Interview Biomomo Hashimoto : la pâtisserie franco-japonaise bio

Parce que le bio peut aussi se retrouver dans la pâtisserie, parce que les pâtissiers japonais ne font pas forcément que des dorayaki et des mochi, et parce qu’il n’y a pas qu’à Paris qu’on peut trouver son bonheur : nous vous proposons de rencontrer Taisuke et Emiko de Biomomo Hashimoto. Situé à Bellegarde, à 15 minutes en voiture de Nîmes, les deux artisans nous ont accueilli dans leur atelier, au milieu des vergers et des vignes, pour parler des débuts de la pâtisserie française au Japon, et de comment l’univers du bio s’est développé.

Biomomo Hashimomo

Des passionnés de pâtisserie

Bonjour à vous deux. Pouvez-vous nous présenter votre parcours ?

Taisuke : Bonjour. Je suis né au nord du Japon, à Hokkaido, et j’ai commencé à travailler dans une pâtisserie à Kobe. J’ai commencé à aimer la pâtisserie quand j’étais au lycée. J’habitais à la campagne, mais même si ce n’était pas Tokyo, il y avait tout de même des pâtisseries françaises. À la fin des années 1980, il y avait déjà de la pâtisserie française au Japon. Au début, parmi les sucreries traditionnelles japonaises, il y avait surtout des Shortcakes (NDR : Des gâteaux à étages à base de génoise et de chantilly assortis de fruits, souvent de la fraise), et des Rollcake. C’est au début des années 1990 que les pâtisseries françaises classiques sont arrivées : il y avait des gâteaux au chocolat, des mousses à la framboise, et tous les desserts très académiques de la pâtisserie française. Tous ces desserts se trouvaient dans des boutiques tenues par des Japonais qui étaient allés faire des stages de pâtisserie en France. Une première génération d’artisans japonais est arrivée en France pour apprendre la pâtisserie française entre 1960 et 1970, avant de la proposer au Japon après leur formation. À cette époque-là, les grands pâtissiers français n’avaient pas encore leur propre boutique au Japon. Même Pierre Hermé n’en avait pas encore.

Voici deux de mes premiers livres de pâtisseries :

Biomomo Hashimomo livre

À gauche un livre de Hidemi Sugino, à droite un livre de Shizuo Tsuji.

Il y a un livre de monsieur Shizuo Tsuji [NDR : Celui de droite sur la photo]. Il a fondé l’école Tsuji à Osaka, puis deux autres établissements de formation à la cuisine et à la pâtisserie à côté de Lyon. Il nous a quittés désormais, mais c’était un grand monsieur à qui l’on doit le développement de la pâtisserie au Japon.
Lorsque je découvrais le métier, j’avais beaucoup de magazines et de livres sur le sujet, mais celui-ci (NDR: Celui de gauche sur la photo) est un de mes préférés. Les gâteaux y sont classiques, mais élégants. Les recettes étaient disponibles à la fin, ce qui me permettait de pâtisser à la maison après le lycée. J’ai vraiment aimé ces gâteaux, alors j’ai regardé les coordonnées de la personne qui les avait faits et j’ai décidé d’écrire à cette personne. Je lui disais simplement que j’aimais son travail, comparable à de l’art. Deux jours après, il m’a téléphoné et j’ai été invité à venir visiter chez lui, à Kobe. Après avoir échangé plusieurs fois ensemble, il m’a accepté en tant qu’élève, et j’ai fini par travailler avec lui.

 

Et pour vous Emiko, quand êtes-vous venue à la pâtisserie ?

Emiko : Ce n’était pas du tout mon métier à l’origine. Après la fac, j’ai commencé à travailler à Matsuda, un constructeur de voitures, en tant qu’assistante commerciale. J’y travaillais avec la télévision japonaise pour faire des reportages. Avec ce travail, je voyageais partout dans le Japon, et en dehors. Lorsque j’ai eu 30 ans, je suis allée à Paris, et j’ai eu l’occasion de manger à des grandes tables, comme chez Alain Ducasse qui était déjà 3 étoiles, et dans beaucoup d’autres grands restaurants. Cela a été un choc pour moi, je me suis dit « Qu’est-ce que c’est bon ! ». Suite à cette révélation, j’ai changé de métier, et je suis allée à l’école Tsuji où j’ai travaillé autant en cuisine qu’en pâtisserie.

