Buichi TERASAWA, le père d’un pirate immortel nommé Cobra

Après notre interview avec Yu SUZUKI, voici notre second article consacré à nos rencontres lors du salon Monaco Anime Game International Conférences 2016. Nous parlerons cette fois d’une icône mythique du manga et de l’animation japonaise : Cobra !
Bientôt 40 ans et toujours aussi fringant,  le héros au cigare tout de rouge vêtu continue de faire l’actualité. La venue de son créateur Buichi TERASAWA sur le sol monégasque n’était pas fortuite, puisque le salon de Cédric Biscay diffusa en exclusivité mondiale le trailer de Return of Joe Gillian, une nouvelle série animée produite par Shibuya Production. 
Conférences oblige, l’une d’entre elles fût consacrée à Mr TERASAWA dont nous vous proposons un résumé dans cet article, agrémenté de l’entretien que nous avons pu avoir avec l’auteur.

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Des influences occidentales

Lorsque nous lui demandons si les comics américains l’ont influencé, celui-ci nous répond par la négative : « mes influences sont plutôt de la bande dessinée franco-belge, notamment Barbarella (NDLR : bande dessinée de 1962 de Jean-Claude Forest). Je trouve que les comics sont un peu simplistes, voir simplets, et la BD me plait plus, Moebuis en particulier qui est maintenant décédé. C’était vraiment un très, très, bon artiste ».

Comme il nous le précise, Barbarella est un film américain, mais le réalisateur Roger Vadim est français. Ce qu’il a particulièrement aimé dans ce film ? Que les différents créateurs de mode, comme Channel par exemple, offrent des tenues gratuitement pour ce film. Ces costumes, comme le soutien-gorge en plastique, étaient assez innovants et c’est quelque chose qui n’était pas imaginable avant. Amoureux des femmes devant l’éternel, c’est tout naturellement qu’il distilla des figures emblématiques dans son œuvre : les sœurs Nelson s’inspirent donc de Jane Fonda (Barbarella dans le film éponyme), Dominique Sanda et Catherine Deneuve.

C’est le film À bout de souffle avec Jean-Paul Belmondo qui fut le déclic pour la création de son héros : « j’ai adoré ce côté hyper léger, désinvolte et libre du personnage joué par Belmondo. L’acteur y est évidemment pour beaucoup, mais c’est également le scénario très bien écrit du film, et le traitement du personnage qui m’ont plu. Il y a par exemple une scène que j’ai trouvé très classe, c’est quand il se ferme les yeux lui-même lorsqu’il meurt ».

À l’époque, au Japon, Jean-Paul Belmondo et Alain Delon étaient tous les deux très connus, mais selon TERASAWA Alain Delon a, malgré sa beauté, un sale caractère, il lui a donc préféré Belmondo pour incarner Cobra. Il n’a cependant jamais rencontré l’acteur.

Ensuite, une des particularités du CV de Buichi TERASAWA, est d’avoir été l’assistant du dieu du manga moderne : Osamu TEZUKA. Comme a l’accoutumé chez les mangaka, ce dernier ne faisait faire les personnages à personne d’autre qu’à lui-même, Mr TERASAWA se cantonnait donc à ce qui est habituellement laissé aux assistants, c’est-à-dire l’encrage, les décors et tout ce qui est hors personnages.

Mais ce travail de dessin secondaire n’est pas ce qu’il retiendra de cette période formatrice. Là où il a le plus appris du maître, c’est sur le manga Phoenix : « pour faire le format tonkabon (NDLR : publication en tome relié), il a fallu réduire l’histoire, et il m’a confié la tâche de sélectionner les parties les plus intéressantes pour réduire le nombre de pages. C’est un travail de montage, comme au cinéma. Apprendre à extraire le principale d’une longue histoire, pour en faire quelque chose de dense et compact, c’est le plus grand cadeau qu’il m’ait fait ».

