Invincible : une histoire dérangeante…

Dans les salles depuis le 7 janvier 2015, le nouveau film d’Angelina Jolie, Invincible, retrace l’épopée dramatique de Louis Zamperini, coureur olympique et héros de la Seconde Guerre mondiale. Une réalisation ternie par des stéréotypes et plusieurs raccourcis mais qui est, au moins, une bonne occasion de se pencher sur les horreurs perpétrées en Asie durant la Seconde Guerre Mondiale. Des crimes qui n’ont rien à envier aux exactions allemandes…

Invicinble :  un film caricatural

Invincible - Affiche du filmLes grands destins sont quelquefois nourris d’une souffrance indécente. Le nouveau film d’Angelina Jolie, Invincible (Unbroken) montre la vie de Louis Zamperini comme un grand destin. L’homme semble condamné à la lutte pour exister. Celle-ci commence dès l’enfance, dans l’Amérique des années 1920. Louis Zamperini est issu d’une famille d’immigrés italiens vivant à Torrance, Californie. Trop tôt, le jeune garçon empreinte le chemin de la délinquance. Bienveillant, son frère aîné Pete entreprend de le détourner, en le faisant courir. Il pousse Louis à faire partie de l’équipe de course de l’école dont il est lui-même membre. Ce qui devait arriver arriva, dans un scénario estampillé American Way of Life : A force d’efforts et de détermination, Louis Zamperini bat le record étudiant du Mile à l’âge de 15 ans. Quatre ans plus tard, « la tornade de Torrance » est sélectionnée pour courir le 5000m aux Jeux Olympiques de Berlin. Le jeune homme décroche une médaille de bronze. Admis à l’université, il est en route vers la gloire et rêve déjà des prochains Jeux Olympiques devant se tenir à Tokyo en 1940. Mais la guerre éclate et les JO sont annulés.

Septembre 1941. Zamperini rejoint l’US Air Force. En avril 1943, il est envoyé dans des îles du Pacifique, Funafuti, comme bombardier sur l’avion B-24 Liberator bomber Super Man. Le B-24, célèbre parmi les pilotes pour être défectueux, se crashe à 1 370 km au sud de l’île de Oahu, tuant 8 des 11 hommes à bord. Les survivants dérivent durant 47 jours dans un canot de sauvetage avant que Zamperini et Russell Allen « Phil » Phillips ne soient capturés par les Japonais, connus pour leur traitement inhumain des prisonniers de guerre. 

Une heure de film s’est difficilement écoulée. La deuxième se concentre intégralement sur le calvaire enduré par le combattant Louis Zamperini dans ses différents lieux de détention.

Détenu initialement dans l’atoll de Kwajalein, enfermé dans une geôle de 2m sur 1m, le soldat est ensuite transféré au bout de 42 jours dans le camp de prisonnier japonais Ōfuna, réservé à ceux qui n’étaient pas enregistrés comme prisonniers de guerre. Là, il devient le souffre-douleur du sergent Watanabe « Bird ». Les scènes de violences s’accumulent : Nez cassé, oreille déchiquetée, passages à tabac. Puis 220 coups de poings à l’affilée –un par détenu– pour avoir refusé de coopérer en émettant des messages propagandistes à la radio tokyoïte. S’ensuit le camp Naoetsu – le pire de tous –  situé dans le nord du Japon, où Zamperini retrouve Watanabe jusqu’à la fin de la guerre. Le Japon capitule le 15 août 1945. Zamperini est ramené à sa famille le mois d’après, en véritable héros.

Après la scène des retrouvailles, le film se clôt sur des images d’archives du vrai Zamperini portant la flamme aux Jeux Olympiques de Nagano en 1998, à l’âge de 82 ans. En musique de fond, le titre Miracles de Coldplay.

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Adapté du best-seller de Laura Hillebrand, le scénario signé par les frères Cohen contient tous les ressorts des biopics hollywoodiens, utilisés pour bien faire comprendre au spectateur qu’il est en présence d’un être extraordinaire. Le procédé est ici inutile, tant l’histoire de Louis Zamperini tire toute sa force en elle-même. Il y a d’abord l’indéniable atrocité des sévices subis. Il y a aussi la force mentale du sportif sublimée dans l’univers carcéral.

Le personnage – interprété dignement par Jack O’Connell – revêt tour à tour le costume du beau soldat américain, puis prisonnier rebelle, puis détenu supplicié, pour finir en héros qui accordera son pardon à ses bourreaux plutôt que de se livrer aux représailles. En fil continu, la résistance à préserver une humanité indemne face aux procédés de cassures psychologiques, physiques et émotionnels de l’ennemi. Mais la réalisatrice ne raconte ni le stress post-traumatique d’après- guerre qui a fait sombrer Zamperini dans l’alcoolisme et les cauchemars pendant des années, ni l’obsession du désir de vengeance. Une rencontre avec Billy Graham, le célèbre prêcheur, aidera le soldat à retrouver la foi. En 1950, il acceptera de repartir à Tokyo en tant que missionnaire, afin de faire la paix avec ses anciens bourreaux.

