Sélection littéraire de printemps : un grand bol d’air frais !

Il n’y a pas qu’en septembre que les beaux romans sortent ! En ce printemps, Journal du Japon vous invite à découvrir des romans émouvants, poétiques, autour de la famille et de l’intime. Des livres pour quitter votre quotidien, plonger dans d’autres histoires et prendre une grande bouffée d’air printanier.

Suzuran d’Aki Shimazaki : l’amour de la poterie

Suzuran d'Aki Shimazaki, éditions Actes Sud : couvertureAnzu est une femme de trente cinq ans, divorcée, qui élève seule son fils, dans une petite ville de province, entre la mer du Japon et le mont Daisen. Elle crée de superbes poteries dans son atelier, qu’elle vend dans sa boutique et lors d’expositions qui connaissent un beau succès, en particulier auprès des personnes qui pratiquent l’ikebana. Ses parents habitent près de chez elle. Sa mère perdant un peu la tête, ils envisagent de partir en maison de retraite et de louer leur maison en attendant qu’Anzu la reprenne lorsque son fils entrera au collège. Elle a une soeur, Kyôko, de deux ans son aînée, qui vit à Tokyo, adore sa vie de citadine et son indépendance. Elle voyage beaucoup à l’étranger pour son travail et enchaîne les liaisons sans se marier.

Lorsqu’une ancienne amie de lycée invite Anzu à une fête des anciens élèves, elle se remémore son premier amour, qui l’avait félicitée pour la poterie qu’elle avait créée à l’époque, puis l’avait quittée brutalement pour une autre fille. Elle se souvient aussi des amants qui se succèdaient déjà à l’époque chez sa soeur.

Alors quand cette dernière annonce qu’elle va se marier et qu’elle vient présenter à toute la famille son futur mari pendant la Golden Week, elle se demande quel homme a pu lui donner envie de se marier à trente sept ans ! Une rencontre qui bouleversera la vie d’Anzu.

Comme dans ses autres romans, Aki Shimazaki peint les relations familiales complexes et les non-dits avec délicatesse et poésie. Les pages se tournent comme dans un courant d’air frais, vivifiant et un peu magique. Il y a des blessures plus ou moins profondes, mais toujours une énergie vitale qui circule dans les veines de l’héroïne comme la sève dans une plante. Une énergie créatrice qui se transforme en un magnifique vase en forme de cloche de muguet (Suzuran). Cette plante aux fleurs délicates, au parfum entêtant, mais au poison mortel, emporte le lecteur dans ses effluves page après page. Une plante qui inspire à Anzu ce poème que le lecteur garde en mémoire précieusement :

« Tu m’appelles sans voix
Come une clochette sans battant
J’entends tout, Suzuran !
Je t’aime depuis toujours
Depuis avant ma naissance. »

Famille, souvenirs, amours, ruptures, trahisons, énergie vitale, création, et amour de nouveau … Les cycles d’Aki Shimazaki tourbillonnent et enchantent le lecteur. Et ce dernier opus, Suzuran, particulièrement brillant, réjouira les fans de cette écrivaine du bonheur !

Plus d’informations sur le site de l’éditeur.

Attention : la parution de ce livre a été décalée au 20 mai 2020, encore un peu de patience !

La pêche au toc dans le Tôhoku de Shinsuke Numata : nature, pêche et amitié

La pêche au toc dans le Tôhoku de Shinsuke Numata, éditions Picquier : couvertureVoici un petit livre surprenant. Moins d’une centaine de pages pour brosser les superbes paysages du Tôhoku, et en particulier ses rivières verdoyantes dans les montagnes. Pour raconter également une amitié masculine autour de cannes à pêche et de verres de saké.

Imano est un trentenaire qui a toujours vécu à Tokyo et se retrouve muté dans la préfecture d’Iwate (Tôhoku), entre forêts et rivières. Il a du mal à s’intégrer et trouve dans la pêche un moyen de s’occuper en dehors des heures de bureau. Hameçonner avec des oeufs de saumon, des coléoptères, remonter la commune vandoise ou la très recherchée truite yamame. Le seul ami qu’il s’est trouvé est Hiasa, natif du coin, qui l’accompagne lors de ses sorties et aime boire avec lui autour d’un bon feu. Même lorsque celui-ci quitte l’entreprise, ils continuent à se voir.

