La culture du masque au Japon : du kamen au masuku

Le masque au Japon se retrouve aussi bien dans les arts et les médias que dans la vie de tous les jours. À l’approche d’Halloween, explorez la culture du masque au Japon, du kamen en passant par les masuku, ces objets portés pour des raisons aussi bien pratiques qu’artistiques.

Les kamen, masques traditionnels

Les kamen (仮面) signifiant « visage passager » font partie intégrante d’une vieille tradition dans la culture nippone : leur apparition remonte aux alentours du 7e siècle. Ils auraient été importés de l’Asie continentale, de la Corée en particulier, et servaient à des arts basés sur la danse et la musique. La première forme de ce genre de performance au Japon s’appelle le Gigaku, aujourd’hui disparu, avec des masques très singuliers.

Plusieurs masques issus du Gigaku, art basé sur la danse et la musique

Plusieurs masques issus du Gigaku, art basé sur la danse et la musique

Ces kamen sont sculptés dans du bois, généralement de cyprès et sont laqués. La laque permet en effet des jeux d’ombre et de lumière intéressants, comme l’explique Junichirô TANIZAKI dans son essai sur l’esthétique japonaise L’Eloge de l’Ombre :

« A la lueur vacillante de la flamme, je découvris aux reflets des laques […] un charme nouveau. En fait, on peut dire que l’obscurité est la condition indispensable pour apprécier la beauté d’un laque. »

L’un de ces masques serait d’ailleurs à l’origine de celui du Tengu (天狗), divinité folklorique japonaise qui apparaît dans de nombreux contes populaires. Sa représentation a évolué : au départ, le « chien céleste » était doté d’un bec d’oiseau ; puis un nez anormalement long (phallique) est apparu dans le but « d’humaniser » la créature et de la rendre ridicule et grotesque.

Le masque au long bec de Gigaku à gauche, origine retenue du Tengu à droite

Par la suite, les théâtres japonais kyôgen (狂言) et (能) qui apparaissent aux alentours du 14e siècle empruntent à leur tour les kamen. Le kyôgen est plutôt comique : c’est un intermède entre deux pièces de , avec des kamen aux saillies exagérées voire absurdes. Le se montre davantage dramatique, avec des masques aux traits simples qui s’adaptent aux différentes attitudes de l’acteur. Dans ces deux formes théâtrales, l’acteur ne fait plus qu’un avec le masque et habite le personnage par ce biais. Contrairement au théâtre kabuki (歌舞伎) où les masques sont remplacés par des maquillages très élaborés.

L’on compte ainsi dans le  pas moins de 250 masques ! Appelés nômen (能面), certains d’entre eux représentent des vieillards malins et amers, d’autres des faces percluses de douleur qui sont en fait des esprits de défunts dans le monde des vivants, en quête de repentir ou de vengeance. Quant au kyôgen, l’on ne répertorie qu’une cinquantaine de masques.

Trois masques du nô : une dame morbide, un vieillard chenu et un démon - Exposés au Musée des arts asiatiques Guimet, Paris

Trois masques du nô : une dame morbide, un vieillard chenu et un démon – Exposés au Musée des arts asiatiques Guimet, Paris

La culture populaire compte aussi des kamen

Les masques traditionnels sont aussi bien présents dans la pop-culture. Par exemple, Dans le film d’animation à succès Le Voyage de Chihiro, le célèbre Sans-visage (Kaonashi dans la version originale) ressemble à une femme du , le réalisateur Hayao MIYAZAKI estimant les traditions comme des points de repères importants de la culture japonaise.

La ressemblance frappante entre les masques de femmes (Musée Guimet) du nô et celui du Sans-visage, dans Le Voyage de Chihiro

La ressemblance frappante entre les masques de femmes (Musée Guimet) du nô et celui du Sans-visage, dans Le Voyage de Chihiro

De manière plus frappante, le jeu vidéo The Legend of Zelda, Majora’s Mask (Mujura no Kamen en japonais) base toutes ses mécaniques de jeu sur les kamen. Lorsque le héros Link porte un masque, il obtient le pouvoir de sa nouvelle apparence. Le jeu propose 24 têtes originales que l’on ne retrouve pas dans le mais les masques sont clairement une référence à ce théâtre, d’autant que son univers lui-même est axé sur les esprits d’outre-tombe vindicatifs ou en repentir.

Transformation dans The Legend of Zelda : Majora's Mask

Transformation dans The Legend of Zelda : Majora’s Mask, lorsque Link revêt le masque de puissance des fées

Le Hyottoko, masque de bouffon

Danseur portant le masque de Hyottoko

Danseur portant le masque de Hyottoko, plusieurs danseurs peuvent le porter en même temps sur la scène, rendant la représentation d’autant plus amusante

L’aspect du Hyottoko (ひょっとこ) plaît aux plus jeunes comme aux anciens. En effet, ce bouffon censé susciter le rire des spectateurs est apprécié dans les spectacles de rue, notamment grâce à ses danses aberrantes. Hyottoko s’apparente à un homme, la bouche en coin comme s’il soufflait dans un orifice. D’ailleurs, l’origine de son nom proviendrait de 火男 Hiotoko soit « l’homme-feu » ou « l’homme qui souffle le feu ». D’aucuns pensent qu’il trouve ses racines dans le denraku (田楽), initialement une danse des rizières. Aujourd’hui, ce sont surtout les roturiers qui se parent de ce visage si spécial, pour le bonheur des passants. Souvent, on rencontre Hyottoko accompagné de Okame, sa compagnonne drolatique et souriante.