 

Est-ce que ce n’était pas difficile de trouver les matières premières nécessaires pour pâtisser au cours des années 90 au Japon ?

Taisuke : On commençait à trouver des produits de ce genre, comme les crèmes liquides, mais aussi les pulpes de fruits de Valrhona et Ravi Fruits. Je n’ose pas me souvenir combien ça coûtait, mais il y en avait (rires). Donc on pouvait déjà faire presque les mêmes gâteaux qu’en France.

 

Vous avez donc appris la pâtisserie au Japon, mais avez-vous continué à vous former une fois en France ?

Taisuke : J’ai travaillé environ 10 ans au Japon chez Hidemi Sugino, la personne que j’avais contacté. C’est le premier asiatique à avoir gagné le Championnat du monde de la pâtisserie à Lyon en 1991. C’était la deuxième édition de ce concours. Le premier était Mickaël Azouz en 1989.

Livre de pâtisserie

Après ces 10 années, je me suis dit que j’avais bien appris le métier, et lorsque j’ai eu 29 ans j’ai décidé de faire un stage en France avec Emiko. Nous sommes d’abord allés dans une école pour apprendre le français pendant deux ans, puis nous avons trouvé du travail dans une pâtisserie à Strasbourg. Mais on avait beaucoup de mal à comprendre, car les employés parlaient avec l’accent alsacien, et c’était très compliqué de comprendre au début. Et puis les quantités n’avaient rien à voir avec ce qui se pratiquait au Japon : en France les volumes étaient beaucoup plus gros, ce qui modifie le travail et la précision. Pour toutes ces raisons, cela a été très dur de s’adapter.

 

Comment se passe une semaine de travail typique chez Biomomo ?

Taisuke : Normalement, nous sommes là quasiment tous les jours, on ne prend que quelques jours de congé dans l’année. Dans l’atelier on fait un peu de tout : du praliné, du gingembre confit, des confitures, et tout cela dépend vraiment des jours.

Emiko : Nous n’avons pas de stock, donc il faut produire dès qu’il y a des commandes .

Taisuke : Les week-ends, nous faisons des portes ouvertes, pour les gens qui veulent découvrir notre métier et acheter nos produits en direct. En été, nous faisons les marchés dans les environs. Cela fait cinq ans que nous faisons ces marchés, et il y a de plus en plus de gens qui reviennent nous voir, beaucoup de clients fidèles. Il faut donc de plus en plus préparer pour les week-ends, en plus des commandes qui partent en livraison tout autour de la France, principalement des magasins où nos produits sont en vente. Des clients professionnels, des particuliers sur notre site internet, les marchés, la vente directe, cela nous laisse peu de temps (rires).

 

Des produits sourcés

Quel type de produits proposez-vous à la vente ? Je vois qu’il y a des produits confits, des pâtisseries, des chocolats…

Taisuke : Les pâtisseries sont pour la vente en direct et les marchés. En chocolat, nous avons dix parfums différents, mais pour Pâques nous faisons des moulages et des petits chocolats pralinés. En fin d’année, nous faisons aussi des Stollen (ou Christollen), des gâteaux alsaciens, qui sont un énorme succès. Nous faisons à chaque fois beaucoup d’avance, mais c’est toujours la rupture de stock (rires).

 

Sur les comptes Instagram japonais, il y a souvent des Stollen, ça a l’air d’être particulièrement connu là-bas. C’est surprenant que ce gâteau alsacien soit aussi prisé au Japon, non ?

Taisuke : Avant ce n’était pas connu, mais il y a eu, comme moi, beaucoup de Japonais qui ont fait des stages en Alsace, à Strasbourg. Comme c’était un point d’arrivée commun aux Japonais pour découvrir la pâtisserie, beaucoup ont proposé le Stollen en rentrant au pays.

Mais bien sûr ! Voilà un mystère résolu.

Emiko : Ici nous sommes dans le sud, donc nous utilisons de la farine de petit épeautre, et nous mettons du gingembre confit maison, comme tous nos fruits confits, mais au Japon il y a beaucoup de mélanges, comme des Stollen Matcha. Nous faisons ici un Stollen plus traditionnel.