Alors, lorsque Hiasa disparaît après le tsunami du 11 mars 2011, Imano est perdu. Surgissent alors beaucoup de questionnements. Qui est vraiment Hiasa ? Et lui, Imano, que veut-il, que cherche-t-il ? Ses anciens amis de fac, son ex petit ami se sont inquiétés pour lui lors du tsunami, même si la ville où il habite est dans la montagne et pas en bord de mer. Une introspection, une quête de l’autre et de soi s’amorce pour Imano. Restera-t-il dans cette région qu’il a appris à aimer, rentrera-t-il à la capitale ?

Le livre aborde de très, de trop nombreux sujets en peu de pages. L’écriture est très belle, mais le lecteur peut avoir l’impression de juste effleurer les personnages, les sujets. L’homosexualité, la catastrophe de 2011 et tous ses disparus, la place des êtres qui se sentent différents dans la société japonaise, l’adaptation à la vie dans la nature après avoir quitté la capitale, etc.

Ce premier roman est prometteur, et il a probablement charmé le jury du prix Akutagawa (qui lui a donné son prix) par ses descriptions naturalistes et poétiques et par les profils atypiques des personnages. Mais il faudra des textes plus étoffés, plus fouillés pour se laisser davantage séduire par cet auteur à suivre.

Un extrait pour admirer l’écriture de l’auteur (et du traducteur Patrick Honnoré) :

« Au fur et à mesure que nous remontions les souples méandres du cours d’eau, l’ombre des cyprès et des cèdres du Japon, de part et d’autre du talus, s’imbibait de bleu. Les rayons du soleil n’y pénétraient pas de toute la journée, comme un jardin de rocaille. La végétation haute et basse était plus frêle qu’ailleurs, de complexion plus chétive. Les feuilles presque translucides semblaient satisfaites du vert frais dont elles étaient uniformément enduites, comme si elles se tournaient sur elles-mêmes pour apprécier l’effet d’années et années à fuir délibérément les ultraviolets. Nous n’allions pas tarder à apercevoir la nébulosité blanche du courant qui se jetait dans le trou où nous comptions pêcher. Je levais les yeux, quand ma vue se trouva obstruée par l’arbre abattu. »

Plus d’informations sur le site de l’éditeur.

J’adore de Mieko Kawakami : le langage de l’amitié

J'adore de Mieko Kawakami, éditions Actes Sud : couvertureMieko Kawakami excelle dans l’art de faire pénétrer le lecteur dans la tête des gens : mère et fille dans Seins et Oeufs, ados malmenés par la vie dans Heaven, femme solitaire et rêveuse dans De toutes les nuits, les amants. C’est le cas dans ce nouveau roman qui met en scène deux enfants d’une douzaine d’années : Hegatea, jeune fille passionnée de cinéma, qui vit avec son père, sa mère étant morte juste avant ses quatre ans, et Mugi, passionné de dessin, qui vit avec une mère fantasque, astrologue et cartomancienne, orphelin de père (lui aussi mort quand il avait quatre ans).

Dans la première partie, c’est Mugi qui livre son quotidien, met en mots ses émotions, mots qui restent souvent coincés dans sa tête ou au fond de sa gorge. Il aime dessiner ce qui l’entoure, surtout la fascinante « Miss Ice Sandwich ». Elle vend des sandwichs au supermarché du coin et ses grands yeux le fascinent ! Mugi aime aussi parler à sa grand-mère, elle est alitée et ne parle plus, mais semble l’écouter et communique par ses regards. Il aime passer de longs moments avec elle. Par contre il ne fait que croiser sa mère pendant les repas. Il aime les cours d’expression artistique, aller voir des films chez son amie Hegatea, parler avec elle de tout et de rien, et la quitter en agitant le bras et en disant « Alpacino » comme on dit au revoir.

