Elles nous racontent leur Japon #10 : Anita Henry

 

Portrait de Anita Henry

Anita Henry – Crédits ©Sophie Lavaur

Anita collectionne les kimonos comme d’autres collectionnent les timbres. Un chemin vers la beauté et le temps ralenti, ponctué par des cérémonies du thé et le tir à l’arc japonais.

Elle me reçoit chez elle à Toulouse, en kimono, puis m’amène visiter le jardin japonais en centre-ville. Nous y partageons des bentos achetés non loin de là dans sa cantine nippone. Elle me parle de kimonos, de son livre et de ses rêves de Japon.

Une rencontre inspirante, à la découverte de l’univers fascinant du kitsuke, l’art de se vêtir d’un kimono.

Sophie Lavaur : Anita, qu’avez-vous envie de nous dire sur vous ?

Anita Henry : Je suis conférencière auprès des musées de France, je travaille également avec les écoles et les associations. Je parle de culture japonaise, des arts, des jardins, du beau plus généralement.

Je m’habille en kimono pour toutes mes interventions, c’est ma spécificité, car j’ai une grande passion pour les kimonos en soie, que je collectionne et que j’expose dans les musées et galeries. J’ai une collection conséquente, je ne compte plus, disons que cela représente quelques cocons de vers à soie.

J’organise aussi des ateliers où j’initie les participants au kitsuke : ils choisissent un kimono de saison de ma collection, je les habille et leur apprends quelques codes, autour d’un thé.

Et je suis née le 8 août, et le mont Fuji à la forme d’un huit quand on l’écrit en japonais (note : au Japon, le chiffre 8 est un chiffre porte-bonheur).

Pourquoi le Japon ?

J’ai grandi en Tchécoslovaquie au temps du communisme. A cette époque, on ne pouvait pas voyager. A l’adolescence, mon rêve était de pouvoir aller le plus loin possible, j’ai voyagé avec un doigt sur la mappemonde. Et pour moi, le plus loin était le Japon.

Mon père travaillait en extrême Russie, il m’a beaucoup parlé de ses voyages, de ces gens différents. On l’appelait Marco Polo. Une de mes premières lectures d’ailleurs était le récit de Marco Polo qui cherchait Cypango (note : nom donné au Japon par Marco Polo).

Je me suis beaucoup documentée, j’ai lu des livres de voyage sur les pays d’Extrême-Orient, et mon intérêt pour le Japon s’est cristallisé au fil du temps.

J’avais seize ans à la chute du mur, et tout d’un coup, il a été possible de traverser la frontière. Beaucoup de jeunes de mon lycée sont partis dans les pays limitrophes, surtout en Allemagne et en Autriche. Moi, mon rêve était le Japon, mais cela restait compliqué.

Un jour, j’ai découvert des livres écrits par des professeurs de l’INALCO, et voilà comment j’ai eu l’idée de venir en France. J’ai appris le français en cours intensifs à la Sorbonne, pour me préparer à passer le bac. Cela m’a permis d’intégrer l’INALCO, en section Japon. Après, je me suis spécialisée en littérature japonaise.

Pendant mon année de licence, je suis partie un mois au Japon. J’ai séjourné dans trois familles, dans la région de Gifu. Chacune voulait me montrer un maximum de choses et c’est grâce à elles, que j’ai découvert le kimono, la cérémonie du thé, un Japon méconnu.

Cette fois-ci, je parlais japonais, c’était bien plus intéressant que quand j’y étais allée en simple touriste.

Et donc votre passion pour les kimonos date de cette période ?

Oui. Mon premier kimono m’a été offert par une de ces familles, il a été cousu pour moi. Je l’ai porté pour mes premières cérémonies du thé.

Cette même année, j’ai trouvé un arubaito (un petit boulot) dans la filiale française d’un joaillier japonais, qui m’a embauchée à la fin de mes études. Il était possible de s’habiller en kimono pour certaines occasions, j’ai commencé à en acheter et j’en ai reçu d’autres en cadeau.

