Tokyo Tribe : Emporté par le Flow

Cette semaine, c’est directement en DVD et Blu-ray via Wild Side que débarque chez nous Tokyo Tribe, le formidable délire hip hop de Sion SONO cuvée 2014. L’occasion de revenir sur ce film musical, véritable croisement entre West Side Story et The Warriors à la sauce rap nippon.

Dans un Tokyo surréaliste submergé par des bandes rivales, l’espace d’une nuit pluvieuse, les esprits s’échauffent et le précaire statu-quo qui prévalait va voler en éclat jusqu’à une inévitable guerre des gangs. Au cœur du conflit, la rivalité entre Mera (Ryohei SUZUKI, royal  !), incontrolable et violent chef des Wu-ronz de Bukuro, et Kai (le rappeur YOUNG DAIS) de la paisible bande des Musashino Saru ( les singes de Musashino).

Les Saru de Shibuya, l'un des crews de Tokyo Tribe

Les Saru de Shibuya, l’un des crews de Tokyo Tribe

Sion SONO, l’homme qui filme plus vite que son ombre

Dire de Sion SONO qu’il est un réalisateur prolifique est un euphémisme, tant son rythme de travail confine au stakhanovisme. Aussi, il est parfois difficile de rester au fait de ses dernières créations tant celles-ci s’enchaînent, surtout vu de l’étranger où ses films ne bénéficient que rarement de véritables sorties cinéma. Heureusement, festivals et éditeurs permettent tout de même aux œuvres de cet auteur hors norme de se frayer un chemin dans nos contrées. Sion SONO est ainsi un habitué de l’Etrange Festival, et le PIFFF comme le Kinotayo présentent régulièrement ses longs métrages : on a ainsi pu voir pas moins de quatre de ses films ces derniers mois dont, pour le Kinotayo, une projection exceptionnelle de Tokyo Tribe le 2 décembre (déjà projetée l’année dernière à l’Etrange Festival).

Organisée à l’occasion de la sortie du film en DVD et Blu-ray chez Wild Side à la même date, elle est aussi l’occasion de revenir sur cet opus qui nous avait particulièrement emballé. Tokyo Tribe constitue en effet une Grande Cuvée chez Sion SONO, et cela, d’autant plus qu’elle s’inscrit paradoxalement parmi les films de commande de son réalisateur, prouvant la capacité de celui-ci à se réapproprier avec succès des matériaux qui peuvent à la base lui être totalement étranger.

 

Flamboyance hip hop

Une traversée de Tokyo sous tension pour les Saru de Musashino

Une traversée de Tokyo sous tension pour les Saru de Musashino, nouveaux Guerriers de la Nuit.

Le film est tiré d’un manga (Tokyo Tribe 2, en 12 volumes parus en France chez Glénat) de Santa INOUE, chantre d’un esprit Hip Hop à la japonaise qui irrigue en profondeur l’ensemble de son œuvre. Et c’est justement ce  qui a, semble-t-il, motivé le réalisateur pour accepter ce projet d’adaptation, ce dernier y décelant un esprit proche de son propre héritage punk (voir à ce sujet la très intéressante interview du réalisateur pour le site scifijapan). Comme à son habitude, y compris pour les adaptations, il s’est totalement réapproprié l’œuvre existante, écrivant lui-même le scénario.
Faisant de cet esprit hip hop l’adn même du projet, il a conçu là un véritable film musical, croisement entre West Side Story de Robert WISE et The Warriors de Walter HILL (Les Guerriers de la Nuit en VF).  Pour cela, il n’a pas hésité à faire appel à de véritables rappeurs pour non seulement créer la musique et les paroles, mais aussi pour interpréter les différents membres des gangs aux côté des acteurs professionnels. Ainsi, les Nerimathafuckaz sont un authentique crew de Nerima, et l’interprète de Kai n’est autre que YOUNG DAIS, artiste hip hop qui a aussi participé à former au flow les acteurs avec qui il partage l’affiche.

Le crew des Nerimathafuckaz existe vraiment.

La tribu des Nerimathafuckaz existe vraiment.

Mais SONO ne s’arrête pas là  ! Dans le monde de Tokyo Tribe, non seulement tout le monde rappe, mais on fait du beat box pour servir le thé et du break dance pour crocheter une serrure  !
On est guidé à travers cet univers par Sho (interprété par Shota SOMETANI, un habitué des films du réalisateur), le MC de l’histoire, membre des Musashino Saru et narrateur quasi omniscient. Le deejaying est lui assuré par une petite vieille qui scratch les changements de rythme et de décor.
Le film est donc littéralement porté par la musique qui imprime à la caméra son rythme au travers de nombreux plan séquences permettant par ailleurs de découvrir les formidables décors crées pour l’occasion. On se laisse totalement emporter par ce maelstrom d’image et de son qui ne nous lâche pas jusqu’à la dernière bobine.

Le look du film lui-même n’est pas en reste  : Sion SONO ne voulant pas inscrire son film dans un Tokyo réaliste (la ville ressemble plus au New York post-apocalyptique de Escape from New York de John CARPENTER version Jet Set Radio), il a intégralement tourné le film en studio et fait appel à Yuji HAYASHIDA (production designer sur Casshern, Crows Zero et Burst City) et au crews d’artiste CHIM-POM (dont on vous avait déjà parlé précédemment ) pour la conception des décors (cf : Scifijapan). On a ainsi l’impression de se promener dans une ville en chantier mi-foire mi-bidonville, grouillante de vie… et tout sauf terne : les rues brillent de mille feux, éclairées aux enseignes lumineuses et autres néons colorés, créant une image scintillante dans l’objectif de la caméra comme un gros bling au cou d’un rappeur west coast.