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Quelques moments d’histoire sont néanmoins brillamment reproduits, tels les Jeux Olympiques de Berlin en 1936 et l’attaque aérienne du bombardier Super Man. Le manque d’indications de l’espace-temps gêne néanmoins la compréhension des événements dans leur globalité. Et à la manière du prisonnier, le spectateur ne sait ni où il est, ni où il va.

En dehors de toute psychologie, Angelina Jolie passe également à côté de l’analyse de la relation entre bourreau et victime dans un contexte de guerre, évoqué si finement dans Les Voies du Destin (The Railway Man) de Jonathan Teplitzky, avec Colin Firth et Nicole Kidman.

De même, Watanabe, interprété par Miyavi, représente à lui tout seul le sadisme de l’armée japonaise. Si ce dernier compte parmi les criminels de guerre les plus recherchés, le pays du Soleil Levant fut le théâtre d’autres tortures et atrocités – dont des actes de cannibalisme sur des aviateurs vivants de l’US Navy -, condamnées pour certaines au procès de Tokyo en 1946. Invincible effleure donc un vaste sujet… Que nous vous proposons d’approfondir.

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Un peu d’histoire…

C’est dans un pays ruiné, dévasté que s’ouvre, à l’issue de la guerre, le procès de Tokyo  – l’équivalent asiatique de celui de Nuremberg où furent jugés les dirigeants nazis. En 1946, le Japon a perdu au moins 2,7 millions d’hommes et un quart de ses richesses. Tokyo est détruite à 65%, Nagoya à 87%. Deux villes ont été soumises à la bombe atomique. Neuf millions de personnes sont sans abri, 6,5 millions sont à rapatrier depuis l’Asie, la Sibérie et les îles du Pacifique. Asphyxié économiquement, au bord de la famine, le pays survit grâce au marché noir auquel les élites et l’armée participent en pillant les stocks militaires. En parallèle, la pègre prospère.

InvincibleCe qui retient surtout l’attention des Alliés en 1946, ce sont les mauvais traitements et le travail forcé infligés entre 1941 et 1945 à une grande partie des prisonniers de guerre détenus, malgré la promesse faite au gouvernement américain de respecter les termes de la convention de Genève. Au Japon, la violence tend à être banalisée à cette époque et la discipline au sein de l’armée est extrême. Le moindre signe de peur entraîne des peines très lourdes. L’interdiction de se rendre eut des effets très néfastes – survivre à la défaite était alors considéré comme infamant.

Parmi les crimes de guerre japonais, on peut citer les massacres et le pillage à grande échelle commis en Chine de 1937 à 1945. Les Japonais de l’époque sont convaincus de la supériorité morale de leur pays et l’opposent à l’abaissement attribué aux Chinois contemporains. Quand l’armée japonaise arrive à Singapour en février 1942, elle tue ainsi entre 5 000 et 10 000 jeunes Chinois. Dans les zones de guérillas du nord de la Chine, des opérations de « pacification », dites sanko ou les « trois-tout », c’est-à-dire tout tuer, tout brûler, tout détruire, font plusieurs millions de morts entre 1940 et 1943.

Il y a aussi l’utilisation de cobayes humains pour des expérimentations médicales, bactériologiques et chimiques. Dans l’unité 731 en Mandchourie, on inocule des maladies, on place des hommes dans des conditions de dépressurisation ou de froid extrêmes.

Dans les camps de prisonniers, les souffrances se sont concentrées sur les quelque 144 000 Hollandais, Britanniques, Australiens, Américains, mais aussi une douzaine de milliers de Français en Indochine. La seule clause de la convention de Genève respectée par les Japonais est le traitement particulier réservé aux officiers qui, par exemple, ne sont pas astreints au travail forcé. Les simples soldats sont soumis à des travaux épuisants. Le chantier le plus emblématique est celui du chemin de fer dit « de la mort », 415 kilomètres de voies ferrées entre la Thaïlande et la Birmanie, symbolisé par le tristement célèbre pont de la rivière Kwai : 12 000 prisonniers occidentaux et quelque 70 000 travailleurs asiatiques sont morts dans la construction des voies. Les mines et chantiers navals, au Japon ou à Taiwan, furent également des lieux effroyables.

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Il faut aussi mentionner les « marches de la mort ». La plus connue est celle de Bataan, aux Philippines, dont furent victimes en avril 1942 au moins 5 600 prisonniers américains et philippins – à qui l’approvisionnement en eau fut notamment interdit plusieurs jours durant. Mais il faudrait aussi citer ces 1 200 Australiens détenus à Sandakan Bornéo en 1945, et contraints à parcourir 260 kilomètres dans une jungle montagneuse : il n’y eut que 6 survivants, tous des évadés.