Le masque de kitsune repose sur des mythes

Statue de renard au foulard rouge, au temple de Fushimi Inari Taisha de Kyôto

Statue de renard au foulard rouge, au temple de Fushimi Inari Taisha de Kyôto

Kitsune (狐) est le fameux renard magique des contes japonais. Ce yôkai est présent dans la vie de tous les jours et sous différents visages. Il est d’abord dans la religion shintô le messager de la déesse des récoltes, de la prospérité et du commerce Inari. Endroit très connu, les touristes et les Japonais aiment lui rendre visite au grand sanctuaire Fushimi Inari Taisha à l’est de Kyôto, où l’on rencontre bon nombre de statues de kitsune avec des foulards rouges. Pleine de malice et de clairvoyance, cette créature polymorphe peut se métamorphoser en humain. Il joue ainsi des tours aux personnes qui manifestent trop d’orgueil, d’avarice ou de témérité, bien souvent sous une apparence féminine. Parfois, ses farces cèdent place à la malveillance. Ambivalent, il peut rendre des services aux personnes qu’il affectionne !

Trois personnes portent le masque du kitsune dans un matsuri

Trois personnes portent le masque du kitsune dans un matsuri

Doté d’une telle notoriété et de pareils pouvoirs, rien d’anormal à ce que les masques à l’effigie du kitsune ait du succès. On les rencontre principalement dans les matsuri, festivals japonais ou lors de danses. Le masque est aussi utilisé en élément décoratif dans une chambre par exemple.

Au Japon, la tradition du kitsune no yomeiri (狐の嫁入り), « les noces du renard » en français, invoque également la figure de cet animal espiègle. Il s’agit d’un festival en l’honneur d’une vieille légende. La nuit, des feu-follets apparaîtraient dans les bois et sur les routes obscurcies. Tandis que certaines personnes traduisent cela comme un stratagème des esprits-renards pour égarer les voyageurs, d’autres pensent plutôt qu’il s’agit de leur souffle, le kitsunebi (狐火), « feu de renard ». Comme ce dernier se perçoit toujours en double, les vagabonds en ont conclu qu’il s’agissait du mariage de deux kitsune. C’est pourquoi, le kitsune no yomeiri fête un couple aux visages grimés en renards, mais les invités peuvent aussi porter le masque kitsune.

Au cours des noces du renard, les invités et les mariés revêtent souvent le masque du kitsune

Au cours des noces du renard, les invités et les mariés revêtent souvent le masque du kitsune

Le masque, c’est aussi un outil de frayeur

Si en France, on porte un masque le 31 octobre essentiellement pour effrayer, au Japon, ce jour valorise surtout le spectacle et la parade des déguisés plutôt que les masques à proprement parler. Mettez les pieds une fois à Shibuya le jour d’Halloween et vous comprendrez de quoi il s’agit ! Toutefois, le masque japonais peut aussi faire peur : les samurai l’utilisaient déjà pour faire perdre le sang froid à  leur adversaire. Prenons l’exemple avec ce masque du début du 18e siècle, couronné d’un impressionnant daim ailé à tête de dragon (Kirin) avec des feuilles d’érable, sans oublier le visage furibond, aux yeux indomptables et aux dents ciselées.

Le masque effrayant d'un samurai, dont le casque est orné du daim ailé Kirin

Le masque effrayant d’un samurai, dont le casque est orné du daim ailé Kirin

A Akita, dans le nord de l’archipel, notons l’existence du célèbre rituel du Namahage (生剥) la vieille du Nouvel An. Tels des pères fouettards nippons, des jeunes gens du village se masquent en Oni rouges et bleus et menacent d’emporter les enfants qui n’écoutent pas leurs parents. Sake et gâteaux de riz (mochi) leur sont offerts pour apaiser la colère des démons. Appréciant l’hospitalité, ils quittent les lieux tout en bénissant le foyer et leurs habitants pour qu’ils passent une année dans la santé et dans la prospérité grâce à des récoltes très fructueuses. Vous pouvez en savoir davantage en lisant notre article dédié à la cuisine et aux traditions d’Akita.

Démon du Namahage, qui traque les enfants qui ne sont pas sages

Le masuku : pratique pour toutes les convenances

De son côté, la protection chirurgicale, désignée masuku (マスク) en japonais (qui vient de l’anglais mask), montre des facettes plus utiles. En effet, les Japonais le positionnent sur leur visage pour éviter la propagation de maladies contagieuses, le vivre-ensemble étant primordial au Japon. De surcroît, il se voit très prisé par les femmes qui n’auraient pas le temps de se maquiller avant de s’en aller au travail.
Le masque devient aussi un véritable accessoire de mode que les ikemen (les beaux gosses) et les voyous arborent pour mettre en valeur leur style. Par exemple, l’un des membres du groupe de musique rock japonais Esprit d’Air porte un masuku noir.

L'un des membres du groupe de rock Esprit d'Air porte un masque noir pour le style

L’un des membres du groupe de rock Esprit d’Air porte un masque noir pour le style

Vous connaissez désormais toutes les bases de la culture nippone du masque ! Une dernière pour la route : devant leur entourage, les enfants préfèrent étouffer leurs jurons derrière leur masuku de « camouflage » … pourvu qu’il ne rencontrent pas les démons du Namahage !

Nils MARIE

Etudiant à l'Institut français de presse à Paris, je suis passionné de la culture et de la société japonaises.

1 réponse

  1. 14 mai 2020

    […] détective Popotin !). Du musée Ghibli (son personnage préféré est Kaonashi, sans-visage) aux masques de Nô ou de Kabuki en passant par ses essais de peinture sumi-e (mais elle est trop impulsive et […]

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