En travaillant dans cette entreprise, j’ai beaucoup appris sur les relations humaines, sur les japonais, des choses complémentaires de ce que j’avais appris à l’université. Par exemple, la langue professionnelle, les codes de conduite avec un supérieur japonais et des stagiaires. Il y avait beaucoup de choses communes avec mon pays, la Tchécoslovaquie.

Le « virus » du kimono est venu plus tardivement, quand je suis devenue conférencière en arrivant à Toulouse.

J’achète mes kimonos à d’autres collectionneurs sur internet et quand je vais au Japon. Mes amis là-bas savent ce que je recherche, je leur fais confiance pour me trouver les perles rares. Ils m’envoient alors des photos, puis la précieuse étoffe une fois acquise.

Je collectionne les kimonos en soie, des kimonos de femme que je peux porter. Il y a aussi des kimonos que j’achète par plaisir, parce qu’ils sont beaux et qu’ils ont une histoire. Des kimonos très anciens, des kimonos de jeunes filles, d’hommes ou d’enfants.

J’ai exposé une partie de ma collection pour la première fois en 2018, à l’Abbaye de Belleperche dans le Tarn et Garonne.

Quelle est la part de Japon dans votre quotidien ?

Les kimonos, les kimonos, les kimonos !

Pour ceux que je mets régulièrement, j’écris des textes explicatifs, leur origine, leur type, leur spécificité et le contexte dans lequel on les porte. En fonction de mon planning de conférences, je prépare les kimonos que je vais mettre. Comme j’en ai beaucoup, j’ai un placard virtuel sur lequel je fais mon choix.

Il faut les sortir de leur housse tatoushi, les suspendre pour les défroisser et les aérer. Après je choisis les accessoires komono tels que le obi, le obijime, les zôri (sandales) et je couds le eri, un col assorti sur mon sous-kimono (le nagajuban) pour faire plus joli et aussi pour protéger le kimono.

Mon Japon au quotidien, c’est aussi la cérémonie du thé, mes cours hebdomadaires de kyūdō (tir à l’arc japonais), la cuisine et la littérature japonaises.

Quelle est la genèse du livre ?

C’est Corinne Déchelette, ma co-autrice, qui a eu l’idée de ce livre et qui en a été le moteur.

Nous nous sommes rencontrées en 2019 lors du vernissage de l’évènement Le fil bleu organisé dans la région. La thématique était autour du pastel et de l’indigo, des teintures naturelles typiques de l’Occitanie et du Japon. J’exposais des kimonos, elle des origamis en papier japonais, c’est sa spécialité. Elle a tout de suite fait le parallèle entre les motifs des kimonos et ceux des papiers washi, il y avait une idée à creuser.

Le projet initial était de publier un catalogue en complément d’une exposition éponyme au Musée du Pays rabastinois à Rabastens dans le Tarn, là où elle habite. Une exposition de mes kimonos sur la thématique des saisons, avec les origamis créés par Corinne. L’évènement a été reporté en raison de la crise sanitaire… il aura bien lieu un jour.

Nous avons travaillé sur un fil conducteur, choisi les thèmes et les motifs à mettre en avant. Comme nous avions beaucoup de choses à raconter, le catalogue s’est transformé en livre.

J’ai sélectionné les kimonos de ma collection et complété les écrits existants. Les saisons sont illustrées par les motifs des tissus et par des haïkus écrits par Eric Despierre.

L’originalité du livre, c’est Corinne qui l’a apportée, car l’approche pédagogique de l’ouvrage se fait à travers ses origamis qui représentent des kimonos. Un formidable travail de recherche de papiers et de pliages.

Nous avions à cœur de faire un bel objet. La vie a mis l’imprimerie Art et Caractère sur notre chemin, c’est un imprimeur local qui collabore beaucoup avec les musées, un travail de prestige réalisé sur une machine offset japonaise Komori. Et en plus, l’entreprise a une démarche écoresponsable très avancée.

Au printemps dernier, la graphiste et la photographe avaient déjà bien travaillé, il fallait les rémunérer. Nous avons donc décidé de publier à compte d’auteur, sans attendre une nouvelle date pour l’exposition.

Comment ça marche pour diffuser les livres quand on est autoédité ?