Taisuke : Quand nous avons commencé Biomomo, il y a maintenant plus de six ans, nous pensions faire soit de la pâtisserie japonaise, soit de la pâtisserie-confiserie française. C’est finalement pour un entre-deux que nous avons opté. L’avenir nous le confirmera, mais nous avons peut-être bien fait d’opter pour la pâtisserie française classique avec une essence japonaise. Au début, c’était très compliqué de faire goûter des produits comme le matcha. Mais maintenant, peut-être un peu grâce à nos efforts, beaucoup de gens commencent à l’utiliser, et désormais beaucoup de gens adorent le matcha. À Paris, c’est allé plus vite, mais dans la région ce fût plus difficile.

 

On voit que vous utilisez autant des produits asiatiques comme le gingembre, la sauce soja et le matcha, que des produits méditerranéens comme le thym ou le basilic. Comment est-ce que vous décidez d’une nouvelle recette ? Vous essayez toujours de mélanger les deux univers français et japonais ?

Taisuke : Au quotidien, nous ne mangeons pas de cuisine japonaise. Pâtes, pizza, steak : des plats typiquement français (rires). De temps en temps, en regardant des réseaux sociaux comme Instagram, on voit des influences, on se dit qu’on va tester tel ou tel mélange, mais en étant à la campagne, on voit la saisonnalité, l’arrivée des floraisons, ce qui nous inspire aussi. Même pour le thym il y a une saisonnalité : le thym d’hiver et celui d’été n’ont pas le même goût. On se dit alors qu’il y a peut-être quelque chose à faire. Je pense que les gens qui habitent ici ne font plus trop attention à certains détails, et comme nous venons de l’extérieur, nous avons peut-être plus de curiosité sur ces aspects-là.

Ça fait 20 ans que nous habitons en France, et de temps en temps nous rentrons au Japon. Dans ces moments-là, on y redécouvre de nouvelles choses, auxquelles on ne faisait pas attention lorsque nous y habitions. Certains grands chefs français qui visitent le Japon sont intéressés par des choses auxquelles les Japonais ne font parfois plus attention. Je pense que c’est notre particularité à nous aussi.

Biomomo Hashimomo chocolat

Vous faites en effet une tablette de chocolat aux olives noires et aux herbes de Provence qui est très étonnante ! Comment en êtes-vous arrivé à mettre de l’olive dans une tablette de chocolat ?

Emiko : C’est grâce au terroir. Lorsque l’on marche le long d’un sentier, cela nous fait toujours réfléchir à des associations de saveurs. Si on est en train de faire du chocolat dans l’atelier et que l’on sent l’odeur de l’olive, ça nous donne des idées [NDR: L’atelier de Biomomo Hashimoto est accolé aux locaux de Biogarden, un regroupement de producteurs bio qui cultivent des fruits et des légumes. Dès que nous sortons de la porte du laboratoire, nous sommes tout de suite dans la nature]. Ce sont des recettes qui ne sont pas calculées, ça vient de la nature qui nous entoure au quotidien.

Taisuke : L’olive de Provence, tout le monde connait, mais en termes d’association nous n’avons pas de barrières, donc on teste tout. Notre métier ce n’est pas que fabriquer, c’est aussi un travail d’artiste. Travailler la matière, savoir quels goûts mélanger.

Pâtisserie bio et produits locaux

Vous travaillez avec beaucoup de produits locaux, tous vos ingrédients viennent des alentours ?

Taisuke : Le fruit qui vient de plus loin c’est le pomelo de Corse, car il ne pousse pas ici, mais sinon l’ensemble de nos produits vient de 15km à la ronde en moyenne. Il n’y avait pas d’amande bio dans les vergers environnants, donc nous avons demandé une parcelle pour développer ce produit il y a 6 ans, et la première récolte a pu se faire l’année dernière. Depuis, les choses commencent à bouger dans la région pour faire plus de bio. Lorsque nous sommes arrivés en France, ça n’était pas comme ça. Beaucoup de produits venaient de pays extérieurs. Mais depuis une dizaine d’années, les gens commencent à acheter local. Peut-être que « grâce » au Covid et aux restrictions géographiques il y a de moins en moins d’importation de fruits d’Espagne.

 

La notion de Bio est aussi évidemment importante dans vos produits, c’est parce que la région propose beaucoup de produits bio que vous avez décidé de vous installer ici ?

Taisuke : À la base, nous étions déjà consommateurs de bio, mais lorsque nous travaillions en pâtisserie-chocolaterie il n’y avait pas de notion de bio dans les ateliers. On se demandait pourquoi, et c’est ce qui nous a décidés à proposer de la pâtisserie-confiserie-chocolaterie bio.