La description des émotions du jeune Mugi :
 » Pendant que je parlais à grand-mère sans réfléchir, j’ai senti une douleur dans la poitrine, et soudain, au même rythme que les battements dans ma poitrine les larmes me sont venues par à-coups et finalement j’ai pleuré pour de vrai. Je ne savais pas pourquoi j’étais triste, les larmes n’arrêtaient pas de couler. Toutes les choses à l’intérieur, les angelots accrochés dans le salon de maman, l’odeur du pastel gras bleu clair, les motifs du coussin que je suis du bout du doigt, le cartable d’Hegatea qui devient tout petit, tout était secoué très fort, tout tremblait chaque fois que je respirais et j’avais l’impression que mes larmes ne s’arrêteraient jamais. »

Dans la deuxième partie, c’est Hegatea qui prend le relai. Une petite fille qui semble bien dans ses baskets, a des amis, enfin surtout Mugi, et un père qui fait ce qu’il peut pour l’aimer. Car même s’il ne range pas toujours le linge comme il faut, travaille tard dans sa chambre ou s’endort devant le film qu’ils regardent ensemble, il essaye d’être là pour partager des moments avec elle et fait de la confiture de fraises, comme celle de la maman disparue. Le sapin de Noël fait en famille juste avant le décès de cette dernière trône tout le temps de le salon, et Hegatea installe son futon sous cet arbre pour dormir. Une présence symbolique, rassurante. Mais lors d’une recherche sur internet pour créer un livre de souvenirs de l’école primaire, elle découvrira un pan de la vie de son père qu’elle ne soupçonnait pas. L’occasion de se confier à Mugi, de faire avec lui un parcours nécessaire pour soigner ses blessures et envisager l’avenir avec un esprit apaisé.

La description des sensations d’Hegatea, même les plus anodines :
« La première fois qu’on marche dans une ville ou un quartier qu’on ne connaît pas, ça fait toujours bizarre. Bien sûr, les potexu électriques, les embouteillages, les maisons, ce sont exactement les mêmes que là où j’habite, mais d’un autre côté ça donne l’impression que tout est différent. Les chiens qui se promènent, les dames qui promènent les chiens, les vélos, les panneaux. C’est tous les mêmes, mais on dirait que ce n’est pas les mêmes. Ça me fait toujours ça, la première fois que je suis quelque part. C’est là que je me suis aperçue qu’en fait je ne suis presque jamais sortie de mon quartier. »

Leur quotidien en dernière année d’école primaire pourrait sembler banal. Mais cette période charnière entre enfance et adolescence s’avère celle des émotions, des mots qui restent coincés ou qui sortent précipitamment, des moments de bonheur partagé, mais aussi des tristesses, des angoisses et des incompréhensions : les adultes ne sont pas toujours à la hauteur de l’image que les enfants en avaient. Les interrogations se succèdent, les conversations entre les deux héros permettent de faire sortir les douleurs tapies. Ils avancent ensemble sur le chemin qui les mènera à leur vie d’adulte.

Une très belle histoire d’amitié servie par une langue riche, vivante, qui tourne dans les têtes, qui s’envole dans l’air, qui chante, danse, rit, pleure. Une langue qui dévoile tout son pouvoir aux deux amis qui s’en emparent, émerveillés !

Le lecteur sera ébloui par le travail sur le langage, thème cher à l’auteure : l’opulence des mots, la précision des termes employés pour décrire les états d’âme, la vivacité des dialogues, le fourmillement des émotions de ces personnages terriblement touchants et attachants ! Mettre en mots tout ce qu’un enfant d’une dizaine d’années peut ressentir est difficile, et c’est brillant, impressionnant de sentir la fougue de ces jeunes héros, mélange de joie enfantine, de tristesse du manque (d’un père ou d’une mère), d’envie de grandir, et de peur en même temps.

Un très grand roman, frais et lumineux, sur deux enfants qui cheminent côte à côte, épaule contre épaule, vers l’âge adulte.

Plus d’informations sur le site de l’éditeur.

Une sélection qui invite à ouvrir grand les fenêtres et à aller marcher les cheveux dans le vent printanier !

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