Keep the control

Rapidement après le début de sa carrière d’auteur, Mr TERASAWA publie Cobra dans le mythique Weekly Shônen Jump.  Il se remémore d’ailleurs une histoire au sujet de son recrutement par le magasin : « quand j’ai présenté Cobra à l’équipe de Shônen Jump, ils m’ont dit “ton héros, il ne faut pas que ce soit un adulte, ça doit être un enfant”. Lorsque je leur ai dit non, ils m’ont répondu “dans ce cas-là on ne t’édite pas”. Ce fut un long bras de fer éditorial, mais que j’ai finalement gagné ».
Que ce soit à ses débuts, ou durant les sept ans de publication de Cobra, le mangaka ne démordra pas, targuant qu’il irait voir ailleurs si on ne voulait pas le publier. Une audace qui a payé, quand on voit la longévité de sa saga. C’est donc avec un contrôle total sur son œuvre et sans compromis qu’il mène la barque. Un fait d’autant plus rare quand on connait le milieu de l’édition des shônen au Japon et la pression énorme mise sur les auteurs.

Comme il l’a déjà précisé, TERASAWA tient à être impliqué dans les projets de l’univers Cobra, alors lorsqu’un film animé débarque en 1982 sans qu’il en soit mis au courant, il ne le voit pas d’un bon œil : « un jour, dans le magasin Animate j’ai appris qu’il y aurait un long métrage de Cobra et je fus en colère de ne pas avoir été averti. Après avoir rencontré les personnes concernées, nous en sommes arrivés à mettre en route une série télé, où j’étais cette fois-ci impliqué. Mais concernant le film, je le renie. C’est quelque chose que je n’accepte pas, contrairement à la série qui est pour moi LA référence».

Dès le milieu des années 1990, apparait le projet d’un nouveau film d’animation où il serait question de traiter l’origine du psychogun. Buichi TERASAWA en conçoit le storyboard, mais par manque de moyens financiers la production n’aboutit pas. C’est finalement quelques deux décennies plus tard, et lorsqu’il rencontre un studio d’animation entièrement composé de femmes fans de la série (le rêve pour notre homme !), que cette idée se concrétise avec les OAV Cobra the animation.
 

Viva la cinema !

Entre 1982 et 2008 le mangaka à donc travaillé au storyboard via les OAV de Karasu Tengu Kabuto et Midnight Eye Goku ainsi qu’à la réalisation avec les OAV Cobra. Sa volonté de contrôle va ainsi au-delà du format papier originel, et l’auteur apporte sa patte à des postes d’animation japonaise.

Ces métiers, qui ne s’improvisent pourtant pas, lui semblent totalement naturels : « je n’ai pas eu de mal à passer de l’un à l’autre, car une fois que l’on sait dessiner des mangas, on fait plein de choses (cadrage, rythme, narration) qui permettent de savoir faire un film. J’ai une vision très personnelle du métier de réalisateur, par exemple pour moi James Cameron est un très bon réalisateur contrairement à Akira KUROSAWA car l’un dessine bien et l’autre non. Pour moi les aptitudes à dessiner et à réaliser sont très liées ».

Cette passion du cinéma, c’est bien avant le manga qu’il l’a eu « je voulais travailler dans le cinéma et je me suis dit qu’être mangaka était un bon moyen pour gagner de l’argent », et quand il cite les films l’ayant influencé, c’est sans surprise que nous retrouvons Star Wars, mais également Blade Runner.
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Vient enfin la question d’une version live d’un Cobra en chair et en os, un projet d’arlésienne souvent évoqué, mais encore jamais cristallisé. Peu au courant de l’actualisé du dossier, le mangaka nous mentionne seulement qu’il était question de Hugh Jackman pour le rôle principal, « mais comme il a joué Wolverine, qui à très bien marché, cela n’est plus une priorité. Idéalement si Jean-Paul Belmondo avait 30 ans de moins et qu’il se teignait les cheveux en blond ça serait super ! ».
Mr TERASAWA avoue cependant être un peu inquiet quant à une adaptation live de son manga, en effet jusqu’à maintenant les fans sont souvent très déçus avec ce genre de reboot.