La bande des Shinjuku Hands dispose d'un char d'assaut !

La bande des Shinjuku Hands dispose d’un char d’assaut !

A tout ce décorum, s’ajoute les outrances visuelles de quelques effets spéciaux volontairement too much. Mais tout ça passe comme une lettre à la poste, tellement cela s’inscrit dans une véritable démarche stylistique. Il en est de même pour le jeu outrancier de certains acteurs, en premier lieu Riki TAKEUCHI (Battle Royale 2, Dead or Alive) qui prend un malin plaisir à surjouer le grand méchant de l’histoire. Mention spéciale à Ryohei SUZUKI qui interprété le dangereux Mera et parvient à imprimer un charisme formidable à son personnage même dans les accoutrements les plus improbables, puisqu’il passe plusieurs séquences en string.
 

Ryohei SUZUKI interprète Mera, leader des Bukuro Wu-ronz et nemesis de Kai

Ryohei SUZUKI interprète Mera, leader des Bukuro Wu-ronz et nemesis de Kai

 
En avoir ou pas  ?

A la vision du chaos maîtrise que constitue le film, on saisi tout le fossé qui sépare Sion SONO d’un Takashi MIIKE auquel on a parfois tendance à le comparer, eut-égard à leur rythme de tournage respectif et à la folie qui se dégage de leurs univers. Car là ou MIIKE perd parfois pied dans des délires sans fond (au propre comme au figuré) ni rythme (voir le récent Yakuza Apocalypse) au point qu’on est en droit de se demander s’il ne prendrait pas son travail de réalisateur par dessus la jambe, SONO, lui, tient fermement la barre de ses bordels les plus fous (ce qui ne l’empêche pas de se fourvoyer occasionnellement – voir The Virgin Psychics).

La manière dont le réalisateur gère le rythme de son film jusqu’au bout et évite le ventre mou qui plombe de nombreux films de divertissement japonais est impressionnante. Il reste très fluide dans l’évolution de son histoire (tout se fait dans le mouvement) et n’hésite pas à littéralement «  hacher menu  » et évacuer certains éléments de manière expéditive plutôt que de laisser le récit s’embourber  ; d’où cette impression très grisante d’être emporté par le film.

Le scénario en lui-même est parfois assez absurde, partant d’une volonté de SONO d’être efficace (il faut faire rentrer 12 tomes de manga dans 1h51 de films  !) et d’évacuer certains aspects trop classiques ou lénifiant de l’histoire pour faire ressortir l’absurdité de toute la violence mise en scène. Il transforme ainsi la rivalité entre Mera et Kai d’une simple affaire de vengeance en un concours de «  virilité  ».
Un délire parfois régressif (voir très cul) mais diablement enthousiasmant où le ridicule ne vous tue pas mais vous rend juste plus heureux  !

Mera et Kai s'affrontent à couteaux tirés.

Mera et Kai s’affrontent à couteaux tirés.

 

Un film à regarder en boucle et en bluray

La jaquette du dvd reprend l'affiche japonaise du film avec des couleurs un peu moins flashy

La jaquette du DVD reprend l’affiche japonaise du film avec des couleurs un peu moins flashy

Rendons donc grâce à Wild Side d’éditer le film dans nos contrées, nous permettant ainsi de le regarder en boucle jusqu’à satiété  ! On a droit à un magnifique master qui rend bien grâce à la photographie et aux décors évoqués plus haut. Pas de doublage (qui n’aurait pour le coup eut que peu d’intérêt), mais une très bonne version sous-titrée, qui adapte à merveille les paroles des raps et l’ambiance de l’oeuvre.
La jaquette est aussi de toute beauté, respectant le côté bling et outrancier du film. On regrettera cependant que seules les scènes coupées remplissent le rayon Bonus, là où l’on mourrait d’envie d’avoir un making of, des interviews, commentaires audio et autres suppléments présents dans l’édition originale, histoire d’aller plus loin dans l’exploration de l’univers de ce film, que l’on a définitivement pas envie de quitter  !

Vous l’aurez probablement compris à la lecture de ces lignes, Tokyo Tribe n’est pas un film sérieux. C’est cependant un magnifique bordel formidablement organisé, un flamboyant film musical, un West Side Story pour la génération Hip Hop. Ceux qui ne sont pas averses aux objets filmiques exubérants comme peuvent l’être ceux de Sion SONO ne devraient pas manquer de le découvrir  ; ils pourraient même adorer ça  !

 

Tokyo Tribe sort en DVD, Blu-ray et VOD chez Wilde Side le 2 décembre 2015.

2 réponses

  1. 22 décembre 2016

    […] beaucoup plus dans le récit et se réapproprie même ses films de studio (voire le génial Tokyo Tribe, ou TAG), là où MIIKE semble se contenter de mettre bêtement en image le script qu’on lui […]

  2. 12 mars 2018

    […] hop (à noter que de vrai rappeurs doublent le gang, dont Young Dais, déjà présent dans le film Tokyo Tribe de Sion SONO). Les personnages secondaires sont d’ailleurs une des nombreuses réussites de […]

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