Le monde selon UCHU : et si nous vivions dans un manga ?

monde-selon-uchu-1-casterman Que se passerait-il si les personnages d’un manga commençaient à voir les bulles de texte qui les entoure, s’ils se rendaient compte que leur quotidien banal fait d’eux les héros d’une histoire totalement fictive ? Quid de leur libre arbitre face à l’auteur et à qui expose-t-il alors leur vie privée ?

De toute façon, qu’est-ce qu’ils pourraient bien y faire ?

C’est cette idée un peu folle et ces questions qui sont au cœur du Monde Selon UCHU, un petit ovni que nous proposent les éditions Casterman le 17 février prochain. Journal du Japon vous en dit plus sur ce titre énigmatique, drôle, intelligent et touchant, signé Ayako NODA.

 

C’est ici que s’achèvent vos vies de collégiens ordinaires.

« Alice. Le monde qui nous entoure… est un manga. »

C’est ainsi que Uchu Hoshino, élève en 3e année de collège, révèle la réalité du monde qui les entoure à la jeune Alice Tsunomine, sa camarade de classe. Non content de vivre dans une fiction, Uchu s’est aussi rendu compte, il y a quelques temps, qu’il est probablement le héros de ce récit.

Le problème c’est que, dès que quelqu’un prend conscience de cet état de fait et qu’il comprend qu’il est un personnage de manga, il commence à voir de drôles de choses : il visualise tout ce qu’il dit ou ce qu’on lui dit sous la forme de bulles, mais aussi ce que les gens pensent, la voix off de l’histoire ou encore les fleurs qui apparaissent comme par magie lors d’une situation romantique…

Planches Monde Selon Uchu  Planches Monde Selon Uchu 

Tout ceci pourrait prêter à sourire par son caractère absurde, mais cette révélation pose d’autre problème… Dès que Uchu est dans la pièce certains ressentent un regard lourd et inquisiteur se poser sur eux : par sa simple présence le héros de l’histoire met son entourage sous la lumière des projecteurs et sous les yeux de l’auteur et des lecteurs.

Uchu a beau être devenu immortel – on ne tue pas le héros de son histoire – il préfère donc se cloitrer chez lui et ne rien faire qui mérite d’être raconté, pour tenter de faire disparaître cette étrange réalité. Malheureusement pour lui et pour les autres, une comédie romantique lycéenne fonctionne avec plusieurs personnages : une héroïne, Alice, le frère jumeau du héros, Shinri et plein d’autres rôles secondaires, dont peu ont conscience de la nature fictive de leur existence.

Comment dès lors influer sur une comédie romantique dont on est que l’un des pions ? Comment garder sa liberté, son libre arbitre, sa vie privée dans ces conditions ? Et que veux l’auteur au final, quelle fin envisage-t-il ?

Est-il vraiment tout puissant ?

Planches Uchu 9

 

Qui suis-je, où vais-je… Dans quel manga j’erre ?

Planches Monde Selon UchuLes mangas qui parlent de manga, voici une thématique que l’on commence à connaître depuis Bakuman. Les titres publiés dans l’hexagone ne sont pas si nombreux mais en dehors d’une exception ou deux, on commence à bien en connaitre le scénario de base : « c’est l’histoire d’un manga ou apprenti mangaka qui… »

Aux commandes du Monde selon UCHU, Ayako NODA renverse la situation : ce n’est plus l’histoire d’un mangaka qui va écrire un manga dans un manga, mais les personnages d’un manga qui comprennent que leur monde et leur vie ne leur appartient pas et qu’ils sont imaginés et mis en scène par un inconnu, puis dévoilés à qui le souhaite…. On vogue donc quelque part entre The Truman Show – avec que des Truman partout – et Matrix, mais sans les combats épiques et manichéens.

Planches Uchu 5En effet, précision importante, la mangaka a l’intelligence de ne pas pousser le crayon trop loin : le mystérieux auteur de ce récit n’intervient pas non plus sur les moindres faits et gestes de tous ses personnages… Heureusement car la remise en question n’aurait alors pas fait long feu, elle eut été très vite gommée, au propre comme au figuré. Ayako NODA transforme plutôt le mangaka en une sorte de scénariste / réalisateur qui dirigerait de loin des acteurs, qui se contente d’écrire le script global de l’histoire et décide des quelques moments clés à mettre en image.