Nous avons trouvé comment surprendre les libraires quand nous allons leur présenter le livre : nous ne prenons pas rendez-vous et nous arrivons habillées en kimono !

Comme c’est avant tout un livre « pédago-artistique », nous avons ciblé les musées en lien avec l’Asie, Guimet et le Quai Branly à Paris et aussi à Toulouse, à Nice… Nous visitons les librairies indépendantes, c’est un choix. Nous avons eu un très bon accueil à l’Ombres Blanches à Toulouse et chez Junku à Paris, entre autres.

Je suis une bonne cliente du Cultura à Balma, les libraires me connaissent, je leur avais même demandé de faire une recherche sur les livres existants sur les kimonos. Alors quand je suis allée présenter le livre, ils m’ont dit : « Alors ça y est, vous l’avez écrit ce livre ! ».

Un secret à partager sur le livre ?

J’ai acheté le kimono rouge de la page 80 pendant le premier confinement, il a été livré chez mon amie Martina, que je ne pouvais pas visiter. C’est donc elle qui s’est chargée de faire les photos de ce kimono-là. La prise de vue a été faite dans son jardin, par temps de vent, et la photo de détail de la page 83 est constellée d’ombres. Un défaut qui a plu à notre graphiste, qui trouvait que cela faisait ressortir les nuages du motif.

Qu’avez-vous appris de cette aventure littéraire ?

D’abord, cela m’a donné confiance en moi. Puis, j’ai appris à travailler en équipe et à distance avec Corinne et Isabelle notre graphiste.

J’ai continué à explorer le sujet des kimonos car j’ai dû faire des recherches supplémentaires.

Et surtout, j’ai appris que le monde des kimonos pouvait rendre les gens heureux. J’ai eu beaucoup de retours positifs, le livre rappelle aux lecteurs les bons souvenirs de leurs voyages au Japon. Tout cela me ravit.

Quel est votre livre ou auteur préféré sur la Japon ?

Yasushi INOUE assurément, avec ses romans historiques comme Le fusil de chasse, Le loup bleu, La favorite.

Je ne l’ai jamais lu en japonais, du moins pas encore. Je l’ai découvert pendant mes études à l’INALCO, à cette époque ses livres correspondait au monde merveilleux japonais et oriental que je m’imaginais.

Et maintenant, quels sont vos projets ?

Le livre a été imprimé à 500 exemplaires, ils sont tous vendus. Nous finalisons la correction des versions en anglais et en espagnol, de façon à grouper l’impression avec le deuxième tirage.

L’imprimeur a proposé de faire toute une gamme de produits dérivés, des carnets et cahiers, un cahier d’apprentissage des couleurs en kanji. Et des kits cadre origami kimono pour lesquels l’effet de structure du papier washi est donné par la texture de la soie des kimonos.

J’espère que nous pourrons présenter ces produits à un plus grand nombre de librairies, et que nous reprendrons nos séances de dédicaces.

Sinon, à moyen terme, nous avons déjà avec Corinne le projet d’un nouveau livre, toujours sur le Japon, avec la collaboration d’un autre artiste. A suivre donc.

Un dernier mot pour la fin ?

Il faut oser.

Merci Anita pour votre temps et votre accueil si enthousiaste, rendez-vous pris pour le prochain livre alors !

Découvrez le livre de Anita Henry et de Corinne Déchelette Kimono, sentir la saison sur soie à Paris aux musées Guimet et du Quai Branly à Paris, aux musées d’Art Asiatique de Nice, Georges Labit à Toulouse… et en librairies : Junku à Paris, à Toulouse à la librairie Ombres Blanches et chez Cultura Balma, à Bordeaux à la librairie Mollat et à la Maison du Japon, à Biarritz chez Bookstore, à la Librairie Jean Jaurès à Nice. Ou, demandez à votre libraire de le commander sur la Place des libraires.

Suivez Anita Henry sur Facebook et Corinne Déchelette sur les Instagram.

Livre de Anita Henry et Corinne Déchelette

Kimono, Sentir la saison sur soie de Anita Henry et Corinne Déchelette – Crédits ©Sophie Lavaur

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