Devilman Crybaby : Crie de Joie !

Après Castlevania l’année dernière, Netflix continue son offensive dans le domaine de l’anime en organisant la rencontre de 2 individualités bien singulières : Gô NAGAI et Masaaki YUASA. Une rencontre qui se concrétise autour de l’une des œuvres les plus importantes, et sans aucun doute la plus radicale de son auteur original : Devilman !

Devilman Crybaby

La silhouette de Devilman pour l’un des visuels de la série Crybaby

Devilman : le calvaire d’Akira FUDÔ ou l’Enfer selon Gô NAGAI

Akira FUDÔ, jeune lycéen pleurnichard mais profondément innocent voit son monde radicalement bouleversé quand son ami Ryô lui dévoile que les démons, une race maléfique, puissante et antédiluvienne, sont sortis de leur hibernation et projettent de reconquérir la planète au détriment de l’espèce humaine. Seule solution d’après Ryô, qu’un être humain se laisse posséder par un démon et parvienne à conserver sa volonté propre, prenant ainsi possession des pouvoirs de la créature. Mais pour cela, un cœur pur comme celui d’Akira est nécessaire. Maintenant habité par la force du puissant démon Amon, Akira se retrouve projeté sur un chemin sanglant jonché d’horreurs. Combattre les démons pour la sauvegarde de l’espèce humaine, tel est maintenant le quotidien de Devilman, nom que s’est choisi Akira pour sa forme démoniaque. Mais les humains sont-ils seulement dignes d’être sauvés ?

Devilman

Une planche iconique du manga original

Métaphore de la guerre, manga violent, sexuel et torturé, d’une surprenante modernité graphique, Devilman est l’une des créations les plus importantes d’un auteur qui a livré plus que son lot d’œuvres séminales ; un véritable jalon dans l’histoire du manga, crée en 1972 par Gô NAGAI.

La relation entre Ryô et Akira est au coeur de Devilman.

C’est clairement le manga le plus engagé de son auteur et il a connu de nombreuses adaptations et déclinaisons à succès, au point d’en diluer peut-être un peu le message originel dans l’inconscient collectif. La première série animée, lancée parallèlement au manga s’en éloignait déjà considérablement. Graphiquement, Gô NAGAI fait preuve d’une stylisation et d’une audace impressionnante qui confère au manga tout son impact et son caractère intemporel. Beaucoup de planches tendent vers l’épure bichrome et traduisent avec efficacité des sentiments primaux comme la peur ou la sauvagerie. On ne peut qu’encourager le lecteur à se jeter dessus pour en faire l’expérience lui-même, d’autant plus que Black Box, qui avait déjà sorti les 5 tomes du manga en 2015, s’apprête à les rééditer dans une belle édition collector limitée.

Devilman

Le style impressionniste de NAGAI pour Devilman

Rendre justice à un tel monument ne s’annonçait pas comme une tache aisée, en témoigne un film live de triste mémoire, sorti en 2004 et depuis tombé dans l’oubli. Il fallait bien un auteur à la personnalité aussi singulière que Masaaki YUASA (Tatami Galaxy, Lou et l’île aux sirènes) afin de rétablir le message et la radicalité de l’oeuvre originale tout en retrouvant sa puissance graphique.

Devilman Crybaby

YUASA transpose à merveille la dimension impressionniste du style de NAGAI

Masaaki YUASA : le Magicien

Masaaki YUASA est un personnage particulier dans le monde de l’animation. Bien que peu connu du grand public, c’est un véritable artiste au talent précieux, et un animateur de génie, célébré internationalement depuis son premier long métrage en tant que réalisateur : le culte Mind Game. Un film fou sorti en 2004 et dont nous vous parlions il y a 2 ans à l’occasion de sa diffusion lors de la nuit de l’animation au PIFFF 2015.

Devilman Crybaby

Un très beau plan de Devilman Crybaby

Depuis Mind Game, YUASA n’a pas chômé ! Sans parler de son travail d’animateur clé, ou de réalisateur invité le temps d’un épisode sur des séries de tous horizons, de Space Dandy à Adventure Time, il a tenu la barre de plusieurs séries, originales aussi bien qu’adaptations, dans lesquelles il exprime son goût pour l’animation libre et son humanisme : Kemonozume, Kaiba, Tatami Galaxy cette dernière étant disponible en France, et Ping Pong, adaptée du manga de Taiyô MATSUMOTO. Sans oublier ses 2 longs métrages: Lou et l’île aux sirènes, sorti chez nous en août 2017 et couronné du Grand Prix Cristal au Festival d’Annecy, ainsi que Night is Short, Walk on Girl, diffusé en décembre lors du Festival Carrefour du Cinéma d’Animation et dont on reparlera prochainement pour sa sortie en DVD fin avril.

Tatami Galaxy

Un plan de Tatami Galaxy

Collage, utilisation de photo ou de séquences live, animation libre, YUASA ne se refuse rien quand aux moyens nécessaires pour transposer à l’écran sa vision d’un sujet. Il fait ainsi preuve d’une liberté rarement vue, notamment concernant le design des décors et des personnages d’une étonnante plasticité. En résulte une animation d’un dynamisme fou, exsudant une joie et une spontanéité qui, in fine, dénote au milieu du tout venant de l’animation japonaise et évoque plutôt un artiste comme Bill PLYMPTON.

Tatami Galaxy

Des personnages et des décors d’une étonnante plasticité.

