et observer le courant silencieux des visiteurs, frappé par sa simple présence. Cette contemplation, cette pause proposée par le lieu, fait étrangement écho au calme nécessaire à Hatoko pour accueillir et retranscrire les émotions les plus profondes de ses clients.
En poursuivant l’exploration vers l’ouest de la ville, les portes du temple Hôkoku-ji s’ouvrent sur un chemin ombragé, offrant un répit bienvenu après la chaleur du Daibutsu. Ce temple zen offre un passage vers une muraille de bambou, le monde y est circonscrit et le silence profond. Ce lieu offre l’apaisement recherché par ceux qui rêvent de Kyôto, offrant la majesté végétale d’Arashiyama sans le long détour.
Puis, se dresse le grand sanctuaire Tsurugaoka Hachiman-gû. Bien que dédié à Hachiman, le dieu de la guerre, il est entouré de deux magnifiques étangs qui invitent à la méditation surtout en été rythmé par le chant des cigales. En cette saison brûlante, après avoir franchi l’imposant torii, la longue allée sans ombre met le visiteur à l’épreuve, le forçant à une première confrontation avec la chaleur. Et vient alors la montée des marches finales : un véritable effort physique et mental qui peut ressembler à une petite « guerre contre soi-même ».
La journée s’achève au bord de la mer pour admirer le soleil couchant. C’est face à cette immensité, bercé par le murmure des vagues, que l’expérience de Kamakura se termine : une ville invitant à la découverte des joies de la patience et du rythme lent, vertus essentielles à l’art épistolaire de Hatoko.
L’Évasion en deux temps : Du thé du temple à l’escale gourmande
Positionné dans les jardins du temple Hôkoku-ji, le salon de thé Kyukoan (Fallow hermitage) offre une expérience incroyable. Après avoir traversé près de deux mille bambous, l’échoppe accueille amateurs et novices de thé matcha. Les sièges sont disposés face à cette forêt, invitant à s’ancrer dans le moment présent et à écouter le vent qui se glisse entre les tiges. Ici, le matcha est servi avec deux confiseries sèches (Higashi), dont la douceur a pour rôle d’atténuer l’amertume du thé.
Après la dégustation méditative suggérée par la bambouseraie et le matcha du Hōkoku-ji, le cœur de Kamakura propose une autre expérience gustative. À quelques pas seulement du second torii du Hachiman-gû, une allée s’écarte, révélant le discret salon de thé Toshimayakaryô Hatokôji (豊島屋菓寮 八十小路(としまやかりょうはとこうじ)).

Quelques exemples des délices proposés :
Danzuki Sakura Mochi, servi avec son thé matcha, répond en écho à l’expérience du temple, apportant une nouvelle nuance de douceur saisonnière.
Mais c’est le Kokura Shiratama qui captive : un mélange entre textures et saveurs, magnifié par de petites gelées dont les formes sont renouvelées au gré des saisons, un délicat hommage à la fugacité et à la beauté de l’éphémère.
Le salon propose également quelques mets salés, laissant par une découverte sur place le soin de compléter ce voyage culinaire.
Finalement, l’expérience Kamakura, tout comme la lecture de La Papeterie Tsubaki, est un appel à vivre le temps présent. Elle offre le luxe, si rare, de s’arrêter, d’observer les détails et de se donner le temps de ressentir pleinement.
Relire le livre après avoir parcouru la ville, c’est atteindre un niveau d’expérience inédit. Et redécouvrir le plan de Kamakura dans le roman procure même un plaisir enfantin, comme si l’on trouvait une carte au trésor que l’on n’avait pas vue au premier abord ! Les ruelles, les temples et l’océan prennent alors une toute autre allure. Tout semble soudainement plus familier, plus réel et moins fictif.
Ce temps d’évasion, qu’il se passe entre les pages ou au cœur de ses vacances, vaut incontestablement le détour.
Pour prolonger ce plaisir, on peut se plonger dans les volumes suivants : La République du bonheur et Lettres d’amour de Kamakura, ou encore écouter la voix de l’auteure via l’interview qu’elle a accordée au Journal du Japon. Ces lectures constituent un beau prélude, prolongeant la magie en attendant le moment d’arpenter à son tour les ruelles discrètes de la ville côtière.


Merci pour le reportage
Je souhaite revisiter Kamakura en 2026