New technology addict

Buichi TERASAWA est également le pionnier (et un des rares) parmi les mangakas à proposer ces œuvres en couleur. « Quand on lit un manga, il y a un vrai jeu d’ombre et de lumière qui me fascine. Lorsque j’ai découvert les tout premiers Machintoch, étant passionné de nouvelles technologies, je devais absolument utiliser cet appareil. C’était également important pour l’évolution du manga ».
Cependant, les éditeurs n’étaient pas parés pour recevoir des données numériques à cette époque : le mangaka devait donc quand même imprimer toutes les pages qui seraient publiées, ce qui lui prenait beaucoup de temps. Maintenant toutes les entreprises, dont les maisons d’édition, sont parfaitement équipées informatiquement, mais en tant que précurseur en la matière il nous indique avoir « pas mal galéré ».

S’il se met à utiliser ces techniques de colorisation dés Takeru (1992), c’est à partir de la série en couleur Cobra The Space Pirate (1995) qu’il considère pleinement maitriser la méthode. Mais là où les ordinateurs ont vraiment révolutionné le manga, et même l’animation, c’est pour les paysages : « avant nous mettions énormément de temps pour les réaliser, et pour moi le travail par ordinateur permet un confort de travail exceptionnel ».

Enfin, pour conclure cet article, nous ne résistons pas à l’envie de vous faire partager un petit moment de gaieté qui s’est déroulé durant la table ronde avec l’auteur. Pour la dernière question, lorsqu’une journaliste lui demande ce qui l’a inspiré pour créer une série si en avance sur son époque, dés les années 70, il s’engage un dialogue plein d’humour qui ne manqua pas de dessiner un large sourire sur toutes les personnes présentes, en voici un extrait :

« Terasawa En fait j’ai une machine à voyager dans le temps. Je vais donc dans le futur pour savoir comment cela se passe, et parfois je retourne dans le passé pour raconter des histoires issues de faits historiques. Voulez-vous allez dans le futur avec moi ?
Journalistes : Absolument !
Par contre je dois vous prévenir, là-bas tout le monde vit nu et porte des talons haut.
Bon, et bien puisque tout le monde le fait pourquoi pas moi. Je ne suis pas très à l’aise en talon haut, mais je m’entraînerais. 
Danser avec des talons hauts n’est pas très recommandé pour les hommes, alors je prendrais des chaussures plus résistantes.
Nous ferions une bonne équipe je pense ».

Nous espérons que ce petit moment vous prouvera que Buichi TERASAWA sait faire preuve, tout comme son héros emblématique, d’une fraîcheur et d’une inventivité sans égal.

Enfin, comme la généalogie et les différentes publications de Cobra sont aussi longues que tumultueuses, voici un rapide récap chronologique pour y voir plus clair :

1977 – 1984   Space Adventure Cobra, première série manga de 18 tomes en noir et blanc.
1982                  Cobra Space Adventure, le film.
1982 – 1983   Space Cobra, série télé de 31 épisodes.

1995 – 2002   Cobra The Space Pirate, seconde série manga.
2008 – 2009  Cobra The animation, plusieurs OAV produites pour les 30 ans de l’œuvre.
2009 – 2010  Cobra The animation, nouvelle série télé de 13 épisodes.
2016              Cobra Return of Joe Gillian, adaptation animée de la partie Rugball annoncée lors du MAGIC 2016 et produite par Shibuya Production.

Pour suivre l’actualité de cette nouvelle production, nous vous invitons à garder un œil sur la page facebook du salon MAGIC.

Nous tenons à remercier le salon MAGIC et Sarah Marcadé pour la mise en place de cette entrevue, ainsi que Sahé Cibot pour la traduction de l’interview. 

 

Olivier Benoit

Présent sur Journal du Japon depuis 2013, je suis un trentenaire depuis longtemps passionné par l'animation traditionnelle, les mangas et les J-RPG. J'écris dans ces différentes catégories, entretiens également la rubrique hentai, et gère le pôle gastronomie. J'essaie de faire découvrir au plus grand nombre les choses qui me passionnent. @oly_taka

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