Emiko : Il y a beaucoup de pâtisseries qui utilisent des colorants, et je trouve ça un peu bizarre. Dans la pâtisserie moderne, il y a des entremets bleus, rouges, des choses pas très naturelles. C’est pour ça que nous préférons faire des produits traditionnels. Lorsqu’on a commencé dans cette voie-là, c’était très difficile au niveau business, car ça coûte plus cher de faire sans ces produits chimiques, et les gens ne comprenaient pas la démarche. Maintenant, les choses ont évolué et c’est plus simple pour communiquer dans ce sens-là.

Biomomo Hashimomo praliné

Vous avez gagné un concours, le Prix Épicure de l’épicerie fine 2018. Parlez-nous-en.

Taisuke : Au début, je n’aurais jamais pensé participer à un concours. Mais comme c’est l’organisateur qui nous a proposé, on a voulu voir ce qu’on pouvait réussir à faire. On aime les bonnes choses, et il y avait dans cette institution des gens qui sont dans le même esprit que nous. Comme dans la région nous sommes un peu isolés, c’est un moyen de réunir et partager de bonnes choses, savoir comment on va travailler à l’avenir. La consommation, l’emballage, l’écologie sont autant de choses qu’il faut souvent repenser.

Emiko : En 2018, notre praliné amande au matcha a gagné la médaille d’or et c’est quelque chose qui m’a vraiment surprise, car c’est un praliné qui n’existait pas, que les gens ne connaissaient pas. Comment l’utiliser ? Comment le manger ? Il faut faire des dégustations pour expliquer tout ça aux gens. Les ventes étaient compliquées au début, et on ne pensait vraiment pas gagner le concours avec ce produit.

Taisuke : Le jury était composé de journalistes culinaires, et ils ne se souciaient pas de la commercialisation, mais juste du goût, des sensations, de l’engagement du travail dans le produit. C’est ce mix franco-japonais qui leur a plu, et je me dis aujourd’hui qu’on a peut-être bien fait avec ce praliné (rires).

Emiko : Nos pâtisseries sont faciles à vendre en direct, mais notre cœur de métier, c’est nos produits en pot, qui peuvent s’exporter. C’est aussi des produits qui peuvent facilement être associés avec un collaborateur. Par exemple, un chef cuisinier a utilisé notre praliné matcha avec une sauce pour un poisson. Il a réussi à maîtriser l’amertume du matcha avec de l’huile d’olive. Donc ce ne sont pas des produits qui se limitent à la pâtisserie, et la pâtisserie ne se limite pas qu’au sucré.

 

Comment peut-on acheter vos produits ? Vous avez des points de vente à travers la France ?

Taisuke : Sur notre site internet où vous trouverez nos produits en pot et nos tablettes, sur les marchés dans la région, et dans quelques Biocoop.

 

Merci à vous deux pour votre temps et vos réponses !

 

Vous avez certainement compris en lisant cette entrevue que chez Biomomo Hashimoto l’accent est mis sur le terroir et le sourcing des produits. Si vous êtes dans la région nous ne pouvons que vous conseiller d’aller leur rendre visite lors des portes ouvertes. Et si vous êtes trop éloignés, passez par leur boutique en ligne pour tester leurs pralinés disponibles au matcha, au sésame noir, au gingembre ou au curcuma ! Et comme Pâques approche, des chocolats fourrés avec ces pralinés sont commandables.

Olivier Benoit

Présent sur Journal du Japon depuis 2013, je suis un trentenaire depuis longtemps passionné par l'animation traditionnelle, les mangas et les J-RPG. J'écris dans ces différentes catégories, entretiens également la rubrique hentai, et gère le pôle gastronomie. J'essaie de faire découvrir au plus grand nombre les choses qui me passionnent. @oly_taka

2 réponses

  1. 13 décembre 2021

    […] Tsuji c’est vrai est très connue (NDLR : Taisuke de Biomomo Hashimoto nous en déjà parlé dans son interview dédié). C’est même l’unique école dont on a entendu parler. Certains chefs n’ont néanmoins pas […]

  2. 13 décembre 2021

    […] Tsuji c’est vrai est très connue (NDLR : Taisuke de Biomomo Hashimoto nous en déjà parlé dans son interview dédié). C’est même l’unique école dont on a entendu parler. Certains chefs n’ont néanmoins pas […]

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