Massacres et prostitution forcée

La Seconde Guerre mondiale côté Japon commence et se clôt par deux massacres : dès 1937 avec l’attaque des troupes chinoises près de Pékin et la prise de Nankin en décembre de la même année qui fit entre 50 000 et 90 000 morts. En février-mars 1945, la population civile de Manille, aux Philippines, connaît un autre massacre d’ampleur à peu près équivalente.

Les soldats japonais tuent parfois seulement pour s’amuser, comme le soutient l’historien spécialiste Jean-Louis Margolin. « En Chine, on fait des concours de tirs sur des passants, on s’exerce au maniement du sabre ou de la baïonnette sur des cobayes humains. Cette facilité du passage à l’acte ne constitue pas un quelconque invariant de la psyché nippone. Elle se rattache clairement au contexte idéologique des années 1930 et 1940. Dans ce contexte, l’État et la collectivité, définis dans les termes nébuleux de la mystique impériale, sont placés au-dessus de tout, l’individu n’est plus rien. Significativement, les militaires et les médecins de l’unité 731, à Harbin, appelaient les cobayes humains utilisés pour leurs expériences des maruta, c’est-à-dire des « morceaux de bois ». L’individu n’est plus qu’un objet, corvéable à l’infini, chair à canon, et sur lequel il devient licite de frapper, même à la hache… » A l’image des kamikazes, plus banalement dénommés pendant la guerre « Corps spécial d’attaque » Tokkôtai, incapables d’affronter le déshonneur.

A tout cela, il faut ajouter des viols innombrables et l’esclavage sexuel imposé à de nombreuses femmes coréennes, chinoises, javanaises ou encore néerlandaises. A Nankin, on estime que furent violentées entre 8 000 et 20 000 femmes chinoises, pratiquement de tous les âges.

On peut aussi ajouter que l’armée japonaise s’est transformée en Chine en véritable pourvoyeuse de drogue. Elle a encouragé et facilité à l’intention le trafic d’opium et d’héroïne, qui avait été largement éradiqué auparavant. La consommation d’opiacés va connaître une véritable explosion, grâce à une armée japonaise qui va jusqu’à convoyer la drogue ou patronner sa commercialisation.

Il aura fallu cinquante ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale pour que le gouvernement japonais reconnaisse officiellement les crimes perpétrés par son armée.

 Pour en savoir plus :

Retrouvez toutes les informations concernant Invincible sur son site officiel.

Complément d’information :

Massacres dans le Pacifique, par Jean-Louis Margolin, L’Histoire n°333, juillet 2008

Anne Frank au pays du manga

8 réponses

  1. MNguyen dit :

    Bonjour. Qu’il y ait eu des exactions commises par les troupes américaines en temps de guerre, nul n’en doute, mais l’histoire parle peu des atrocités commises par les japonais lorsque leurs troupes étaient en position de force et avant les bombardements de Nagasaki et Hiroshima. Si du côté américain et britannique on en parle, peu, mais on en parle, du côté français, la prise du pouvoir en Indochine (coup de force du 9 mars 1945) vit sur l’ensemble de l’Indochine, alors encore française, des massacres et des déportations de la quasi totalité des hommes des forces françaises (police, militaires, administration…) et même de jeunes de 15 à 16 ans. Ces déportés subirent : tortures, humiliations, décapitations etc…ils étaient tous sous alimentés (une boule de riz par jour et par personne accompagné d’un potage clair et devant travailler à la construction de voies ferrées ou de routes dans des conditions épouvantables. Cette histoire a été vécu par mon Grand-Père et il en revint marqué dans sa santé (j’ai des lettres de ma tante qui en atteste). Que le film d’Angelina Jolie soit à charge, ce n’est pas faux, d’ailleurs, il n’est pas bon comme film trop simpliste, voué à nous faire comprendre que l’on peut tout dépasser…mais il n’en reste néanmoins une tentative d’explorer la noirceur des Hommes et,il me semble, que toute œuvre, surtout cinématographique, est partielle, subjective…et ce n’est pas en disant que les américains ont eu aussi leurs parts de salauds qui lavera les mains des japonais. La guerre n’a jamais rendu personne meilleurs, elle a pu permettre à certains de montrer leur héroïsme et à d’autres leur folie…le Japon a commis des massacres à Nankin, fait subir des horreurs aux femmes coréennes et d’ailleurs, ont mis en place des camps de concentrations à pakse et paksong au Laos…la vérité est telle qu’elle n’a pas besoin qu’on l’équilibre au nombres de morts et d’horreurs…

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