C’est que Masaaki YUASA rejette le côté lourd et laborieux que peut parfois avoir le travail de l’animateur et recherche réellement, à travers son approche de cet art, une réelle joie, une relaxation et une liberté. Ainsi, de cette liberté résulte une formidable fluidité de l’animation, parfait véhicule d’une folie visuelle jubilatoire, et surtout vecteur de sensations et d’émotions fortes.

Une implication personnelle qui fait de Masaaki YUASA le héraut idéal pour porter haut les couleurs de Devilman et lui rendre justice à travers une nouvelle itération qui se révèle aussi bien une adaptation fidèle qu’une œuvre profondément marquée par la personnalité de YUASA.

Devilman Crybaby

Le style YUASA se teinte de la noirceur de Devilman.

Devilman Crybaby : Match made in heaven

YUASA est un fan avoué de Devilman. On pouvait déjà percevoir cette influence dans sa série Kemonozume, mettant en scène des monstres vivant cachés au milieu des humains et la relation d’un chasseur voué à leur extermination mais tombant amoureux de l’une de ces ogres.

Devilman Crybaby

Un beau visuel qui annonce bien la couleur !

Fortement marqué par la découverte de l’œuvre de Gô NAGAI dans les années 70, il voulait faire retrouver aux spectateurs d’aujourd’hui le choc que lui avait procuré le manga. Pour cela, il était nécessaire de transposer l’histoire dans un cadre contemporain et d’en adapter certains éléments en conséquence, comme le groupe des jeunes délinquants, qui deviennent des rappeurs exprimant à haute voix leur vision critique de la société. Devilman Crybaby devient résolument moderne, mettant en avant l’influence des réseaux sociaux, et se parant d’une authentique saveur électro et hip hop. A noter d’ailleurs que de vrai rappeurs doublent le gang, dont Young Dais, déjà présent dans le film Tokyo Tribe de Sion SONO. Les personnages secondaires sont d’ailleurs une des nombreuses réussites de cette adaptation ; non seulement les membres du gang, mais aussi Miki et sa famille, qui hébergent Akira FUDÔ. Ils prennent corps ; leurs motivations et leur calvaire leur confèrent une réelle consistance, tout en argumentant le propos humaniste et critique de l’œuvre. Le message anti-guerre de NAGAI est bien présent, ainsi que la dénonciation de la tendance humaine à la peur et à la xénophobie.

Devilman Crybaby

Un bref moment de paix ?

Ici, sexe et violence n’ont rien d’un fan service et s’inscrivent pleinement dans leur sujet et dans une vision personnelle de ces sujets primordiaux par l’auteur. Il participent aussi à donner à l’animé de YUASA une sensualité et une dimension grotesque, notamment via l’apparence extrêmement originale des démons.

C’est en tout cela que la rencontre de NAGAI et YUASA à travers une œuvre aussi singulière et adulte que Devilman, si elle pouvait sembler improbable, se révèle finalement idéale. YUASA se réapproprie l’œuvre la plus personnelle, radicale et engagée du grand Gô NAGAI, car celle-ci correspond à sa propre vision du monde moderne. Il la réactualise, mais reste on ne peut plus fidèle à son esprit et à son scénario, bien plus que le dessin animé historique par ailleurs référencé à plusieurs reprises dans Crybaby.

Devilman Crybaby

Le combat contre Sirène, moment iconique de Devilman et Devilman Crybaby.

Nous avons souvent chroniqué dans ces pages (ici, , etc.) des transpositions de manga sur d’autres formats, anime ou cinéma live, nous interrogeant à chaque fois sur les critères d’une adaptation réussie ou non. Devilman Crybaby constitue l’exemple parfait de ce que l’on espère à chaque fois qu’un de nos mangas favoris est porté à l’écran : une œuvre nouvelle, qui a tout compris de ce qui fait le sel du manga original, mais le pousse plus loin grâce au regard d’un autre artiste.

Il est formidable qu’une telle œuvre ait trouvé un foyer, et donc une exposition mondiale chez Netflix. La maison donne pour l’instant carte blanche à de nombreux auteurs singuliers en leur laissant apparemment une grande liberté d’action. Si cette stratégie se confirme, cela augure du bon pour l’animation japonaise à destination d’un public adulte et international.

 

 

Le manga original Devilman est disponible chez Black Box en édition collector limitée.

La série Devilman Crybaby est disponible sur Netflix.

4 réponses

  1. 14 mai 2018

    […] Festival d’Annecy pour Lou et l’île aux sirènes et la distribution mondiale de sa série Devilman Crybaby par Netflix en janvier, ces derniers mois auront vu la carrière de Yuasa MASAAKI prendre une […]

  2. 21 juin 2018

    […] Festival d’Annecy pour Lou et l’île aux sirènes et la distribution mondiale de sa série Devilman Crybaby par Netflix en janvier, ces derniers mois auront vu la carrière de Masaaki YUASA prendre une […]

  3. 12 décembre 2018

    […] les 3 longs métrages cinéma du réalisateur, que vous avez peut être découvert sur Netflix avec Devilman Crybaby. Au programme : Mind game, « le Citizen KANE de l’animation » et son premier film, The Night […]

  4. 4 avril 2020

    […] a déjà suffisamment répété dans ces pages à quel point on appréciait Masaaki YUASA et combien chacune de ses nouvelles réalisations était […]

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