Parmi ces acteurs, il y a tout d’abord ceux qui ne se doutent de rien. A ce titre, le décalage qui se créé entre eux et ceux qui ont compris la situation est une source comique très bien mise en scène : on adore la jeune Chiyoko Saimi, une amoureuse transie qui trouve toute la gentillesse, la beauté et autres qualités du monde à Iya, un camarade belliqueux, colérique et physiquement lambda. Même si ce dernier l’envoie méchamment promener, elle rayonne de bonheur : « il m’a appelée par mon prénom !!! » fond-elle alors. En plus d’être très drôle, ce genre de situation met un petit coup de vitriol sur les réactions parfois improbables et terriblement clichés des comédies romantiques les plus mièvres.

Dans un ton toujours léger et plein d’une innocence rafraîchissante, la jeune Alice remet alors en cause l’intérêt réel de telles ou telles situations récurrentes dans ce type de manga, et parvient à éviter le pire avec des trésors d’ingéniosité, quitte à utiliser les contraintes qui pèsent sur un mangaka pour plier le fil du scénario. Un régal.

 Planches Monde Selon Uchu  Planches Monde Selon Uchu 

 

Des émotions subtiles, un mystère intact…

En dehors de notre trio composé d’Alice, d’Uchu et de son jumeau Shinri, les autres personnages restent finalement assez extérieurs à la situation. Obsédé et terrorisé par le regard omniprésent du lecteur, Iya est surtout là pour évoquer une rébellion et une colère compréhensible quand sa liberté, son intimité et le contrôle sur sa vie lui échappe. Et pour ce qui est de Chiyoko, peu importe, tant qu’elle peut aimer son beau Iya.

A coté de ces sentiments exacerbés et volontairement appuyés, il y a Alice, qui est la curieuse de l’histoire, notre avatar en pareille situation, se posant les questions qu’on se poserait, gérant et analysant la situation, affrontant le problème de face là où Uchu a plutôt tendance à le fuir. Ces deux là se trouvent d’ailleurs, se comprennent au fur et à mesure de l’histoire et un lien semble se créer…

Planches Monde Selon UchuTrès secret, Uchu ne révèle rien et, sous les traits de Ayako NODA ses expressions sont alors très subtiles mais témoignent tout de même d’émotions. On s’arrête alors quelques longues secondes, intrigué, pour essayer les déchiffrer. Notre héros contraint, malgré son faible nombre d’apparition, occupe alors l’espace avec brio, y insufflant sa fragilité et sa gentillesse, et devient rapidement attachant. Entre lui et la belle, intelligente et drôle Alice, on commence alors à croire à une belle histoire…

Mais nous sommes dans une comédie romantique cher lecteur, et pas de comédie romantique sans un triangle amoureux. C’est là que Shinri intervient : sous ses apparences lambda, c’est presque le personnage le plus mystérieux de l’histoire – le mangaka derrière le récit conservant la palme de la catégorie, forcément. Là où Uchu réprime comme il peut ses émotions et ses pensées, Shinri dit toujours ce qui semble lui passer par la tête, mais son visage semble porter des expressions trop limpides pour être totalement vraies. Aimerait-il devenir le héros de cette histoire ? Serait-il jaloux de son frère qui pourrait briller mais qui s’y refuse ? Difficile pour le moment de lui prêter ce genre d’intention, mais on finit par se poser la question à la sortie de ce premier volume.

Peut-être bien que l’auteur, lui aussi lassé par ce héros récalcitrant, a décidé de passer à autre chose ?

Le mystère reste intact…  mais réponse le 30 mars, pour la sortie du second et dernier volume, attendu avec impatience !

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Paul OZOUF

Rédacteur en chef de Journal du Japon depuis fin 2012 et fondateur de Paoru.fr, je m'intéresse au Japon depuis toujours et en plus de deux décennies je suis très loin d'en avoir fait le tour, bien au contraire. Avec la passion pour ce pays, sa culture mais aussi pour l'exercice journalistique en bandoulière, je continue mon chemin... Qui est aussi une aventure humaine avec la plus chouette des équipes !

2 réponses

  1. 29 juillet 2016

    […] Les avis de Nostroblog, Un amour de BD, le Journal du Japon […]

  2. 27 août 2017

    […] et Emerald. L’année a également été marquée pour Casterman par la venue d’Ayako NODA (Le monde Selon Uchu) au festival […]

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